Déséquilibre significatif : 4 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/03023
Déséquilibre significatif : 4 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/03023
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4 mai 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/03023

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 53A

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 MAI 2023

N° RG 22/03023 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VFN4

AFFAIRE :

ASSOCIATION REGIONALE POUR L’INTEGRATION (ARI)

C/

S.A. DEXIA CREDIT LOCAL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Février 2022 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE

N° RG : 21/02458

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.05.2023

à :

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

ASSOCIATION REGIONALE POUR L’INTEGRATION (ARI)

Association Loi 1901

[Adresse 3]

[Localité 2]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – Représentant : Me Eric DELFLY de la SELARL VIVALDI-AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0275

APPELANTE

****************

S.A. DEXIA CREDIT LOCAL

N° Siret : 351 804 042 (RCS Nanterre)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – N° du dossier 25767 – Représentant : Me Paul TALBOURDET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R045, substitué par Me Théophile ROBINNE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 Mars 2023, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,

Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon contrat signé les 28 janvier et 14 février 2008 qui faisait suite à des propositions et à l’envoi, le 09 janvier 2008, d’une offre indicative, la société Dexia Crédit Local (ci après : Dexia) a consenti à l’association de Parents et Amis d’Enfants Handicapés Chrysalide Arc en ciel – 13 Est (ci-après : Arc en ciel) un prêt au montant de 3.000.000 euros destiné à financer des investissements liés à ses activités d’accueil, d’insertion et d’hébergement de personnes en situation de handicap.

Ce prêt était consenti pour une durée de 19 ans et 11 mois, au taux d’intérêts de 4,45% (dans une première phase, ceci jusqu’au 1er février 2011) puis (dans une deuxième phase) au taux de 4,45% si la différence entre le CMS (ou : Constant Maturity Swap) 30 ans et le CMS 2 ans était supérieure ou égale à 0% ; si elle était inférieure à 0 %, au taux de 5,45% moins 5 fois la différence entre le CMS Eur 30 ans et le CMS Eur 2 ans ; dans les deux cas, le taux d’intérêt s’appliquait à la période d’intérêts écoulée.

L’article 9 de ce contrat relatif au remboursement anticipé du prêt est ainsi rédigé :

-‘article 9.1: L’emprunteur peut procéder, dans les conditions fixées ci-après, au remboursement anticipé total du prêt à une date d’échéance d’intérêts, sous réserve de notifier sa décision à Dexia Crédit Local au moins 35 jours avant ladite échéance, par lettre recommandée avec accusé de réception.

Le remboursement anticipé s’effectue contre le règlement d’une indemnité, à payer ou à recevoir par l’emprunteur, qui a pour objet d’assurer l’équilibre financier du contrat entre les deux parties.

L’indemnité de remboursement anticipé est établie par Dexia Crédit Local en tenant compte des conditions prévalant sur les marchés financiers, 10 jours ouvrés avant la date du remboursement anticipé. Par jour ouvré, il faut entendre un jour où le système Trans-European Automated Real-time Gross settlement Express Transfer (TARGET) est ouvert. Si la date ainsi déterminée ne correspond pas à un jour où les banques sont ouvertes à [Localité 5], la date retenue sera le jour précédent où celles-ci sont ouvertes à [Localité 5] (ci-après le « Jour de Fixation »).

Le Jour de Fixation, Dexia Crédit Local demande préalablement à deux établissements de référence sur ces marchés de calculer le montant de l’indemnité à régler par la partie débitrice à l’occasion du remboursement anticipé du prêt.

L’indemnité de remboursement anticipé retenue est la moyenne arithmétique de ces deux indemnités.

– article 9.2: Le montant de l’indemnité de remboursement anticipé ainsi retenu est communiqué à l’emprunteur le Jour de Fixation avant 11h00. Ce même jour, l’emprunteur fait part de sa décision par écrit à Dexia Crédit Local avant 11h30.

En cas de réponse négative ou à défaut de réponse dans ce délai, le remboursement anticipé n’a pas lieu’.

Selon Traité du 16 décembre 2011, l’association Arc en Ciel qui connaissait des difficultés financières a procédé à un transfert partiel d’actif à l’Association Régionale pour l’Intégration (ci-après : ARI) qui comprenait le contrat de prêt litigieux outre l’établissement financé, ceci avec l’accord de la société Dexia.

Estimant que ‘le prêt (rentrait) dans la catégorie des emprunts qualifiés par la doctrine de ‘toxiques’, par acte du 13 février 2013 l’association ARI a assigné la société Dexia devant le tribunal de grand instance de Nanterre aux fins d’annulation de l’intérêt conventionnel et de sa substitution par le taux d’intérêt légal, subsidiairement, d’annulation du contrat de prêt pour vice du consentement et, plus subsidiairement, de résolution de ce contrat pour manquement de la banque à ses obligations.

Dans ses dernières conclusions d’appel, l’association ARI précise (§I-21) que ‘l’argumentation développée s’inscrivant dans le droit fil des moyens soutenus essentiellement par les communes avec l’insuccès que l’on connaît, (elle) changera de conseil avec pour objectif de concentrer ses griefs sur le caractère manifestement déséquilibré de l’IRA'(ie : l’indemnité de remboursement anticipé).

Au cours de la procédure de première instance, les deux offres de refinancement du prêt présentées par Dexia le 21 octobre 2013 puis le 12 juin 2014 prévoyant, notamment, le versement d’ ‘une indemnité compensatrice dérogatoire destinée à maintenir entre les parties l’équilibre financier du contrat de prêt quitté’ n’ont par été suivies d’effet par l’association ARI.

Durant cette procédure, l’association ARI a saisi par deux fois d’un incident le juge de la mise en état, lequel :

par ordonnance rendue le 30 août 2019 l’a déboutée de sa demande de communication de pièces et de calcul de l’indemnité de remboursement anticipé au motif que l’association n’a présenté aucune demande de remboursement de sorte que la procédure prévue à l’article 9 du contrat de prêt n’a pas été mise en oeuvre.

par ordonnance rendue le 21 octobre 2020 – à la suite d’un échange de correspondances consécutif à la demande de remboursement du prêt par anticipation formulée en novembre 2019 par un membre de l’association ARI – l’a déboutée de sa nouvelle demande de communication de ces mêmes pièces au motif, notamment, que la demande de remboursement anticipé n’a pas été maintenue au jour de la fixation, en janvier 2020.

Il a condamné l’association ARI au versement d’une indemnité de procédure au montant de 2.000 euros et aux dépens.

Après radiation du rôle de l’affaire pour défaut de respect du calendrier de procédure, selon ordonnance prononcée le 07 décembre 2020, puis son rétablissement, le 23 mars 2021, par jugement contradictoire rendu le 04 février 2022 le tribunal judiciaire de Nanterre a :

déclaré irrecevable car prescrite l’action engagée par l’Association Régionale pour l’Intégration contre la société Dexia Crédit Local,

condamné l’Association Régionale pour l’Intégration à payer à la société Dexia Crédit Local la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

ordonné l’exécution provisoire,

condamné l’Association Régionale pour l’Intégration aux dépens, dont distraction au profit de maître Lefort selon l’article 699 code de procédure civile.

Par dernières conclusions (n° 3) notifiées le 02 février 2023, l’association Association Régionale pour l’Intégration, appelante de ce jugement ainsi que des deux ordonnances précitées rendues par le juge de la mise en état désigné selon déclaration reçue au greffe le 02 mai 2022, demande à la cour :

de déclarer l’Association Régionale pour l’Intégration « ARI » recevable et bien fondée en son appel, y faisant droit

de réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions ainsi que les ordonnances rendues par le juge de la mise en état ‘près’ le tribunal judiciaire de Nanterre les 30 août 2019 et 23 octobre 2020,

et, statuant à nouveau :

de juger que l’association de parents d’enfants inadaptés Arc en ciel Est, aux droits et obligations de laquelle intervient désormais l’association ARI, doit être considérée comme un non professionnel au sens des dispositions préliminaires du code de la consommation,

de juger que l’article 9 du prêt signé par l’association de parents d’enfants inadaptés Arc en ciel Est et la société Dexia est manifestement déséquilibré au détriment de l’association,

en conséquence, de juger son caractère non écrit au sens de l’article L132-1 du code de la consommation applicable aux faits de l’espèce,

de juger que le contrat de prêt ne peut subsister dès lors que les stipulations de l’article 9 du prêt ont été déclarées inopposables à l’association,

en conséquence, d’annuler le prêt signé entre Dexia et l’association de parents d’enfants inadaptés Arc en ciel Est le 14 février 2008,

subsidiairement, c’est-à-dire si par impossible la cour ne reconnaissait pas le caractère non professionnel de l’association de parents d’enfants inadaptés Arc en ciel Est,

de juger, au visa de l’article L442-I-2 du code de commerce applicable aux faits de l’espèce, que les stipulations de l’article 9 du prêt créées (sic) un déséquilibre significatif au préjudice de l’association,

en conséquence, de prononcer son annulation,

de juger que l’annulation des stipulations de remboursement anticipé emporte l’annulation du prêt dans son entier,

en toute hypothèse

de déclarer recevable l’action engagée par l’Association Régionale pour l’Intégration contre la société Dexia Crédit Local,

de condamner l’ARI à restituer à Dexia le montant du prêt en nominal,

de condamner Dexia à restituer à l’ARI les intérêts perçus de la naissance du contrat jusqu’à la date de la décision à intervenir,

de dire et juger que ces restitutions pourront être opérées en solde compensé au bénéfice de l’une ou l’autre des parties,

de condamner Dexia à payer à l’ARI une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du ‘CPC’,

de la condamner aux frais et dépens d’instance et d’appel dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions (n° 2) notifiées le 24 février 2022, la société anonyme Dexia Crédit Local prie la cour ;

de confirmer le jugement et les ordonnances attaqués en toutes leurs dispositions et, en conséquence, de rejeter les demandes adverses,

I. sur la demande visant à voir déclarer la clause d’IRA du contrat de prêt réputée non écrite :

à titre principal, de la déclarer irrecevable,

à titre subsidiaire, de la rejeter,

II. sur la demande en nullité de la clause d’IRA fondée sur l’article L 442-6-I-2° ancien du code de commerce :

à titre principal, de confirmer le jugement en ce qu’il l’a déclarée irrecevable comme prescrite,

à titre subsidiaire, de la rejeter,

III. sur la demande en nullité du contrat de prêt :

à titre principal, de la déclarer irrecevable en raison de la prescription,

à titre subsidiaire, de la rejeter,

IV. sur la demande en infirmation des ordonnances du juge de la mise en état datées du 30 août 2019 et du 23 octobre 2020 :

de la rejeter comme infondée et à titre subsidiaire comme non motivée,

V. sur l’échéance du contrat de prêt exigible au 1er février 2023 :

de donner acte à Dexia Crédit Local qu’elle se réserve tous droits au titre de l’échéance exigible le 1er février 2023, jusqu’ici restée impayée par ARI,

VI. sur l’article 700 ‘CPC’ et les dépens

de condamner ARI à 20.000 euros au titre de l’article 700 ‘CPC’ et aux dépens, avec distraction au profit de maître Pedroletti, selon l’article 699 ‘CPC’

L’ordonnance de clôture a été rendue le 07 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le moyen tiré de la qualification de clause abusive, au sens du droit de la consommation, de l’indemnité de remboursement anticipé présenté à titre principal devant la cour par l’association ARI

Alors que l’association ARI poursuivait devant les premiers juges la nullité du contrat de prêt litigieux au motif que les modalités de calcul de l’indemnité de remboursement telles que prévues en son article 9 constituaient une condition potestative, ceci au visa des articles 1170 et suivants devenus 1304-2 du code civil, et, subsidiairement, au motif que cette clause créait un déséquilibre significatif caractérisé par l’avantage disproportionné qu’elle procure à la société Dexia en regard du coût du manque à gagner enregistré à la date de réalisation, ceci au visa de l’article L 442-6-1 2 du code de commerce, et alors que le tribunal a retenu la fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action ayant pour point de départ la date de conclusion du contrat, l’appelante poursuit devant la cour l’annulation de ce contrat en entendant démontrer que cette clause doit être qualifiée d’abusive (réputée non écrite et objet d’une action imprescriptible) du fait du déséquilibre significatif créé au détriment de l’association Arc en ciel et, préalable nécessaire, que sa qualité de non-professionnelle lui permet de bénéficier des dispositions de l’article L 132-1 alinéa 1 (applicable) du code de la consommation.

Elle en déduit que le caractère non écrit de cette clause ne permet pas au prêt de subsister sans elle du fait que ‘l’inexistence de cette clause maintiendra (le) déséquilibre (significatif) au détriment de l’emprunteur’

En préalable à son argumentation au fond qui tend à démontrer, d’abord, que l’appelante ne peut bénéficier de la législation sur les clauses abusives du fait de la qualité de professionnelle de l’association Arc en ciel et qu’en toute hypothèse la demande adverse doit être rejetée en raison de l’absence de déséquilibre au sens de l’article L 132-1 alinéa 5 (devenu L 212-1) du même code, la société Dexia intimée oppose à titre principal à la société ARI un moyen d’irrecevabilité en raison de la violation du principe de concentration des moyens.

Pour ce faire, elle se prévaut de l’arrêt dit Cesareo rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 07 juillet 2006 (pourvoi n° 04-10672) qui pose ce principe et de sa jurisprudence ultérieure, visant l’article 1355 du code civil, selon laquelle ‘il incombe au demandeur, avant qu’il ne soit statué sur sa demande, d’exposer l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ; qu’il s’ensuit que, dans une même instance, une prétention rejetée ne peut être à nouveau présentée sur un autre fondement’ (Cass civ 2ème, 11 avril 2019, pourvoi n° 17-31785, publié au bulletin).

Stigmatisant le changement de stratégie de son adversaire, l’intimée en conclut que les parties sont irrecevables à invoquer un nouveau moyen, au stade de l’appel, au soutien d’une demande déjà formée et rejetée en première instance, comme le fait, depuis ses conclusions du 15 juillet 2022, l’association ARI invoquant un moyen nouveau qui vient soutenir, comme le précédent, la même demande que celle rejetée en première instance, à savoir la nullité du contrat de prêt.

L’association ARI rétorque que l’irrecevabilité de son moyen n’est que prétendue.

Elle soutient que ce principe s’inscrit au titre de la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, ce qui suppose une première décision ayant un caractère définitif et que tel n’est pas le cas en l’espèce puisque le jugement est frappé d’appel et qu’il n’existe pas de décision antérieure ayant un caractère définitif, ceci dans un cadre juridique où les demandes examinées par le tribunal sont les mêmes que celles soumises à l’appréciation de la cour, avec un moyen nouveau tiré de l’application du code de la consommation et un moyen subsidiaire qui n’est que la réplique de l’argumentation de première instance écartée par la juridiction de premier degré.

Sur le moyen tiré de l’application des dispositions protectrices du code de la consommation, elle estime qu’elle est d’autant plus fondée à le soutenir à titre principal qu’il s’agit de textes d’ordre public dont la cour pourrait s’emparer de plein droit.

Et, relativement au moyen subsidiairement présenté, elle incrimine le caractère abusif des stipulations relatives au calcul de l’indemnité de remboursement anticipée en ce qu’elles cumulent les caractéristiques des conditions potestatives et créent également un déséquilibre significatif au détriment de l’association Arc en ciel, ajoutant que l’inexistence de cette clause maintiendra le déséquilibre au détriment de l’emprunteur ayant contracté avec l’espoir de pouvoir rompre par anticipation le contrat afin de renégocier à meilleur taux.

Sur le moyen d’irrecevabilité tel qu’opposé par la société Dexia à cette demande

Il résulte de l’article 1351 applicable du code civil (repris en son article 1355 issu de la réforme de 2016) que l’autorité de la chose jugée interdit de présenter une nouvelle demande en justice lorsqu’il existe entre les deux instances successives une triple identité d’objet, de cause et de parties, l’article 480 du code de procédure civile énonçant que ‘le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure , une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche’

Outre la doctrine de la deuxième chambre de la Cour de cassation citée par l’intimée et reprise ci-dessus, il avait déjà été jugé par sa première chambre que ‘(le demandeur) ne peut, dans une instance postérieure, invoquer un fondement juridique qu’il s’est abstenu de soulever en temps utile’ (Cass civ 1ère, 28 mai 2008, pourvoi n° 07-13266, publié au bulletin).

En application du principe de concentration des moyens d’origine prétorienne pertinemment rappelé par la société Dexia, il incombait à l’association ARI de présenter dès l’instance relative à sa première demande d’annulation du même contrat, à l’encontre du même adversaire, l’ensemble des moyens de nature à fonder cette prétention.

La contestation de l’association ARI portait sur la validité du contrat de prêt et a été déclarée irrecevable par le tribunal retenant la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Il en résulte qu’en application de ce principe l’appelante pourrait être déclarée irrecevable à faire juger à nouveau cette prétention par la présentation d’un nouveau moyen.

Sur l’office du juge en matière de clause abusive

Même si l’association ARI ne consacre pas de développements particuliers à l’office du juge en matière de clause abusive, il introduit néanmoins la question dans le débat, laquelle est de nature à passer outre la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée que présente la société Dexia.

A cet égard, il convient de rappeler que la directive n° 93/13/ CEE du 05 avril 1993 relative aux clauses abusives et la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes, soucieuse d’assurer, comme à sa suite la Cour de Justice de l’Union Européenne, le respect du principe d’effectivité du droit communautaire, ont fait l’objet de transpositions et applications successives en droit interne tendant à reconnaître au juge la possibilité d’apprécier, d’office, le caractère abusif d’une clause afin d’assurer la protection du consommateur recherchée, puis, sous certaines conditions, de lui imposer une telle appréciation.

L’arrêt CJCE du 04 juin 2009 (aff. Pannon GSM Zrt / Erzsébet Sustkiné Gyorfi, C-243/08) énonçait notamment : ‘le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet’ et la Cour de cassation, évoquant précisément cet arrêt, rappelle la définition légale, par son objet ou son effet, de la clause abusive en énonçant que ‘l’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible’ (Cass civ 2ème, 14 octobre 2021, pourvoi n° 19-11758, publié au bulletin).

Il échet, par conséquent, de rechercher (préalable nécessaire) si les éléments de droit et de fait de la présente espèce permettent de retenir l’application des dispositions du code de la consommation puis de caractériser, s’il y a lieu, une clause abusive et d’en rechercher les éventuels effets sur le contrat de prêt litigieux.

S’agissant de la qualité de non-professionnelle de l’association Arc en ciel co-contractante qui permet à l’association ARI de revendiquer l’application du code de la consommation, elle s’appuie, dans le contexte d’ ‘une jurisprudence encore en construction’, sur un avis du comité économique et social du droit européen (pièce n° 13) caractérisant les entreprises sociales à but non lucratif et fait valoir que, s’inscrivant dans le cadre d’une mission de service public de soutien et d’accompagnement de personnes handicapées et de leurs familles, elle ne tire aucune ressource de cette activité financée par les dotations du Conseil départemental.

Elle précise qu’elle bénéficie, certes, de subventions dans le cadre de ses activités portant sur les Etablissements et Services d’Aide par le Travail (ou ESAT) mais qu’il s’agit d’une démarche exclusive de réinsertion de travailleurs en situation de handicap qui ne sont pas considérés comme des salariés, ajoutant que, selon un rapport sénatorial de 2015 (pièce n° 12), les recettes d’exploitation des ESAT représentaient en 2012 environ 9,5% de leur budget social, le reste étant comblé par les subventions de fonctionnement. Elle tire, par ailleurs, argument des exonérations fiscales dont elle bénéficie, comme l’association Arc en ciel, l’administration fiscale retenant une gestion désintéressée.

Si l’association ARI oriente justement son argumentation sur la qualité de l’association Arc en ciel, co-contractante d’un prêt dont il convient de rechercher la finalité pour se prononcer sur l’application au litige du droit spécial de la consommation – et non point sur la qualité de l’association ARI à tort évoquée à titre principal par la société Dexia dès lors qu’elle n’est que la cessionnaire du contrat de prêt litigieux – il convient de la considérer comme inopérante pour déterminer que l’association Arc en ciel a contracté en qualité de non professionnelle.

En effet, le fait qu’une personne morale n’ait, par principe, aucun but lucratif, n’est pas exclusif de l’exercice d’une activité professionnelle et l’application du droit de la consommation à une opération de crédit dépend non point de la personnalité de la personne physique ou morale qui s’engage mais de la destination contractuelle du prêt, fût-elle accessoire, comme cela résulte de la doctrine de la Cour de cassation (Cass com, 04 novembre 2021, pourvoi n° 20-11099, Cass civ 1ère, 20 mai 2020, pourvoi n° 19-13461, publiés au bulletin).

Au cas particulier, c’est à juste titre que la société Dexia se prévaut du fait que le contrat de prêt destiné à financer des investissements de l’emprunteur est intervenu dans le cadre des activités professionnelles d’Arc en ciel et étaye son affirmation en évoquant le procès-verbal du Conseil d’administration d’Arc en ciel du 20 décembre 2007 selon lequel le prêt a pour objet de financer l’acquisition de l’immeuble de l’établissement construit par Nouveau Logis Provençal sur un terrain propriété de l’association, de financer les immobilisations immobilières de l’établissement Grande Linche, de consolider la trésorerie globale de l’association’

Par suite, la destination professionnelle de ce contrat de financement exclut l’application au litige du droit de la consommation.

Sur la demande subsidiaire de nullité du contrat fondée sur le déséquilibre significatif créé par la clause relative à l’indemnité de remboursement anticipé du prêt

Alors qu’en première instance, l’association ARI visait l’article L 442-6 du code de commerce en sa version applicable à la date du contrat de prêt, il convient de relever qu’elle entend voir appliquer par la cour l’ ‘article L 442-1-I-6 du code de commerce ancien’ dans le corps de ses dernières conclusions (page 26/30) puis ‘l’article L 442-I-2 du code de commerce applicable aux faits de l’espèce’ dans leur dispositif (page 28/30) sans pour autant reprendre les termes du texte au fondement de sa demande.

Au soutien de son appel elle critique le tribunal en ce qu’il a jugé que les termes du contrat étaient ‘clairs de aisés à comprendre même pour un non spécialiste’, en déduisant que le point de départ du délai de prescription de son action devait être fixé à la date de la signature de la convention alors que, selon elle, l’impossibilité de contrôler les conditions de détermination du montant de l’indemnité de remboursement anticipé s’est particulièrement révélée en 2013 et 2014 (selon offres ayant fait l’objet des deux ordonnances sur incident querellées) lorsqu’il s’est agi pour Dexia de livrer ses modes de calcul.

Ce caractère déséquilibré, poursuit-elle sans plus de débats, ‘s’inscrit dans la démonstration d’un arbitraire venant se substituer à une clause inintelligible et de toutes les manières inapplicable, même pour une banque’ et ‘la demande d’annulation de l’indemnité de remboursement anticipé est désormais couplée à la demande d’annulation du prêt étant concomitante à ces constatations, la prescription ne pouvait être acquise’.

En réplique, la société Dexia oppose à son adversaire sa méconnaissance des règles sur les conflits de loi dans le temps dans le fondement juridique tel qu’invoqué et, selon l’article L 511-4 du code monétaire et financier, le fait que les textes relatifs aux pratiques restrictives de concurrence ne s’appliquent pas aux banques pour leurs opérations de crédit.

Elle se prévaut également de la prescription de cette action en nullité et, subsidiairement, du fait qu’il n’est pas démontré que cette clause ait été déterminante pour le consentement de l’association Arc en ciel.

Ceci étant exposé, à admettre même que la clause litigieuse puisse être regardée comme fixant les prestations essentielles du contrat de prêt en cause, ce qui n’est pas démontré, il n’en reste pas moins que la détermination du délai de prescription dépend de l’objet principal de la demande en justice.

S’il est vrai que l’ordonnance du 13 novembre 2008 est venue modifier l’article L 442-6-I, 2° dans sa rédaction issue de la loi du 05 janvier 2008 (en vigueur au moment de la conclusion du contrat) sanctionnant la création d’ un déséquilibre significatif dans les relations commerciales non plus ‘au regard du service rendu’ mais ‘dans les droits et obligations’, en toute hypothèse, ces dispositions n’ont pas vocation à s’appliquer au cas particulier dès lors qu’insérées dans un chapitre du code de commerce consacré aux pratiques restrictives de concurrence, elles visent non point les établissements dispensateurs de crédit mais ‘tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers’ et prévoient de sanctionner la création d’un déséquilibre significatif par l’obligation de réparer le préjudice causé au ‘partenaire commercial’.

Ainsi, l’association ARI qui persiste en sa demande fondée sur les pratiques restrictives de concurrence, ceci en dépit de l’argumentation de la société Dexia qui, dès la première instance, se prévalait de son caractère inapplicable aux faits de l’espèce, est irrecevable en ses prétentions qui reposent sur un fondement juridique inopérant et la cour ne saurait modifier l’objet du litige.

Il sera par conséquent statué à nouveau sur la cause d’irrecevabilité expressément formulée dans le dispositif du jugement entrepris.

Sur la demande d’infirmation des deux ordonnances sur incident rendues par le magistrat chargé de la mise en état

Sans consacrer de développements spécifiques à cette demande d’infirmation mais évoquant ces deux ordonnances au sein de son argumentation destinée à démontrer que l’indemnité de remboursement anticipé est une clause abusive, ceci dans un sous-chapitre relatif aux ‘faits pertinents’, l’association ARI invoque :

s’agissant de l’ordonnance rendue le 30 août 2019 ce qui pourrait être perçu comme un moyen critiquant une contradiction de motifs (‘assez curieusement’, ‘ce qui pour le coup est assez singulier’) en juxtaposant deux éléments entrant dans la motivation du juge de la mise en état,

s’agissant de l’ordonnance rendue le 23 octobre 2020, un rejet critiquable de cette nouvelle demande, ceci ‘avec la même sécheresse que la première’, alors qu’ayant eu le sentiment de n’avoir pas été totalement comprise à l’occasion de son premier incident, elle avait alors formalisé une demande de remboursement anticipé à laquelle la banque n’a pas répondu ; elle critique la décision qui a accueilli l’argumentation de Dexia se prévalant de l’irrégularité de cette demande.

Au vu de ces éléments tirés des conclusions de l’appelante, la société Dexia ne peut être suivie en son moyen principal tendant à voir appliquer l’article 954 du code de procédure civile selon lequel ‘ (…) la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion (…)’

Et il y a lieu de statuer.

Sur la contestation de la première ordonnance, le juge de la mise en état ne s’est pas contredit puisqu’il n’a d’abord fait que reprendre la demande de l’association, à savoir : ‘calculer le montant de l’indemnité anticipée due au jour de l’ordonnance à intervenir’ (donc pour l’avenir) puis relevé que n’étaient pas sollicités ‘tous éléments justifiant du calcul des indemnités compensatoires dérogatoires proposées en octobre 2013 et juin 2014 lors des tentatives de renégociation du prêt’ (donc pour le passé). D’autant que sur ce dernier point, il ressort des écritures-mêmes de l’association ARI (en page 8/30) qu’elle avait connaissance du montant de l’indemnité de remboursement anticipé puisqu’elle précise qu’il s’établissait, respectivement, à 776.000 euros et 706.602,84 euros.

En toute hypothèse, cette décision était justifiée puisque, comme énoncé, la procédure prévue à l’article 9 n’avait pas été mise en oeuvre, l’élément déclencheur stipulé consistant en la notification, par l’emprunteur et par pli recommandé adressé à la société Dexia, de sa décision de procéder au remboursement anticipé, ceci au moins 35 jours avant une date d’échéance d’intérêts.

L’appelante sera par conséquent déboutée de sa demande d’infirmation de cette première ordonnance.

Sur la contestation de la seconde ordonnance, l’association n’est pas fondée à la critiquer dans la mesure où quand bien même une demande de remboursement anticipée avait, cette fois, été formalisée le 04 novembre 2019, la société Dexia était fondée à lui opposer l’absence de conformité de cette demande aux stipulations précisément détaillées à l’article 9 du contrat (sus-repris), s’agissant de l’absence de démonstration du pouvoir de l’auteur de la demande pourtant réclamé à diverses reprises par la société Dexia, ainsi qu’elle en justifie, et de la justification de la capacité de l’association ARI de s’acquitter immédiatement de l’intégralité des sommes dues au titre du remboursement anticipé.

L’ordonnance ajoute en outre que l’auteur de la demande de remboursement anticipé, dont la qualité n’est pas précisée, a indiqué à la banque, le jour de la fixation convenue qu’il ne pouvait pas ‘se positionner sur l’offre émise’ et ne confirmait pas le rendez-vous fixé à 11h.

L’association ARI ne peut valablement faire grief au juge de la mise en état de ‘s’être focalisé sur la loi des parties’ et, eu égard aux éléments factuels soumis à son appréciation, d’avoir statué comme il l’a fait.

Par suite, cette seconde ordonnance mérite également confirmation.

Sur l’échéance de remboursement du contrat de prêt exigible au 1er février 2023

La société Dexia expose qu’alors que cette échéance annuelle était fixée à la somme de 309.154,47 euros (pièce n° 29), par courrier du 03 février 2023 qu’elle produit (pièce n° 30), l’association ARI l’a informée de sa volonté de ne régler que la somme de 58.000 euros correspondant, selon cette dernière, aux sommes qu’elle aurait provisionnées ‘pour une échéance normale (capital et intérêts à 4,45 %)’ , et qu’elle ne s’est acquittée que de la somme de 54.372,77 euros, ceci en méconnaissance de la convention d’intérêts.

Elle ajoute qu’en application du contrat les sommes impayées sont productives d’intérêts de retard et qu’à la date de ses dernières écritures elle n’en a reçu aucun paiement.

Aussi demande-t-elle à la cour de lui donner acte de ce qu’elle se réserve tous droits au titre de l’échéance exigible le 1er février 2023, ceci sans que l’appelante n’y réplique.

Mais il est constant qu’une demande de donner acte ne constitue pas une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile et est dépourvue de portée juridique comme cela résulte de la doctrine de la Cour de cassation (Cass civ 3ème, 16 septembre 2021, pourvoi n° 20-11053).

La cour n’étant saisie que par les prétentions des parties, il en résulte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce point.

Sur les frais non répétibles et les dépens

L’équité commande de condamner l’association Association Régionale pour l’Intégration (ARI) à verser à la société anonyme Dexia la somme complémentaire de 7.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure.

L’appelante qui succombe sera déboutée de sa demande de ce chef et supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

CONFIRME les ordonnances querellées rendues le 30 août 2019 puis le 23 octobre 2020 par le juge de la mise en état désigné du tribunal judiciaire de Nanterre ;

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a fondé l’irrecevabilité de l’action engagée par l’association Association Régionale pour l’Intégration sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription et, statuant à nouveau en y ajoutant ;

Dit, sur saisine d’office, que l’association Association Régionale d’Insertion ne peut prétendre au bénéfice des dispositions protectrices de code de la consommation ;

Rejette, en conséquence, sa demande subséquente de nullité du contrat de prêt fondée sur l’existence d’une clause abusive ;

Déclare l’association Association Régionale d’Insertion irrecevable en sa demande de nullité du contrat de prêt fondée sur les dispositions du code de commerce relatives aux pratiques restrictives de concurrence ;

Rejette, en conséquence, l’ensemble de ses demandes de condamnation formées à l’encontre de la société Dexia Crédit Local ;

Dit n’y avoir lieu à donner acte ;

Condamne l’association Association Régionale d’Insertion à verser à la société anonyme Dexia Crédit Local la somme complémentaire de 7.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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