Déséquilibre significatif : 29 septembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/00700
Déséquilibre significatif : 29 septembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/00700
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29 septembre 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/00700

2ème Chambre

ARRÊT N°432

N° RG 21/00700

N° Portalis DBVL-V-B7F-RJ6L

S.A. BANQUE POPULAIRE GRAND OUEST

C/

M. [I] [H]

Mme [T] [K] épouse [H]

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me BOEDEC

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Ludivine BABIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 06 Juillet 2023

devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Rendu par défaut, prononcé publiquement le 29 Septembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

S.A. BANQUE POPULAIRE GRAND OUEST

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Claire BOEDEC de la SELARL LBG ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

INTIMÉS :

Monsieur [I] [H]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 7]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Assigné par acte d’huissier en date du 29/04/2021, délivré à étude, n’ayant pas constitué

Madame [T] [K] épouse [H]

née le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 8]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Assignée par acte d’huissier en date du 29/04/2021, délivré à étude, n’ayant pas constitué

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre préalable de crédit immobilier acceptée le 24 novembre 2005, la Banque populaire Atlantique, devenue Banque populaire Grand-Ouest (la BPGO) a, en vue de financer la construction d’une maison à usage de résidence principale, consenti à M. [I] [H] et Mme [T] [K] (les époux [H]) :

un prêt n° 388 de 81 000 euros au taux de 3,35 % l’an, remboursable en 216 mensualités de 499,86 euros,

un prêt n° 389 de 50 000 euros à taux révisable indexé sur celui de l’Euribor à trois mois et capé à 3,86 %, remboursable en 216 mensualités variables,

un prêt n° 290 de 19 000 euros à taux zéro, remboursable en 96 mensualités de 197,92 euros.

Prétendant que les mensualités du prêt n° 289 n’auraient plus été honorées depuis juin 2017, la BPGO s’est, par lettre recommandée du 15 janvier 2018, prévalue de la déchéance du terme et, par acte du 10 septembre 2018, a fait assigner les emprunteurs en paiement devant le tribunal de grande instance devenu le tribunal judiciaire de Lorient.

Par jugement du 15 janvier 2020, les premiers juges, estimant que la déchéance du terme, non précédée d’une mise en demeure de régulariser l’arriéré, était irrégulière, ont :

débouté la BPGO de l’intégralité de ses demandes,

condamné la BPGO à payer aux époux [H] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné la BPGO aux dépens,

ordonné l’exécution provisoire de cette décision.

La BPGO a relevé appel de cette décision le 1er février 2021, pour demander à la cour de la réformer et de :

débouter les époux [H] de toutes leurs éventuelles prétentions,

dire que la déchéance du terme a été valablement prononcée,

en conséquence, condamner solidairement les époux [H] à régler la somme de 23 920,98 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 3,35 % à compter du 10 août 2018 et capitalisation de ceux-ci,

condamner solidairement les époux [H] à régler une indemnité de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Les époux [H] n’ont pas constitué avocat devant la cour.

La BPGO a été invitée à s’expliquer par note en délibéré sur le caractère éventuellement abusif de la clause du contrat de prêt selon laquelle ‘toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires par l’emprunteur seront exigibles (…) si bon semble (à la banque, notamment en cas de) défaut de paiement d’une échéance de prêt’, si elle devait être interprétée comme dispensant le prêteur d’une mise en demeure préalable ouvrant à l’emprunteur un délai de régularisation de l’arriéré impayé.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour la BPGO le 28 avril 2021 et signifiées aux intimés défaillants le 29 avril 2021, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 11 mai 2023.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Ainsi que l’ont pertinemment rappelé les premiers juges, il est de principe que, si le contrat de prêt peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure préalable restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

Au soutien de son appel, la BPGO prétend que le jugement attaqué aurait à tort rejeté sa demande, alors que les époux [H] avaient été régulièrement mis en demeure par lettre recommandée avec avis de réception du 15 janvier 2018 et que les conditions générales du contrat de prêt lui conférait la faculté de se prévaloir de la déchéance du terme sans aucune autre formalité.

Pourtant, le courrier recommandé du 15 janvier 2018 avait pour objet de notifier aux emprunteurs la décision du prêteur de se prévaloir de la déchéance du terme en les mettant en demeure de s’acquitter de la totalité des sommes dues au titre du prêt, et non de leur demander de régulariser l’arriéré.

En outre, la clause des conditions générales du contrat de prêt, aux termes de laquelle ‘toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires par l’emprunteur seront exigibles (…) si bon semble (à la banque, notamment en cas de) défaut de paiement d’une échéance de prêt’, ne dispensait pas expressément la BPGO de cette mise en demeure préalable ouvrant à l’emprunteur un délai de régularisation de l’arriéré impayé.

Au demeurant, si cette clause devait s’interpréter comme dispensant le prêteur de cette mise en demeure préalable comme le prétend la BPGO, elle serait alors abusive.

En effet, il résulte de l’article R. 632-1 du code de la consommation que le juge doit écarter d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat. 

Or, la question de la validité de la déchéance du terme et du droit du prêteur de s’en prévaloir sans mise en demeure préalable ressort des éléments du débat comme ayant été expressément soulevée par les premiers juges.

En outre, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la clause d’un contrat de prêt qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat en cas d’échéance impayée sans mise en demeure laissant à l’emprunteur un préavis d’une durée raisonnable pour régulariser la situation, une telle clause étant abusive au sens de l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation.

En l’occurrence, la clause de déchéance du terme des conditions générales de l’offre de prêt acceptée le 24 novembre 2005 reproduite ci-dessus laisse croire aux emprunteurs qu’ils ne disposent d’aucun délai pour régulariser l’arriéré, et que le prêteur peut se prévaloir de la déchéance du terme pour une seule échéances impayée sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant du prêt consenti pour un montant de 50 000 euros pendant 18 ans.

Ainsi, elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs, exposés à l’obligation de rembourser immédiatement la totalité du capital restant dû, et doit être déclarée non écrite.

Il s’en évince que la demande en paiement du capital restant dû du prêt doit être rejetée, la BPGO pouvant néanmoins agir en paiement des échéances échues impayées dont ont été saisis les premier juge.

Il résulte à cet égard du décompte de la créance objet de l’assignation qu’il restait dû au prêteur une somme de 1 739,77 euros au titre des échéances du 18 juin au 18 décembre 2017, outre 5,19 euros au titre des intérêts de retard arrêtés au 10 août 2018.

Les époux [H] seront par conséquent, après réformation du jugement attaqué sur ce point, condamnés au paiement de la somme de 1 744,96 euros, avec intérêts au taux contractuel sur le principal de 1 739,77 euros à compter du 11 août 2018.

La demande de capitalisation des intérêts, prohibée en matière de crédit à la consommation par l’article L. 311-23 devenu L. 312-38 du code de la consommation, sera rejetée.

Les premiers juges ont fait une équitable application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance.

En revanche, il n’y a enfin pas matière à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Enfin, partie principalement succombante, la BPGO supporera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 15 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Lorient en ce qu’il a débouté la Banque populaire Grand-Ouest de sa demande en paiement des échéances échues impayées ;

Condamne les époux [H] à payer à la Banque populaire Grand-Ouest la somme de 1 744,96 euros au titre des échéances échues impayées de juin à décembre 2017, avec intérêts au taux contractuel sur le principal de 1 739,77 euros à compter du 11 août 2018 :

Déclare abusive et non écrite la clause de déchéance du terme selon laquelle ‘toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires par l’emprunteur seront exigibles (…) si bon semble (à la banque, notamment en cas de) défaut de paiement d’une échéance de prêt’ ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Condamne la Banque populaire Grand-Ouest aux dépens d’appel ;

Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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