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5 octobre 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
23/00675
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 05/10/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 23/00675 – N° Portalis DBVT-V-B7H-UYAA
Ordonnance n° 2022017671 rendue le 1er décembre 2022 par le juge des référés du tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTE
SAS Data In Motion représentée par son représentant légal domiclié ès qualités audit siège
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Sylvain Stride, avocat constitué, et substitué par Me Clémence Coilliot, avocats au barreau de Lille
INTIMÉE
SAS Cegelease agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 07 juin 2023 tenue par Clotilde Vanhove magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 octobre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 31 mai 2023
****
EXPOSE DU LITIGE
Le 4 juillet 2017, la société Data in motion a conclu avec la société Cegelease un contrat de location financière portant sur un photocopieur (n°21752216/00) pour une durée de 21 trimestres, moyennant un loyer de 166,50 euros HT par trimestre.
Le 11 mai 2018, les parties ont conclu un nouveau contrat (n°21854515/10) précisant qu’il « annule et remplace le contrat 21752216 », portant sur différents équipements pour une durée de 21 trimestres et moyennant un loyer de 733 euros HT par trimestre.
Par jugement du 13 août 2019, le tribunal de commerce de Douai ouvrait une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société Data in motion.
Le 28 août 2019, la société Cegelease a déclaré sa créance au passif du redressement judiciaire de la société Data in motion pour un montant à échoir de 15 480,96 euros.
Par courrier du 27 janvier 2020, la société Data in motion a indiqué à la société Cegelease qu’elle résiliait le contrat les liant.
Par courrier du 3 février 2020, la société Cegelease a indiqué à la société Data in motion que conformément aux dispositions de l’article 15.3 des conditions générales, elle restait redevable de la somme de 14 513,40 euros TTC au titre de l’indemnité de résiliation équivalente aux loyers restant à courir et de la pénalité de 10% des loyers restant à courir.
Par jugement du 10 mars 2021, le tribunal de commerce de Douai arrêtait un plan de redressement et d’apurement du passif par voie de continuation concernant la société Data in motion.
Par courrier du 27 octobre 2021, la société Cegelease indiquait à la société Data in motion qu’aucun règlement n’étant intervenu suite à la mise en demeure, le contrat était résilié et que la société Data in motion restait redevable de la somme de 14 641,43 euros TTC au titre des loyers impayés de juin, juillet, septembre et octobre 2021, des frais d’impayé de loyers, de l’indemnité de résiliation équivalente aux loyers restant à courir et de la pénalité de 10% des loyers restant à courir.
Par acte d’huissier de justice du 1er décembre 2022, la société Cegelease a fait assigner la société Data in motion en paiement devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lille Métropole.
Par ordonnance réputée contradictoire du 1er décembre 2022, le juge des référés de ce tribunal a :
au principal, renvoyé les parties « à se pourvoir »,
au provisoire, condamné la société Data in motion à payer à la société Cegelease la somme provisionnelle de 15 577,32 euros en principal, les intérêts au taux contractuel à compter de la lettre de mise en demeure du 11 octobre 2022 et jusqu’au jour du complet règlement et la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Data in motion aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 10 février 2023, la société Data in motion a relevé appel de l’ordonnance en toutes ses dispositions.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 11 avril 2023, la société Data in motion demande à la cour de :
la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
y faisant droit,
infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance,
constater que les demandes de la société Cegelease se heurtent à des contestations sérieuses,
dire n’y avoir lieu à référé et renvoyer les parties à mieux se pourvoir,
à titre subsidiaire,
décider que l’article 15.3 des conditions générales de vente de la société Cegelease s’analyse en une clause abusive réputée non-écrite en application de l’article 1171 du code civil, et/ou de l’article R.212-2 du code de la consommation,
débouter la société Cegelease de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
à titre infiniment subsidiaire,
décider que l’article 15.3 des conditions générales de vente de la société Cegelease s’analyse en une clause pénale susceptible de modération par le juge en application de l’article 1152 du code civil,
ramener les demandes de la société Cegelease à de plus justes proportions,
en tout état de cause,
débouter la société Cegelease de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
condamner la société Cegelease au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en sanction de sa mauvaise foi dans le cadre des relations contractuelles en application de l’article 1104 du code civil,
condamner la société Cegelease à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Cegelease aux entiers frais et dépens.
Elle fait valoir que :
le référé est la procédure de l’évidence et, sur le fondement de l’article 872 du code de procédure civile, aucune contestation sérieuse ne doit pouvoir être opposée à l’obligation dont l’exécution est réclamée,
elle conteste la créance de la société Cegelease dans son montant et son exigibilité et une créance non certaine, non liquide ou non exigible ne pouvait être légitimement retenue en référé,
la clause 15 des conditions générales de vente, sur laquelle se fondent les demandes de la société Cegelease, s’analyse en une clause abusive créant un déséquilibre significatif entre les parties qui doit être sanctionnée, ou subsidiairement en une clause pénale susceptible de modération par le juge,
la société Cegelease, acceptant la résiliation du contrat, ne peut ensuite prétendre au paiement intégral d’une prestation qu’elle a accepté de ne plus fournir et sa mauvaise foi est d’autant plus inacceptable que le motif de résiliation consiste en d’importantes difficultés financières de sa part, qui ont mené à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 11 mai 2023, la société Data in motion demande à la cour de :
confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau pour le surplus,
débouter la société Data in motion de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,,
en conséquence,
condamner la société Data in motion au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
la condamner aux entiers frais et dépens de la procédure et de ses suites.
Elle fait valoir que :
l’octroi d’une provision suppose le constat préalable par le juge de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable au titre de laquelle la provision est demandée, ce qui est le cas en l’espèce dès lors qu’elle produit le contrat de location, les échanges avec le mandataire dans le cadre de la procédure collective et les lettres de résiliation et de mise en demeure, ces éléments permettant de constater que la société Data in motion, en sa qualité de locataire, est redevable des sommes réclamées,
la société Data in motion avait pleinement conscience et connaissance de l’indemnité d’exigibilité anticipée en acceptant les conditions générales du contrat souscrit, et n’a jamais émis la moindre contestation à ce titre avant ses écritures d’appel,
la créance a fait l’objet d’une déclaration auprès du mandataire désigné, la société Data in motion a donc parfaitement reconnu la créance poursuivie tant en son principe qu’en son quantum en l’intégrant dans son plan de continuation,
la clause 15.3 des conditions générales de vente ne saurait s’analyser en une clause abusive, étant en outre précisé que la société Data in motion a conservé le matériel objet du contrat postérieurement à la résiliation intervenue et il est de jurisprudence constante qu’une telle clause, en matière de location financière, se justifie par la nature des obligations auxquelles sont respectivement tenues les parties,
la société Data in motion ne démontre aucunement le caractère manifestement excessif de la clause au regard de ce qui est habituellement pratiqué pour ce type de contrat,
elle n’a fait preuve d’aucune mauvaise foi en exigeant le paiement d’un loyer incontestablement dû, qui est la stricte application du contrat de bail.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens.
L’affaire a fait l’objet d’une fixation à bref délai en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 31 mai 2023. Plaidé à l’audience du 7 juin 2023, le dossier a été mis en délibéré au 5 octobre 2023.
MOTIVATION
Aux termes de l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
En l’espèce, la société Cegelease a déclaré, en application des dispositions de l’article L.622-24 6ème alinéa du code de commerce, sa créance dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la société Data in motion, comme créance à échoir. S’agissant d’un contrat à exécution successive, les créances qui naissent de la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur postérieurement au jugement d’ouverture sont des créances postérieures, qui doivent être payées à l’échéance. La règle relative à l’arrêt des poursuites individuelles, corollaire de celle relative à l’interdiction de paiement de certaines créances, n’est pas applicable à ces créanciers, qui exercent librement leur droit de poursuite.
Par courrier du 27 janvier 2020, la société Data in motion a indiqué à la société Cegelease qu’elle résiliait le contrat et que cette résiliation prenait effet à réception du contrat les liant.
La résiliation unilatérale du contrat à durée déterminée est en principe interdite, en raison de la limite temporelle fixée, les parties pouvant toutefois, par des dispositions supplétives de volonté, prévoir dans la convention des cas de résiliation unilatérale.
Si en l’espèce, le contrat ne prévoit pas d’autre cas de résiliation anticipée que le cas d’inexécution par le locataire d’une condition du contrat, il résulte du courrier adressé en réponse le 3 février 2020 par la société Cegelease à la société Data in motion que celle-ci a accepté cette résiliation unilatérale, exigeant néanmoins le paiement de l’indemnité de résiliation équivalente aux loyers restant à courir et de la pénalité de 10% des loyers restants à courir. Cette acceptation résulte des termes du courrier qui précise communiquer le montant contractuellement dû au titre de la résiliation anticipée du contrat conformément aux dispositions de l’article 15.3 des conditions générales et précise qu’« au titre de la résiliation du contrat, vous devez tenir à notre disposition les équipements objets du contrat de location [‘] à compter du 01/02/202 ». Dès lors, bien que le courrier mentionne qu’il sera procédé à la résiliation à réception de la somme due, l’accord de la société Cegelease sur la résiliation du contrat au 1er février 2020 résulte des termes clairs de ce courrier.
La société Cegelease réclame le paiement de la somme de 15 577,32 euros, qu’elle détaille de la façon suivante dans ses conclusions « principal 14 641,42 euros, intérêts de retard 176,10 euros, clause pénale 759,80 euros », sans fournir davantage de précisions sur les montants réclamés, qui ne correspondent pas à ceux qu’elle réclamait à la société Data in motion tant dans son courrier 3 février 2020 (somme de 14 513,40 euros) que dans son courrier du 27 octobre 2021 (somme de 14 641,43 euros).
Compte tenu de la résiliation du contrat intervenue au 1er février 2020, les sommes réclamées par la société Cegelease le sont nécessairement sur le fondement de l’article 15.3 des conditions générales du contrat souscrit, qui prévoit que « dans tous les cas de résiliation, le locataire devra immédiatement restituer l’équipement dans les conditions des articles 16.3, 16.4 et 16.5, supporter les frais occasionnés au loueur par la résiliation et verser à ce dernier une somme égale au montant des loyers impayés au jour de la résiliation majorée d’une pénalité de 10% ainsi qu’une indemnité de résiliation forfaitaire en dédommagement du préjudice subi par le loueur du fait de la résiliation anticipée du présent contrat, égale à la totalité des loyers restant à courir jusqu’à la fin du contrat majorée d’une pénalité de 10%, sans préjudice de tous dommages et intérêts qu’il pourrait devoir ».
La société Data in motion se prévaut du caractère abusif de cette clause sur le fondement des articles R.212-2 du code de la consommation et 1171 du code civil.
Cependant, la cour relève que l’article R.212-2 du code de la consommation n’est pas applicable en l’espèce, s’agissant d’un contrat de fourniture de bien qui a un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par la société Data in motion, celle-ci ayant commandé le matériel de photocopie pour les besoins de son activité professionnelle.
L’article 1171 du code civil prévoit que dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
En l’espèce, la société Data in motion ne démontre aucunement l’existence d’un déséquilibre significatif créé par cette clause, étant précisé que l’absence de réciprocité de cette clause se justifie par la nature des obligations auxquelles sont respectivement tenues les parties.
En revanche, ainsi que le soutient la société Data in motion, cette clause constitue une clause pénale, définie comme une clause par laquelle les contractants évaluent forfaitairement et par avance les dommages et intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution totale, partielle ou tardive du contrat. Une telle clause est susceptible de modération par le juge, sur le fondement de l’article 1231-5 du code civil.
La société Cegelease ne peut aucunement se prévaloir du fait que sa créance a été déclarée dans le cadre de la procédure collective comme dette à échoir, alors même qu’il s’agit d’un contrat à exécution successive, pour se prévaloir d’une reconnaissance par la société Data in motion du bien fondé de sa dette, cette créance n’ayant aucunement été intégrée dans le plan de continuation compte tenu de ce qu’il s’agit d’une dette postérieure à l’ouverture de la procédure.
Or, si le pouvoir du juge du fond de modérer une clause pénale ne prive pas le juge des référés du pouvoir d’allouer une provision au titre d’une telle clause, cette clause apparaît en l’espèce sérieusement susceptible d’être modérée, comme le soutient la société Data in motion, compte tenu de son montant, supérieur aux échéances du contrat qui auraient été dues en l’absence de résiliation, et apparaît en conséquence susceptible de représenter un avantage manifestement excessif pour le créancier. La société Data in motion démontre ainsi l’existence d’une contestation sérieuse à la demande formée par la société Cegelease.
En conséquence, l’ordonnance sera réformée en ce qu’elle a condamné la société Data in motion à payer à la société Cegelease la somme de 15 577,32 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 11 octobre 2022 et il sera dit n’y avoir lieu à référé sur cette demande.
S’agissant de la demande de dommages et intérêts formée par la société Data in motion, en l’absence de caractérisation de la mauvaise foi de la société Cegelease dont elle se prévaut et de justification d’un préjudice subi par elle de ce fait, elle ne pourra qu’être rejetée.
L’ordonnance sera également réformée en ce qu’elle a condamné la société Data in motion aux dépens et sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Cegelease, qui succombe, sera condamnée aux dépens et, en équité, à payer à la société Data in motion la somme 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Réforme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la société Cegelease ;
Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société Data in motion ;
Condamne la société Cegelease aux dépens ;
Condamne la société Cegelease à payer à la société Data in motion la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles