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30 juin 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/06142
2ème Chambre
ARRÊT N°343
N° RG 20/06142
N° Portalis DBVL-V-B7E-RFJO
M. [M] [Y]
Mme [H] [J] épouse [Y]
C/
S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me [O]
– Me [F]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 30 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Ludivine BABIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 12 Mai 2023
devant Monsieur David JOBARD, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 30 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [M] [Y]
né le [Date naissance 4] 1957 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représenté par Me Agnès COETMEUR, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Aurélie ABBAL de la SCP ABBAL CECCOTTI, plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER
Madame [H] [J] épouse [Y]
née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Agnès COETMEUR, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Louis NAUX de la SELARL L.R.B. AVOCATS CONSEILS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant offre acceptée le 26 mars 2010, la société Caisse d’épargne de Bretagne Pays-de-Loire a consenti à M. [M] [Y] et Mme [H] [J], son épouse, un prêt immobilier d’un montant de 182 882,14 euros au taux de 3,70 % remboursable en 216 mensualités.
Suivant avenant en date du 2 novembre 2015, le remboursement du capital restant dû, soit la somme de 145 638,87 euros, a été échelonné sur 152 mensualités au taux de 2,40 %.
Suivant acte d’huissier en date du 4 octobre 2018, les époux [Y] ont assigné la banque devant le tribunal de grande instance de Nantes.
Suivant jugement en date du 12 novembre 2020, le tribunal de grande instance de Nantes devenu tribunal judiciaire de Nantes a :
Déclaré l’action des époux [Y] irrecevable par l’effet de la prescription en ce qu’elle concernait le prêt en date du 26 mars 2010.
Déclaré la demande recevable au sujet de l’avenant en date du 2 novembre 2015.
Débouté les époux [Y] de leurs demandes.
Condamné solidairement les époux [Y] à payer à la banque la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamné solidairement les époux [Y] aux dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la société LRB avocats conseils Juripartner représentée par Me [Z] [F].
Suivant déclaration en date du 15 décembre 2020, les époux [Y] ont interjeté appel.
En leurs dernières conclusions en date du 29 juin 2021, ils demandent à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a déclaré recevables les demandes relatives à l’avenant.
Statuant à nouveau,
Juger que les intérêts des prêts n’ont pas été calculés sur la base d’une année civile.
Juger que le taux effectif global mentionné dans l’offre de prêt en date du 12 mars 2010 ainsi que dans l’avenant en date du 2 novembre 2015 est erroné de plus d’une décimale.
Par conséquent,
Juger que la stipulation d’intérêt mentionnée dans l’offre de prêt et son avenant est nulle.
Condamner la banque à établir un nouveau tableau d’amortissement annuel.
Substituant au taux contractuel le taux légal de 0,65 % du mois de mars 2010 au 17 novembre 2013 et de 0,99 % à compter de mois de novembre 2015,
Condamner la banque à leur restituer les intérêts excédent le montant des intérêts calculés au taux légal, soit la somme de 39 000 euros arrêtée au mois de décembre 2020.
Condamner la banque à leur restituer une fois par an le montant du capital restant à rembourser.
Condamner la banque à leur payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
En ses dernières conclusions en date du 9 décembre 2022, la banque demande à la cour de :
Vu l’article 122 du code de procédure civile,
Vu l’article 1304 du code civil,
Vu l’article L. 312-14-1 code de la consommation,
Vu les articles L. 312-4 et suivants du code de la consommation,
Vu les articles L. 313-1 et suivants du code de la consommation,
Vu l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’action des époux [Y] irrecevable par l’effet de la prescription en ce qui concerne le prêt en date du 26 mars 2010.
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les époux [Y] de leurs demandes.
À défaut, constater la carence des demandeurs dans l’administration de la preuve de la prétendue erreur et du préjudice subi.
Les débouter de leurs demandes, fins et conclusions.
Subsidiairement, à supposer qu’une hypothétique erreur de taux effectif global soit démontrée,
Prononcer la déchéance du droit aux intérêts dans la seule limite du préjudice réellement subi.
Très subsidiairement,
Dire que les intérêts remboursés seront imputés sur le capital restant dû.
En tout état de cause,
Condamné solidairement les époux [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Les condamner solidairement aux dépens avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les emprunteurs reprochent à la banque d’avoir fait mention dans l’offre de prêt d’une clause nulle et abusive et d’avoir calculé les intérêts du prêt sur la base d’une année lombarde. Ils soutiennent que la stipulation d’intérêt est une clause abusive. Ils font valoir que la prescription ne peut leur être opposée à cet égard. Ils font valoir que le premier juge a également considéré à tort que leurs demandes relatives à la nullité de la stipulation d’intérêt concernant le prêt en date du 26 mars 2010 étaient prescrites.
La banque soutient qu’il était possible pour un emprunteur profane de détecter le vice allégué à la simple lecture de l’offre de prêt. Elle considère que l’action des emprunteurs est prescrite même en tant que fondée sur l’existence d’une clause abusive.
L’offre de prêt en date du 26 mars 2010 comporte la clause suivante :
« Durant la phase de préfinancement, les intérêts sont calculés sur le montant des sommes débloquées au taux d’intérêt indiqué ci-dessus sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours. Durant la phase d’amortissement, les intérêts sont calculés sur le montant des sommes débloquées au taux d’intérêt indiqué ci-dessus sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours et d’un mois de 30 jours ».
Contrairement à ce que soutiennent les emprunteurs, leurs demandes relatives à la nullité de la stipulation d’intérêt sont soumises à une prescription quinquennale dont le point de départ est la date de conclusion du contrat si le vice allégué était décelable à la simple lecture de l’offre de prêt. Or ils pouvaient se convaincre, à la seule lecture de l’offre de prêt que les intérêts seraient calculés sur une base autre que l’année civile. Par conséquent, le délai quinquennal de prescription de l’action en nullité de la stipulation d’intérêt était expiré depuis le 26 mars 2015 lorsqu’ils ont introduit leur action par assignation en date du 4 octobre 2018.
En revanche, leur demande tendant à voir déclarer non écrite la stipulation d’intérêt au motif qu’elle constituerait une clause abusive n’est pas atteinte par la prescription quinquennale.
Par arrêt du 10 juin 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a en effet dit pour droit que l’article 6 § 1 et l’article 7 § 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
Le jugement entrepris sera infirmé partiellement en ce qu’il a déclaré l’action des emprunteurs irrecevable par l’effet de la prescription concernant le prêt en date du 26 mars 2010. La demande tendant à voir juger la stipulation d’intérêt non écrite au motif qu’elle constituerait une clause abusive sera jugée recevable.
Les emprunteurs soutiennent que la clause litigieuse, qui aurait pour effet de majorer le coût du crédit sans permettre à l’emprunteur d’évaluer ce surcoût, créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur et partant devrait être déclarée abusive.
La banque fait à juste titre observer que pour le calcul du taux effectif global d’un prêt à périodicité mensuelle, la détermination du taux de période en lui appliquant le rapport d’un mois de 30 jours sur une année de 360 jours produit un résultat mathématique strictement équivalent à l’application du rapport d’un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année civile de 365 jours prescrit par l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.
Il en résulte que les emprunteurs ne démontrent pas que la clause créerait un déséquilibre significatif à leur détriment de sorte qu’elle ne saurait être qualifiée d’abusive. L’analyse du tableau d’amortissement en date du 12 mars 2010 permet d’ailleurs de vérifier que les intérêts ont été calculés sur la base d’un mois normalisé.
Surabondamment, il sera observé que la clause qui porte sur la rémunération prévue en contrepartie du service financier offert au consommateur et, partant, sur l’objet même du contrat, est rédigée de façon claire et compréhensible et que l’opacité qui lui est prêtée relativement à ses prétendues conséquences économiques ne résulte que d’allégations des emprunteurs.
Il n’y a donc pas lieu d’écarter la clause de l’offre de prêt en date du 26 mars 2010, et moins encore la stipulation d’intérêt conventionnel qui lui est en toute hypothèse distincte et demeurerait applicable quand bien même la clause de calcul des intérêts sur 360 jours serait réputée non écrite.
La recevabilité de l’action en nullité concernant la stipulation d’intérêt de l’avenant en date du 2 novembre 2015 n’est quant à elle pas discutée.
Les emprunteurs font valoir que le taux effectif global est impacté par l’utilisation de l’année lombarde. Ils produisent aux débats un rapport de la société Lauranaël en date du 15 janvier 2021 qui conclut que le taux effectif global réel serait de 4,1 % et non de 3,99 % comme indiqué dans l’avenant.
La banque soutient que les emprunteurs ne rapportent pas la preuve d’une quelconque erreur du calcul du taux effectif global. Elle ajoute que sur la base d’un taux de période non arrondi, le rapport produit par les emprunteurs démontre que les intérêts ont bien été calculés selon le rapport 365/30,41666 prévu à l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation.
Comme relevé par le premier juge, le rapport de la société Lauranaël ne démontre pas que le calcul des intérêts par la banque en appliquant le rapport d’un mois de 30 jours sur une année de 360 jours serait défavorable aux emprunteurs. L’expert réalise improprement un calcul des intérêts sur une année de 365 jours en prenant en compte un mois de 30 jours alors qu’il devrait prendre en compte un mois normalisé de 30,41666 jours. Ainsi, dans l’exemple qu’il retient concernant l’échéance du 5 janvier 2016, les intérêts dus pour un mois sur une base journalière de 9,5762 euros pour une année de 365 jours ou sur une base journalière de 9,7092 euros pour une année de 360 jours sont d’un montant identique, soit 291,27 euros, en appliquant le rapport d’un mois de 30 jours sur une année de 360 jours ou d’un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année de 365 jours.
Comme il a été rappelé, pour le calcul des intérêts d’un prêt à périodicité mensuelle, la détermination du taux de période en lui appliquant le rapport d’un mois de 30 jours sur une année de 360 jours produit un résultat mathématique strictement équivalent à l’application du rapport d’un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année civile de 365 jours prescrit par l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.
Si, même en présence d’un prêt à périodicité mensuelle, la réalisation d’un tel calcul sur la base d’une année de 360 jours peut, lorsqu’il existe des intérêts produits par les portions du crédit débloquées par tranches successives ou par le capital libéré à une date autre que la date d’échéance prévue par le tableau d’amortissement, être de nature à affecter le coût du crédit et, partant, le taux effectif global, les emprunteurs n’invoquent pas l’existence en l’espèce de telles échéances brisées, les fonds ayant été entièrement débloqués à la date de l’avenant, et démontrent moins encore qu’il en serait résulté une majoration en leur défaveur des intérêts perçus par la banque.
A la lumière des éléments mis en exergue par le rapport de la société Lauranaël, le tableau d’amortissement édité après la conclusion de l’avenant confirme en réalité que les intérêts ont été calculés sur la base d’un mois normalisé.
Dès lors, rien ne démontre que, pour illicite que soit la clause litigieuse, il en soit résulté une erreur du taux effectif global en défaveur des emprunteurs au-delà de la marge d’erreur d’une décimale prévue à l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions autres que celle déjà infirmée comme il a été dit.
Les demandes des époux [Y] seront rejetées.
Il n’est pas inéquitable de condamner solidairement les époux [Y] à payer à la banque la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d’appel.
Les époux [Y] seront condamnés solidairement aux dépens de la procédure d’appel et il sera fait application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la société LRB avocats conseils Juripartner représentée par Me [Z] [F].
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme partiellement le jugement rendu le 12 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Nantes en ce qu’il a déclaré l’action de M. [M] [Y] et Mme [H] [J], son épouse, irrecevable par l’effet de la prescription concernant le prêt en date du 26 mars 2010.
Déclare recevable comme non prescrite la demande tendant à voir juger la stipulation d’intérêt non écrite au motif qu’elle constituerait une clause abusive.
Statuant à nouveau,
Rejette les demandes de M. [M] [Y] et Mme [H] [J], son épouse.
Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions.
Y ajoutant,
Condamne solidairement M. [M] [Y] et Mme [H] [J], son épouse, à payer à la société Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d’appel.
Condamne solidairement M. [M] [Y] et Mme [H] [J], son épouse, aux dépens de la procédure d’appel et dit qu’il sera fait application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la société LRB avocats conseils Juripartner représentée par Me [Z] [F].
Rejette toute demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT