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4 mai 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
19/12911
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-3
ARRÊT AU FOND
DU 04 MAI 2023
N° 2023/69
Rôle N° RG 19/12911 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEXQN
[P] [K]
C/
[U] [C]
SA BNP PARIBAIS PERSONAL FINANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Thimothée JOLY
Me Sébastien BADIE
Me Stéphanie HOBSTERDRE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 15 Juillet 2019 enregistrée au répertoire général sous le n°15/6055.
APPELANTE
Madame [P] [K], assistée de Monsieur [F] [E] (demeurant [Adresse 5]), désigné ès qualités de curateur par ordonnance du 9 janvier 2023, en remplacement de Monsieur [M] [D],
née le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 8],
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Thimothée JOLY, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Maître [U] [C], membre de la SELARL [C] & ASSOCIES, anciennement la SCP TADDEI-[C], ès qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de Madame [P] [K], désigné à ces fonctions par jugement de la Chambre des Procédures collectives du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 18 septembre 2014 et ès qualités de commissaire à l’exécution du Plan de redressement de Madame [P] [K], désigné à ces fonctions par jugement de la Chambre des Procédures collectives du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 29 février 2016
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
SA BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal,
dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Stéphanie HOBSTERDRE de la SELARL HAUTECOEUR – DUCRAY, avocat au barreau de NICE,
assistée de Me Philippe METAIS du PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER (France) LLP, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre
Madame Françoise PETEL, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe, après prorogation, le 04 Mai 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Mai 2023
Signé par Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon acte authentique de Me [T], notaire à [Localité 6], du 6 février 2009, la SA BNP Paribas Personal Finance a consenti à Mme [P] [K] un prêt, d’un montant de 117 943 euros, garanti par un privilège de prêteur de deniers et une hypothèque, d’une durée de 26 ans au maximum, remboursable en 12 premières mensualités de 475,91 euros, puis 288 mensualités d’un montant de 704,41 euros, la première échéance devant intervenir le 10 mars 2009 et la dernière échéance au plus tard le 10 février 2024.
Le taux d’intérêts a été fixé à 4,70% l’an, révisable et le taux effectif global à 5,07% l’an.
L’acte précise :
– que le prêt est consenti pour financer le prix d’acquisition d’un appartement situé à [Localité 7] destiné à un usage locatif, ainsi qu’aux frais de change consécutifs à l’opération de change du montant du crédit en euros,
– que le montant du crédit correspond à 189 145,18 francs suisses représentant le financement en euros du projet d’acquisition outre les frais de change,
– que la monnaie de compte du prêt est le franc suisse, la monnaie de paiement est l’euro.
Mme [P] [K] a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Nice du 18 septembre 2014 puis en liquidation judiciaire par jugement du tribunal judiciaire de Nice du 20 juillet 2020, la SELARL [C] et associés étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 13 novembre 2015, Mme [P] [K] a fait assigner la SA BNP Paribas Personal Finance et Me [U] [C] devant le tribunal de grande instance de Nice pour voir réparer son préjudice du fait du manquement du prêteur à son devoir de mise en garde.
Par jugement du 15 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Nice a :
– déclaré irrecevables car prescrites l’action en responsabilité et l’action en nullité du TEG de Mme [K] à l’encontre de la BNP Paribas Personal Finance ;
– débouté Mme [K] de son action visant à voir déclarer non écrite la clause d’intérêts assortissant le prêt ;
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et rejeté les demandes des parties en ce sens ;
– condamné Mme [K] aux dépens.
Mme [P] [K] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 6 août 2019.
Par conclusions notifiées et déposées le 29 novembre 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [P] [K], demande à la cour de :
– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
– juger que la découverte du vice affectant le prêt remonte à l’année 2015,
– juger en outre, au visa de la jurisprudence citée, que la prescription quinquennale n’est pas applicable aux clauses abusives telles qu’en l’espèce,
– juger que Mme [K] est un emprunteur non averti,
– juger que la BNP Paribas Personal Finance a méconnu ses obligations de mise en garde, de conseil et d’information,
– juger que Mme [K] a perdu une chance de ne pas contracter ledit crédit qui a causé son redressement puis sa liquidation judiciaire à titre personnel,
en conséquence,
– condamner la BNP Paribas Personal Finance au paiement de la somme de 92.363,16 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel outre la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral.
à titre subsidiaire,
– juger que les chiffrages mentionnés au prêt dont s’agit ne représentent pas le taux effectif global dès lors que celui-ci n’était pas quantifiable et ne reflétait pas l’ensemble des frais afférents audit prêt,
– juger que le TEG est erroné,
– juger nulle et de nul effet la clause portant intérêts aux termes de l’acte de prêt dont s’agit et y substituer le taux légal,
– juger que cette demande n’est aucunement nouvelle et a déjà été formulée en première instance tel que repris dans le jugement,
en conséquence,
– condamner la BNP Paribas Personal Finance au paiement de la somme de 92.363,16 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel outre la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral.
à titre infiniment subsidiaire,
– juger qu’il existe un déséquilibre significatif entre les droits et obligation des parties au jour de la signature du contrat, outre les multiples manquements à l’obligation de conseil et d’information,
– juger que la clause portant intérêts est abusive,
– juger nulle et réputée non écrite la clause portant intérêts,
en conséquence,
– condamner la BNP Paribas Personal Finance au paiement de la somme de 92.363,16 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel outre la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral.
en tout état de cause,
– fixer, en suite des condamnations qui seront éventuellement prononcées à l’encontre de la BNP Paribas Personal Finance, au titre des dommages et intérêts ou de l’annulation de la clause portant intérêts, la créance de l’établissement bancaire en conséquence au passif de Mme [K],
– débouter la BNP Paribas Personal Finance de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la BNP Paribas Personal Finance au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la première instance et d’appel.
Par conclusions notifiées et déposées le 30 novembre 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SA BNP Paribas Personal Finance (la SA BNPPPF) demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu le 15 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Nice en ce qu’il a déclaré irrecevables car prescrites l’action en responsabilité et l’action en nullité du taux effectif global de Mme [K] et débouté celle-ci de son action visant à voir déclarer non écrite la clause d’intérêts du prêt ;
– inscrire au passif de Mme [K] la créance dont excipe BNP Paribas Personal Finance en principal, accessoires, intérêts et frais à hauteur de la somme globale de 210.306,16 euros (deux cent dix mille trois cent six euros et seize centimes) selon décompte arrêté au 15 novembre 2022 avec intérêts au taux contractuel de 2,46%, à parfaire,
à titre principal :
– dire et juger que l’action en responsabilité et l’action en nullité du taux effectif global initiées par Mme [K] sont prescrites,
– dire que le point de départ de la prescription ne saurait être repoussé postérieurement à la conclusion du Contrat de prêt ;
en conséquence,
– déclarer irrecevables les demandes de Mme [K] sur le fondement du manquement de BNP Paribas Personal Finance à ses obligations contractuelles et sur le fondement du taux effectif global erroné
à titre subsidiaire, si la Cour devait juger que l’action en responsabilité et en nullité de TEG de Mme [K] n’est pas prescrite :
sur les demandes de dommages et intérêts formulées par Mme [K] sur le fondement d’un manquement de BNP Paribas Personal Finance à ses obligations de conseil, information et mise en garde :
– juger que BNP Paribas Personal Finance n’était pas tenue à un devoir de conseil dans le cadre de l’octroi du prêt Helvet Immo souscrit par Mme [K],
– juger que BNP Paribas Personal Finance a respecté son devoir de mise en garde tel que celui-ci est défini par la jurisprudence à l’égard de Mme [K] conformément aux dispositions de l’article 1147 de Code civil,
– juger que BNP Paribas Personal Finance a rempli son obligation d’information à l’égard de Mme [K] s’agissant du risque lié à la variation du taux de change et des conséquences de cette variation sur l’amortissement du crédit conformément aux dispositions de l’article 1147 du Code civil,
– juger, que Mme [K] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice indemnisable,
en conséquence,
– débouter Mme [K] de sa demande de condamnation de BNP Paribas Personal Finance au paiement de la somme de 61.717,57 euros en réparation du préjudice financier qu’elle prétend subir,
– débouter Mme [K] de sa demande de condamnation de BNP Paribas Personal Finance au paiement de la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice moral qu’elle prétend subir,
sur la demande de nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels formulée par Mme [K] sur le fondement du taux effectif global erroné
– juger que le taux effectif global renseigné dans l’offre de prêt est conforme aux dispositions du Code de la consommation ;
en conséquence,
– débouter Mme [K] de sa demande de nullité de la clause d’intérêt et de substitution du taux légal au taux conventionnel ;
sur les demandes de Mme [K] sur le fondement des clauses abusives,
à titre liminaire,
– juger que Mme [K] ne formule pas de demande de restitutions ;
à titre principal
– juger que les clauses relatives au risque de change relèvent de l’objet principal et qu’elles sont rédigées de manière claire et compréhensible,
– en conséquence, juger que les clauses relatives au risque de change ne relèvent pas du contrôle des clauses abusives et débouter Mme [K] de ses demandes tendant à voir réputées non écrites les clauses litigieuses,
– en conséquence débouter Mme [K] de ses demandes tendant à voir réputées non écrites les clauses litigieuses.
à titre subsidiaire,
– juger que les clauses relatives au risque de change ne créent pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties
– en conséquence débouter Mme [K] de ses demandes tendant à voir réputées non écrites les clauses litigieuses,
à titre infiniment subsidiaire,
– juger que seules les stipulations relatives à l’augmentation sans plafond du montant des échéances pourraient créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,
– en conséquence ordonner la suppression des seules stipulations relatives à l’augmentation sans plafond du montant des échéances et juger que les autres stipulations peuvent être maintenues, le prêt Helvet Immo pouvant continuer d’être exécuté,
à titre encore plus infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, il est fait droit à la demande de la nullité, il appartiendra aux parties de mieux se pourvoir ;
en tout état de cause :
– débouter Mme [K] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner Mme [K] au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées et déposées le 25 novembre 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SELARL [C] et Associés, prise en la personne de Me [U] [C], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [P] [K], demande à la cour de :
– juger que, dans l’hypothèse où il serait fait droit aux demandes de Mme [P] [K], la somme allouée devra être versée à la SELARL [C] et Associés agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [P] [K],
– condamner la partie succombante au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
MOTIFS
1. Sur la prescription :
Mme [P] [K] fait grief aux premiers juges d’avoir fixé le point de départ de la prescription au jour de la conclusion du prêt alors qu’il doit être fixé au jour où elle a découvert le vice affectant le prêt et elle situe cette date en 2015, date à laquelle elle a pu reprendre la gestion de ses affaires.
La SA BNPPPF réplique que la jurisprudence a fixé le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité pour un manquement au devoir de mise en garde au jour de la conclusion du prêt et que les premiers juges ont exactement relevé que les griefs formulés contre l’offre de prêt par Mme [K] étaient connus d’elle dès la conclusion du prêt.
En application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
S’agissant de l’action en responsabilité de l’emprunteur non averti à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde, elle se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement ou de tout autre évènement permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement.
En l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats que la SA BNPPPF a adressé à Mme [P] [K] une mise en demeure de régler des sommes dues au titre du prêt le 27 février 2013 en se prévalant de la déchéance du terme, laquelle sera prononcée par courrier recommandé du 7 novembre 2013.
Même à considérer que les lettres adressées en 2011 et 2012 par Mme [P] [K] au service consommateur de la banque pour se plaindre des conditions du prêt peuvent marquer la connaissance qu’avait l’emprunteur des vices affectant le prêt, l’action engagée par une assignation délivrée le 13 novembre 2015, n’est nullement prescrite et c’est à tort que les premiers juges ont décidé le contraire.
Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
S’agissant de l’action en nullité de la stipulation d’intérêts en raison d’un TEG erroné, l’appelante ne détermine pas en quoi le taux effectif global serait erroné et ne produit aucune pièce tendant à en établir le caractère inexact. Les conditions générales du prêt déterminent le mode de calcul de ce taux pour un prêt à taux révisable et en précisant que ce taux est calculé hors frais d’actes et de d’assurance facultative extérieure. Mme [P] [K] était en mesure dès la signature de l’offre de se convaincre de l’existence d’une irrégularité et devait agir dans le délai de cinq ans.
L’assignation ayant été délivrée le 13 novembre 2015, l’action est prescrite sur ce point et le jugement confirmé de ce chef.
2. Sur l’action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde :
Mme [P] [K] soutient que la banque a méconnu son devoir de mise en garde de conseil et d’information à son égard, emprunteur non averti, dans la mesure où elle est dans l’incapacité de rembourser le prêt, même en ayant procédé à la vente du bien immobilier que le prêt a servi à financer. Elle affirme que l’appréciation des risques d’endettement né de l’octroi du prêt doit être faite non seulement au regard de la situation personnelle de l’emprunteur au moment de la souscription du prêt mais également au regard du mécanisme du prêt lequel est à l’origine de l’augmentation anormale du poids de la dette et du risque lié à la variation du franc suisse par rapport à l’euro.
Toutefois, le banquier dispensateur de crédit n’est, au moment de la souscription du prêt, tenu d’un devoir, non d’ailleurs de conseil, mais de mise en garde, qu’à la double condition que son cocontractant soit une personne non avertie et qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt.
En l’espèce, s’il n’est pas sérieusement discutable que Mme [P] [K] est un emprunteur non averti, le risque d’endettement né de l’octroi du prêt s’apprécie au jour de l’acceptation de l’offre au regard des capacités financières de l’emprunteur.
Comme le relève la SA BNPPPF, l’appelante ne produit aucun élément sur sa situation financière au jour de l’octroi du prêt, alors qu’il est justifié par les pièces produites par la banque que Mme [P] [K] percevait des revenus de son activité professionnelle (orthophoniste) d’un montant de 40 722 euros en 2007 et de 49 217 euros en 2016 et qu’elle avait estimé la valeur de sa résidence principale à la somme de 250 000 euros. Sans enfant à charge, elle a déclaré des charges annuelles de 14 312,76 euros.
S’agissant d’un bien acquis dans le cadre d’une opération de défiscalisation et qui fournissait des revenus locatifs, il n’est justifié par Mme [P] [K] d’aucun risque d’endettement né de l’octroi du prêt.
L’évolution du taux de change et les clauses de variation de l’intérêts, qui relèvent de l’information précontractuelle due par le prêteur et des règles relatives aux clauses abusives sont examinées ci-après.
3. Sur le manquement au devoir de conseil et au devoir d’information :
Le banquier, tenu d’un devoir de non immixtion dans les affaires de son client, n’est tenu d’aucun devoir de conseil sur l’opportunité de l’opération de crédit sollicitée, étant rappelé qu’il s’agit d’une opération de défiscalisation dont il n’est pas allégué, ni a fortiori démontré, que la SA BNPPPF l’avait initiée.
S’agissant du devoir d’information, lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger.
En l’espèce, le fonctionnement du prêt est décrit de la manière suivante :
– l’ouverture de deux comptes internes : l’un en euros pour y porter au crédit les versements opérés par l’emprunteur et au débit le montant des frais, dont les frais de change, l’autre en francs suisses recevant au crédit les sommes en francs suisses résultant des versements opérés en euros après opération de change et au débit les versements opérés par le prêteur (déblocage du crédit), les frais de change et les intérêts.
– les modalités de remboursement du crédit : par échéances mensuelles fixes en euros : 12 mois à 475,97 € puis 288 mois à 704,41 €, ces montant étant déterminés par application d’un taux de change de 1 euro contre 1,580 francs suisses auxquelles devront être ajoutées des charges annexes.
– l’amortissement du capital : il est exposé que s’il résulte de l’opération de change une somme inférieure à l’échéance en francs suisses exigible, l’amortissement du capital sera moins rapide et l’éventuelle part de capital non amorti au titre d’une échéance du crédit est inscrite au solde débiteur du compte interne en francs suisses. À l’inverse si le résultat de l’opération de change conduit à une somme supérieure à l’échéance en francs suisses, l’amortissement du capital sera plus rapide.
– l’impact de la variation du taux d’intérêt sur le montant des règlements en euros : il est exposé qu’à la suite de la variation du taux d’intérêts, et sur la base des sommes restant dues sur le compte en francs suisses, le montant de la nouvelle échéance théorique sera fixé en francs suisses puis converti en euros sur la base du taux de change alors applicable. Dans l’hypothèse où cette nouvelle échéance théorique est inférieure au montant mensuel, précédemment payé, le montant des règlements en euros reste inchangé et la durée du crédit s’en trouvera raccourcie. À l’inverse, si le montant mensuel théorique est supérieur au montant mensuel en euros précédemment payé, le montant des règlements en euros reste inchangé mais la durée du crédit sera allongée. Si malgré l’allongement de la durée du crédit, la totalité du solde du compte ne peut pas être remboursée sur la durée initiale du prêt majorée de cinq années, alors les règlements en euros seront augmentés de manière à ce que le solde soit réglé sur cette durée. La majoration ne peut être supérieure à l’augmentation annuelle de l’indice INSEE des prix à la consommation (série France entière hors tabac) sur les cinq dernières années précédant la révision du taux d’intérêts. Il est stipulé en outre que lors de l’allongement de la durée du crédit, le taux d’intérêt est revalorisé et les échéances recalculées pour permettre le remboursement en totalité du crédit au plus tard à la fin contractéde la période complémentaire de cinq ans.
– la possibilité d’un changement de monnaie de compte pour l’euro, tous les cinq ans, avec option d’un taux fixe ou d’un taux variable en euros.
Ont été annexés au prêt :
– un tableau d’amortissement théorique du prêt, en francs suisses, établi sur la base du taux de change initial du prêt,
– une notice présentant les conditions et modalités de variation du taux d’intérêt du crédit qui reprend en réalité les dispositions de la clause de variation du taux figurant dans les conditions générales du prêt, avec deux exemples chiffrés d’une hausse et d’une baisse du taux d’intérêt de deux points et l’impact de cette variation sur le montant des échéances,
– une notice d’information relative aux opérations de change réalisées dans le cadre de la gestion du crédit présentant deux hypothèses de variation du taux de change et l’impact de cette variation sur le montant des échéances.
S’il ne peut être nié que l’ensemble de ces éléments constitue une information exacte sur les modalités de fonctionnement du prêt, il ne s’agit pas pour autant d’une information concrète suffisante.
En effet, alors que le prêt est conclu pour une très longue durée (25 ans pouvant être prolongé à 30 ans), la banque ne s’est fondée que sur des hypothèses de stabilité du contexte économique existant lors de la souscription du prêt en ne proposant à titre d’exemple que des variations d’un ou deux points du taux d’intérêt et une variation de +/- 5,5% du taux de change.
Si l’on ne peut reprocher à la banque de ne pas avoir anticipé, au moment de la souscription du prêt, l’enchérissement du franc suisse par rapport à l’euro en 2011, elle ne pouvait ignorer, en sa qualité de professionnelle du domaine bancaire et économique, que même dans un contexte de stabilité, des crises peuvent survenir sur le long terme.
Or, elle n’a proposé à l’emprunteur que les variations ci-dessus rappelées, de trop faible importance et insuffisantes compte tenu de la longueur du prêt.
Surtout, elle n’a proposé aucun exemple concret croisant une augmentation du taux d’intérêt et une dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse, hypothèse pourtant non improbable, les deux pouvant varier indépendamment, et qui a des conséquences sur l’augmentation du capital restant dû en francs suisses qui ne pouvait dès lors être appréhendée par l’emprunteur.
Enfin, il est rappelé que par l’effet des dispositions ci-dessus rappelées, les échéances pendant la prolongation du prêt de cinq années sont déplafonnées, de même qu’il n’existe aucun plafond de la variation du taux d’intérêt, de sorte que l’emprunteur est dans l’incapacité d’apprécier réellement l’impact de la variation tant du taux d’intérêt que du taux de change sur ses obligations financières.
La SA BNPPPF a manqué à son obligation d’information telle que rappelée ci-dessus.
Le préjudice subi par Mme [P] [K] est la perte de chance de ne pas contracter un tel prêt. Ce préjudice est constitué dès lors que la SA BNPPPF ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant son obligation d’information à l’égard de l’emprunteur, à ce que ce dernier accepte le risque de change tel qu’il résulte de l’application de la clause de monnaie de compte.
La cour dispose des éléments suffisants pour évaluer ainsi le préjudice subi par Mme [P] [K] à la somme de 20 000 euros.
Le préjudice moral n’est en revanche pas suffisamment démontré.
4. Sur le caractère abusif de la clause d’intérêts :
Mme [P] [K] soutient que la clause d’intérêts est abusive.
La SA BNPPPF soutient quant à elle que les clauses relatives au risque de change ne créent pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et que, subsidiairement, seules les stipulations relatives à l’augmentation sans plafond du montant des échéances pourraient créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties
Il appartient également au juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments pour le faire.
Aux termes de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Pour autant, l’exigence de clarté et d’intelligibilité d’une clause ne se limite pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de la clause en question et le contrat doit exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause afin que le consommateur soit en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui.
Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la CJUE a dit pour droit que :
– l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ;
– l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu’il soit plafonné, sur l’emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
L’absence d’information suffisante et exacte donnée par le prêteur sur les modalités concrètes de fonctionnement du prêt et notamment sur l’intégralité du risque de change qui pèse sur l’emprunteur qui règle les échéances de son prêt dans une monnaie susceptible de dévaluations importantes au regard de la monnaie de compte et qui ne retire aucun avantage dans l’application des clauses de conversion en euros qui conduisent à une augmentation du capital restant dû lorsque la monnaie de paiement est dépréciée par rapport à la monnaie de compte, ne permet pas de considérer que Mme [P] [K] aurait, à la suite d’une négociation individuelle, accepté le risque disproportionné de change tel qu’il résulte de l’application de cette clause.
Les clauses relatives aux opérations de change et au taux d’intérêt révisable, qui subissent le même risque de change, sont abusives et déclarées non écrites.
Contrairement à ce que soutient la SA BNPPPF, il n’est pas possible de diviser les dispositions relatives au déplafonnement des échéances et les autres dispositions des clauses déclarées abusives et il n’appartient pas au juge de se substituer aux parties et de fixer un tel plafond.
Le caractère non écrit des deux clauses susvisées rend le taux de l’intérêt légal en France seul applicable, ce taux devant subir les variations que la loi impose.
La créance de la SABNPPPF est par conséquent fixée au montant du capital prêté en euros, avec intérêt au taux légal subissant les variations que la loi impose, sous déduction des règlements déjà opérés par Mme [P] [K].
La SA BNPPPF qui succombe est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de trois mille euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a déclaré prescrite la demande relative au taux effectif global du prêt,
Statuant à nouveau,
Dit que la SA BNP Paribas Personal Finance a manqué à son devoir d’information,
Déclare abusives et non écrites les clauses relatives aux opérations de change et au taux d’intérêt révisable,
Fixe la créance de la SA BNP, Paribas Personal Finance au passif de la procédure collective de Mme [P] [K] au montant du capital prêté, avec intérêt au taux légal qui devra subir les variations que la loi impose, sous déduction des sommes déjà perçues,
Condamne la SA BNP Paribas Personal Financeà payer Mme [P] [K] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement au devoir d’information,
Dit que cette somme devra être versée à la SELARL [C] et Associés, prise en la personne de Me [U] [C], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [P] [K],
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la SA BNP Paribas Personal Finance aux dépens qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SA BNP Paribas Personal Finance à payer à la SELARL [C] et Associés, prise en la personne de Me [U] [C], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [P] [K], la somme de mille cinq cents euros,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SA BNP Paribas Personal Finance à payer à Mme [P] [K], assistée de son curateur la somme de trois mille euros.
LE GREFFIER LE PRESIDENT