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28 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n°
22-13.969
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 juin 2023
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 448 FS-B
Pourvoi n° P 22-13.969
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 JUIN 2023
La société Masill, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 22-13.969 contre l’arrêt rendu le 25 janvier 2022 par la cour d’appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l’opposant à la caisse de Crédit mutuel de la région d’Illfurth, association coopérative, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La caisse de Crédit mutuel de la région d’Illfurth a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvi principal invoque, à l’appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel, Rameix, Gury, Maitre, avocat de la société Masill, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la caisse de Crédit mutuel de la région d’Illfurth, et l’avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l’audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Hascher, Bruyère, Ancel, conseillers, Mmes Kloda, Dumas, Champ, conseillers référendaires, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Besançon, 25 janvier 2022), par actes des 27 octobre 2005 et 2 juin 2006, la société caisse de Crédit mutuel de la région d’Illfurth (la banque) a consenti à la société civile immobilière Masill (la SCI) deux prêts immobiliers respectivement remboursables en cent-quatre-vingt et deux-cent-quarante échéances mensuelles et libellés en francs suisses.
2. Le 17 janvier 2019, la SCI a assigné la banque en nullité des clauses d’indexation des contrats de prêt, en constatation du caractère abusif de certaines clauses, en responsabilité et en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
3. La SCI fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à dire abusives et réputées non écrites les clauses d’indexation, alors :
« 1°/ qu’une clause définissant la prestation essentielle du contrat peut être regardée comme abusive lorsqu’elle n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible ; que l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible suppose non seulement que celle-ci doit pouvoir être comprise par le consommateur ou le non-professionnel sur le plan formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu’un consommateur ou non-professionnel moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières ; qu’en se contentant de relever, pour juger que les clauses litigieuses étaient claires et compréhensibles, leur intelligibilité sur un plan grammatical et le fait qu’elles exposaient de manière transparente le risque de variation du taux de change, sans rechercher si elles exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de devise étrangère, ainsi que les conséquences économiques, potentiellement importantes, qu’une variation du taux de change pouvait avoir, de sorte que l’emprunteur était mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les risques que lui faisaient courir les clauses litigieuses, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ qu’en jugeant qu’ on peut attendre d’une SCI qui contracte deux emprunts en vue de placer de l’argent en défiscalisation qu’elle lise complètement les contrats rédigés en termes clairs et qu’elle accepte le risque d’une variation du taux de change avec les conséquences économiques qui peuvent en découler”, la cour d’appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
4. En application de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
5. Une société civile immobilière agit en qualité de professionnel lorsqu’elle souscrit des prêts immobiliers pour financer l’acquisition d’immeubles conformément à son objet.
6. La cour d’appel a constaté que la SCI avait souscrit deux prêts immobiliers afin d’acquérir des immeubles à des fins d’investissement locatif.
7. Il en résulte qu’étant réputée agir conformément à son objet, la SCI a agi à des fins professionnelles et ne pouvait donc invoquer à son bénéfice le caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt.
8. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l’arrêt se trouve légalement justifié.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La SCI fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, sa demande tendant à voir reconnue la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir d’information, de conseil et de mise en garde, alors « que le délai de prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que le dommage résultant d’un manquement d’une banque à son devoir d’information, de conseil et de mise en garde sur le risque que faisait courir, en matière d’emprunt dans une devise étrangère, la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, ainsi que sur les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle variation sur les obligations financières de l’emprunteur, consiste en une perte de chance d’éviter le risque qui s’est réalisé ; que dès lors, le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à compter de la manifestation du dommage, c’est-à-dire lorsque du fait du renforcement du taux de change, l’augmentation des mensualités payées en euros alourdissant considérablement le coût du crédit, l’emprunteur a eu connaissance des conséquences préjudiciables et du coût excessif, pour lui, du prêt en devises ; qu’en jugeant, par motifs adoptés, que le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité courrait à compter de la signature des contrats de prêt, la cour d’appel a violé l’article 2224 du code civil. »