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27 septembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/20240
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2023
(n° 160 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 19/20240 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA5LO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Octobre 2019 – Tribunal de Commerce de Lille – RG n° 2018007380
APPELANTE
SARL FRENCH GARDEN agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Beauvais sous le numéro 498 692 029
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056,
assistée de Me Chantal TEBOUL ASTRUC, avocat au barreau de PARIS, toque : A0235
INTIMEE
S.A.S. CASTORAMA FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Lille Metropole sous le numéro 451 678 973
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034,
assistée de Me Violaine AYROLE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0003
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 juillet 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4 et de Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Laure Dallery,présidente de la chambre 5.4
Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre
Monsieur Julien Richaud, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie Mollé
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signée par Madame Marie-Laure Dallery,présidente de la chambre 5.4, et par Monsieur Maxime Martinez, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société French Garden, créée en 2007, a pour activité la vente en gros ou en demi-gros de fleurs coupées, plantes et végétaux. Elle exploite son activité sous la marque “Promofleur”.
La société Castorama France (ci-après “Castorama”) est spécialisée dans la distribution en France d’articles de bricolage et de décoration aux particuliers et aux professionnels. Elle compte 102 magasins.
Les parties sont en relation d’affaires depuis 2010.
A compter de 2013, des contrats annuels intitulés “conditions de vente des produits et autres obligations favorisant la relation commerciale” ont précisé par écrit les conditions du référencement.
Le “périmètre d’application” visé mentionne “végétaux”, mais deux gammes de produits sont de fait concernées, les sapins de Noël, d’une part, et les autres végétaux, d’autre part. L’activité donne lieu à reprise d’invendus et peut inclure la mise à disposition de personnels auprès de la société Castorama.
La proportion du chiffre d’affaires de French Garden avec Castorama a représenté, à compter de 2013, plus de 72 % de son chiffre d’affaires total.
Le 12 mai 2016, la société Castorama France a notifié à la société French Garden le déréférencement de ses “gammes de plantes à massif et sapins de Noël à compter du 1er mai 2017”, lui rappelant que comme indiqué lors d’un échange précédent “cette décision s’inscrit dans le cadre de la mise en ‘uvre au sein de notre groupe (Kingfisher) d’une nouvelle stratégie consistant à développer des gammes communes à l’ensemble des enseignes du groupe”.
Le 8 septembre 2016, la société Castorama France a notifié à la société French Garden sa “décision de déréférencer la totalité de vos produits à compter du 1er avril 2018”, pour le même motif.
Castorama a invité French Garden à participer à un appel d’offre pour la saison hiver 2017. L’offre de French Garden n’a pas été retenue à l’issue de ce dernier. Après échanges, un partenariat portant sur Noël 2017 a cependant été noué pour 40 magasins, étendu ensuite à 27 autres magasins.
Le dernier contrat a été signé le 28 février 2017. La fin des relations commerciales est intervenue de façon prématurée à la fin du mois de décembre 2017, suite à la perte d’une des assurance-crédit de certains des fournisseurs de French Garden.
Le 16 mai 2018, la société French Garden a assigné la société Castorama France devant le tribunal de commerce de Lille afin d’obtenir réparation de son préjudice sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies et du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Par jugement du 1er octobre 2019, le tribunal de commerce de Lille a :
– Débouté la société French Garden de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– Débouté la société Castorama France de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
– Condamné la société French Garden à payer à la société Castorama France la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société French Garden aux entiers frais et dépens de la première instance, taxés et liquidés à la somme de 73.24 euros en ce qui concerne les frais de greffe,
– Débouté les parties de leurs autres demandes,
– Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration reçue au greffe le 30 octobre 2019, la société French Garden a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions de la société French Garden, déposées et notifiées le 13 juin 2023, il est demandé à la cour d’appel de Paris de :
– Déclarer l’appel formé par la société French Garden recevable et bien fondé ;
– Infirmer le jugement rendu le 1er octobre 2019 par le tribunal de commerce de Lille en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté la société Castorama de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
– Statuer de nouveau,
1/ Juger que la société Castorama a rompu brutalement les relations commerciales établies qu’elle entretenait avec la société French Garden,
2/ Juger que la société French Garden aurait dû bénéficier d’un préavis effectif de 24 mois à compter des notifications des 12 mai 2016 et 8 septembre 2016,
En conséquence,
Condamner la société Castorama à payer à la société French Garden, toutes causes de préjudices confondues, une somme globale de 3.366.122 euros, à parfaire,
3/ Juger que l’obligation de reprise des invendus imposée par la société Castorama a créé un déséquilibre significatif au détriment de la société French Garden,
En conséquence :
Condamner la société Castorama à payer à la société French Garden une somme de 2.312.099,28 euros en indemnisation des invendus entre 2013 et 2017,
4/ Débouter la société Castorama de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
5/ Condamner la société Castorama à payer à la société French Garden la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en sus des dépens de première instance et d’appel dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la SELARL 2H Avocats prise en la personne de Maître Hardouin et ce, conformément aux dispositions de l’article 699 du même code,
6/ Condamner la société Castorama à prendre à sa charge le coût des frais de l’exécution forcée de la décision à intervenir, en ce inclus les droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement (ancien article 10 du décret n°96-1080 du 12 décembre 1996).
Vu les dernières conclusions de la société Castorama France, déposées et notifiées le 9 juin 2023, il est demandé à la cour d’appel de Paris de :
– Sur l’impossibilité d’engager la responsabilité de Castorama sur le fondement de l’article L.442-1 II du code de commerce,
Juger que l’article L. 442-1 II du code de commerce issu de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, qui remplace l’ancien article L. 442-6 I 5° du code de commerce, est immédiatement applicable à la présente instance eu égard à la volonté du législateur, dans un souci impératif d’efficience économique, de remédier aux effets néfastes qui résultent de l’application de l’ancien article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
Juger que ce nouveau texte a plafonné le délai du préavis à 18 mois,
Juger que le doublement du préavis en cas de produits MDD a été supprimé par ce texte,
Juger que Castorama a laissé à French Garden un premier préavis de 12 mois pour les sapins qui a été prolongé à 20 mois pour 40 magasins et un second préavis de 18 mois pour les végétaux,
Juger, en conséquence, que French Garden ne peut pas engager la responsabilité de Castorama en application de l’article L. 442-1 II du code de commerce,
Par conséquent, débouter French Garden ses demandes infondées ;
– Sur l’absence de faute commise par Castorama sur le fondement de l’article L.442-6 I 5° du code de commerce,
Juger que Castorama a notifié à French Garden un préavis de 12 mois pour les sapins, prolongé À 20 mois pour 40 magasins, et un préavis de 18 mois pour les végétaux, réduit à 15 mois par French Garden,
Juger que le préavis laissé par Castorama à French Garden est conforme aux usages en la matière et en particulier tant au code de bonne conduite des pratiques commerciales entre professionnels du jardin qu’à l’accord FMB-UNIBAL,
Juger par conséquent, que Castorama n’a commis aucune rupture brutale à l’égard de French Garden eu égard à la durée du préavis octroyé,
Juger que Castorama a dûment respecté les préavis qu’elle a octroyés à French Garden en maintenant le volume des commandes passées à French Garden, allant même jusqu’à augmenter significativement le montant des achats réalisés auprès de cette dernière pendant les préavis,
Juger que les retards de paiement de Castorama ne sont pas caractérisés,
Juger que l’absence de bons de commande émis par Castorama avant la livraison des produits résulte de la nature spécifique des produits et constitue une pratique suivie par les parties depuis le début de leur relation,
Juger, en toute hypothèse, que l’absence d’émission des bons de commande avant la livraison des produits ne fait pas obstacle à l’émission des factures par French Garden,
Juger par conséquent que Castorama n’a commis aucune faute à l’égard de French Garden,
Juger que French Garden a arrêté brutalement ses relations avec Castorama 3 mois avant la fin du préavis, s’agissant des végétaux, en contradiction totale avec le caractère prétendument insuffisant du préavis,
Par conséquent, confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 1er octobre 2019 en ce qu’il a débouté French Garden de l’ensemble de ses demandes,
– Sur l’absence de faute commise par Castorama sur le fondement de l’article L.442-6 I 2° du code de commerce,
Juger que Castorama n’a jamais imposé à French Garden de reprendre les invendus des magasins Castorama,
Juger que la reprise des invendus par French Garden était réalisée en contrepartie d’une rémunération inclue dans le tarif de ses produits qu’elle appliquait à Castorama,
Juger, par conséquent, que Castorama n’a pas soumis French Garden à des obligations créant un déséquilibre significatif,
Par conséquent, confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 1er octobre 2019 en ce qu’il a débouté French Garden de ses demandes ;
– A titre subsidiaire, sur le rejet des demandes d’indemnisation de French Garden,
Juger que la demande d’indemnisation de French Garden au titre de la rupture des relations commerciales est totalement fantaisiste,
Juger que la demande d’indemnisation de French Garden au titre des coûts de licenciement prétendument supporté par elle est infondée et dénuée de tout caractère sérieux,
Juger que la demande d’indemnisation de French Garden au titre d’un prétendu déséquilibre significatif est totalement infondée,
Par conséquent, confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 1er octobre 2019 en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes de French Garden,
– Sur la procédure abusive,
Juger que French Garden a monté un dossier de toutes pièces, en travestissant les faits et en faisant une présentation trompeuse de la situation à la Cour,
Juger, en conséquence, que le droit d’agir en justice de French Garden a dégénéré en abus,
Par conséquent, infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille le 1er octobre 2019 en ce qu’il a débouté Castorama de ses demandes à ce titre,
Et statuant à nouveau,
Condamner French Garden au paiement à Castorama de la somme de cinquante mille euros (50.000 €) à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– Sur l’article 700 du code de procédure civile,
Juger que le tribunal de commerce de Lille a fait une exacte application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,
Confirmer, en conséquence, le jugement du tribunal de commerce de Lille du 1er octobre 2019 en ce qu’il a condamné French Garden à régler à Castorama la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– En toute hypothèse,
Débouter l’appelante de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner French Garden au paiement à Castorama de la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la présente instance d’appel,
Condamner French Garden aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 juin 2023.
MOTIVATION
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
Sur la loi applicable
Exposé du moyen :
La société Castorama, qui observe que l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 a réduit le délai de préavis, soutient que ces nouvelles dispositions sont applicables dans la mesure où l’article L.442-6 du code de commerce, devenu L.442-1, est d’ordre public (Com. 16 décembre 2014, pourvoi n°13-21363) et que le législateur a souhaité remédier impérativement à l’application prétorienne extensive du texte.
La société French Garden répond qu’aucune disposition ne confère un caractère rétroactif au nouvel article L.442-1. Il a certes pu être jugé que certaines considérations impérieuses d’ordre public justifiaient l’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours, mais aucun lien contractuel n’existait plus au cas présent entre les parties à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance.
Elle ajoute que le présent litige porte sur les effets passés d’une situation juridique antérieurement constituée et que la Cour de cassation et la cour d’appel de Paris ont eu l’occasion à plusieurs reprises de faire application de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce aux ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019.
Réponse de la Cour :
La Cour relève qu’il n’a été prévu aucune disposition de droit transitoire quant à l’application dans le temps de l’article L. 442-1 du code de commerce, créé par l’ordonnance du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autre pratiques prohibées, dont le II alinéa 2 dispose :
“En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois”.
Il convient donc de faire application des règles de droit commun prévues à l’article 2 du code civil, lequel édicte que la loi ne dispose que pour l’avenir, et n’a pas d’effet rétroactif.
La rupture brutale s’analysant dans l’ordre interne comme un fait juridique, ce dernier est soumis au droit applicable au moment où il intervient, soit au moment de la rupture litigieuse.
Il s’en suit que seules les ruptures intervenues à compter du 26 avril 2019 (lendemain de la publication de l’ordonnance au journal officiel) sont soumises aux nouvelles dispositions.
Il est constant qu’au cas présent, les ruptures ont été consommées antérieurement.
Elles restent donc soumises à l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, lequel dispose :
“Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :
(…) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. (‘) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.”
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Exposé du moyen :
Les deux parties s’accordent sur la durée des relations commerciales, qui se sont poursuivies pendant 8 ans ainsi que sur leur caractère établi.
La société French Garden soutient que la société Castorama a rompu brutalement les relations commerciales établies qu’elles entretenaient et que le préavis, insuffisant en l’espèce, aurait dû être de 24 mois.
French Garden prétend, en premier lieu, que Castorama n’a pas tenu compte de la qualification de produits à marque de distributeur pour calculer le préavis. Elle considère que son partenaire sélectionnait les produits qu’elle commandait selon des caractéristiques précises, les étiquetait et les vendait sous sa marque et/ou enseigne.
French Garden demande, en deuxième lieu, qu’il soit mieux tenu compte de sa dépendance économique à l’égard de Castorama, soulignant tout à la fois que la part du chiffre d’affaires réalisé avec la société Castorama était très importante, que le Groupe Kingfisher auquel appartient la société Castorama représente une des plus grandes enseignes du marché français du bricolage/jardinage avec une part de marché prépondérante, et que la perte de chiffre d’affaires de la société French Garden a été de l’ordre de 95,96% en 2018 par rapport à 2017.
Elle fait valoir, en troisième lieu, que les préavis notifiés n’ont pas été respectés du fait des manquements de la société Castorama (retards de paiement et absence d’émission des bons de commandes lors des livraisons indispensables à l’émission de factures), lesquels l’ont mis dans l’impossibilité de poursuivre les relations en raison de la perte de l’assurance-crédit de ses principaux fournisseurs pendant le préavis annoncé. Elle soutient avoir été dans l’impossibilité d’assumer une masse salariale avec le seul chiffre d’affaires réalisé avec les végétaux en raison de la saisonnalité des produits (sapins de Noël), et ce d’autant que certains de ses salariés étaient exclusivement affectés à la vente des produits dans les magasins de la société Castorama. Elle conteste avoir cherché à instaurer un rapport de force, critiquant l’analyse du tribunal à cet égard.
La société Castorama répond qu’elle n’a pas commis de faute sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce. Elle considère que les préavis – de 12 mois, prolongé à 20 mois pour 40 magasins, et de 18 mois – notifiés par écrit à French Garden sont suffisants eu égard à la durée des relations commerciales. Castorama est donc allée au-delà des usages applicables aux professionnels du jardin (lesquels prévoient un préavis de 12 mois pour une relation ayant duré plus de 5 ans, le code de bonne conduite du secteur du bricolage prévoyant par ailleurs un délai de 9 à 12 mois – pièces Castorama n°7 et French Garden n°5).
Castorama fait valoir, ensuite, n’avoir jamais acheté de produits à marque de distributeur à French Garden. Elle ne définissait pas les caractéristiques des sapins ni des végétaux que lui fournissait French Garden (pas de cahier des charges et caractéristiques générales du marché) et ne les commercialisait pas sous une marque dont elle est propriétaire. Les produits fournis par French Garden n’étaient pas vendus par Castorama sous une marque dont elle est propriétaire.
Castorama soutient que les prétendus retards de paiement de Castorama et l’absence de bons de commande de Castorama ne sont pas caractérisés et ne peuvent constituer un manquement de Castorama dans l’exécution du préavis. S’agissant des retards de paiement, les factures invoquées par French Garden n’étant pas échues à la date de relance de French Garden, le retard invoqué n’est qu’un retard dans l’apparition des factures dans le système SAP, nouveau système informatique de Castorama. Trois factures seulement ont présenté un retard de paiement pour un montant total de 11 988, 45 euros sur 730 895, 66 euros sur la période du 13 décembre 2017 au 24 janvier 2018. S’agissant de la prétendue absence d’émission des bons de commande, Castorama ajoute que l’émission des bons de commande après la réception des bons de livraison n’a rien de nouveau, et que ceci recueillait le complet accord de French Garden, ce qu’a souligné le tribunal dans la décision attaquée. Enfin, les cas où le délai d’émission des bons de commande dépasse 30 jours ont été très peu nombreux (9% des factures représentant 6 % du montant total facturé).
Castorama affirme avoir respecté les préavis qu’elle a laissés à French Garden dans la mesure où le chiffre d’affaires qui a été réalisé entre les partenaires pendant le préavis a augmenté du 12 mai 2016 jusqu’au 31 décembre 2017. Elle fait enfin valoir que c’est French Garden qui n’a pas poursuivi le second préavis jusqu’à son terme, l’arrêt des relations ayant selon elle été orchestré par French Garden le 31 décembre 2017 sous le prétexte fallacieux d’une perte de l’assurance-crédit imputable à Castorama.
Réponse de la Cour :
La Cour rappelle que de jurisprudence constante, le délai de préavis suffisant doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l’ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, les relations d’exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
Lorsque la relation porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, un doublement de la durée minimale de préavis est prévu à l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
En premier lieu, s’agissant du caractère suffisant du préavis, la Cour retient, tout d’abord, qu’il est constant que les relations ont duré 8 ans, et que French Garden était, au moment de la rupture, en état de dépendance économique à l’égard de Castorama.
Pour autant, c’est à raison que le tribunal a, dans la décision attaquée, considéré qu’il convenait de prendre par ailleurs en compte la nature de l’activité de la société French Garden – fournir des végétaux sans les produire -, cette dernière étant dans la position d’un négociant qui se fournit pour revendre. Cette entreprise, qui n’a pas fait état de contraintes particulières liées aux engagements qu’elle a pris à l’égard de ses fournisseurs, était donc déliée des contraintes tenant à un outil de production.
La Cour retient, ensuite, qu’il ne ressort pas des pièces fournies que les produits en cause aient été en l’espèce commercialisés sous marque de distributeur. Les caractéristiques décrites dans le courriel du 22 aout 2017 (pièce French Garden n°22) portent sur des éléments descriptifs du produit (nom de l’espèce, taille, dimensions, couleur et contenant) et correspondent, dans leur degré de précision (sapin Nordman de 150/200 et de 175/200 centimètres de hauteur, orchidée 2 tiges + cache pot’), à d’autres produits vendus sur le marché par des concurrents tels que Truffaut, Monceau Fleurs, Leroy Merlin et Botanic (pièces Castorama n°13 à 15). Il ressort en outre des photographies communiquées par French Garden (n°21) que les pancartes apposées par Castorama sur les sapins et végétaux vendus sont des étiquettes rectangulaires jaunes indiquant le prix des produits et le nom de l’espèce, et qu’il n’est mentionnée aucune marque, ni le nom de l’enseigne Castorama.
Dans ces circonstances, la Cour retient que le temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement a utilement été fixée par Castorama, dans ses courriers de rupture du 12 mai 2016 et du 8 septembre 2016, à 12 mois s’agissant des plantes à massif et sapins de Noël et à 18 mois s’agissant des autres végétaux.
Le jugement est confirmé sur ce point.
En second lieu, s’agissant du comportement des parties pendant l’exécution du préavis, il ressort que le chiffre d’affaires HT de French Garden avec Castorama s’est élevé à 4,5 millions d’euros en 2016 et à 4,7 millions d’euros en 2017, alors qu’il n’était que de 3,4 millions d’euros en 2015 et 2 millions d’euros en 2014.
Le tribunal de commerce a par ailleurs considéré de façon pertinente, dans la décision attaquée, que French Garden n’apportait pas la preuve de retards de paiement de la part de Castorama dans une proportion telle qu’ils auraient pu être la cause principale de la perte de son assurance-crédit.
La Cour ajoute qu’il se déduit des débats que le nouveau système informatique (SAP) mis en place par Castorama fin 2016 a connu des difficultés de déploiement, ce qui a compliqué momentanément la procédure de financement “Primerevenue” qui permettait à French Garden de connaitre des paiements anticipés, sans avoir à attendre le délai de 45 jours. Ces changements de process ont par ailleurs obligé les magasins à ne plus réceptionner les produits sans avoir passé de commandes préalables un jour auparavant au moins, si bien que French Garden, qui avait poursuivi la pratique consistant, dans certains cas, à livrer puis émettre des factures en l’absence de bon de commande, a dû formuler des relances spécifiques (Pièce French Garden n°13). Cependant, ces difficultés, dont la nature est très particulière, ne peuvent au cas présent caractériser une absence de maintien de la relation aux conditions antérieures pendant le préavis.
La Cour constate, enfin, qu’il ressort des échanges de courriels relatifs à la non exécution de la totalité du préavis, qu’informé des difficultés concernant l’assureur crédit de French Garden, Castorama s’est enquis du “document dont [l’assureur crédit] aurait besoin de notre part afin de le faire revenir sur sa décision”, ajoutant : “Nous sommes parfaitement en mesure de lui transmettre un courrier afin de confirmer que nos retards de paiement étaient liés à l’installation de SAP mais que ceux-ci sont résolus et que, par conséquent, les campagnes de paiement 2018 ne connaitront pas d’aléa comme en 2017″ (pièce French Garden n°15).
En conséquence, le jugement attaqué est confirmé également en ce qu’il a considéré que Castorama ne pouvait être tenue responsable de l’exécution en partie incomplète du préavis par French Garden.
Sur le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties
Exposé du moyen :
La société French Garden fait valoir que la reprise de l’ensemble des produits invendus en fin d’exercice ou de période de commercialisation saisonnière imposée par la société Castorama a créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties qui n’avaient pas de contrepartie dans le tarif appliqué. Elle sollicite donc l’indemnisation des invendus entre 2013 et 2017, soit une somme de 2.312.099,28 euros (attestation de son expert-comptable pièce n°32).
La société Castorama répond que la société French Garden ne démontre la réunion d’aucune des conditions de l’article L. 442-6 I 2° (devenu L.442-1) du code de commerce. Elle ajoute qu’elle n’a jamais imposé à French Garden de reprendre les invendus de Castorama et que c’est la société French Garden elle-même qui proposait la reprise des invendus, laquelle était réalisée en contrepartie d’une rémunération puisque les tarifs de French Garden tenaient compte de cette prestation. Elle soutient, enfin, que les affirmations péremptoires de l’expert-comptable de l’appelante ne se fondent sur aucune donnée comptable vérifiable.
Réponse de la Cour :
La Cour rappelle que la caractérisation d’un déséquilibre significatif au sens de l’article de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce nécessite de démontrer, d’une part, une soumission ou tentative de soumission de la part de l’une des parties à des obligations et, d’autre part, des obligations créant un déséquilibre significatif entre les parties.
Le tribunal de commerce a à raison, dans la décision attaquée, retenu que French Garden ne prouve pas que la reprise des invendus lui ait été imposée par Castorama.
La Cour ajoute que dans le cadre de la négociation relative aux sapins de Noel 2017, il ressort des échanges versés aux débats que c’est French Garden qui prend l’initiative, pour améliorer son offre, de proposer à Castorama de lui ” accorder une reprise totale au lieu des 10 % des invendus ” (pièce French Garden n°10).
Le jugement attaqué est confirmé.
Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive
Exposé du moyen :
La société Castorama sollicite la condamnation de French Garden au paiement de la somme de 50.000 euros à Castorama pour procédure abusive. Elle estime que c’est la société French Garden qui a rompu brutalement la relation avec Castorama, et fait valoir que son ancien partenaire réclame des sommes exorbitantes en travestissant les faits.
La société French Garden répond ne pas avoir abusé de son droit d’ester en justice. Elle ajoute que la société Castorama ne démontre ni son préjudice ni son quantum.
Réponse de la Cour :
Le droit d’agir en justice de la société French Garden n’a pas, en l’espèce, dégénéré en abus. Aucune intention de nuire est caractérisée.
Sur les autres demandes
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Castorama, intimée, les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits en appel.
La société French Garden sera condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
French Garden, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société French Garden à payer la somme de 5 000 € à la société Castorama par application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société French Garden aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE