Déséquilibre significatif : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/14951
Déséquilibre significatif : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/14951
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7 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/14951

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 07 JUIN 2023

(n° 112 , 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/14951 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEG76

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS, 1ère chambre – RG n° 2016064825

APPELANTE

S.A. MR. BRICOLAGE agissant poursuites et diligences en la personne de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS d’ORLÉANS sous le numéro 348 033 473

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée de Me Sylvie CHOLET de la SELARL SELINSKY CHOLET, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIME

Monsieur LE MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES dont les bureaux sont situés [Adresse 3], représenté par Madame [L] [N], directrice de la direction regionale de l’economie, de l’emploi, du travail et des solidarites (DREETS) de la region centre val de loire (Pôle C), sis [Adresse 2] – Et ayant élu domicile en 1ère instance à la DGCCRF, [Adresse 6]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Assistée par Madame [G] [T], agent chargé du contentieux civil des pratiques restrictives de concurrence au sein de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, munie d’un pouvoir de représentation

Assistée de Madame [V] [F], fonctionnaire de catégorie A, inspectrice de la concurrence, consommation et répression des fraudes, affecté au Pôle C de la DREETS de la région Centre-Val de Loire, munie d’un pouvoir

Assistée de Madame [P] [D], fonctionnaire de catégorie A, inspectrice de la concurrence, consommation et répression des fraudes, affecté au Pôle C de la DREETS de la région Centre-Val de Loire, munie d’un pouvoir

INTERVENANTE

Société DZB BANK prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

société de droit allemand

enregistrée auprès du tribunal d’instance d’Amtsgericht sous le numéro HRB 22365

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4] ALLEMAGNE

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant

Assistée de Me Xavier LACAZE de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T07, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 19 Avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4

Mme Sophie Depelley, conseillère

M. Julien Richaud, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Julien Richaud dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Maxime Martinez

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4, et par Monsieur Maxime Martinez, Greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La SA Mr Bricolage et le marché du bricolage

La SA Mr Bricolage est la centrale de référencement du réseau de magasins de bricolage exploités par :

– des commerçants indépendants utilisant l’enseigne Mr Bricolage (334 magasins en 2014), Les Briconautes ou et Les Jardinautes (127 magasins en 2014) ou leur enseigne propre (311 magasins en 2014). Ces “magasins adhérents” sont tenus de réaliser 80 % de leurs achats auprès des fournisseurs référencés par la SA Mr Bricolage ;

– ses filiales directes ou indirectes (81 “magasins intégrés” en 2014), qui ont cependant intégralement été cédés en 2020.

Elle assure le référencement des fournisseurs et des produits dont elle négocie les prix, met en ‘uvre les actions publicitaires dans l’intérêt du réseau, apporte une assistance technique, commerciale, administrative, comptable et financière aux membres de celui-ci, détermine les conditions d’exploitation de ses signes distinctifs et du savoir-faire et octroie les concours financiers autorisés. Elle est financée par le paiement par les magasins du réseau de cotisations assises sur leur chiffre d’affaires ou leur volume d’achats et d’une marge commerciale sur la revente de produits ou d’outils de gestion ainsi que par le règlement des prestations de coopération commerciale par les fournisseurs référencés et des prestations de service par les fournisseurs sous marque distributeur.

Le groupe Mr Bricolage comprend également la SAS Merchandise & Business International qui référence et importe les produits en provenance de pays tiers à l’Union européenne et la SAS MB Log qui achète les produits en gros et les revend aux magasins du réseau.

En 2014, le marché français du bricolage, qui générait alors 24,48 milliards d’euros, était constitué de quatre principaux circuits de distribution :

– les grandes surfaces de bricolage (ci-après “les GSB”), qui représentent 76,2 % du marché et ont des surfaces de vente importants et proposent plusieurs dizaines de milliers de références ;

– les négociants, qui représentent 16,85 % du marché et proposent les mêmes produits que les GSB à destination des professionnels en priorité ;

– les rayons quincaillerie et bricolage des grandes surfaces alimentaires à hauteur de 3,95% du marché ;

– les quincailleries (détaillants) pour une part résiduelle de 3 % du marché.

A cette date, les parts de marché des grandes surfaces de bricolage étaient ainsi réparties :

– le groupe ADEO (enseignes Leroy Merlin, Weldom et Bricoman) pour 38 % ;

– le groupe Kingfisher (enseignes Castorama et Brico Depot) pour 33 % ;

– le groupe Mr Bricolage pour 10,74 %, son réseau, présenté comme le principal du commerce indépendant de proximité, étant composé de magasins d’une surface moyenne de 2 800 m², inférieure à celles des deux réseaux concurrents précédents qui sont comprises entre 6 500 et 12 000 m² ;

– les magasins à enseigne Bricomarché pour 10 % du marché. Ces derniers ont été acquis en 2017 par la branche bricolage du groupe Les Mousquetaires qui occupe désormais la troisième place sur le marché (14 %) ;

– les autres acteurs : 8 % du marché.

Le commerce en ligne assuré par les entreprises dédiées (pure players), qui représentait 2 % du marché en 2014, est en croissante (14 % en 2020 et 11 % en 2021).

Le marché du bricolage étant fortement affecté par la saisonnalité et la météorologie, les distributeurs détiennent des stocks de marchandises importants à rotation lente (en moyenne 120 à 150 jours contre 15 à 20 jours dans le secteur alimentaire) et sont exposés à des besoins réguliers en fonds de roulement. Pour éviter leur aggravation par l’application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 dite “loi LME” qui raccourcissait les délais de paiement de 90 à 60 jours, le décret n° 2009-490 du 29 avril 2009 a introduit une dérogation dans le secteur du bricolage en prévoyant une convergence progressive vers le délai légal, les délais étant réduits de 10 jours par an entre le 1er janvier 2009 (75 jours) et le 1er janvier 2012 et en interdisant toute clause spécifiant un avantage financier pour l’application des délais plafonds résultant de l’accord annexé au décret.

Le dispositif d’affacturage inversé

Estimant que, à l’expiration de cet accord dérogatoire, l’inadéquation persistante entre les délais de paiement et de rotation des stocks fragilisait la trésorerie des magasins et entravait la faculté des fournisseurs de bénéficier d’une couverture de leurs impayés, la SA Mr Bricolage a mis en place avec la société de droit allemand DZB Bank GmbH, banque allemande exerçant son activité dans le domaine du règlement centralisé, le dispositif facultatif d’affacturage inversé suivant, contractualisé en 2012 et entré en vigueur le 1er janvier 2013 :

– le magasin de bricolage adhérant au dispositif, qui reste libre de s’adresser à un fournisseur ayant refusé le système, achète des produits en s’adressant à un fournisseur référencé adhérent ;

– ce dernier envoie l’original de la facture au magasin et sa copie à la société DZB Bank GmbH après avoir directement déduit de la facture un escompte pour paiement anticipé, soit 1,4 % du montant de chaque facture HT ;

– la société DZB Bank GmbH paie les factures au fournisseur tous les 10 jours (par décade) ;

– le magasin de bricolage rembourse la société DZB Bank GmbH en bénéficiant d’un délai pouvant aller jusqu’à 120 jours avec intérêts calculés, en 2014, sur la base d’un taux annuel de 3,45 %. En cas de défaut de paiement, la banque, qui bénéficie parfois d’une caution et est subrogée dans les droits du fournisseur par l’effet du paiement, la SA Mr Bricolage est solidaire du risque réalisé à hauteur de 1 % des volumes TTC traités par cette dernière ;

– le fournisseur, qui reçoit un récapitulatif des factures en fin de mois, verse à la société DZB Bank GmbH une commission de ducroire et de facturation centralisée, soit 1,4 % du montant de chaque facture TTC, la SA Mr Bricolage en percevant la moitié.

Ainsi, moyennant une réduction de prix et une commission, le fournisseur adhérent bénéficie d’un paiement anticipé à 10 jours au lieu des 45 jours fin de mois stipulés, d’une garantie pour les impayés et d’une centralisation des paiements.

L’enquête et la première instance

Dans le cadre de sa mission de régulation concurrentielle des marchés, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après, “la DGCCRF”) ainsi que, au niveau régional, les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (ci-après, “la Dirrecte”, devenue le 1er avril 2021 la Drieets), veillent à la préservation de la loyauté dans les relations commerciales. A cette fin, ses fonctionnaires, habilités à cet effet par le ministre chargé de l’économie au sens de l’article L 450-1 du code de commerce, enquêtent chaque année sur les pratiques de la grande distribution.

Ainsi, la DGCCRF a mené entre octobre 2013 et juillet 2014 une enquête destinée à vérifier que le dispositif d’affacturage inversé ne contrevenait pas aux dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce et notamment à l’article L 442-6 I 2° du code de commerce. Celle-ci s’est déroulée en deux phases, la première portant sur 41 fournisseurs et 29 magasins adhérents et la seconde sur 16 fournisseurs non-adhérents.

Estimant que le dispositif d’affacturage inversé mis en ‘uvre générait sans contrepartie un surcoût excessif pour le fournisseur qui en supportait la charge globale, le ministre chargé de l’économie a, par acte d’huissier signifié le 26 octobre 2016, assigné la SA Mr Bricolage devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Paris a, avec exécution provisoire sur l’ensemble de ses dispositions exceptée la mesure de publication judiciaire :

– dit recevable l’action du ministre chargé de l’économie ;

– dit que la SA Mr Bricolage avait tenté de soumettre ses fournisseurs au “dispositif d’affacturage inversé DZB Bank”, lequel créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des fournisseurs d’une part, et de la SA Mr Bricolage d’autre part, et qu’elle avait ainsi contrevenu aux dispositions de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

– ordonné à la SA Mr Bricolage la cessation de la pratique consistant à appliquer un taux d’escompte de 1,4% pour paiement par décade en cas de règlement dans le cadre du système d’affacturage inversé DZB Bank ;

– dit n’y avoir lieu de statuer sur la demande du ministre chargé de l’économie relative à la commission de ducroire et de paiement centralisé ;

– condamné la SA Mr Bricolage à une amende civile de deux millions d’euros ;

– ordonné à la SA Mr Bricolage de publier à ses frais le dispositif du jugement dans le périodique LSA et dans le journal Les Echos ;

– condamné la SA Mr Bricolage à payer au Trésor Public la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens.

L’appel et les prétentions des parties

Par déclaration reçue au greffe le 29 juillet 2021, la SA Mr Bricolage a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 13 octobre 2021 et signifiées au ministre chargé de l’économie le 19 octobre 2021, la société DZB Bank GmbH intervenait volontairement à l’instance.

Par ordonnance du 9 novembre 2021, le premier président de la cour d’appel de Paris a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement sauf en ce qu’elle portait sur l’injonction de cesser la pratique consistant à appliquer un taux d’escompte de 1,4 % pour le paiement par décadre.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 février 2023 et signifiées le jour même au ministre chargé de l’économie, la SA Mr Bricolage demande à la cour, au visa des articles L 442-6 I du code de commerce dans sa version applicable à la date de l’assignation, 7 et 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, 111-3 du code pénal et du principe de légalité des délits et des peines en découlant, 15 et 16 du code de procédure civile et du principe de concentration des moyens, et 564 et suivants du code de procédure civile :

– de déclarer la SA Mr Bricolage recevable et bien fondée en son appel ;

– de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 6 juillet 2021 en ce qu’il a dit n’y avoir lieu de statuer sur la demande du ministre chargé de l’économie relative à la commission de ducroire et de paiement centralisé ;

– d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 6 juillet 2021 en ce qu’il a :

* dit “recevable l’action de Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances” ;

* dit que “la SA MR BRICOLAGE a tenté de soumettre ses fournisseurs au dispositif d’affacturage inversé DZB Bank, lequel crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des fournisseurs d’une part, et de MR BRICOLAGE d’autre part, et a ainsi contrevenu aux dispositions de l’article l.4426, 1, 2° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019 ” ;

* ordonné “à la SA MR BRICOLAGE la cessation de la pratique consistant à appliquer un taux d’escompte de 1,4 % pour paiement par décade en cas de règlement dans le cadre du système d’affacturage inversé DZB Bank” ;

* ordonné “à la SA MR BRICOLAGE de publier à ses frais le dispositif du jugement dans le périodique LSA et dans le journal Les Echos” ;

* condamné “la SA MR BRICOLAGE à payer au Trésor Public la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile” ;

* ordonné “l’exécution provisoire de la décision, à l’exception de la publication du dispositif du jugement dans les journaux” ;

* condamné “la SA MR BRICOLAGE aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 € dont 12,85 € de TVA” ;

– et statuant à nouveau :

* à titre principal :

° de juger que l’article L 442-6 ancien du code de commerce invoqué par l’administration est inapplicable aux obligations qu’elle critique dès lors que : les obligations dont le ministre chargé de l’économie fait grief à la SA Mr Bricolage d’avoir soumis ou tenté de soumettre les fournisseurs, ont été souscrites à l’égard d’un établissement bancaire au titre d’un contrat de nature bancaire d’affacturage inversé, et en contrepartie d’un service bancaire ; le contrat de référencement produit par l’administration ne stipule aucune commission de ducroire ; l’engagement d’appliquer le taux d’escompte ne résulte pas du contrat de référencement mais uniquement du contrat d’affacturage inversé ; cet engagement est donc souscrit à l’égard de la banque uniquement, qui est le pivot du dispositif, qu’elle a conçu, proposé au réseau Mr Bricolage et mis en ‘uvre dans ce dernier ;

° en conséquence, d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris du 6 juillet 2021 en ce qu’il a appliqué à tort l’article L 442-6 ancien du code de commerce à l’encontre de la SA Mr Bricolage en lien avec le dispositif d’affacturage inversé DZB Bank et rejeter l’ensemble des demandes du ministre chargé de l’économie comme irrecevables et non fondées ;

* à titre subsidiaire :

°de juger que la SA Mr Bricolage n’a pas soumis ou tenté de soumettre des fournisseurs à une quelconque obligation créant un quelconque déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dès lors que : la conclusion du contrat d’affacturage inversé avec la société DZB Bank GmbH est facultative et ne conditionne pas le référencement par la SA Mr Bricolage, qui laisse donc chaque fournisseur libre d’accepter ou de refuser de conclure le contrat d’affacturage inversé avec la société DZB Bank GmbH contenant les obligations critiquées ; chaque fournisseur a adhéré au dispositif en considération des avantages bien réels qu’il a estimé librement pouvoir en retirer, en fonction de sa situation propre, indépendante de la volonté de la SA Mr Bricolage ; celle-ci n’a exercé aucun comportement coercitif ou de représailles en lien avec l’adhésion au dispositif DZB Bank ;

° de juger que le dispositif d’affacturage inversé DZB Bank ne créé pas de déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ;

° en conséquence, d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de paris du 6 juillet 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu de statuer sur la demande du ministre chargé de l’économie relative à la commission de ducroire et de paiement centralisé, et de rejeter ses demandes au titre de l’article L 442-6 I 2° ancien du code de commerce comme non fondées ;

* à titre très subsidiaire, de juger que les demandes du ministre chargé de l’économie fondées sur l’article L 442-6 I 1° ancien du code de commerce sont irrecevables pour partie, et à tout le moins totalement infondées, et, en conséquence, de rejeter ses demandes au titre de cette disposition ;

* à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel décidait de juger que la SA Mr Bricolage avait enfreint l’article L 442-6 I ancien du code de commerce, il lui est demandé de :

° juger que l’amende doit être cantonnée à un montant symbolique et proportionné à la nature, la gravité et l’ampleur de la pratique, ainsi qu’à la situation individuelle de la SA Mr Bricolage ;

° juger n’y avoir lieu à cessation de la pratique ;

° juger n’y avoir lieu à publication du dispositif du jugement et de l’arrêt ;

– en tout état de cause, de :

* rejeter l’ensemble des demandes du ministre chargé de l’économie comme irrecevables et non fondées, en ce qui compris ses demandes formées au titre de son appel incident ;

* condamner le ministre chargé de l’économie au paiement de la somme de 150 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 février 2023 et signifiées le 2 mars 2023 au ministre chargé de l’économie, la société DZB Bank GmbH demande à la cour, au visa de l’article 554 du code de procédure civile :

– vu l’article L 442-6-I-2 du code de commerce :

* de déclarer la société DZB Bank GmbH recevable en son intervention volontaire à titre principal ;

* de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a dit n’y avoir lieu de statuer sur la demande du ministre chargé de l’économie relatives à la commission de ducroire et de paiement centralisé ;

* d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 6 juillet 2021 en ses autres dispositions ;

– et statuant à nouveau, de :

* juger que la demande du ministre chargé de l’économie est mal fondée en ce que le paiement d’une commission de ducroire et de centralisation des paiements et l’octroi d’un escompte constituent respectivement la contrepartie à une opération de crédit et à une opération connexe à une activité bancaire et, à ce titre, relèvent du code monétaire et financier et ne peuvent être soumis aux articles L 442-6 I 1° et L 442-6 I 2° du code de commerce ;

* juger que la demande du ministre chargé de l’économie est mal fondée en ce que, faute d’obligation pour le fournisseur de souscrire un contrat d’affacturage inversé avec la société DZB Bank GmbH, la condition de la soumission exigée au titre de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce n’est pas satisfaite et, qu’en conséquence, aucune injonction de modifier le taux de l’escompte de 1,4 % figurant dans le contrat conclu entre le fournisseur et la société DZB Bank GmbH ne peut être imposée ;

* juger que la demande du ministre chargé de l’économie est mal fondée en ce que la condition du déséquilibre significatif concernant le taux d’escompte, qui est exigée au titre de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce, n’est pas remplie ;

* juger que la demande du ministre chargé de l’économie est mal fondée en ce que l’injonction faite par le tribunal à l’encontre de la SA Mr Bricolage porte sur un contrat auquel elle est tiers et dont le cocontractant, la société DZB Bank GmbH, a été expressément considéré comme n’étant pas visé par ce litige tant par le ministre chargé de l’économie que par la décision du tribunal dans son dispositif ;

* en conséquence, de juger que le dispositif d’affacturage inversé proposé par la société DZB Bank GmbH ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au sens de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce ;

* débouter le ministre chargé de l’économie de l’ensemble de ses demandes ;

– sur les demandes incidentes du ministre chargé de l’économie, vu les articles L 442-6 I 2° et L 442-6 I 1° du code de commerce, de :

* juger que la demande du ministre chargé de l’économie est mal fondée en ce que le paiement d’une commission de ducroire et de centralisation des paiements et l’octroi d’un escompte constituent respectivement la contrepartie à une opération de crédit et à une opération connexe à une activité bancaire qui relèvent exclusivement du code monétaire et financier et ne peuvent être soumises aux articles L 442-6 I 1° et L 442-6 I 2° du code de commerce ;

* juger que le coût de la commission de ducroire et de règlement centralisé de 1,4 % n’est pas constitutif d’un déséquilibre significatif au sens de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce et n’est pas manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu au sens de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce ;

* juger que le coût de l’escompte de 1,4 % qui correspond à un service effectivement rendu n’est pas manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu au sens de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce ;

* en conséquence, juger que le dispositif d’affacturage inversé proposé par la société DZB Bank GmbH ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au sens de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce et n’est pas manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu au sens de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce ;

* débouter le ministre chargé de l’économie de ses demandes incidentes à titre principal et à titre subsidiaire comme étant irrecevables et non fondées ;

* condamner le ministre chargé de l’économie au paiement de la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles.

En réplique, dans ses dernières conclusions notifiées le 13 mars 2023, le ministre chargé de l’économie demande à la cour, au visa de l’article L 442-6 du code de commerce dans sa version applicable à l’époque des faits :

– de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 6 juillet 2021 en ce qu’il :

* “dit recevable l’action de Monsieur le Ministre de l’Économie et des Finances,

* dit que la SA MR.BRICOLAGE a tenté de soumettre ses fournisseurs au dispositif d’affacturage inversé DZB Bank, lequel crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des fournisseurs d’une part, et de MR.BRICOLAGE d’autre part, et a ainsi contrevenu aux dispositions de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019,

* ordonne à la SA MR.BRICOLAGE la cessation de la pratique consistant à appliquer un taux d’escompte de 1,4 % pour paiement par décade en cas de règlement dans le cadre du système d’affacturage inversé DZB Bank,

* condamne la SA MR.BRICOLAGE à une amende civile de deux millions €,

* ordonne à la SA MR.BRICOLAGE de publier à ses frais le dispositif du jugement dans le périodique LSA et dans le journal Les Échos,

* condamné la SA MR.BRICOLAGE à payer au Trésor Public la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamne la SA MR. BRICOLAGE aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 € dont 12,85 € de TVA ” ;

– de réformer le jugement en ce qu’il :

* omet de mentionner que le dispositif d’affacturage inversé DZB Bank constitutif d’un déséquilibre significatif concerne tant le taux d’escompte de 1,4 % que la commission de service de paiement centralisé et de ducroire de 1,4 % ;

* omet de mentionner que les pratiques litigieuses consistent également en la soumission à un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ;

* “dit n’y avoir lieu de statuer sur la demande de Monsieur le Ministre de l’Économie et des Finances relative à la commission de ducroire et de paiement centralisée” ;

* statuant à nouveau :

° à titre principal :

¿ de dire et juger que le dispositif d’affacturage inversé DZB Bank constitutif de déséquilibre significatif concerne tant le taux d’escompte de 1,4 % que la commission de service de paiement centralisé et de ducroire de 1,4 % ;

¿ de dire et juger que la SA Mr Bricolage a soumis ses fournisseurs au dispositif d’affacturage inversé DZB Bank, lequel crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des fournisseurs d’une part, et de la SA Mr Bricolage d’autre part, et a ainsi contrevenu aux dispositions de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

¿ d’ordonner à la SA Mr Bricolage la cessation de la pratique consistant à appliquer une commission de service de paiement centralisé et de ducroire de 1,4 % de chaque facture toutes taxes comprises dans le cadre du système d’affacturage inversé DZB Bank.

° à titre subsidiaire :

¿ de dire et juger que le versement de l’escompte de 1,4 % et de la commission de service de paiement centralisé et de ducroire de 1,4 % constituent des avantages obtenus par la SA Mr Bricolage manifestement disproportionnés au regard de la valeur des services rendus en contrepartie au sens de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce ;

¿ d’ordonner à la SA Mr Bricolage la cessation de la pratique consistant à appliquer un taux d’escompte de 1,4 % pour paiement par décade en cas de règlement dans le cadre du système d’affacturage inversé DZB Bank ;

¿ d’ordonner à la SA Mr Bricolage la cessation de la pratique consistant à appliquer une commission de service de paiement centralisé et de ducroire de 1,4% de chaque facture toutes taxes comprises dans le cadre du système d’affacturage inversé DZB Bank ;

– en tout état de cause, de :

* dire l’arrêt à venir opposable à la société DZB Bank GmbH, intervenue volontairement à l’instance en appel, aux fins de son exécution ;

* condamner la SA Mr Bricolage, au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens (l’ensemble s’ajoutant aux condamnations en première instance à ce titre) ;

* rejeter toutes demandes contraires de la SA Mr Bricolage et de la société DZB Bank GmbH.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie aux décisions entreprises et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2023. Le ministre chargé de l’économie étant représenté conformément aux articles L 490-8 et R 490-2 du code de commerce, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur l’applicabilité de l’article L 442-6 I du code de commerce

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, le ministre chargé de l’économie expose que l’article L 511 4 a contrario du code monétaire et financier n’exclut l’application de l’article L 442-6 I du code de commerce que pour les opérations de banque, les services de paiement et les services connexes fournis par un établissement de crédit, une société de financement ou un établissement de services de paiement, qualité que n’a pas la SA Mr Bricolage seule visée par ses demandes. Il ajoute que le dispositif d’affacturage inversé repose sur quatre conventions interdépendantes et indissociables (convention de distribution liant la SA Mr Bricolage à chaque fournisseur, convention entre la société DZB Bank GmbH et la SA Mr Bricolage, convention entre la société DZB Bank GmbH et chaque fournisseur adhérent, convention entre la société DZB Bank GmbH et les magasins indépendants adhérents). Il précise à ce titre que la convention conclue entre la SA Mr Bricolage et chaque fournisseur, soit entre partenaires commerciaux, est soumise à l’article L 442-6 I du code de commerce et s’analyse en une convention unique au sens de l’article L 441-7 du même code. Il indique que les trois conventions conclues avec la société DZB Bank GmbH, qui n’ont aucune fonction économique indépendante d’elle qui leur sert de cause, modifient les conditions de règlement qu’elle stipule et qui en constituent un des éléments fondamentaux, les quatre instrumenta formant un seul negotium soumis à l’article L 442-6 I du code de commerce. Il ajoute que la SA Mr Bricolage a activement ‘uvré à la conception du dispositif d’affacturage inversé en fixant les taux d’escompte ainsi que de ducroire et de centralisation des paiements puis a promu celui-ci et l’a présenté aux fournisseurs et aux magasins.

En réponse, la SA Mr Bricolage expose que l’affacturage inversé est une activité bancaire relevant du monopole bancaire et échappant par nature à l’article L 442-6 I du code de commerce. Elle ajoute que le contrat de référencement, qui ne fait que répercuter la mention du taux d’escompte souscrit dans le contrat d’affacturage inversé, est distinct et indépendant de ceux conclus avec la société DZB Bank GmbH, l’adhésion au dispositif étant facultative et ne conditionnant pas le référencement. Elle précise qu’elle n’est pas le partenaire des fournisseurs dans la mise en ‘uvre du dispositif litigieux par la banque dont le rôle est central et que l’article L 442 6 I du code de commerce ne lui est pas applicable. Elle explique par ailleurs que, ” l’infraction principale ” visée par l’article L 442-6 I du code de commerce n’étant pas ” punissable “, l’incitation ne l’est pas non plus, l’intégration de cette dernière dans la matière pénale au sens des articles 6 et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après, ” la CESDH “) impliquant l’application des règles du droit pénal dont l’article 121-4 du code pénal et le principe d’interprétation stricte.

La société DZB Bank GmbH développe des moyens et arguments identiques à ceux de la SA Mr Bricolage en précisant que le contrat d’affacturage échappe par nature à l’application de l’article L 442-6 I du code de commerce, que les obligations de payer la commission et d’octroyer un escompte sont la contrepartie d’un service financier qu’elle fournit, et que le contrat la liant au fournisseur porte sur une opération de crédit et donc de banque, la centralisation des paiements et la prestation de ducroire constituant des opérations connexes à cette dernière au sens de l’article L 311-2 du code monétaire et financier.

Réponse de la cour

– Sur l’appartenance à la matière pénale et ses conséquences

En application de l’article 6 ” Droit à un procès équitable ” de la CESDH :

“1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle [‘].

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie [‘]”.

L’action introduite par le ministre chargé de l’économie sur le fondement de l’article L 442-6 III du code de commerce, action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence (en ce sens, Com., 8 juillet 2008, n° 07-16.761), a pour objet la défense de l’ordre public économique français par la répression des pratiques restrictives de concurrence qu’il mentionne et, ainsi que l’a précisé le Conseil constitutionnel (décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011), le rétablissement de l’équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, ce dernier objectif constituant le motif d’intérêt général fondant la limitation de la liberté d’entreprendre. Il dispose, sur le fondement des articles L 450-1 et suivants du code de commerce, de moyens d’enquête importants que la Cour de justice de l’Union européenne a qualifiés de moyens exorbitants par rapport au droit commun pour l’application de l’article 1er du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 qui n’est pas en débat et ne constitue pas un critère d’application de l’article 6 de la CESDH mais est néanmoins éclairant sur la nature de la procédure en cause (CJUE, 22 décembre 2022, Galec, C-98/22, §26, la Cour y voyant, pour soustraire à l’action de la matière civile et commerciale et au regard de l’amende civile demandée, l’exercice de la puissance publique). Il est enfin le seul, avec le ministère public, à avoir qualité pour solliciter le prononcé d’une amende civile d’un montant élevé de 2 millions ou assis sur celui des sommes indument versées.

Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après, “la CEDH”) a jugé dans son arrêt Carrefour c. France du 1er octobre 2019 (37858/14) que :

“40. La Cour rappelle à cet égard que la notion d’ “accusation en matière pénale”, telle que la conçoit l’article 6§1, est une notion autonome. Selon sa jurisprudence constante, l’existence ou non d’une telle accusation doit s’apprécier sur la base de trois critères, que l’on désigne couramment sous le nom de “critères Engel” (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82). Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second, la nature même de l’infraction, et le troisième, le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et non nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale [‘]. Ces considérations valent aussi pour la notion de “personne accusée d’une infraction” à laquelle renvoie l’article 6§2 de la Convention [‘].

41. S’agissant des deux premiers de ces critères la Cour observe que, prévue par l’article L 442-6 du code de commerce, l’infraction dont il s’agit ne relève pas en droit interne du droit pénal. Elle observe toutefois également que le Conseil constitutionnel a précisé que l’amende civile instituée par cette disposition “a la nature d’une sanction pécuniaire” et que le principe de la personnalité des peines est applicable. Quant au troisième critère, la Cour relève la sévérité de la sanction encourue, puisqu’il s’agit d’une amende civile pouvant atteindre deux millions d’euros. Ces éléments confirment l’applicabilité de l’article 6 dans son volet pénal [‘], applicabilité que, du reste, le Gouvernement admet.

42. Au vu de ces considérations et à la lumière de sa jurisprudence consolidée en la matière, la Cour considère que l’article 6 de la Convention, dans son volet pénal, est applicable à l’amende civile à laquelle la société requérante a été condamnée sur le fondement de l’article L. 442-6 du code de commerce”.

Il est dès lors acquis que, au regard des moyens d’enquête mis en ‘uvre et du montant de l’amende demandée, dont le caractère civil est indifférent à raison de sa nature de sanction et de sa sévérité, l’action du ministre relève de la matière pénale au sens de l’article 6 de la CESDH, les exigences d’équité du procès étant de ce fait plus strictes que sous le volet civil (CEDH, Moreira Ferreira c. Portugal, 11 juillet 2017, n° 19867/12, §67).

Pour autant, ainsi que le rappelle systématiquement la CEDH, la notion “d’accusation en matière pénale”, qui est entendue dans une conception matérielle et non formelle (CEDH, 27 février 1980, Deweer c. Belgique, n° 6903/75, §44), est autonome (CEDH, 26 mars 1982, Adolf c. Autriche, n° 8269/78, §30). Ainsi, l’appartenance à la “matière pénale” est déterminée sans égard décisif pour les catégories de droit interne qui ne constituent qu’un critère pertinent de qualification, et ne vaut que pour l’application de la Convention : l’examen du litige sous le volet pénal de l’article 6 de la CESDH, qui est toujours global et opéré à l’aune de l’équité (“principe clé” selon CEDH, 10 juillet 2012, Gregacevic c. Croatie, n° 58331/09, §49), n’implique pas l’application des règles nationales de droit pénal et de procédure pénale.

Or, en droit interne, l’action du ministre chargé de l’économie exercée sur le fondement de l’article L 442-6 III du code de commerce dans sa version applicable aux faits est de nature civile (en ce sens, Com. 18 octobre 2011, n° 10-28.005 qui valide la qualification d’action en responsabilité quasi délictuelle) et est soumise aux règles du code de procédure civile.

Ainsi, les moyens de la SA Mr Bricolage tenant à l’application de l’article 121-4 du code pénal ne sont pas opérants.

– Sur la qualification du dispositif litigieux et la détermination du cadre juridique pertinent

En application de l’article L 442-6 I du code de commerce dans sa version en vigueur à l’époque des faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d’une opération d’animation commerciale, d’une acquisition ou d’un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d’enseignes ou de centrales de référencement ou d’achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d’affaires ou en une demande d’alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients ;

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Néanmoins, conformément à l’article L 511-4 du code monétaire et financier, les articles L 420-1 à L 420-4 du code de commerce s’appliquent aux établissements de crédit et aux sociétés de financement pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l’article L 311-2, aux établissements de monnaie électronique pour l’émission et la gestion de monnaie électronique et leurs opérations mentionnées à l’article L 526-2 ainsi qu’aux établissements de paiement pour leurs services de paiement et leurs services connexes définis à l’article L 522-2.

Et, en vertu des articles L 311-1 et L 311-2 I 5° du code monétaire et financier, les opérations de banque comprennent la réception de fonds remboursables du public, les opérations de crédit, ainsi que les services bancaires de paiement, et, sont notamment des opérations connexes à l’activité des établissements de crédit, le conseil et l’assistance en matière de gestion financière, l’ingénierie financière et d’une manière générale tous les services destinés à faciliter la création et le développement des entreprises, sous réserve des dispositions législatives relatives à l’exercice illégal de certaines professions.

Enfin, aux termes de l’article L 313-1 du code monétaire et financier, constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie.

Le dispositif litigieux est organisé par trois conventions distinctes :

– le contrat conclu entre la société DZB Bank GmbH et la SA Mr Bricolage (pièce 13.1 de l’intimé, “convention de règlement centralisé”) définit et encadre le service facultatif de règlement centralisé proposé par la banque, système de clearing ou de compensation pour les fournisseurs et les magasins adhérents, destiné à faciliter leurs opérations comptables et de paiement, à garantir les premiers contre le risque d’impayés des seconds qui bénéficient en retour de délais de paiement, la SA Mr Bricolage participant au risque financier et assistant la banque dans la mise en place du système (préambule). L’acte, qui prévoit la conclusion de contrats avec les fournisseurs et les magasins, stipule la création d’un portail internet leur permettant de consulter leurs relevés décadaires de facturation et la liste des participants au système (article 4), les premiers réglant en contrepartie de la centralisation des paiements une rémunération fixée à 1,5 puis 1,4 % du montant de chaque facture TTC directement déduite par la banque qui en verse une part à la SA Mr Bricolage pour la fourniture de ses services (article 10). Le contrat prévoit la conclusion des conventions séparées entre la banque et chaque fournisseur et magasin (article 2) ;

– le contrat conclu entre la société DZB Bank GmbH et le fournisseur dit contractuel (pièce 14 de l’intimé, “règlement centralisé – contrat fournisseur contractuel”), stipule l’obligation pour ce dernier, en contrepartie de l’engagement de paiement de la banque par décade et de la centralisation des paiements, de payer une rémunération de 1,4 % du montant de chaque facture TTC (articles 3 et 4) et d’accorder aux magasins adhérents un escompte préalablement convenu avec la SA Mr Bricolage et fixé au jour du contrat à 1,4 % du montant de chaque facture HT (article 5) ;

– le contrat conclu entre la société DZB Bank GmbH et le magasin dit adhérent (pièce 15 de l’intimé, “règlement centralisé – contrat adhérent”) oblige la banque, mandataire du magasin à qui elle restitue l’escompte, à acquitter toutes les factures des fournisseurs contractuels figurant sur la liste accessible en ligne, le magasin réglant en contrepartie, s’il ne rembourse pas la banque dans un bref délai, des intérêts au taux Euribor à trois mois (article 3).

Ces trois contrats, conclus en contemplation les uns des autres et assurant l’exécution d’un dispositif commun comportant des obligations réciproques se servant mutuellement de cause, sont interdépendants et forment un tout indivisible, ce que personne ne conteste. Le système qu’ils organisent et encadrent, qui permet au fournisseur de voir sa créance réglée par la banque (le factor) qui se substitue au magasin débiteur dont il garantit ainsi le paiement, est un affacturage inversé, ce que, à nouveau, les parties admettent. Au sens de l’article L 313-1 du code monétaire et financier, l’affacturage, notamment en ce que l’affactureur fait bénéficier par mobilisation de créance au magasin adhérent un crédit de trésorerie égal au montant de la facture réglée pour son compte, déduction faite de l’escompte, est une opération de crédit (en ce sens, 1ère Civ., 30 mai 2006, n° 03-17.646). La garantie contre les impayés et le service de centralisation des paiements offerts par la banque, accessoires à cette prestation principale, constituent pour leur part des opérations connexes au sens des articles L 511-4 et L 311-2 du code monétaire et financier.

Or, conformément à la lettre de l’article L 511-4 du code monétaire et financier qui ne prévoit que l’application des articles L 420-1 à L 420-4 du code de commerce définissant les pratiques anticoncurrentielles (entente et abus de position dominante) aux établissements de crédit et aux sociétés de financement pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes, les dispositions de l’article L 442-6 I du code de commerce relatives aux pratiques restrictives de concurrence dans les relations entre un partenaire commercial et un producteur, un commerçant, industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers ne peuvent régir une opération de crédit accomplie par un établissement de crédit (en ce sens, Com. 15 janvier 2020, n° 18-10.512). Aussi, l’ensemble contractuel constitué des trois conventions conclues avec la société DZB Bank GmbH n’est pas soumis aux dispositions invoquées par le ministre chargé de l’économie.

Pour néanmoins fonder leur application, ce dernier, qui rappelle n’agir que contre la SA Mr Bricolage et non contre la société DZB Bank GmbH, soutient que, si le dispositif d’affacturage n’est pas critiqué en lui-même, le fait d’imposer son adhésion au fournisseur caractérise la soumission à un déséquilibre significatif et que, en mentionnant le taux d’escompte auquel se réfère le contrat conclu entre la banque et le fournisseur, le contrat de référencement intègre indissociablement ce dispositif contractuel qui l’affecte en son élément essentiel qu’est le prix. Ce moyen manque en fait et en droit en ses deux branches.

En effet, si les trois conventions conclues avec la banque n’ont de raison d’être que dans la perspective de l’exécution du contrat de référencement, l’inverse n’est pas vrai puisque, en droit, l’adhésion du fournisseur est facultative et ne conditionne en rien son référencement : le contrat de référencement peut être exécuté sans le moindre égard pour le dispositif d’affacturage inversé et la mention du taux d’escompte n’y est faite que pour assurer une cohérence entre les stipulations en cas d’adhésion, l’annexe 2-2 du contrat envisageant ainsi trois hypothèses alternatives dont chacune peut, par définition, se réaliser sans impliquer les autres et affecter le taux d’escompte spécifique qui leur correspond (pièce 16 de l’intimé : “en cas de règlement dans le cadre de la centralisation des paiements [‘]”). Aussi, le contrat de référencement est juridiquement dissocié du dispositif contractuel d’affacturage inversé.

Le caractère facultatif de l’adhésion, élément clé de l’absence de dépendance juridique de la convention de référencement à l’égard du dispositif d’affacturage inversé, est confirmé en fait. Sans qu’il soit possible à ce stade d’apprécier l’existence d’une soumission ou de sa tentative, le ministre chargé de l’économie déduisant en réalité de manière tautologique l’applicabilité de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce et l’interdépendance contractuelle de son application effective, la liberté de l’adhésion, comme d’ailleurs de la sortie du système, est prouvée par les déclarations des fournisseurs récapitulées dans le tableau dressé en pages 14 à 17 du jugement, dont les parties reconnaissent la suffisance et la pertinence et qui correspond aux pièces 8.1 à 8.73 de l’intimé. Sur les 45 fournisseurs interrogés et dont les déclarations ont été retenues par le tribunal, 42 ont relevé soit l’absence totale de pression soit une ” forte incitation “. Celle-ci n’était cependant pas accompagnée de menaces et sa perception découlait de la seule crainte, subjectivement fondée sur l’anticipation de l’avantage concurrentiel procuré par l’adhésion au dispositif, de voir les fournisseurs contractuels favorisés par les magasins adhérents : inhérente à toute négociation commerciale, elle n’est pas en soi la marque d’une imposition (cette analyse étant également celle de la Commission d’examen des pratiques commerciales dans son avis 17-12 portant sur une prestation d’affacturage). Si quatre fournisseurs évoquent un choix plus contraint, ils n’explicitent pas les éléments permettant d’objectiver leur sentiment : le premier (société Sundis, pièce 8.20) regrette seulement la concomitance entre la finalisation du contrat conclu avec la banque et les négociations annuelles tout en se félicitant des bons résultats obtenus à leur occasion ; le deuxième (société Decayeux, pièce 8.55) estime avoir été défavorisé dans les appels d’offres de 2013 à raison de son refus d’adhérer sans pour autant étayer ce propos, trop subjectif et général pour être exploitable ; le troisième (société ESW, pièce 8.56) évoque un refus de signer le contrat avec la société DZB Bank GmbH accompagné de déréférencements que rien n’établit ; le quatrième (société Chapuis, pièce 8.71) prétend avoir ” été obligé de signer “, déclaration lacunaire ne pouvant asseoir une analyse quelconque, et ce d’autant moins que tous les fournisseurs non contractuels précisent ne pas avoir subi de pression ou de mesures de représailles. Aussi, même en retenant un déséquilibre des rapports de force économiques dans un secteur marqué par une forte concentration des acteurs et une absence de possibilité de négocier les termes des contrats, qui est en réalité contredite par la négociation utilement menée par au moins un fournisseur (société Wirquin, pièce 8.60), aucune contrainte, telle qu’elle rendrait le dispositif facultatif en droit obligatoire en fait et permettrait son intégration dans un ensemble contractuel matériellement et économiquement indivisible, n’est démontrée.

Enfin, s’il est envisageable, non au regard d’une interdépendance ou d’une indivisibilité contractuelle inexistante mais par référence à la notion large de partenariat commercial, de considérer que l’obligation de signer un contrat avec un tiers puisse être l’expression d’une soumission à un déséquilibre significatif, encore faut-il que celui-ci soit caractérisé au sein de ce partenariat commercial. Or, le ministre chargé de l’économie, qui procède par ailleurs à une analyse isolée de chaque obligation, déduit le déséquilibre qu’il dénonce du caractère excessif du taux d’escompte et de la commission de ducroire qui sont stipulés exclusivement dans le contrat conclu entre chaque fournisseur et la société DZB Bank GmbH, le premier n’étant, ainsi qu’il a été dit, mentionné dans le contrat de référencement que pour y intégrer l’hypothèse d’une adhésion. L’excès est d’ailleurs pour l’essentiel déterminé par comparaison avec d’autres services bancaires (coût de l’escompte bancaire, du découvert bancaire ou des crédits à court terme) sans réel égard pour les avantages concédés (réduction des délais de paiement, garantie contre les impayés et centralisation des paiements). Aussi, le déséquilibre allégué est recherché non dans le contrat indépendant conclu entre le fournisseur et la SA Mr Bricolage, qui constitue le périmètre du partenariat commercial, mais dans celui, qui échappe aux dispositions de l’article L 442-6 I du code de commerce, unissant le premier à la société DZB Bank GmbH, peu important qu’aucune demande ne soit présentée contre celle-ci au regard de la nature de l’opération en cause. L’appréciation du déséquilibre significatif devant être concrète et globale et opérée en considération de l’économie générale de la relation, l’inévitable intégration des avantages et contreparties exclusivement stipulés dans des contrats organisant des opérations de banque dans le contrôle demandé au juge emporte contournement de l’exclusion légale qui se déduit a contrario de l’article L 511-4 du code monétaire et financier.

En conséquence, les demandes principales et subsidiaires du ministre chargé de l’économie au titre de l’article L 442-6 I 1° et 2° du code de commerce, infondées, seront rejetées et le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande du ministre chargé de l’économie relative à la commission de ducroire et de paiement centralisé, les “omissions” évoquées par celui-ci sur le même fondement étant, comme la fin de non-recevoir opposée au titre de son appel incident, privées d’objet et ne méritant aucun examen.

2°) Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris sera également infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant à l’appel, le ministre chargé de l’économie, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens de l’appel et de la première instance ainsi qu’à payer à la SA Mr Bricolage la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

En revanche, la société DZB Bank GmbH étant intervenante volontaire et, quoiqu’elle qualifie son intervention de principale en confondant intérêt à agir et prétention au sens de l’article 329 du code de procédure civile, n’émettant aucune prétention à son profit, l’équité commande de rejeter sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu’il “dit n’y avoir lieu à statuer” sur la demande du ministre chargé de l’économie relative à la commission de ducroire et de paiement centralisé ;

Statuant à nouveau, rejette l’intégralité des demandes du ministre chargé de l’économie ;

Y ajoutant,

Rejette les demandes du ministre chargé de l’économie et de la société DZB Bank GmbH au titre des frais irrépétibles ;

Condamne le ministre chargé de l’économie à payer à la SA Mr Bricolage la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le ministre chargé de l’économie aux entiers dépens d’appel et de première instance.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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