Déséquilibre significatif : 27 avril 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/03683
Déséquilibre significatif : 27 avril 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/03683
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27 avril 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
21/03683

N° RG 21/03683 – N° Portalis DBVM-V-B7F-LALC

C4

Minute :

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL FDA AVOCATS

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 27 AVRIL 2023

Appel d’une décision (N° RG )

rendue par le Tribunal de Commerce de Romans sur Isère

en date du 09 juin 2021

suivant déclaration d’appel du 19 août 2021

APPELANTS :

Mme [P] [C] née [U]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

M. [I] [C]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentés par Me Virginie FOURNIER de la SELARL FDA AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et par Me Jérémie BOULAIRE de la SELARL BOULAIRE, avocat au barreau de DOUAI

INTIMÉE :

CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT venant aux droits du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE, immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 379 502 644, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et par Me Fanny DESCLOZEAUX de la SELARL CARBONNIER-LAMAZE-RASLE & Associés, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente de Chambre,

Mme Marie Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 19 janvier 2023, M. Lionel BRUNO, Conseiller, qui a fait rapport assisté de Alice RICHET, Greffière, a entendu les avocats en leurs conclusions, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile. Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour, après prorogation du délibéré.

Faits et procédure :

1. Les époux [C] ont sollicité le concours de la société Crédit Immobilier de France Développement pour financer l’acquisition d’un bien Immobilier. La banque a émis une offre de prêt en date du 24 mai 2011 n°8000148276 d’un montant de 103.295 euros, remboursable, après un différé d’amortissement de 24 mois, en 360 mensualités. Un taux nominal fixe de 4,05% l’an a été prévu pendant le différé d’amortissement, puis, à compter du 10 juillet 2016, début de l’amortissement, un taux variable a été stipulé, correspondant au taux de référence Sport Euribor 12 mois de 2,13’% majoré d’une partie fixe de 1,4 point. Cette offre a indiqué un TEG de 4,455’%, mais n’incluant pas les frais liés à la période de différé d’amortissement. Concomitamment, la banque a émis une offre de prêt PTZ de 13.500 euros, au taux de 0’%. Les époux [C] ont accepté l’offre et les échéances de remboursement ont été honorées normalement.

2. Le 27 avril 2017, les époux ont signé avec la banque un accord de passage à taux fixe. Par la suite, ils ont contacté le Crédit Immobilier de France Développement après avoir constaté, sur rapport d’un expert qu’ils ont mandaté, un calcul d’intérêts non basé sur l’année civile ainsi que l’absence d’un TEG intégrant la période d’anticipation. Le Crédit Immobilier de France Développement leur a confirmé avoir respecté le code de la consommation et avoir calculé correctement le TEG.

3. Les époux [C] ont en conséquence saisi le tribunal de commerce de Romans sur Isère, afin, notamment:

– de constater que les intérêts périodiques du prêt n° 8000148276 ont été calculés sur la base d’une année bancaire de 360 jours, soit sur une base autre que l’année civile’;

– de constater que les frais de la période d’anticipation du prêt n°8000l48276 n’ont pas été intégrés au TEG’;

– de constater l’intégration d’un changement de taux indéterminable au moment de la souscription du prêt n°8000l48276 dans le calcul du TEG’;

– de dire que le taux effectif global du prêt n°8000148276 mentionné dans l’offre de prêt en date du 24 mai 2011 émise par la société Crédit Immobilier de France Développement est erroné’;

– d’ordonner en conséquence la substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel depuis la souscription du contrat initial souscrit par eux’;

– d’enjoindre à la société Crédit Immobilier de France Développement d’établir de nouveaux tableaux d’amortissement tenant compte de la substitution du taux légal au taux conventionnel, depuis la date de souscription du prêt, des éventuels avenants, les échéances restant à courir sur le prêt jusqu’à son terme devant porter intérêts au taux légal année par année, le cas échéant semestre par semestre’;

– de condamner la société Crédit Immobilier de France Développement à restituer le trop-perçu correspondant à l’écart entre les intérêts au taux conventionnel du prêt n°8000148276 et les intérêts au taux légal, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation’;

– de juger que lesdites sommes devront être actualisées au regard des tableaux d’amortissement qui seront établis par la société Crédit Immobilier de France Développement, au taux légal année par année, le cas échéant semestre par semestre, depuis la date de souscription du contrat’;

– subsidiairement, si par impossible la substitution des intérêts légaux aux intérêts conventionnels devait être écartée, de prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts conventionnels du prêt 8000148276′;

– en tout état de cause, de condamner la société Crédit Immobilier de France Développement à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle.

4. Par jugement du 9 juin 2021, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a’:

– rejeté l’action de monsieur et madame [C] à l’encontre du Crédit Immobilier de France Développement comme étant prescrite depuis le 6 juin 2016′;

– débouté monsieur et madame [C] de l’ensemble de leurs demandes’;

– condamné monsieur et madame [C] à payer au Crédit Immobilier de France Développement la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

– rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires’;

– condamné monsieur et madame [C] aux entiers dépens.

5. Monsieur et madame [C] ont interjeté appel de cette décision le 19 août 2021 en toutes ses dispositions, reprises dans leur acte d’appel.

Par ordonnance du 10 novembre 2022, la présidente chargée de la mise en état a déclaré irrecevable la demande du Crédit Immobilier de France Développement tendant à voir prononcer l’irrecevabilité de la demande de monsieur et madame [C] tendant à constater que la liquidation du crédit procède d’une clause abusive et d’en écarter l’application, comme étant nouvelle en cause d’appel.

L’instruction de cette procédure a été clôturée le 5 janvier 2023.

Prétentions et moyens de monsieur et madame [C]’:

6. Selon leurs conclusions remises le 14 avril 2022, ils demandent à la cour, au visa de l’article 1907 du code civil; des articles L. 313-1 et suivants, R. 313-1 et suivants, L. 312-33 du code de la consommation, désormais codifié à l’article L. 341-34 du même code’:

– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté leur action comme étant prescrite depuis le 6 juin 2016′; en ce qu’il a débouté les concluants de l’ensemble de leurs demandes et les a condamnés au paiement de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’; en ce qu’il a rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires’; en ce qu’il a condamné les concluants aux dépens’;

– statuant à nouveau et y ajoutant, de déclarer les demandes des concluants recevables et bien fondées;

– de constater que la liquidation du coût du crédit procède d’une clause abusive et en écarter l’application ;

– de prononcer l’annulation de la stipulation d’intérêts’;

– d’ordonner la substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel consécutive à l’annulation de la clause d’intérêts, depuis la souscription du contrat initial souscrit par les concluants, consécutivement à l’annulation de la stipulation d’intérêts ;

– d’enjoindre au Crédit Immobilier de France Développement d’établir de nouveaux tableaux d’amortissement tenant compte de la substitution du taux légal au taux conventionnel, depuis la date de souscription du prêt, des éventuels avenants, les échéances restant à courir sur le prêt jusqu’à son terme devant porter intérêts au taux légal année par année, le cas échéant semestre par semestre’;

– de condamner Crédit Immobilier de France Développement à restituer aux concluants le trop-perçu correspondant à l’écart entre les intérêts au taux conventionnel du prêt n°PL PH5+ NEW N° 8000148276 et les intérêts au taux légal, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation ;

– d’ordonner que lesdites sommes soient actualisées au regard des tableaux d’amortissement qui seront établis par le Crédit Immobilier de France Développement au taux légal année par année, le cas échéant semestre par semestre, depuis la date de souscription du contrat ;

– en tout état de cause, de prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts conventionnels des prêts souscrits auprès du Crédit Immobilier de France Développement par les concluants’;

– de prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts conventionnels de l’avenant au prêt conclu suivant offre en date du 27 avril 2017 auprès du Crédit Immobilier de France Développement par les concluants’;

– de condamner le Crédit Immobilier de France Développement à payer aux concluants une indemnité pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle ;

– de fixer cette indemnité au montant des intérêts et frais payés par les concluants au titre des prêts souscrits auprès du Crédit Immobilier de France Développement’;

– de condamner le Crédit Immobilier de France Développement à payer aux concluants la somme de 6000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– de rejeter toutes demandes et prétentions contraires du Crédit Immobilier de France Développement’;

– de condamner le Crédit Immobilier de France Développement aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Les appelants exposent’:

7. – concernant la prescription, que l’action qui tend à faire échec à une clause abusive n’est pas soumise à prescription, une telle clause étant réputée non écrite alors que le juge doit, d’office, en écarter l’application ; que cette action ne s’analyse pas en une demande de nullité soumise à la prescription quinquennale’; qu’en l’espèce, si les conditions particulières de l’offre de prêt rédigée par l’intimé aménagent une période d’anticipation de 24 mois, il s’avère qu’une clause des conditions générales stipule que l’on ne tiendra pas compte des sommes dues pendant cette période pour le calcul du TEG et le coût total du crédit’; que cette clause est abusive en raison du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au regard de l’information que doit donner l’organisme de prêt au consommateur, puisqu’elle interdit à ce dernier d’appréhender le surcoût qui peut résulter de la pleine utilisation du préfinancement’; que la part du coût total du crédit que la clause a pour effet d’occulter représente près de 10’% du coût du prêt’;

8. – que si l’intimé soutient que les concluants sont irrecevables à se prévaloir du caractère abusif de cette clause, il ne s’agit pas d’une demande nouvelle en cause d’appel, mais d’un moyen nouveau recevable, tendant aux mêmes fins que celles présentées en première instance visant l’annulation de cette clause et en conséquence la substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel’;

9. – en outre, que le point de départ de la prescription est reporté à la date à laquelle le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’; qu’il s’agit d’un principe de protection de l’effectivité des droits des justiciables et en l’espèce des consommateurs; que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que le régime de prescription est susceptible de systématiquement priver les consommateurs de la possibilité de réclamer la restitution des paiements effectués en vertu des clauses contractuelles contraires aux directives en matière de protection des consommateurs, avant que le contrat en cause prenne fin’; que ce principe commande d’écarter un régime de prescription qui serait basé sur une présomption de connaissance parfaite par le consommateur des irrégularités renfermées dans le contrat, et ce dès la signature de celui-ci’; qu’en l’espèce, les concluants ont légitimement ignoré les faits leur permettant d’agir jusqu’à ce qu’un sachant attire leur attention sur ce point, de sorte que leur action n’est pas prescrite’;

10. – que si l’intimé soutient que le report du point de départ de la prescription aurait pour effet de conférer à celle-ci un caractère potestatif, la loi du 17 juin 2018 portant réforme de la prescription a prévu que le report du point de départ de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de 20 ans à compter de la naissance du droit’; qu’ainsi, la prescription n’est jamais au pouvoir unilatéral de celui qui agit’;

11. – que l’égalité des armes interdit à la banque d’opposer la prescription s’agissant des irrégularités affectant la validité d’un prêt en cours d’exécution, au sens de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme’; que ce principe lié à la notion de procès équitable , implique pour le juge de s’assurer que chacune des parties soit en mesure d’agir et de se défendre dans les mêmes conditions, notamment au regard d’une éventuelle prescription’; que concernant un prêt immobilier, ayant vocation à être exécuté sur une longue période, la banque peut toujours agir contre l’emprunteur pendant la durée du prêt, en bénéficiant à chaque impayé d’un report du délai de prescription’; que réciproquement, cela doit conduire à maintenir, au profit du consommateur, la même possibilité d’agir en justice au titre du même contrat, même s’il a été souscrit plusieurs années auparavant’;

12. – sur le fond, que l’intimé a engagé sa responsabilité pour manquement à son obligation de loyauté dans la formation et l’exécution du contrat, le banquier n’étant pas un professionnel comme les autres, puisque les contrats bancaires sont marqués par un intiutus personae très fort ; ainsi, que la relation contractuelle doit être négociée, formée et exécutée de bonne foi’;

13. – qu’en la cause, le Crédit Immobilier de France Développement a commis un premier manquement en ne pouvant ignorer que la présentation qu’il faisait du TEG et du coût total du crédit devait intégrer les frais de la période d’anticipation’; que selon l’article L313-1 du code de la consommation, le TEG doit inclure l’ensemble des frais de l’opération, dès lors qu’ils peuvent être connus à l’avance, y compris les intérêts intercalaires; qu’en l’espèce, l’offre de prêt prévoyait une période de préfinancement de deux ans, dont les intérêts devaient être nécessairement intégrés au TEG, ce qui n’a pas été le cas ; que si l’intimé soutient que ce coût était impossible à calculer en raison du fait que le coût effectif du préfinancement était indéterminé au jour de l’offre, il suffit que ce coût soit déterminable dans son montant maximum’; que le contrat a prévu que la durée maximale de la période d’anticipation était de 24 mois à compter de l’acceptation de l’offre alors que le taux d’intérêt nominal était de 4,05’% ; qu’ainsi, le coût maximal de la période de préfinancement pouvait être déterminé ; que l’intimé ne peut soutenir que l’intégration de ce coût dans le calcul du TGE aurait eu pour effet de le minorer, puisqu’il s’agit en réalité d’un surcoût du coût du crédit, en allongeant la durée de l’amortissement et en augmentant le montant des primes d’assurances ; que le TEG devait ainsi être calculé sur la totalité de la durée de l’amortissement’; que le taux réel du TEG est ainsi de 5,48’% contre 4,455’% selon l’offre de prêt, en raison d’un surcoût d’intérêts et d’assurance pour 8.366,88 et 991,68 euros, représentant 9,47’% du coût total du crédit, mentionné pour 98.786,96 euros ; qu’il y a eu ainsi violation de l’article L312-8 ancien du code de la consommation, précisant que l’offre doit prévoir le coût total de l’opération’;

14. – que le Crédit Immobilier de France Développement a commis un second manquement en intégrant à l’offre de prêt, pour la liquidation des intérêts conventionnels et pour le calcul du TEG, une variation à la baisse du taux conventionnel initial à la 61e échéance, avec pour effet, là encore, une minoration artificielle du coût total du crédit’; que cette intégration arbitraire

n’a eu pour seul but que de minorer le coût total du crédit en retenant l’hypothèse d’une baisse de taux en cours de prêt; qu’il en est résulté une minoration de 9.965,19 euros’;

15. – que le Crédit Immobilier de France Développement a commis un troisième manquement en aménageant de manière dissimulée un différé d’amortissement d’une durée de 10 ans, particulièrement rémunérateur sur la ligne de prêt à titre onéreux, augmentant ainsi le coût total du crédit, sous couvert du bénéfice d’un autre prêt à taux zéro’; qu’il en est résulte une période de 10 ans pendant laquelle les emprunteurs ne paient quasiment que des intérêts et l’assurance, de sorte que le capital restant dû s’élève encore à 100.593,12 euros pour un capital emprunté de 103.395 euros’; que l’intimé n’a pas attiré l’attention des concluants sur le coût de cette opération’;

16. – que Crédit Immobilier de France Développement a commis un quatrième manquement en occultant le coût de l’assurance des biens objet du financement, alors que l’offre de prêt a prévu une obligation d’assurer ces biens’; que selon la jurisprudence de la Cour de Cassation existant à la date de l’offre de prêt, ces primes devaient être intégrées au TEG, même si la Cour a ensuite reviré ;

17. – que le rapport d’expertise produit par les concluants est probant, alors que c’est à l’intimé d’apporter la preuve contraire des énonciations qu’il développe au sens des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil ; que le juge ne peut refuser d’examiner cette pièce régulièrement produite, et doit la confronter avec les autres éléments ressortant des documents contractuels ;

18. – concernant la sanction de ces manquements, qu’il résulte de l’article L341-48-1 du code de la consommation issu de l’ordonnance du 17 juillet 2019 que le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la portion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par le consommateur’; que l’emprunteur n’est alors tenu que du paiement du capital selon l’échéancier prévu, outre les intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu’; que les sommes perçues au titre des intérêts sont productives de l’intérêt au taux légal à compter du jour de leur versement et restituées à l’emprunteur’; que si la Cour de Cassation a estimé que ces dispositions ne sont pas applicables aux contrats de crédit conclus avant son entrée en vigueur, cela ne modifie pas le pouvoir du juge de tenir compte du préjudice subi par l’emprunteur’;

19. – qu’en l’espèce, il convient ainsi d’annuler la stipulation d’intérêts, formant un tout indivisible avec la clause abusive concernant la détermination du TEG’; subsidiairement, que l’intimée doit être déchue du droit aux intérêts’; qu’il en résulte l’obligation de restituer les intérêts et frais payés.

Prétentions et moyens du Crédit Immobilier de France Développement’:

20. Selon ses conclusions remises le 7 décembre 2022, il demande à la cour, au visa des articles 6, 9, 122 et 564 du code de procédure civile, des articles 1353 et 1907 du code civil, des articles L.312-8, L.312-33, L313-1 et L313-2 du code de la consommation, de l’article L.110-4 du code de commerce, dans leur rédaction applicable au moment des faits, de l’ordonnance n°2019-740 en date du 17 juillet 2019′:

– de juger que la demande des époux [C] tendant à voir constater que la liquidation du crédit procède d’une clause abusive et d’en écarter l’application est nouvelle en cause d’appel et est donc irrecevable ;

– de juger que l’action des époux [C] en nullité de la clause d’intérêts contractuels est prescrite ;

– de juger que l’action des époux [C] en déchéance totale du droit du concluant de percevoir les intérêts contractuels est prescrite ;

– de juger que les époux [C] ne rapportent pas la preuve d’une erreur de calcul du TEG mentionné dans l’offre de prêt supérieure à la décimale ;

– de juger que le coût de la période de préfinancement était indéterminé au moment de l’émission de l’offre de prêt ;

– de juger que le concluant était parfaitement fondé à tenir compte du taux d’intérêt révisé pour calculer le TEG ;

– de juger que le concluant a intégré dans le calcul des TEG le coût de l’ensemble des frais connus et déterminables effectivement supportés par l’emprunteur et ayant conditionné l’octroi des deux offres de prêt ;

– de juger que le calcul du TEG mentionné dans l’offre de prêt n’est pas erroné ;

– de juger que le coût total du crédit des deux offres de prêt est exact ;

– de juger que l’amortissement du prêt est exact’;

– en toute hypothèse, de juger que la seule sanction que pourrait encourir l’offre de prêt émise par le concluant serait la déchéance du droit aux intérêts contractuels du prêteur qui est une sanction laissée à l’appréciation des juges du fond ;

– de juger que les époux [C] exécutent le contrat de prêt de mauvaise foi et qu’ils ne justifient pas d’un préjudice ;

– en conséquence, de déclarer les époux [C] irrecevables en leurs nouvelles demandes en appel et les en débouter’;

– de confirmer le jugement entrepris en toute ses dispositions’;

– de déclarer les époux [C] irrecevables à agir’;

– de débouter les époux [C] de l’ensemble de leurs prétentions’;

– de condamner solidairement les époux [C] à payer au concluant la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens’;

– si, par impossible, la cour devait considérer que les demandes des époux [C] ne sont pas prescrites, de juger que les échéances à venir seront assorties du taux d’intérêt légal applicable au jour de leur règlement et qu’une éventuelle compensation ne jouera qu’au jour du paiement de la dernière échéance de remboursement.

Le Crédit Immobilier de France Développement indique’:

21. – s’agissant de la demande nouvelle des appelants concernant l’existence d’une clause abusive, que le conseiller de la mise en état a indiqué, dans son ordonnance du 10 novembre 2022, que seule la cour est compétente pour connaître des fins de non-recevoir tirées de l’article 564 du code de procédure civile, ce qui a entraîné le rejet de l’incident formé par le concluant’;

22. – que l’effet dévolutif de l’appel interdit à ce qu’une question, non débattue en première instance, puisse être déférée pour la première fois à la juridiction d’appel’; qu’une prétention est nouvelle lorsqu’elle diffère de la prétention originaire par son objet’; qu’il en est ainsi lorsqu’elle a pour effet de transformer complètement les données du litige fixées en première instance’;

23. – qu’en l’espèce, monsieur et madame [C] ont sollicité en première instance la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels à titre principal, et la déchéance du droit aux intérêts conventionnels à titre subsidiaire, au motif que le TEG et la base de calcul des intérêts seraient erronés’; qu’ils n’ont formé aucune demande tendant à voir écarter une clause au motif qu’elle serait abusive’; qu’ils tentent ainsi de détourner l’objet même de l’appel en soumettant cette prétention nouvelle’;

24. – s’agissant de la prescription de l’action de monsieur et madame [C], que le tribunal a exactement retenu cette prescription depuis le 6 juin 2016′; que si les appelants se fondent sur un arrêt de la Cour de justice, cet arrêt concerne une prescription de trois ans dans le cadre d’une législation étrangère’; qu’il est également relatif à la violation d’une obligation précontractuelle qui n’était pas sanctionnée par la nullité du contrat de crédit, ainsi sans application à la présence espèce’; qu’un second arrêt concerne une prescription de deux ans dans le droit slovaque en matière d’enrichissement sans cause’;

25. – que si les appelants soutiennent que leur action est imprescriptible car fondée sur une clause abusive, cette action ne tend pas à déclarer cette clause non écrite, mais tend à voir constater la nullité de la clause d’intérêts contractuels ou la déchéance du droit à ces intérêts’; que les appelants ne peuvent ainsi se prévaloir du régime de prescription fondé sur les clauses abusives’;

26. – qu’en matière d’action en nullité de la stipulation d’un intérêt conventionnel résultant d’une erreur affectant le TEG, le point de départ de la prescription est la date de la convention lorsque l’examen de sa teneur permet de constater l’erreur, ou lorsque tel n’est pas le cas, la date de sa révélation à l’emprunteur’; qu’en l’espèce, l’offre de prêt du 24 mai 2011 a été réceptionnée par les appelants le 26 mai 2011 et a été acceptée le 6 juin 2011′; qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la qualité d’emprunteur profane de sorte que le point de départ de la prescription ne peut être fixé à la date de l’expertise diligentée par les emprunteurs; que l’absence de prise en compte des frais liés à la période d’anticipation était décelable à la simple lecture de l’offre rédigée dans des termes compréhensibles’; que d’ailleurs, les appelants ont communiqué à leur expert les seuls éléments contractuels afin qu’il puisse se déterminer; que statuer autrement porterait atteinte au principe de sécurité juridique, et ferait dépendre le cours de la prescription de la seule volonté des emprunteurs’;

27. – que l’action en déchéance du droit aux intérêts est également prescrite, puisque selon une jurisprudence constante, cette action est soumise aux dispositions de l’article L110-4 du code de commerce, avec une réduction du délai de prescription à cinq ans depuis la loi du 17 juin 2008, dont les dispositions transitoires prévoient que toutes les actions dont le point de départ serait fixé antérieurement à son entrée en vigueur seront prescrites au plus tard le 19 juin 2013′; que le point de départ de cette action est la date de signature du contrat, ce qu’a rappelé l’arrêt de la première chambre civile de la cour d’appel de Grenoble du 3 décembre 2019; que même si c’est la date de connaissance de l’erreur alléguée qui doit être retenue, la solution est identique’;

28. – sur le fond, que les appelants ont renoncé à leur prétention concernant la période de calcul des intérêts sur 360 jours’;

29. – que s’agissant de l’omission du coût de la période de préfinancement, que l’expert des appelants se contente d’alléguer une erreur du TEG sans exposer aucun calcul permettant de vérifier ses allégations’; qu’ainsi, les appelants ne rapportent pas la preuve de leur prétention’;

30. – que le concluant n’avait pas l’obligation légale d’intégrer les frais liés à la période d’anticipation dans le calcul du TEG, puisque l’article L313-1 du code de la consommation alors applicable ne prévoit que l’intégration aux intérêts des frais, commissions ou rémunérations directs ou indirects’; qu’il indique que les charges liées aux garanties dont les crédits sont éventuellement assortis ainsi que les honoraires d’officiers ministériels ne sont pas compris dans le taux effectif global défini ci-dessus, lorsque leur montant ne peut être indiqué avec précision antérieurement à la conclusion définitive du contrat’; qu’il apparaît qu’en la cause, le coût de la période d’anticipation était parfaitement indéterminable, au sens de cet article au moment de l’émission de l’offre de prêt puisque son coût est calculé sur sa

durée effective et sur le montant des fonds débloqués sur appel des emprunteurs par la banque’; que contrairement à ce que tentent de faire croire les appelants, le seul fait que l’offre de prêt prévoit le coût de la période de préfinancement et sa durée maximale ne permet pas de déterminer avec précision quelle sera sa durée exacte au moment du calcul du TEG’; que l’intégration dans le TEG du coût de la période d’anticipation n’a pas pour effet de l’augmenter, mais au contraire de le diminuer artificiellement, en raison d’une période d’amortissement du prêt plus longue in fine; que la méthode de calcul des appelants est ainsi fausse’;

31. – concernant la variation du taux d’intérêt dans le calcul du TEG, que l’alinéa 1er de l’article R.313-1 du code de la consommation, dans sa version applicable à l’espèce, dispose que le calcul du taux effectif global repose sur l’hypothèse que le contrat de crédit restera valable pendant la durée convenue et que le prêteur et l’emprunteur rempliront leurs obligations selon les conditions et dans les délais précisés dans le contrat de crédit’; qu’en l’espèce, l’offre de prêt en date du 24 mai 2011 prévoit que le taux d’intérêt fixe est de 4,05% puis à compter du 10 juillet 2016, il devient un taux variable’; que le coût total du crédit a prévu que le TEG est calculé selon le taux d’intérêt fixe, puis en tenant compte du taux variable’; que l’offre de prêt est ainsi régulière’;

32. – concernant les frais d’assurance incendie, qu’il résulte de l’article L313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige, que seuls les frais obligatoires à l’octroi du prêt dont le coût est déterminable au moment de l’émission de l’offre doivent être intégrés au TEG’; que l’assurance incendie ne conditionne pas l’octroi du prêt, mais ne concerne que son exigibilité éventuelle’;

33. – s’agissant d’une prétendue dissimulation d’un différé d’amortissement de 10 ans, retirée du tableau d’amortissement initial, que le montant du capital restant dû pour l’échéance du 10 octobre 2021 n’est plus valable, puisqu’il a été établi selon le taux d’intérêt initial de 4,05’% ; que depuis le 25 mai 2017, les appelants bénéficient d’un taux fixe de 2,91’%, ce qui a modifié l’amortissement’; qu’en outre, aucune dissimulation ne peut être reprochée puisque les emprunteurs étaient informés des modalités d’amortissement’;

34. – en tout état de cause, que les dispositions spéciales du code de la consommation dérogent aux règles générales’; que l’article L312-22 de ce code ne prévoit qu’une possibilité de déchéance du droit aux intérêts, le juge conservant son pouvoir d’appréciation, ce qui a été pris dans l’ordonnance du 17 juillet 2019′; qu’ainsi, l’action visant l’annulation de la clause d’intérêts conventionnels n’est pas recevable; qu’il convient d’apprécier le préjudice subi par les emprunteurs et non la gravité du manquement; qu’en l’espèce, les appelants ne démontrent pas qu’ils auraient pu bénéficier d’une offre de prêt moins onéreuse’; que la décision de la Cour de Cassation concernant l’application dans le temps de l’ordonnance du 17 juillet 2019 ne concerne que la déchéance du droit aux intérêts en cas d’omission ou d’erreur dans le calcul du TEG, ce qui n’est pas le cas de l’espèce’;

35. – que la demande de paiement de dommages et intérêts est mal fondée, les appelants ne rapportant pas la preuve du manquement du concluant à son obligation de loyauté.

*****

36. Il convient en application de l’article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION’:

1) Sur la recevabilité des demandes des appelants au titre de l’existence d’une clause abusive’:

37. Ainsi qu’énoncé par le conseiller de la mise en état, il appartient à la cour d’examiner la demande d’irrecevabilité formée par l’intimée, touchant à l’effet dévolutif de l’appel. La cour constate ainsi que devant le tribunal de commerce, les appelants n’ont pas fondé leur action sur l’existence d’une clause abusive, mais sur des erreurs concernant le calcul du TEG. Leurs demandes étaient cependant identiques à celles formées devant la cour, à savoir une substitution du taux d’intérêt conventionnel par le taux légal, sinon la déchéance du droit aux intérêts conventionnels, la restitution des intérêts perçus et le paiement de dommages et intérêts. L’invocation de l’existence d’une clause abusive est une demande nouvelle devant la cour, mais cette demande tendant aux mêmes fins que celle développée devant le tribunal est recevable au sens de l’article 565 du code de procédure civile. Cette exception de l’intimée sera ainsi rejetée.

2) Concernant la prescription’:

38. Le tribunal de commerce a énoncé que selon les dispositions des articles 1304 (ancien) du code civil, L110-4 du code de commerce et L313-2 du code de la consommation, dans tous les cas ou l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans’; qu’en cas d’octroi d’un crédit à un consommateur ou à un non professionnel, la prescription de l’action en nullité de la stipulation d’intérêt engagée par celui-ci en raison d’une erreur affectant le taux effectif global court à compter du jour ou l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur, ou lorsque tel n’est pas le cas, la date de révélation de celle-ci à l’emprunteur ; qu’ainsi le point de départ de la prescription est la date de la convention lorsque l’examen de sa teneur permet de constater l’erreur, ou lorsque tel n’est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l ’emprunteur.

39. Le tribunal a constaté que les époux [C] se fondent sur un rapport d’expertise sur l’emprunt en date du 27 février 2020, qu’ils ont eux même demandé, pour soutenir que le taux effectif global fixé à 4,455% dans le contrat de prêt est en réalité de 5,48%, du fait de la non prise en compte du coût de la période d’anticipation et de l’intégration d’un changement de taux (indéterminable à la date de souscription) dans son calcul, mais que cependant, au vu des pièces versées et notamment le contrat de prêt, les époux [C] pouvaient se rendre compte facilement que le TEG Global ne prenait pas en compte les différents taux puisqu’il est rédigé ainsi’: «le coût total du crédit et le taux effectif global ‘ ont été calculés sur une durée de 360 mois en tenant compte, d’une part, du taux nominal initial pour la période d’application de ce taux et, d’autre part, du taux d’intérêt révisé qui serait applicable à l’issue de cette période et pour la durée résiduelle, sur la base du taux de référence SPOT EURIBOR 12 MOIS de 2,13%’». Ce taux de référence correspond à celui qui aurait été retenu en supposant une révision du taux à la date de la présente offre. ”.

40. Le tribunal a retenu également qu’il ressort clairement, à la lecture du contrat de prêt, que les coûts de la période d’anticipation ne sont pas inclus dans le calcul du TEG puisqu’il est indiqué, dans le coût total du crédit, que les intérêts sont calculés hors anticipation et, dans les conditions particulières, que «’Le TEG est calculé en supposant le prêt débloqué en totalité dès l’origine et (…) sur la base de la durée initiale du prêt… il ne tient pas compte des sommes dues pendant la période d’anticipation et des assurances facultatives’».

41. Le tribunal en a retiré que dès la lecture de l’offre de prêt, les époux [C] pouvaient constater que le TEG ne prenait pas en compte les coûts de la période d’anticipation et que de ce fait, il ne s’agissait pas d’un taux global. Il a ainsi fixé le point de départ de la prescription à la date où les époux [C] ont signé l’offre de prêt et donné leur consentement soit le 6 juin 2011, de sorte que les demandes en nullité de la stipulation d’intérêt et en déchéance des intérêts contractuels formées par l’assignation en date du 19 mai 2020, soit plus de 5 ans après la date du début de la prescription, sont irrecevables car prescrites.

42. S’agissant d’une action fondée sur une erreur résultant du calcul du TEG, la cour ne peut que confirmer la motivation développée par le tribunal de commerce. Selon la page 5 du contrat, «’ pendant la période d’anticipation, l’emprunteur bénéficie d’un différé de paiement des intérêts et de remboursement du capital. Seules sont dues, chaque mois, la ou les primes d’assurance. Les intérêts produits durant la période d’anticipation seront calculés au taux indiqué ci-dessus. A l’issue de la période d’anticipation, le capital du prêt à rembourser par l’emprunteur est actualisé pour être égal au capital emprunté majoré des intérêts intercalaires et d’anticipation dont le paiement a été différé’: ces intérêts seront ainsi payés par l’emprunteur sur la totalité de la période d’amortissement’».

43. Or, le contrat de prêt litigieux a exclu, en page 9, du calcul du TEG, les sommes dues pendant la période d’anticipation, alors qu’une telle période a été stipulée pour 24 mois et que les intérêts intercalaires sont, à l’issue, ajoutés au capital, pour être payés sur la totalité de la période d’amortissement. Il en résulte que le calcul du TEG, initialement fixé à 4,455’% (taux nominal’: 4,05%) s’en est trouvé faussé, puisqu’à l’issue de la période d’anticipation, le capital à rembourser n’est plus de 103.295 euros, mais de cette somme à laquelle est ajouté le montant des intérêts intercalaires, afin que le tout soit réglé sur la totalité de la période d’amortissement, avec l’application du TEG. A cet égard, le tableau d’amortissement inclus à titre indicatif dans l’offre de prêt ne correspond pas aux stipulations développées ci-dessus,’puisqu’il n’est pas tenu compte de la période de différé d’amortissement.

44. L’analyse de ce contrat permettait aux emprunteurs, bénéficiant d’un délai légal de 11 jours suivant la réception de l’offre de prêt, ce que le contrat a rappelé en dernière page, de vérifier les conditions de ce prêt et les conditions de calcul du TEG. D’ailleurs, l’analyse qu’ils produisent à titre «’d’expertise’» n’est fondée que sur le contrat de prêt, et non sur d’autres pièces. C’est ainsi à la date de la signature de l’offre de prêt le 6 juin 2011 que le délai de la prescription a commencé à courir comme retenu par les premiers juges. Sur le fondement du droit commun, l’action des appelants est effectivement irrecevable.

45. S’agissant du calcul de la prescription en matière de clause abusive, il résulte de l’article L212-1 du code de la consommation que le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.

46. Cependant, la sanction attachée à l’existence d’une clause abusive n’est pas sa nullité. Cette clause est seulement réputée non écrite. Il en résulte que ‘la demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite, qui ne s’analyse pas en une demande d’annulation, n’est pas soumise à la prescription (en ce sens’: ‘Com.’8 avr. 2021,’n°19-17.997). D’autre part, l’article 6, § 1, et l’article 7, § 1, de la Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la

lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription (‘CJUE’10 juin 2021,’n°’C-776/19). Il s’en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la consommation n’est pas soumise à la prescription quinquennale de l’article L.110-1 du code de la consommation (en ce sens’: Civ. 1re,’30 mars 2022,’n°’19-17.99).

47. La cour ajoute enfin que selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, il appartient au juge national d’assurer l’effectivité des directives prises par l’Union en matière de clauses abusives, et qu’ainsi, le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (CJCE’4 juin 2009,’n°’C-243/08).

48. En conséquence, l’action des époux [C] est recevable sur le fondement de l’existence d’une clause abusive, même si elle a été intentée plus de cinq ans suivant la signature du contrat de prêt litigieux. Le tribunal de commerce n’a pu ainsi rejeter leur action comme étant prescrite. Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.

3) Sur le fond :

49. Concernant en premier lieu le problème lié à l’existence d’une période de préfinancement, il a été démontré plus haut le schéma contractuel utilisé par l’intimée concernant le calcul du TEG, avec la difficulté résultant de l’exclusion des effets de la période de différé d’amortissement, qualifiée de «’période d’anticipation’».

50. L’offre de prêt n’a pas concerné l’acquisition d’un logement dans des conditions classiques, mais l’acquisition d’une maison avec la réalisation de travaux, lesquels ont été estimés dans l’offre à 5.000 euros, pour un logement acquis au prix de 130.000 euros. Cette particularité explique l’existence de la période d’anticipation, destinées à différer le paiement des intérêts et le remboursement du capital, le temps de la réalisation des travaux. De ce fait, comme soutenu par l’intimée, le montant du prêt ne pouvait être débloqué immédiatement, et le coût de la période d’anticipation était inconnu à la date de l’offre de prêt et de son acceptation. Les pages 7 et 8 de l’offre prévoient en effet que la réalisation du prêt ne pourra être effectuée, notamment, que sur justification de ce que les travaux peuvent être régulièrement entrepris, alors que les fonds seront versés à mesure de l’exécution de l’opération. Ainsi, un délai de six mois maximum a été prévu concernant la première demande de déblocage du prêt.

51. L’exclusion de la période d’anticipation du calcul du TEG trouve sa justification dans la spécificité de ce prêt. Le coût de cette période étant inconnu lors de l’acceptation de l’offre, puisqu’il dépendait de la mise à exécution des travaux incombant aux emprunteurs, ne pouvait ainsi être intégré dans le calcul du TEG. Ceci explique que le tableau d’amortissement figurant dans l’offre de prêt n’a été mentionné qu’à titre indicatif, sans tenir compte de la période d’anticipation.

52. S’il résulte de l’article L313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la date de l’émission de l’offre de prêt que, dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de

quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels, et que pour les prêts qui font l’objet d’un amortissement échelonné, le taux effectif global doit être calculé en tenant compte des modalités de l’amortissement de la créance, ce que reprend l’article L314-2 actuel, en l’espèce, les modalités de l’amortissement de la créance ne pouvaient être calculées lors de l’offre de prêt, puisque le coût de la période d’anticipation était inconnue du prêteur, dépendant de l’action des emprunteurs. Ces articles ne prévoient pas dans un tel cas qu’il incombe au prêteur de tenir compte de la durée maximale de la période d’anticipation, puisque cela reviendra à fausser le calcul du TEG, dès lors que la totalité de cette période n’est pas utilisée.

53. Il en résulte que l’exclusion du calcul du TEG des effets de la période d’anticipation n’a pas créé, au préjudice des appelants, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, ne permettant pas à ces consommateurs (il s’agit d’un prêt immobilier destiné à l’acquisition de l’habitation des époux [C], éligibles en outre à un prêt à taux 0) d’apprécier le taux réel du TEG, ainsi que le montant réel du coût de leur acquisition, puisque ces montants dépendaient de l’engagement des travaux, obligation leur incombant.

54. Concernant le grief des appelants reposant sur l’intégration, dans le calcul du TEG, de la variation à la hausse du taux conventionnel à la 61ième échéance, ainsi que soutenu par l’intimée, le calcul du TEG prévu par l’article R313-1( ancien) du code de la consommation repose sur l’hypothèse que le contrat restera valable pendant la durée convenue. En l’espèce, il a été stipulé initialement un taux fixe de 4,05’%, puis, à compter du 10 juillet 2016, un taux variable, calculé sur l’indice Spot Euribor 12 mois, majoré de 1,4 points. Le tableau d’amortissement communiqué à la demande des emprunteurs le 16 janvier 2019 indique d’ailleurs que suite au passage du taux fixe vers ce taux variable, le taux des intérêts est passé de 4,05’% à 1,38’%, ainsi au bénéfice des emprunteurs, ce qui leur a permis, tout en réduisant le montant des mensualités de remboursement, d’amortir plus rapidement le capital, le montant des intérêts étant réduits par trois. Le montant de la variation du taux d’intérêt à partir du mois de juillet 2016 ne pouvant être connu à l’avance, il en résulte que l’intimée ne pouvait l’inclure dans le calcul du TEG figurant dans l’offre de prêt.

55. Concernant un prétendu différé d’amortissement sur une période de 10 ans occulté par l’intimée aux emprunteurs, la cour ne trouve pas, à la lecture des pièces, l’existence d’un tel différé. Il résulte au contraire des différents tableaux d’amortissement, et notamment de celui adressé le 16 janvier 2019, qu’un amortissement du capital a été réalisé pendant cette période. Il a seulement été stipulé, dans l’offre de prêt, des périodes différentes concernant l’amortissement’: progression des échéances à partir de l’échéance n°121, puis dégressivité à partir de l’échéance n° 277 et enfin nouvelle progression à partir de l’échéance n°301. Il s’agit en effet d’un prêt modulable.

56. Concernant enfin une prétendue dissimulation du coût d’une assurance couvrant le bien financé, si la page 13 de l’offre de prêt a prévu que l’immeuble financé devra être assuré contre les risques d’incendie, d’explosion, de chutes d’aéronefs, de dégât des eaux, de recours des voisins et de catastrophes naturelles, il ne s’agit pas d’une condition subordonnant la conclusion du prêt. Le montant des primes d’assurances n’avait pas ainsi à être inclus dans le calcul du TEG au sens de l’article L313-1 (ancien) du code de la consommation.

57. Il résulte de ces éléments d’une part qu’aucune clause abusive n’a été stipulée dans l’offre de prêt, alors que d’autre part, l’intimée n’a pas manqué à son obligation de loyauté dans la formation et l’exécution du contrat. La cour note que selon le tableau d’amortissement édité en 2019, le montant du taux d’intérêt a toujours varié à la baisse, au profit des appelants. En conséquence, le jugement déféré ne peut qu’être confirmé en ce qu’il a débouté les appelants de l’ensemble de leurs demandes, en ce qu’il les a condamnés au paiement des frais irrépétibles et des dépens.

58. Succombant en leur appel, monsieur et madame [C] seront condamnés solidairement à payer à l’intimée la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l’article 565 du code de procédure civile, les articles L212-1, L313-1 et suivants du code de la consommation (ancien), les articles 2224 et suivants du code civil, l’article L110-4 du code de commerce’;

Déboute le Crédit Immobilier de France Développement de sa demande visant à déclarer irrecevable la demande des époux [C] tendant à voir constater que la liquidation du crédit procède d’une clause abusive en cause d’appel’;

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a rejeté l’action de monsieur et madame [C] à l’encontre du Crédit Immobilier de France Développement comme étant prescrite depuis le 6 juin 2016′;

statuant à nouveau’;

Déclare l’action de monsieur et madame [C] fondée sur l’existence d’une clause abusive dans la détermination du TEG recevable, mais mal fondée’;

Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions soumises à la cour;

y ajoutant’;

Condamne solidairement monsieur et madame [C] à payer au Crédit Immobilier de France Développement la somme de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile’;

Condamne solidairement monsieur et madame [C] aux dépens;

Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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