Déséquilibre significatif : 5 mai 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/04316
Déséquilibre significatif : 5 mai 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/04316
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5 mai 2023
Cour d’appel de Colmar
RG n°
22/04316

N° RG 22/04316 – N° Portalis DBVW-V-B7G-H6YH

Minute N° : 8M 36/2023

Notification par

LRAR aux parties

Copie exécutoire à

Me [M]

Copie à Me Roth

le

Le greffier,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

ORDONNANCE DU 05 MAI 2023

Audience tenue par Madame DELNAUD, première présidente de la cour d’appel de Colmar, assistée de Mme HOUSER, greffier, en présence de Mme GABRIEL, greffier stagiaire

APPELANT :

Monsieur [Y] [S]

[Adresse 4]

[Localité 3]

non comparant, représenté par Me Stephanie ROTH, avocat au barreau de COLMAR

INTIMEE:

S.E.L.A.S. SOFFAL

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me [V] [M], avocat au barreau de STRASBOURG

DEBATS en audience publique du 21 Mars 2023

ORDONNANCE CONTRADICTOIRE du 05 Mai 2023

prononcée publiquement par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Nature de l’affaire : contestation d’honoraires d’avocat

La S.E.L.A.S SOFFAL, représentée par Maître [V] [M] avocat au barreau de Strasbourg, est intervenue au soutien des intérêts de Monsieur [Y] [S], pour l’assister dans le cadre de la rupture de son contrat de travail et du rachat de ses parts sociales détenues dans la société TECHNOLOGY & STRATEGY S.A.S.

Une convention d’honoraires a été proposée à Monsieur [Y] [S] le 22 décembre 2020. Par mail du 04 janvier 2021, Monsieur [Y] [S] a demandé à y apporter des modifications. La convention d’honoraires a été signée par les parties, prévoyant des honoraires fixes d’un montant forfaitaire de 6 000 euros TTC, ainsi qu’un honoraire de résultat calculé sur la base des montants nets obtenus à hauteur de 10% desdits montants.

La S.E.L.A.S SOFFAL, représentée par Maître [V] [M] a établi deux factures les 12 février 2021 et 16 mars 2021, minorées par un avoir du 25 mars 2021, pour un total de 6 000 euros TTC. Ces factures ont été réglées par Monsieur [Y] [S], de même que l’honoraire de résultat à hauteur de 9 290 euros HT au titre du pourcentage fixé pour les indemnités perçues au titre de la rupture négociée de son contrat de travail. Le 25 août 2021, la S.E.L.A.S SOFFAL a établi une note d’honoraires n° 321001861 d’un montant de 27 960 euros TTC, au titre du résultat obtenu dans la vente des parts sociales puis a adressé une mise en demeure pour ce réglement.

Le 25 février 2022, Monsieur [Y] [S] a saisi le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Strasbourg d’une contestation des honoraires de la S.E.L.A.S SOFFAL.

Par ordonnance du 24 juin 2022 et conformément à l’article 175 alinéa 3 du décret du 27 novembre 1991, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Strasbourg a prorogé de quatre mois le délai pour statuer.

Par ordonnance du 25 octobre 2022, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Strasbourg a débouté Monsieur [Y] [S] de sa demande et fixé le montant total des honoraires dus au cabinet SOFFAL, représenté par Maître [V] [M], à la somme de 27 960 euros TTC. Le Bâtonnier a condamné Monsieur [Y] [S] à verser à la S.E.L.A.S SOFFAL cette somme TTC, ainsi que les entiers frais et dépens, et ordonné l’exécution provisoire de la décision à hauteur de 1 500 euros.

Cette décision a été notifiée à Monsieur [Y] [S] le 7 novembre 2022.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 01 décembre 2022 enregistrée au greffe de la Cour d’Appel de Colmar le 02 décembre 2022, Monsieur [Y] [S], représenté par Maître Stéphanie Roth, a formé un recours.

Par conclusions du 10 mars 2023, Monsieur [Y] [S] soutient que la convention d’honoraires signée entre les parties est floue sur les contours de l’honoraire de résultat, dès lors que l’article 3.2 de la convention dispose que « les montants obtenus s’entendent de toutes sommes touchées à titre de salaires, rappel de salaires, indemnités de

rupture et tout autre avantage valorisable », la notion d’avantage valorisable étant très générale. Cette clause n’étant pas claire et compréhensible, ce d’autant qu’il était par ailleurs en situation de fragilité, Monsieur [S] estime qu’elle doit être considérée comme abusive et dès lors réputée non écrite. Il indique également n’avoir jamais réceptionné la note d’honoraires n° 321001861. Il ajoute qu’à supposer que le rachat des parts sociales entrerait dans le champ d’application de l’honoraire de résultat visé par la convention d’honoraires, l’action du cabinet SOFFAL n’a donné lieu à aucun avantage valorisable, dès lors qu’il avait informé le cabinet SOFFAL par mails des 3 décembre 2020 et 14 décembre avoir acquis les parts sociales pour un cout de 400 000 euros et qu’il entendait récupérer ce montant dans le cadre des négociations. Or, le rachat desdites parts s’est finalement négocié à 300.000 euros, ce qui représente une décote de 25%.

De plus, l’action du cabinet SOFFAL n’a donné lieu à aucun avantage valorisable dès lors que le montant de 67 000 euros, avancé au cours des échanges avec l’employeur et avant l’intervention du cabinet en s’appuyant sur une clause dite de « bad leaver » liée au pacte d’actionnaire, n’a pas été appliquée, de sorte que la valorisation des parts sociales garantie par l’employeur s’élevait bien à 300 000 euros avant toute intervention du cabinet SOFFAL.

Par conséquent, il sollicite l’infirmation de l’ordonnance du 25 octobre 2022 et le rejet des demandes formées par la S.E.L.A.S SOFFAL. A titre subsidiaire, il sollicite la réduction du montant de l’honoraire de résultat à de plus justes proportions ainsi que la réduction du montant des pénalités de retard. En tout état de cause, il sollicite la condamnation de la SELAS SOFFAL à la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les frais et dépens éventuels.

Par conclusions récapitulatives du 20 mars 2023, la S.E.L.A.S SOFFAL représentée par Maître [V] [M], a sollicité la confirmation de l’ordonnance du 25 octobre 2022 et, y ajoutant, la condamnation de Monsieur [Y] [S] à lui régler la somme de 2 914,10 euros au titre des pénalités de retard, la somme de 40 euros à titre d’indemnité forfaitaire de recouvrement, outre la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers frais et dépens. Elle soutient que l’honoraire de résultat est dû par Monsieur [Y] [S] dès lors que selon l’accord du 29 janvier 2019, les titres étaient estimés à une valeur de 67 000 euros, et que c’est au terme des pourparlers et sur la base de la stratégie mise en place par le cabinet SOFFAL que le prix de rachat a été fixé à 300 000 euros. De plus, lors des rendez-vous des 2 et 11 décembre 2020, Monsieur [Y] [S] n’a pas évoqué une proposition de rachat de ses parts pour un montant de 300 000 euros.

L’affaire a été retenue à l’audience du 21 mars 2023 à laquelle Monsieur [S], représenté, a repris les éléments figurant dans ses écritures, en soulignant qu’il était en arrêt maladie à compter de janvier 2021 en raison d’un « burn out » et qu’il a déjà réglé la somme de 17 000 euros.

La S.E.L.A.S SOFFAL, représentée par Maitre [M], se réfère à ses écritures et demande la confirmation de l’ordonnance, outre la condamnation à des pénalités de retard, une indemnité de recouvrement et une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Il souligne que Monsieur [S] a signé la convention alors qu’il était en congés, qu’il a bénéficié de 10 jours de réflexion et a sollicité à deux reprises des modifications de la convention d’honoraires et qu’il s’est placé en arrêt maladie sur le conseil de son avocat. L’article 2 de la convention n’est pas équivoque et Monsieur [S] était directeur des ressources humaines et apte à lire ce type de document. Enfin, une promesse de rachat avait été signée par Monsieur [S] en 2019 prévoyant en cas de licenciement un montant de 67 000 euros pour les parts sociales.

MOTIFS

En application de l’article 176 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, la décision du Bâtonnier est susceptible de recours devant la Première Présidente de la Cour d’Appel dans le délai d’un mois.

En l’espèce, l’ordonnance, rappelant ces dispositions règlementaires, a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception le 7 novembre 2022, et le recours a été formé le 1er décembre 2022 par Monsieur [Y] [S].

Il convient de le déclarer recevable.

L’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 tel qu’il résulte de la modification de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 prévoit :

« Les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client.

Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. »

Sur la validité de l’article 3-2 de la convention

Monsieur [Y] [S] sollicite que soit réputée non écrite de la clause de l’honoraire de résultat mentionnée dans la convention d’honoraires en ce qu’elle serait floue et imprécise, et dès lors abusive au sens de l’article L212.1 du code de la consommation qui dispose « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations

des parties au contrat », le caractère abusif de la clause pouvant résulter de son ambiguïté.

Plus spécifiquement, la clause disposant que les montants obtenus permettant de déterminer l’honoraire de résultat dû s’entendent de toutes sommes touchées à titre de salaires, rappel de salaires, indemnité de rupture et « tout autre avantage valorisable », est très générale et ne permettait pas de comprendre que cet honoraire s’appliquait sur le rachat des parts sociales.

En l’espèce, il est constant que, visées à l’article 2 de la convention, les négociations sur le rachat des parts sociales entraient explicitement dans la mission de l’avocat.

Aucune disposition de la convention ne prévoit que cette mission ne donnera pas lieu à une rémunération et Monsieur [S], qui ne conteste pas qu’il exerçait les missions de directeur des ressources humaines au moment des faits, était parfaitement apte à lire ce type de document contractuel, ce qu’il a fait avec un soin particulier puisqu’il a demandé que soient apportées des modifications.

L’article 3.2 de la convention d’honoraires prévoit que l’avocat percevra un honoraire complémentaire en fonction des sommes perçues par le client, calculé sur la base des montants net obtenus, à hauteur de 10% desdits montants. Cet article précise les montants obtenus permettant de déterminer l’honoraire de résultat s’entendent de toutes sommes touchées à titre de salaires, rappel de salaires, indemnité de rupture et « tout autre avantage valorisable ».

Cette clause ne manque ni de précision ni de clarté et permet de comprendre que toutes les sommes perçues, y compris au titre d’un avantage valorisable, ce qui correspond à la situation du rachat de parts sociales dont la valeur devait être déterminée dans le cadre de la négociation, donneront lieu à un honoraire de résultat.

Par conséquent, cette clause ne crée pas au détriment de Monsieur [S], un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et ne présente pas de caractère abusif.

Enfin, aucune pièce n’établit un état de faiblesse de Monsieur [S], les nombreux mails échangés démontrant au contraire que ce dernier était très réactif et à même de discuter avec son conseil. Le message du 15 décembre 2020, relatif à l’arrêt de travail, mentionne « je réfléchirai peut-être à l’opportunité d’un arrêt de travail dès lundi prochain (si mon médecin me suit toujours sur ce coup-là comme je l’espère) ».

Par suite, il y a lieu d’appliquer les dispositions contractuelles.

Sur le montant des honoraires dus

Il n’est pas contesté que d’une part Monsieur [S] a signé le 19 janvier 2019 un acte prévoyant en cas de licenciement le rachat des parts pour un montant de 67 000 euros, et d’autre part qu’il a déterminé avec son conseil, lors de rendez-vous les 2 et 11 décembre 2020 une stratégie pour

la rupture du contrat de travail et le rachat des parts sociales qu’il espérait négocier à « 400K ou plus », prévoyant une première phase amiable, puis en cas d’échec des négociations entre avocats, et enfin en cas d’échec de celles-ci, la saisine du conseil des prud’hommes.

A la suite de ces réunions de travail avec son conseil, Monsieur [S] a pris l’attache de son employeur le 14 décembre 2020 et a reçu « une offre de rachat avec une décote de 25% » [..] « il y ajouterait l’exercice de la cause de NC pendant 12 mois ». Afin de préciser les termes d’un accord global, un courrier a été adressé par le conseil de Monsieur [S] à son employeur le 22 décembre 2020, puis un projet de requête introductive d’instance a été finalisé.

Il résulte de ces éléments que le montant de 300 000 euros fixé pour le rachat des parts sociales ne correspond ni à un montant déterminé ni à un montant proposé à Monsieur [S] avant que celui-ci sollicite les conseils de son avocat et agisse selon la stratégie déterminée.

Par application de la convention, un honoraire de résultat est donc dû sur ce montant. Compte-tenu des dispositions contractuelles du 29 janvier 2019, il a justement été déduit de cette somme, pour déterminer l’avantage valorisable, la somme de 67 000 euros.

Il convient par conséquent de confirmer l’ordonnance du 25 octobre 2022.

Par application des dispositions des articles L441-9 et D441-5 du code de commerce, Monsieur [S] sera condamné au paiement des indemnités de retard à compter de la mise en demeure en date du 26 janvier 2022, soit la somme de 2 914.10 euros outre la somme de 40 euros à titre d’indemnité forfaitaire de recouvrement.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SELAS SOFFAL la totalité des frais irrépétibles engagés au cours de la présente instance. Monsieur [Y] [S] sera condamné au paiement de la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par décision contradictoire mise à disposition au greffe,

Déclarons l’appel recevable,

Confirmons l’ordonnance du Bâtonnier de l’ordre des avocats de Strasbourg du 25 février 2022,

Y ajoutant,

Condamnons Monsieur [Y] [S] à payer à la SELAS SOFFAL :

-la somme de 2 914,10 euros au titre des pénalités de retard,

-la somme de 40 euros à titre d’indemnité forfaitaire de recouvrement,

-la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Rejetons toute demande plus ample ou contraire,

Condamnons Monsieur [Y] [S] aux dépens.

Le greffière, La première présidente,

 


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