Déséquilibre significatif : 3 octobre 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01874
Déséquilibre significatif : 3 octobre 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01874
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3 octobre 2023
Cour d’appel de Besançon
RG n°
21/01874

ARRÊT N°

BM/FA

COUR D’APPEL DE BESANÇON

– 172 501 116 00013 –

ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2023

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Contradictoire

Audience publique du 20 juin 2023

N° de rôle : N° RG 21/01874 – N° Portalis DBVG-V-B7F-EN5J

S/appel d’une décision du TRIBUNAL DE COMMERCE DE LONS-LE-SAULNIER en date du 03 septembre 2021 [RG N° 2021J00009]

Code affaire : 56C Demande en dommages-intérêts contre le prestataire de services pour mauvaise exécution

Association LUTTE CONTRE LE GASPILLAGE – ALCG C/ S.A.S. CATTIN & ASSOCIES EXPERTISE

PARTIES EN CAUSE :

Association LUTTE CONTRE LE GASPILLAGE – ALCG

[Adresse 2]

Sirene 316 581 909

Représentée par Me Nathalie ROTA de la SELARL NATHALIE ROTA, avocat au barreau de BESANCON

APPELANTE

ET :

S.A.S. CATTIN & ASSOCIES EXPERTISE immatriculée au RCS de LONS LE SAUNIER, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Sise [Adresse 1]

Représentée par Me Camille BEN DAOUD de la SELARL HBB AVOCAT, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant,

Représentée par Me Christophe LAVERNE de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMÉE

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.

ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX et Monsieur Cédric SAUNIER, conseillers.

GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier

Lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre

ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX, magistrat rédacteur et Monsieur Cédric SAUNIER, conseiller.

L’affaire, plaidée à l’audience du 20 juin 2023 a été mise en délibéré au 03 octobre 2023. Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Exposé des faits et de la procédure

L’Association de Lutte Contre le Gaspillage (l’ALCG) est une association à but non lucratif exerçant son activité de ressourcerie (récupération, tri, revalorisation et vente des biens collectés, structure d’insertion par l’activité économique) dans le domaine de l’économie sociale et solidaire.

La SAS Cattin & Associés Expertise (la société Cattin) exerce une activité d’expertise comptable.

Depuis 2012, l’ALCG a confié à la société Cattin des missions de gestion, de comptabilité, de fiscalité et une mission juridique et sociale.

Au titre d’une première lettre de mission signée entre les parties le 22 septembre 2014 pour l’année 2014 puis d’une seconde signée le 1er décembre 2015 pour l’année 2015 ayant prévu que la mission était désormais renouvelable chaque année par tacite reconduction, les honoraires de la société Cattin étaient fixés à 27 000 euros HT.

Au titre des années 2016 et 2017, la société Cattin a facturé un montant d’honoraires de 54 903,60 euros TTC.

L’ALCG a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte le 11janvier 2016 ayant conduit à l’adoption d’un plan de redressement par jugement en date du 14 février 2017 ; son commissaire aux comptes Agecor l’a informée, par courrier du 16 octobre 2017, que les comptes étaient inexploitables et a refusé sa certification. L’ALCG a, selon lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 novembre 2017, mis un terme immédiat aux missions données à la société Cattin pour les confier désormais à la société ACE pour les exercices 2016 et suivants.

Par courrier du 19 juin 2018, la société ACE a fait part à l’ALCG de toutes les anomalies trouvées dans les comptes 2014, 2015 et 2016 et l’informait avoir passé 940 heures d’intervention sur les exercices 2016 et 2017 générant des honoraires globaux pour ces deux exercices d’environ 50 000 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 juin 2018, l’ALCG a saisi l’Ordre des experts comptables en mettant en cause la responsabilité de la société Cattin et en l’informant du préjudice financier subi. A la même date et selon des mêmes modalités, l’ALCG a transmis une demande de dédommagement à la société Cattin estimée à 200 000 euros, honoraires inclus, pour couvrir son préjudice global. La société Cattin a répondu en contestant sa responsabilité.

Saisi par assignation délivrée par l’ALCG en date du 5 janvier 2021 aux fins que la société Cattin soit condamnée à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme 365 610,23 euros en réparation de son préjudice financier et la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier a, par jugement rendu le 3 septembre 2021:

– dit l’ALCG irrecevable en toutes ses demandes pour forclusion de son action ;

– laissé les dépens à la charge de l’ALCG ;

– débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

Pour parvenir à cette décision, le premier juge a considéré que :

– la clause de forclusion contenue dans la lettre de mission de la société Cattin, prévoyant pour l’ALCG un délai de trois mois, à compter du jour où elle a pris connaissance du sinistre, pour introduire une demande de dommages-intérêts, était valable et lui était opposable ;

– l’ALCG avait eu connaissance du sinistre pour l’exercice 2016 par la lettre du commissaire aux comptes Agecor du 16 octobre 2017, du sinistre pour les années 2014, 2015 et 2017 par le courrier de la société ACE en date du 19 juin 2018 et du sinistre au titre de la TVA par notification de propositions de rectification fiscale par courrier de l’administration fiscale en date des 27 juillet 2018 et 31 janvier 2019 ;

– seule l’assignation délivrée le 5 janvier 2021 constituait une saisine de la justice introduisant sa demande de dommages-intérêts, laquelle avait été délivrée au-delà du délai de trois mois de la connaissance de l’ensemble des sinistres ;

– quand bien même la société Cattin aurait oeuvré pour que le délai de trois mois soit dépassé, commettant ainsi une fraude selon l’ALCG, cette dernière aurait néanmoins pu saisir la justice dans le délai ;

– la lettre de mission était en rapport avec l’activité professionnelle de l’ALCG qui ne pouvait donc invoquer sa qualité de non professionnel.

Par déclaration parvenue au greffe le 15 octobre 2021, l’ALCG a régulièrement interjeté appel

de ce jugement.

Par arrêt avant dire droit rendu le 16 mai 2023, la cour a :

– ordonné la réouverture des débats et invité les avocats à présenter leurs observations sur la modification du fondement juridique de la demande de l’ALCG relative à l’inopposabilité de la clause contractuelle de forclusion, au profit de l’article 1171 du code civil dans sa version en vigueur du 1er octobre 2016 au 1er octobre 2018 ;

– renvoyé l’affaire à l’audience du 20 juin 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 20 juin 2023 et mise en délibéré au 3 octobre 2023.

Exposé des prétentions et moyens des parties

Selon conclusions transmises le 17 janvier 2022 complétées par dernières conclusions transmises le 14 juin 2023 après réouverture des débats, l’ALCG demande à la cour d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier le 3 septembre 2021, et, statuant à nouveau, de :

– débouter la société Cattin de toutes ses demandes ;

– la juger recevable en son action ;

– condamner la société Cattin à régler la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Sur la dévolution à la cour, elle indique que le tribunal de commerce n’a statué que sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Cattin, précisant que les parties seraient invitées à conclure au fond si la demande était recevable.

Sur la forclusion, elle mentionne que :

– la lettre en date du 16 octobre 2017 de son commissaire aux comptes l’informe qu’il va refuser sa certification au motif que la société Cattin a établi des comptes « inexploitables » et qu’il lui est impossible « de certifier un tel méli-mélo » et lui accorde un délai de 30 jours pour présenter des comptes établis dans les règles de l’art ; cette lettre n’établissant donc aucun préjudice en raison des fautes commises par la société Cattin, elle ne pouvait se fonder dessus pour former une demande de dommages et intérêts ;

– le principe et le quantum de son préjudice résulte de la lettre en date du 19 juin 2018 émanant de la société ACE ;

– dès le 27 juin 2018, elle a adressé à la société Cattin une lettre recommandée avec accusé de réception intitulée « demande de dédommagement » au terme de laquelle elle lui demande réparation de son préjudice évalué à 200 000 euros ; elle a doublé cette mise en cause d’une saisine de l’ordre des experts-comptables ;

– suite à la proposition de rectification de l’administration fiscale qui lui a été envoyée le 27 juillet 2018 pour le mois de décembre 2017 et l’annonce d’une extension de ses vérifications pour les années 2016-2018, elle a mis en cause la responsabilité de la société Cattin par l’envoi à cette dernière le 15 octobre 2018 d’une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 octobre 2018.

Elle fait valoir que :

– l’article 6 de la lettre de mission qui contient la clause de forclusion, laquelle prévoit l’obligation d’introduire une demande de dommages et intérêts dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre, ne précise pas que l’introduction doit prendre la forme d’une demande en justice ;

– par les courriers qu’elle a adressés à la société Cattin mettant en cause sa responsabilité, elle a donc bien formé sa demande de dommages et intérêts dans les trois mois suivant les dates auxquelles elle a eu connaissance des sinistres ;

– la société Cattin a commis une fraude puisqu’avec son assureur, ils ont manoeuvré pour que le délai de trois mois soit dépassé en lui demandant de nouveaux éléments, puis de patienter jusqu’à la réponse de son assureur puis jusqu’à épuisement des voies de recours, dans le dessein unique de dépasser le délai de forclusion ;

– cette clause de forclusion doit être déclarée non écrite comme étant une clause abusive ;

– dans le cadre d’un contrat n’ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle, elle doit être reconnue non professionnelle et bénéficier des dispositions du code de la consommation sur les clauses abusives ;

– cette clause est incluse dans les conditions générales de toutes les lettres de mission qui sont imposées aux clients sans possibilité d’être négociées et crée entre les parties un déséquilibre significatif.

Suite à la réouverture des débats sur le changement de fondement juridique de cette dernière demande, elle fait valoir que :

– le dernier contrat qui a lié les parties a couru du 1er janvier 2017 au 2 novembre 2017 et est donc bien soumis à l’article 1171 du code civil en sa version en vigueur à compter du 1er octobre 2016 au 1er octobre 2018 ;

– la lettre de mission qui lie les parties est bien un contrat d’adhésion ;

– l’article 6 de la lettre de mission créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties du fait d’un délai de 3 mois excessivement court eu égard aux manquements susceptibles d’être commis et du manque de précision de la nature de la demande à faire dans le délai.

La société Cattin a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 8 février 2022 complétée, après réouverture des débats, par dernières conclusions transmises le 19 juin 2023, pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris qui a déclaré l’ALCG irrecevable en toutes ses demandes pour forclusion de son action et, y ajoutant, condamner cette dernière à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de Me Camille Ben Daoud.

Elle expose que :

– la clause de forclusion, très fréquente dans les lettres de mission des experts comptables puisque figurant dans la lettre de mission-type proposée par le conseil de l’ordre des experts comptables, a été jugée valable par la Cour de cassation et doit donc être déclarée en l’espèce opposable à l’ALCG ; la dite clause fixe le point de départ du délai de forclusion de trois mois à la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre ;

– les irrégularités dans les comptes 2016 qu’elle invoque lui ont été révélées par la lettre du commissaire aux comptes Agecor du 16 octobre 2017 (et lui ont semblé suffisamment explicites pour la conduire à résilier immédiatement sa mission d’expert-comptable par courrier du 2 novembre 2017) ; celles relatives aux exercices 2014, 2015 et 2017 lui ont été révélées par le courrier du 19 juin 2018 de son nouvel expert-comptable ACE ; celles relatives aux calculs de TVA de décembre 2017 puis sur la période de février 2016 à juin 2018 lui ont été révélées par les redressements fiscaux dont elle a fait l’objet les 27 juillet 2018 et 31 janvier 2019 ;

– le délai de forclusion ne saurait partir du jour où son dommage est chiffré, ce qui ferait appel à la notion différente de réalisation du dommage, mais bien à compter du jour de révélation du sinistre qui n’induit pas que le dommage ait été révélé dans toute son ampleur ;

– la clause est claire sur la nécessité, pour interrompre la forclusion, de saisir un tribunal de cette demande et non pas seulement de faire une réclamation au cocontractant ;

– sur la fraude, il ne saurait lui être reproché, pas plus qu’à son assureur, de ne pas être en mesure de se positionner sur le dossier, tant que l’issue de la procédure fiscale n’était pas connue, et de l’avoir invitée à saisir le conseil de l’ordre des experts-comptables pour tenter de trouver une solution amiable au dossier ; rien ne l’empêchait d’introduire à titre préventif devant le tribunal sa demande de dommage et intérêts pour préserver ses droits conformément aux dispositions contractuelles tout en sollicitant un sursis à statuer dans l’attente de l’issue des procédures administratives et ordinales ;

– la lettre de mission comportant la clause litigieuse a bien été signée entre les parties dans le cadre de l’activité professionnelle de l’ALCG ; elle ne peut invoquer les dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives qui sont réservées aux consommateurs et aux non-professionnels ;

– l’article 1171 du code civil, dans sa version applicable au 1er octobre 2016, ne s’applique pas, à la lettre de mission du 1erdécembre 2015 ayant pour objet l’exercice 2015 et aux réclamations y afférentes ;

– la lettre de mission du 1er décembre 2015, renouvelée par tacite reconduction ne constitue pas un contrat d’adhésion ;

– le délai de forclusion de 3 mois ne crée pas un déséquilibre significatif entre les droits et actions des parties ; ainsi, la clause de forclusion lui est donc bien opposable.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions susvisées,

conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

– Sur le périmètre de la dévolution à la cour :

Le tribunal de commerce était bien saisi d’une demande de dommages-intérêts de la part de l’ALCG. Or, quoique le jugement entrepris soit complètement muet sur la limitation des débats à la recevabilité de l’action, force est de constater que les parties n’ont évoqué, devant le premier juge, que la fin de non-recevoir soulevée par la société Cattin tirée de la forclusion des demandes indemnitaires de l’ALCG.

Il résulte en effet des affirmations de l’ALCG, non contestées par la partie adverse et corroborées par la note d’audience du greffe du tribunal de commerce lors de l’audience de plaidoiries du 21 juin 2021, que le tribunal de commerce a entendu ne statuer que sur cette fin de non-recevoir, réservant l’examen du fond de l’affaire qu’au cas où l’action serait dite recevable.

Dès lors, seule la fin de non-recevoir est présentement dévolue à la cour.

– Sur la fin de non-recevoir présentée par la société Cattin tirée de la forclusion de l’ALCG :

A l’appui de la fin de non-recevoir qu’elle oppose à l’ALCG, la société Cattin invoque l’article 7.6 de la lettre de mission qui stipule que « toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant la période de prescription légale et devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre ».

La lettre de mission, en vigueur lors de la résiliation de novembre 2017, est un contrat renouvelé le 1er décembre 2016 par tacite reconduction ; c’est donc ce dernier contrat qui doit être examiné pour apprécier la validité de la clause de forclusion figurant en son article 7.6 et sa mise en oeuvre, pour l’ensemble des fautes alléguées par l’ALCG à l’encontre de la société Cattin.

Dans le dispositif de ses dernières conclusions, l’ALCG, appelante, demande, à titre principal, à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de « débouter la société Cattin de toutes ses demandes et juger l’ALCG recevable en son action », demande qu’il faut analyser comme étant une défense à la fin de non-recevoir tirée de la forclusion opposée par la société Cattin à sa demande de dommages-intérêts.

La clause est dépourvue d’équivoque en ce qui concerne l’interruption du délai dès lors que, figurant au paragraphe de la responsabilité civile de l’expert-comptable dans l’exercice de ses missions, elle se réfère clairement au délai dans lequel une demande en dommages et intérêts liée à un manquement qui lui imputable doit être « introduite » c’est-à-dire faire l’objet d’une action en justice ; ainsi, la seule lettre recommandée avec accusé de réception envoyée à la société Cattin ne pouvait donc suffire à arrêter le délai de forclusion.

S’agissant du point de départ de ce délai, fixé par la clause à la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre, la cour relève que la lettre du commissaire aux comptes d’Agecor en date du 16 octobre 2017 indique qu’il va refuser sa certification en raison du fait que les comptes de 2016 qui lui sont parvenus début octobre 2017 étaient inexploitables (comptes de tiers non pointés, écritures de salaires incompréhensibles, rapprochement impossible), qu’il laisse à l’ALCG 30 jours pour établir des comptes « pour le moins cohérents et si possible réguliers et sincères » et que, à défaut, non seulement il refuserait sa certification, mais en outre, il pourrait lancer une procédure d’alerte avec information au tribunal. Ce courrier alarmant a conduit le président de l’ALCG à envoyer à la société Cattin un courrier dans lequel il met un terme définitif à l’ensemble de ses missions en précisant qu’elle se dispense du préavis compte-tenu des différents manques constatés par le commissaire aux comptes relatés dans son courrier du 16 octobre 2017 qui « constituent une faute grave ». Dès réception de ce courrier du commissaire aux comptes, le président de l’ALCG a également immédiatement contacté un autre expert-comptable qui a accepté de reprendre les comptes de 2016.

En conséquence, il résulte des termes de ce courrier et de la chronologie des faits que l’ALCG ne peut contester que, dès le 16 octobre 2017, elle avait connaissance du sinistre sans qu’il soit besoin qu’elle appréhende le quantum de son préjudice, notion qui ne figure pas dans la clause de forclusion.

Concernant le sinistre pour les années 2014, 2015 et 2017, elle en a été clairement informée par le courrier de son nouvel expert-comptable, la société ACE, qu’elle a reçu le19 juin 2018.

Quant aux procédures de redressements fiscaux, le point de départ du délai de forclusion doit être situé aux propositions de rectification envoyées par lettres recommandées avec accusé de réception par l’administration fiscale les 27 juillet 2018 et 31 janvier 2019.

Dès lors, l’assignation en justice de l’ALCG en date du 5 janvier 2021 a été délivrée une fois le délai de forclusion acquis.

L’ALCG invoque ensuite la fraude à ses droits commise par la société Cattin qui lui permet aujourd’hui d’invoquer la forclusion.

La cour relève, que le comportement de la société Cattin lui indiquant qu’elle avait procédé à une déclaration de sinistre, puis qu’elle attendait la réponse de son assureur, ou sollicitant des éléments supplémentaires sur sa mission en matière de TVA pour les années 2013 à 2015 ou lui demandant d’attendre les conclusions de la procédure de vérification menée par le fisc, est justifiée par la nécessité qu’elle avait de se défendre, avec des éléments concrets, dans une mise en cause de sa responsabilité ; ce comportement n’empêchait pas l’ALCG d’introduire sa demande en justice.

Dès lors, la cour, comme le tribunal, considère que l’ALCG n’apporte pas les éléments de preuve suffisants pour caractériser l’élément intentionnel de la fraude.

L’appelante invoque encore l’inopposabilité de cette clause de forclusion comme étant abusive, en se fondant sur l’ancien article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation.

Il résulte des articles L. 212-1 et L. 212-2 du code de la consommation, applicable au contrat renouvelé tacitement de 2015 à 2017, que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs ou entre professionnels et non-professionnels, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

La catégorie du non-professionnel s’entend de « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ».

L’ALCG, même si son objet a un but non lucratif de solidarité envers les populations précaires et de respect de l’environnement, est bien une association professionnelle qui emploie un nombre conséquent de personnes, exerce une activité économique permanente et importante et fait des actes de commerce. Lorsqu’elle a confié à la société Cattin des missions de gestion, de comptabilité, de fiscalité et une mission juridique et sociale, elle l’a fait dans un cadre et à des fins professionnelles.

Elle ne peut donc se prévaloir des dispositions issues du code de la consommation pour l’appréciation de l’opposabilité de la clause de forclusion.

L’article 1171 du code civil dans sa version en vigueur du 1er octobre 2016 au 1er octobre 2018 donc applicable au contrat litigieux renouvelé le 1er décembre 2016, dispose que, « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

Le contrat d’adhésion, contrairement au contrat de gré à gré, est un contrat qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties.

Si les six premiers articles du contrat ont trait à des éléments personnalisés de l’ALCG et représentent, de fait, les conditions particulières du contrat, les articles 7, 8 et 9 représentent les conditions générales du contrat et l’article 7, qui inclut la clause de forclusion litigieuse en son article 7.6, est intitulé « conditions générales applicables à toutes les missions du cabinet » et est visiblement une reprise littérale d’un contrat-type proposé par l’ordre des experts-comptables. Ainsi les stipulations essentielles qu’il comporte ont été imposées par la société Cattin à l’ALCG ; il s’agit donc bien d’un contrat d’adhésion relativement à la clause litigieuse.

L’éventuel déséquilibre entre les droits et obligations des parties s’apprécie in concreto au regard des parties et des circonstances en présence ; en l’espèce, s’agissant d’une clause de forclusion en matière d’expertise-comptable, la cour relève que l’ALCG n’a aucune compétence dans ce domaine spécifique et que la mise en cause de la responsabilité de l’expert-comptable, professionnel règlementé, dans l’exercice de sa mission, requérait le recours préalable aux services d’un professionnel du chiffre pour analyser les critiques énoncées par le commissaire aux comptes ; que la complexité des vérifications à effectuer, et l’investissement en temps nécessaire à cette fin, résultent sans conteste des indications de l’ACE que l’ALCG a missionnée pour cela, laquelle précise en effet avoir passé 940 heures pour lui donner un avis circonstancié établissant les défaillances de la société Cattin.

Ainsi, la clause litigieuse consistant, pour un professionnel de l’expertise-comptable, à imposer à un cocontractant profane de réunir les éléments techniques nécessaires dans un délai d’action réduit à trois mois au lieu du délai de droit commun de cinq ans, a pour effet de restreindre l’exercice effectif d’un recours par ce cocontractant profane, et de permettre corrélativement à l’expert-comptable d’échapper à l’engagement de sa responsabilité, ce sans qu’il soit fait valoir d’impératif particulier de nature à justifier cette réduction substantielle du délai d’action. Ce faisant, cette clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectives des parties au contrat.

La cour considère donc qu’il s’agit d’une clause abusive qui, de ce fait, doit être déclarée non écrite.

Il en résulte que, après infirmation du jugement, la cour déclare l’ALCG recevable en ses demandes de dommages-intérêts.

Il y a lieu de renvoyer le dossier au tribunal de commerce aux fins de poursuite de l’instance au fond.

Dispositif :

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :

Vu l’arrêt de la cour avant dire droit du 16 mai 2023 ;

– infirme le jugement rendu entre les parties le 3 septembre 2021par le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier ;

statuant à nouveau et y ajoutant :

– dit que la clause de forclusion figurant à l’article 7.6 de la lettre de mission souscrite entre l’Association de Lutte Contre le Gaspillage et la SAS Cattin & Associés Expertise est réputée non écrite ;

– rejette la fin de non-recevoir présentée par la SAS Cattin & Associés Expertise tirée de la forclusion et dit l’Association de Lutte Contre le Gaspillage recevable en ses demandes de dommages-intérêts ;

– condamne la SAS Cattin & Associés Expertise aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d’appel ;

– condamne la SAS Cattin & Associés Expertise à verser à l’Association de Lutte Contre le Gaspillage la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– renvoie le dossier au tribunal de commerce de Lons-le-Saunier pour la poursuite de l’instance au fond.

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé

au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier Le président

 


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