Déséquilibre significatif : 31 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03117
Déséquilibre significatif : 31 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03117
Ce point juridique est utile ?

31 mars 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/03117

2ème Chambre

ARRÊT N°165

N° RG 20/03117

N° Portalis DBVL-V-B7E-QX6F

Mme [N] [S]

M. [P] [D]

C/

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTERE

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me GAONAC’H

– Me LECLERCQ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 Février 2023

devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 31 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Madame [N] [S]

Lieu dit [Localité 4]

[Localité 2]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/6845 du 04/09/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)

Monsieur [P] [D]

Lieudit [Localité 4]

[Localité 2]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/6847 du 02/10/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)

Tous représentés par Me Arnaud GAONAC’H, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTERE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Huge CASTRES de la SCP LECLERCQ & CASTRES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre préalable acceptée le 31 janvier 2013, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère (le Crédit agricole) a consenti à M. [P] [D] et Mme [N] [S] un prêt de 10 000 euros au taux de 3,80 % l’an, remboursable en 120 mensualités de 111,50 euros, assurance emprunteur comprise.

Prétendant que les échéances de remboursement n’ont plus été honorées à compter de mars 2018 en dépit de courriers de mise en demeure de régulariser l’arriéré sous quinzaine en date du 3 août 2018, le prêteur s’est, par un nouveau courrier du 28 août 2018, prévalu de la déchéance du terme et, par acte du 11 septembre 2019, a fait assigner les emprunteurs en paiement devant le tribunal d’instance (devenu le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire) de Quimper.

Par jugement du 4 juin 2020, le premier juge a :

dit et jugé régulière la clause relative à la déchéance du terme insérée au contrat de prêt conclu le 31 janvier 2013 entre le Crédit agricole, M. [D] et Mme [S],

prononcé la résolution du contrat conclu entre le Crédit agricole, M. [D] et Mme [S] le 31 janvier 2013,

condamné solidairement M. [D] et Mme [S] à payer au Crédit agricole la somme de 5 225,06 euros au titre du solde du prêt, avec intérêts au taux contractuel de 3,80 % à compter de la décision,

condamné solidairement M. [D] et Mme [S] à verser au Crédit agricole la somme de 10 euros au titre de la clause pénale, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du code de procédure civile,

dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire de la décision,

rejeté toute autre demande,

condamné in solidum M. [D] et Mme [S] aux dépens de l’instance.

Prétendant que la banque ne justifiait pas s’être conformée à son obligation de mise en demeure préalable à la déchéance du terme, le courrier du 3 août 208 ayant été adressé par lettre simple, M. [D] et Mme [S] ont relevé appel de cette décision le 10 juillet 2020, pour demander à la cour de l’infirmer et de :

à titre principal, dire que l’action du Crédit agricole n’est pas recevable ou en tout état de cause mal fondée,

débouter le Crédit agricole de ses prétentions,

à titre subsidiaire, dire que la clause d’exigibilité du contrat de prêt présente un caractère abusif,

débouter le Crédit agricole de sa demande de résolution du contrat de prêt,

à titre infiniment subsidiaire, limiter le montant des prétentions du Crédit agricole à la somme de 3 653,54 euros, sans intérêts contractuels,

en tout état de cause, condamner l’intimé aux dépens de première instance et d’appel.

Le Crédit agricole demande quant à lui à la cour de :

confirmer le jugement, sauf en ce qu’il a réduit la clause pénale,

en conséquence, condamner solidairement Mme [S] et M. [D] au paiement de la somme de 5 674,78 euros, avec intérêts au taux de 3,80 % sur le principal de 5 171,60 euros et au taux légal pour les surplus, à compter du 28 août 2018,

subsidiairement, si la cour déclarait que la déchéance du terme n’est pas acquise ou que la résolution judiciaire du contrat de prêt n’est pas encourue, condamner solidairement Mme [S] et M. [D] à rembourser la somme de 120,42 euros par mois au titre des mensualités échues impayées depuis le mois de mars 2018 inclus jusqu’à la date de la décision à intervenir ou jusqu’au terme du contrat de mars 2023, sauf à déduire les acomptes versés pour 550 euros,

en tous cas, débouter Mme [S] et M. [D] de l’ensemble de leurs demandes,

condamner in solidum Mme [S] et M. [D] au paiement d’une indemnité de 2 500 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour M. [D] et Mme [S] le 8 octobre 2020, et pour le Crédit agricole le 6 janvier 2021, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 décembre 2022.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la déchéance du terme

Les conditions générales du contrat formalisé par l’offre de crédit acceptée le 31 janvier 2013 stipulent qu’en cas de non-paiement d’une échéance de remboursement, ‘le préteur a la possibilité de se prévaloir de l’exigibilité immédiate de la présente offre de contrat de crédit en capital, intérêts et accessoires (…) sans qu’il soit besoin d’aucun préavis et d’aucune formalité judiciaire, malgré une mise en demeure de régulariser, adressée à l’emprunteur par tout moyen et restée sans effet pendant 15 jours’.

Les appelants soutiennent qu’une telle clause serait abusive comme créant, au sens de l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment du consommateur, dès lors qu’elle expose celui-ci à une décision dépendant du bon vouloir du prêteur sans formalité préalable, ayant pour effet équivoque de provoquer l’exigibilité de la créance sans la définir.

Cependant, ainsi que le premier juge l’a exactement relevé, la clause litigieuse ne confère pas au prêteur le pouvoir de rompre le contrat de façon discrétionnaire, mais pour un manquement de l’emprunteur à son obligation essentielle de paiement des échéances de remboursement à bonne date, persistant en dépit d’une mise en demeure de régulariser la situation sous quinzaine.

En outre, elle n’est ni obscure, ni ambigue relativement à son effet, puisqu’elle est énoncée sous le titre ‘déchéance du terme’, prévoit explicitement l’exigibilité immédiate de la totalité des sommes dues en capital, intérêts et accessoires, et est suivie d’une clause relative aux ‘conséquences d’une défaillance de l’emprunteur’ précisant que, dans ce cas, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû majoré des intérêts échus et non payés, ainsi que le paiement d’intérêts de retard au taux contractuel et d’une indemnité de 8 %.

Le jugement attaqué a donc à juste titre refusé de déclarer cette clause abusive et non écrite.

Il est néanmoins de jurisprudence établie que, si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

Le Crédit agricole fait valoir avec raison qu’aucun texte, ni aucun principe de droit ne lui faisait obligation d’adresser cette mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception et que son contrat l’autorisait à l’adresser ‘par tout moyen’, mais il demeure qu’il lui appartient d’apporter la preuve de ce qu’il s’est bien acquitté de cette obligation de mise en demeure préalable.

Or, les courriers de ‘dernier avis avant déchéance du terme’ du 3 août 2018, que M. [D] et Mme [S] ne confirment pas avoir reçus, n’ont été adressé à chacun des emprunteurs que par lettres simples, la seule circonstance qu’ils aient été expédiés à l’adresse constituant toujours actuellement leur domicile ne suffisant pas à prouver que la formalité de la mise en demeure a bien été respectée.

La résiliation de plein droit du contrat de prêt par mise en jeu de la clause de déchéance du terme n’est donc pas acquise.

Cependant, la banque fait à juste titre valoir que les emprunteurs ont gravement manqué à leur obligation essentielle de s’acquitter des échéances de remboursement depuis mars 2018, en dépit de mises en demeure du 28 août 2018 et de l’assignation.

Le premier juge a donc à bon droit prononcé, en application de l’article 1224 du code civil (qui était toutefois, dans sa rédaction applicable à la cause, l’article 1184), la résiliation judiciaire du contrat de prêt.

Au surplus, il sera observé que l’intégralité des échéances de remboursement du prêt sont échues au jour où la cour statue, la dernière étant celle du 10 mars 2023.

Dès lors, le moyen tiré de l’irrégularité de la déchéance du terme est devenu inopérant.

Sur la créance de la banque

M. [D] et Mme [S] soutiennent que la résolution du contrat de prêt aurait eu pour effet de l’anéantir, si bien que le prêteur ne serait plus fondé à réclamer le paiement d’intérêts contractuels, et qu’il n’aurait pas été tenu compte de règlements réalisés pour un montant total de 550 euros.

Le manquement à leur obligation de remboursement a cependant été sanctionné par la résiliation du contrat, qui, à la différence de la résolution, n’a d’effet que pour l’avenir sans affecter le droit à rémunération du prêteur durant l’exécution du contrat, et celui-ci prévoit en outre expressément que les sommes dues continuent à produire intérêts de retard au taux du contrat.

D’autre part, le décompte de la banque fait expressément apparaître, en déduction de la créance réclamée, les règlements effectués postérieurement à la déchéance du terme pour 550 euros.

Il ressort par ailleurs de l’offre de prêt, du tableau d’amortissement et de l’historique des mouvements du prêt, qu’il restait dû au Crédit agricole au jour du jugement du 4 juin 2020 prononçant la résiliation judiciaire du contrat de prêt :

3 266,23 euros au titre du capital restant dû,

3 010,50 euros au titre des échéances échues impayées de mars 2018 à juin 2020 (111,50 euros x 27 mois),

– 550 euros au titre des règlements effectués,

soit, au total, 5 726,73 euros, avec intérêts au taux de 3,80 % à compter du jugement prononçant la résiliation du contrat.

Toutefois, étant observé que la banque demande la confirmation du jugement attaqué en limitant expressément son appel incident à la seule disposition de la décision attaquée relative à l’indemnité de clause pénale, et que ce jugement ne prononce condamnation en principal qu’à hauteur de 5 225,06 euros avec intérêts au taux de 3,80 % à compter de son prononcé, la cour, tenue de statuer dans les limites de l’objet du litige tel qu’il a été déterminé par les parties, ne pourra que confirmer celui-ci.

Il est par ailleurs réclamé le paiement d’une indemnité de défaillance de 449,72 euros.

C’est cependant par d’exacts motifs que le premier juge a relevé que cette indemnité était excessive et qu’il convenait de la réduire à 10 euros en application de l’article 1231-5 du code civil.

En effet, au regard de ce que le contrat a été exécuté durant plus de cinq ans, et que la banque a été rémunérée pendant l’exécution de ce contrat, puis au-delà au titre des intérêts moratoires, par un taux d’intérêts avantageux, le préjudice réellement subi est mineur.

Le jugement attaqué sera donc confirmé en tous points.

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge du Crédit agricole l’intégralité des frais exposés par lui à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 1 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme le jugement rendu le 4 juin 2020 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Quimper en toutes ses dispositions ;

Condamne in solidum M. [D] et Mme [S] à payer à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère une somme de 1 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [D] et Mme [S] aux dépens d’appel ;

Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x