Déséquilibre significatif : 30 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/01792
Déséquilibre significatif : 30 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/01792

30 mai 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG
19/01792

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 30 MAI 2023

RP

N° RG 19/01792 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-K6HT

[E] [C] épouse [M]

[R] [M]

c/

SA BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE

CONFEDERATION DE LA CONSOMMATION, DU LOGEMENT ET DU CADRE DE VIE

Nature de la décision : SURSIS A STATUER

RETRAIT DU RÔLE

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 05 février 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 15/05358) suivant déclaration d’appel du 29 mars 2019

APPELANTS :

[E] [C] épouse [M]

née le [Date naissance 2] 1955 à TEBASSA (99)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 6]

[R] [M]

né le [Date naissance 3] 1953 à [Localité 7] ([Localité 4])

de nationalité Française

demeurant [Adresse 6]

représentés par Maître Océanne AUFFRET DE PEYRELONGUE de la SELARL AUFFRET DE PEYRELONGUE, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Hervé BROSSEAU, avocat plaidant au barreau de NANCY

INTIMÉE :

SA BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

représentée par Maître Carolina CUTURI-ORTEGA de la SCP JOLY ‘ CUTURI ‘ WOJAS ‘ REYNET DYNAMIS AVOCATS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître GRASSO substituant Maître Philippe METAIS du PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER (France) LLP, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTERVENANTE :

CONFEDERATION DE LA CONSOMMATION, DU LOGEMENT ET DU CADRE DE VIE, représentée par son président, M. [V] [P], domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]

représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Charles CONSTANTIN-VALLET de la SELARL CONSTANTIN-VALLET, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 04 avril 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Selon offre de prêt du 22 juin 2009 acceptée le 6 juillet 2009, la SA BNP Paribas Personal Finance (ci-après la BNP.PPF) a consenti à Mme [E] [M] et M. [R] [M] un prêt dénommé ‘Helvet Immo’ d’un montant de 300.410,34 francs suisses, remboursable en euros sur 25 ans, moyennant l’application d’un taux d’intérêt nominal fixe de 4,20% l’an les cinq premières années, puis d’un taux calculé sur la base du taux SWAP francs suisses 5 ans, pour l’acquisition d’un appartement à usage locatif.

Par acte délivré le 21 mai 2015, M.et Mme [M] ont assigné la SA BNP Paribas Personal Finance devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins notamment de voir condamner le prêteur à réparer les préjudices consécutifs au défaut de mise en garde et au dol spécial auquel il s’est livré, ayant exposé les emprunteurs à des risques spéciaux et anormaux, et annuler la stipulation d’intérêts conventionnels.

Ils ont notamment demandé au tribunal de déclarer abusives les clauses ‘ouverture d’un compte interne en euros et d’un compte interne en francs suisses pour gérer votre crédit’, ‘opérations de change’ et ‘remboursement de votre crédit’, de requalifier le crédit litigieux en crédit d’achat de devises et de condamner le prêteur à leur verser la somme de 90.693,07 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices financiers subis et de 30.000 € en réparation du préjudice de souffrance.

Suivant ordonnance du 7 juin 2016, le juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale instruite au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris, suite au dépôt de plainte contre la banque du chef de pratiques commerciales trompeuses.

Par jugement du 5 février 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a:

– ordonné le retrait de la pièce communiquée par M.et Mme [M] sous la référence ‘L’ et rejeté la demande de retrait de la pièce communiquée par eux sous la référence ‘M’,

– déclaré irrecevable la demande de M. et Mme [M],

– condamné M.et Mme [M] à payer à la SA BNP.PPF une somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Les époux [M] ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 29 mars 2019 et par conclusions déposées le 7 octobre 2022, ils demandent à la cour de :

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf ce qui est demandé à titre subsidiaire,

À titre principal :

– juger que les demandes formées par les emprunteurs sont recevables et bien fondées,

– juger que les clauses n°1 à 5 du contrat HELVET IMMO souscrit par les emprunteurs forment ensemble le mécanisme implicite d’indexation du contrat sur le franc suisse,

– juger que les clauses n°1 à 5 (clause implicite d’indexation) du contrat HELVET IMMO sont abusives en ce qu’elles créent un déséquilibre significatif entre les parties à leur détriment et, en tout état de cause, en ce qu’elles ne sont ni claires ni intelligibles pour eux,

– juger que les clauses n°6 à 8 (clauses de variation du taux d’intérêt) du contrat HELVET IMMO

sont abusives en ce qu’elles ne sont ni claires ni intelligibles pour eux,

– juger que la clause n°9 (clause de reconnaissance d’information) du contrat HELVET IMMO est abusive en ce qu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties à leur détriment,

– juger que les clauses n°1 à 9 du contrat HELVET IMMO sont réputées non écrites,

En conséquence,

– juger que le contrat HELVET IMMO ne peut subsister sans ces clauses abusives,

– juger le contrat HELVET IMMO souscrit par les emprunteurs est anéanti de manière rétroactive,

– ordonner les restitutions réciproques qui s’imposent afin de replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées si le contrat HELVET IMMO n’avait pas été conclu,

– ordonner aux emprunteurs de restituer à BNP.PPF le montant libéré au titre du prêt,

– ordonner à BNP. PPF de restituer aux emprunteurs l’ensemble des versements qu’ils ont effectués dans le cadre de l’exécution du prêt, à quelque titre que ce soit, depuis sa conclusion,

– juger que ces versements comprennent la commission d’ouverture de compte, la commission de change initiale, l’ensemble des mensualités, les frais de gestion, les primes d’assurance, les éventuels frais d’étude de dossier lors de la conversion éventuelle du prêt, les frais éventuels d’avenant, l’éventuel montant de remboursement par anticipation partiel ou total effectué, l’éventuelle indemnité de remboursement par anticipation,

– ordonner la compensation entre ces créances réciproques,

– condamner BNP. PPF à verser aux emprunteurs le solde résultant de cette compensation,

– juger que la somme due par BNP.PPF aux emprunteurs, après compensation des créances de restitution réciproques, portera intérêt au taux légal dès le prononcé de l’arrêt à intervenir et que ces intérêts se capitaliseront dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil,

– juger que BNP.PPF a commis une faute en stipulant les clauses abusives litigieuses,

– juger que cette faute de BNP.PPF a causé aux emprunteurs un préjudice moral,

En conséquence,

– condamner BNP.PPF à payer à chacun des emprunteurs la somme de 30.000 euros au titre de leurs préjudices moraux,

En tout état de cause :

– débouter BNP PPF de l’ensemble de ses demandes, moyens, fins, et prétentions,

– condamner BNP PPF à payer aux emprunteurs la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 20 mars 2023, la BNP. PPF demande à la cour de:

– confirmer le jugement rendu le 5 février 2019 en toutes ses dispositions,

Et, y ajoutant :

– à titre liminaire, juger que M. et Mme [M] ne démontrent pas l’existence d’un déséquilibre significatif de sorte qu’ils sont irrecevables à invoquer le caractère abusif des clauses relatives à la variation du taux d’intérêt,

En conséquence,

– juger irrecevable la demande de M. et Mme [M] sur le fondement du caractère abusif des clauses d’intérêt,

– A titre principal :

– juger que les stipulations prévoyant que les remboursements s’imputent en priorité sur les intérêts sont le reflet de l’ancien article 1254 du code civil (aujourd’hui 1343-1) qui est une règle supplétive au sens de l’article 1 paragraphe 2 de la Directive 93/13,

– en conséquence, juger que ces stipulations sont exclues du champ d’application de la Directive 93/13,

– juger que les clauses relatives au risque de change et les clauses relatives à la variation du taux d’intérêt relèvent de l’objet principal et qu’elles sont rédigées de manière claire et compréhensible,

– En conséquence, juger que les clauses relatives au risque de change et les clauses relatives à la variation du taux d’intérêt ne relèvent pas du contrôle des clauses abusives et débouter M. et Mme [M] de leurs demandes sur le fondement des clauses abusives,

– Juger que la ‘clause de reconnaissance d’acceptation du bordereau d’acceptation’ n’est pas abusive,

– en conséquence, débouter M. et Mme [M] de leurs demandes sur le fondement des clauses abusives,

– A titre subsidiaire, juger que les clauses relatives au risque de change, les clauses relatives à la variation du taux d’intérêt et la clause de reconnaissance d’information ne créent pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,

– en conséquence, débouter M.et Mme [M] de leurs demandes sur le fondement des clauses abusives,

– A titre encore plus subsidiaire,

– Si la cour jugeait que le prêt Helvet Immo ne comporte pas de plafond, juger que seules les stipulations relatives à l’augmentation sans plafond du montant des échéances pourraient créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,

– en conséquence, ordonner la suppression des seules stipulations relatives à l’augmentation sans plafond du montant des échéances et juger que les autres stipulations peuvent être maintenues, le contrat de prêt pouvant continuer d’être exécutées,

– Si la cour jugeait les clauses relatives à la variation du taux d’intérêt abusives, juger que le taux d’intérêt conventionnel initial devra s’appliquer rétroactivement,

A titre infiniment subsidiaire, sur les sanctions sollicitées par M. et Mme [M] sur le fondement des clauses abusives :

– Si la cour entendait prononcer la nullité du contrat de prêt, elle ordonnera la restitution par M. et Mme [M] :

* de la contrevaleur en euros des montants empruntés en francs suisses ;

* de la valeur du service fourni par BNP.PPF consistant en la mise à disposition d’un capital, laquelle sera calculée au jour de la restitution par application du taux d’intérêt moyen dont M.et Mme [M] ont bénéficié au titre du prêt qui leur a été accordé par la banque ; et

* des sommes versées par BNP. PPF en exécution du jugement pénal rendu le 26 février 2020 par la 13 ème chambre correctionnelle 1 du tribunal judiciaire de Paris, à titre provisoire,

– Si la cour entendait prononcer la nullité du contrat de prêt, elle ordonnera la restitution par BNP PPF de toutes les sommes perçues au titre du prêt,

– A titre infiniment subsidiaire, la cour ordonnera la compensation entre les restitutions réciproques à opérer,

– Si la cour entendait prononcer la nullité du contrat de prêt, elle prononcera le maintien des inscriptions hypothécaires sur le bien immobilier objet du financement jusqu’au parfait remboursement par M.et Mme [M] des sommes dues au titre des restitutions,

– Juger que M. et Mme [M] ne souffrent d’aucun préjudice moral ;

* en conséquence, débouter M. et Mme [M] de leur demande au titre du préjudice moral qu’ils prétendent subir ;

* à titre subsidiaire, déduire des dommages et intérêts versés au titre du préjudice moral les sommes versées par BNP.PPF en exécution du jugement pénal rendu le 26 février 2020 par la 13 ème chambre correctionnelle 1 du tribunal judiciaire de Paris à titre provisoire,

En tout état de cause,

– débouter M. et Mme [M] de l’intégralité de leurs demandes,

– débouter l’Association CLCV de l’intégralité de ses demandes,

– condamner M. et Mme [M] au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’Association CLCV au paiement de la somme de 10.000 euros au même titre;

– condamner M. et Mme [M] aux entiers dépens.

Par conclusions d’intervention volontaire déposées le 14 mars 2023, la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie (CLCV) demande à la cour de :

– juger recevable l’intervention volontaire accessoire de la CLCV à la présente instance, au soutien des prétentions des époux [M],

– faire droit aux prétentions des époux [M] sur le fondement de la Directive 93/13/CEE et,

notamment :

– infirmer le jugement rendu le 5 février 2019 en ce qu’il juge irrecevable les demandes des époux [M],

– juger que les demandes formulées par les époux [M] sur le fondement de la Directive 93/13/CEE sont recevables en ce qu’elles ne sont pas prescrites,

– juger que les clauses n°1 à 5 (clause implicite d’indexation), n°6 à 8 (clauses de révision du taux d’intérêt) et n°9 (clause de reconnaissance d’information) du contrat de prêt HELVET IMMO souscrit par les époux [M] sont abusives en ce qu’elles ne sont ni claires ni intelligibles pour eux, qui sont des consommateurs moyens, et en tout état de cause en ce qu’elles créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, à leur détriment,

En conséquence,

– juger que les clauses n°1 à 9 du contrat de prêt HELVET IMMO souscrit par les époux [M] sont réputées non écrites,

– juger que le contrat de prêt HELVET IMMO ne peut subsister sans ces clauses,

– juger que le contrat de prêt HELVET IMMO est anéanti de manière rétroactive,

– ordonner les restitutions réciproques qui s’imposent afin de replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées si le contrat de prêt HELVET IMMO n’avait pas été conclu.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 4 avril 2023.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’appel du jugement entrepris du 5 février 2019 qui a déclaré prescrite l’action engagée par les époux [M] à l’encontre de la BNP.PPF, la cour est saisie par les appelants et la CLCV, intervenante volontaire dont l’intervention n’est pas contestée en appel, d’une action tendant à voir essentiellement juger que les clauses n°1 à 9 du contrat de prêt HELVET IMMO souscrit par les époux [M] sont abusives et par suite, réputées non écrites, que le contrat de prêt ne peut subsister sans ces clauses, qu’il doit donc être annulé de manière rétroactive avec les restitutions réciproques qui s’imposent pour replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées si le contrat de prêt n’avait pas été conclu.

En parallèle à cette action civile, les appelants avec 2534 autres personnes ayant conclu ce même type de prêt, et la CLCV avec d’autres associations, se sont constitués parties civiles à l’encontre de la BNP.PPF dans le cadre de la procédure pénale engagée contre elle des chefs de pratique commerciale trompeuse et recel, faits commis à l’occasion de la commercialisation, en 2008 et 2009, des contrats de prêts immobiliers HELVET IMMO, pour lesquels, par un jugement du tribunal correctionnel de Paris rendu le 26 février 2020, la banque a été déclarée coupable, pour la période du 25 juillet 2008 jusqu’en 2009 s’agissant des pratiques commerciales trompeuses et pour la période de courant 2008 jusqu’au 24 juillet 2008 pour le recel de ce délit.

Le juge pénal, statuant sur intérêts civils a condamné la BNP.PPF à payer aux époux [M] les sommes de 73.152,32 € en réparation de leur préjudice financier et de 10.000€ au titre du préjudice moral, avec exécution provisoire.

Sur appel de la BNP.PPF, l’affaire est fixée à l’audience correctionnelle de la cour d’appel de Paris du 15 mai au 7 juin 2023.

Il y a lieu de relever les éléments suivants:

1- Pour démontrer le caractère abusif au sens de l’article L 212-1 du code de la consommation, de la clause qu’ils qualifient ‘d’indexation implicite’ du contrat HELVET IMMO libellé en francs suisses et remboursé en euros, les appelants et la CLCVse fondent sur les arrêts de la cour de justice de l’union européenne ( CJUE ) rendus le 10 juin 2021 sur questions préjudicielles.

Dans ces arrêts, la CJUE a, en application de la Directive 93/13, en premier lieu rappelé que la demande en constatation du caractère abusif d’une clause n’est pas soumise à un délai de prescription et que la demande en restitution des sommes versées en exécution d’une clause abusive ne court pas à compter de la conclusion du contrat, mais seulement à compter du moment où le consommateur a eu connaissance du caractère abusif de la clause.

Dès lors, bien que la BNP.PPF demande confirmation du jugement dans le dispositif de ses conclusions, il convient de constater qu’elle ne soulève plus la prescription de l’action des époux [M] que le premier juge avait retenue.

Cette action sera en conséquence déclarée recevable en ce qu’elle n’est pas prescrite, sans préjuger des autres moyens d’irrecevabilité soulevés par la BNP.PPF.

En second lieu, la CJUE a estimé qu’il résultait de l’article 4 de la directive 93/13 une exigence de transparence renforcée dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère dans lequel celle ci est la monnaie de compte et l’euro la monnaie de paiement, imposant au professionnel de fournir au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque de conséquences économiques négatives potentiellement significatives.

La CJUE a invité les juges nationaux, pour apprécier le respect de ce devoir de transparence renforcée, à considérer les trois éléments suivants: le contexte économique susceptible d’affecter les variations des taux de change, le langage utilisé par la banque dans les documents précontractuels et contractuels et la constatation de pratiques commerciales trompeuses (point 74 à 76 des arrêts).

2- Les appelants et la CLCV se prévalent également des arrêts de la cour de cassation appliquant les principes retenus par la CJUE et rappelant, en visant expressément les arrêts du 10 juin 2021, que les juges du fond sont tenus d’examiner le caractère abusif d’une clause contractuelle en appliquant les critères déterminés par la CJUE (Civ. 1ère, 20 avril 2022, n°20-16.316).

Il résulte de ce qui précède que la condamnation de la banque par le juge pénal pour pratiques commerciales trompeuses dans le cadre de la commercialisation des contrats de prêts litigieux est de nature à influer sur l’appréciation par le juge civil de l’existence de clauses abusives dans ces mêmes contrats, ce qui a d’ailleurs motivé le sursis à statuer ordonné par le juge de la mise en état le 7 juin 2016 dans le cadre de la présente instance.

3- Les époux [M] ont réclamé devant le juge civil du tribunal de grande instance de Bordeaux la somme de 90.693,07 € au titre de leur préjudice financier.

Pour évaluer ce même préjudice à une somme quasiment identique (90.322,16 €), le tribunal correctionnel de Paris a retenu (page 261 du jugement) que ce ‘préjudice est constitué par le montant du capital restant dû à la date à laquelle la partie civile a arrêté ses comptes, duquel il convient de soustraire le montant du capital restant dû indiqué à la même date sur le tableau d’amortissement prévisionnel intégré à l’offre de prêt ( ce montant étant stipulé en francs suisses, il convient auparavant de le convertir en euros sur la base du taux de change indiqué à l’offre) les frais payés pour convertir le prêt en euros devant encore s’ajouter au montant déterminé’.

Dans l’hypothèse où il serait fait droit aux demandes d’annulation du contrat, les époux [M] demandent qu’il soit fait compensation entre les créances de restitution réciproques: celle de la banque représentant le montant du capital emprunté en euros et celle des emprunteurs correspondant à l’ensemble des versements effectués en euros à quelque titre que ce soit .

La banque réclame pour sa part que les sommes versées suite à sa condamnation pénale assortie de l’exécution provisoire soient déduites des restitutions ordonnées en cas de nullité du prêt.

Même s’il est exact que l’action en indemnisation du préjudice résultant d’une infraction est distincte de l’action en restitution résultant de la nullité d’un contrat, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, les éléments constitutifs du préjudice financier invoqué devant la cour sont susceptibles de faire double emploi avec ceux pris en compte par le juge pénal, ces indemnisations ayant toutes deux pour objet et pour conséquence pratique d’annuler les effets de ‘la clause d’indexation implicite’ invoquée par les appelants.

4- Pour indemniser le préjudice moral des parties civiles en général et des appelants en particulier à hauteur de 10.000 €, le juge pénal a considéré que les parties civiles justifiaient bien d’un préjudice physique et psychologique tenant notamment au sentiment de culpabilité et de honte de s’être ‘fait avoir’ et aux troubles anxieux et de dépressions subis.

Les époux [M] réclament devant la cour la réparation d’un préjudice moral de même nature, fondé sur l’angoisse permanente et une gêne excessive dans leur quotidien depuis plus de dix ans, liées à l’exposition d’une dette pouvant évoluer sans limite et à un endettement très élevé après le rachat du crédit.

Il importe donc, pour éviter aussi toute double indemnisation de ce chef, d’attendre le sort qui sera réservé à l’action civile devant le juge pénal avant de statuer sur le présent appel .

En conséquence, il y a lieu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive dans le cadre de la procédure pénale pendante devant la cour d’appel de Paris.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Déclare recevable l’action des époux [M] en ce qu’elle n’est pas prescrite;

Déclare recevable l’intervention volontaire de la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie;

Sursoit à statuer sur le fond jusqu’à décision définitive sur l’action pénale engagée contre la BNP Paribas Personnal Finance des chefs de pratique commerciale trompeuse et recel, pendante devant la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris;

Ordonne le retrait du rôle de l’affaire qui sera réinscrite à l’initiative de la partie la plus diligente à l’expiration de la cause du sursis à statuer;

Réserve les dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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