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27 avril 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
20/01614
COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 27 Avril 2023
N° RG 20/01614 – N° Portalis DBVY-V-B7E-GSVT
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ANNECY en date du 10 Décembre 2020, RG 17/00154
Appelants
M. [P] [O]
né le 02 Septembre 1954 à [Localité 5] ([Localité 5]),
et
Mme [X] [B] [J] épouse [O]
née le 20 Septembre 1965 à SUISSE,
demeurant ensemble [Adresse 4] – SUISSE
Représentés par Me Delphine OTTONE, avocat postulant au barreau d’ANNECY et Me Arnaud METAYER-MATHIEU, avocat plaidant au barreau de PARIS
Intimés
M. [Y] [U], demeurant [Adresse 3]
SARL 2L GESTION ET PATRIMOINE dont le siège social est sis [Adresse 1] prise en la personne de son représentant légal
Représentés par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL ARMA, avocat plaidant au barreau de PARIS
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAV OIE,ss [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Hélène ROTHERA, avocat au barreau d’ANNECY
-=-=-=-=-=-=-=-=-
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 07 février 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Dans le cadre d’une opération d’investissement financier, Monsieur [P] [O] et Madame [X] [J] son épouse ont acquis en l’état futur d’achèvement deux appartements situés à [Localité 6] (Haut-Rhin) et à [Localité 7] (Vaucluse) lesquels ont été financés au moyen de deux concours in fine consentis par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie les 3 et 8 novembre 2006 soit :
un prêt n°026867401 d’un montant de 167 718 euros (soit la contre-valeur en euros de la somme de 265 514,37 CHF), remboursable sur une durée de 120 mois, au taux d’intérêt annuel révisable de 2,685%,
un prêt n°027697201 d’un montant de 144 176 euros (soit la contre-valeur en euros de la somme de 230 263,49 CHF), remboursable sur une durée de 120 mois, au taux d’intérêt annuel variable de 2,64%.
En garantie de ces concours, les époux [O] ont consenti, par acte sous seing privé du 8 novembre 2006, le nantissement d’un compte-titres et d’un compte-espèces, à concurrence de la somme de 311 894 euros, leurs économies ont été placées sur ces supports lesquels étaient en outre abondés périodiquement en vue de solder les deux prêts à l’échéance finale.
Considérant toutefois que plusieurs fautes avaient été commises à leur encontre, tant en ce qui concerne le montage financier que la valeur réelle des biens acquis, les époux [O] ont fait assigner en responsabilité, par exploit du 18 janvier 2017, la Sarl 2L Gestion et Patrimoine ainsi que son dirigeant, Monsieur [Y] [U], devant le tribunal de grande instance d’Annecy afin de les voir condamner, à titre principal, à leur verser la somme de 210 000 euros au titre de leurs préjudices matériel et moral.
Par acte du 28 avril 2017, Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine ont fait assigner en intervention forcée la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie afin d’être garantis des éventuelles condamnations susceptibles d’être prononcées à leur encontre.
Les procédures ont été jointes par décision du juge de la mise en état. En cours d’instance, les concours n°026867401 et 027697201 étant arrivés à terme, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a alors sollicité la condamnation des emprunteurs à lui régler les échéances finales demeurées impayées.
Par jugement contradictoire du 10 décembre 2020, le tribunal judiciaire d’Annecy a :
– déclaré irrecevable l’action des époux [O] à l’encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie,
– déclaré irrecevable l’action des époux [O] formée à l’encontre de Sarl 2L Gestion et Patrimoine et de Monsieur [U],
– condamné solidairement les époux [O] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 252 552,50 euros au titre du prêt immobilier n°026867401, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 juillet 2017 et jusqu’à parfait paiement,
– condamné solidairement les époux [O] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 95 724,86 euros au titre du prêt immobilier n°027697201, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 juillet 2017 et jusqu’à parfait paiement,
– rejeté la demande de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie formée à l’encontre des époux [O] à lui payer l’ensemble des frais exposés pour procéder à l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire et à la dénonciation de cet acte,
– débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de sa demande de dommages et intérêts dirigée à l’encontre des époux [O],
– condamné les époux [O] à payer à la Sarl Gestion et Patrimoine et à Monsieur [U] respectivement (à chacun) la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum les époux [O] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté la demande des époux [O] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum les époux [O] aux entiers dépens,
– autorisé Maître [L] à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– rejeté la demande d’exécution provisoire formée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie.
Par acte du 29 décembre 2020, les époux [O] ont interjeté appel de la décision.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 20 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les époux [O] demandent à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
déclaré irrecevable leur action à l’encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, de la Sarl 2L Gestion et Patrimoine et de Monsieur [U],
condamné solidairement les époux [O] au paiement de la somme de 252 552,50 euros au titre du prêt n°026867401,
condamné solidairement les époux [O] au paiement de la somme de 252 552,50 euros au titre du prêt n°027697201,
condamné les époux [O] au paiement de la somme totale de 3 000 euros au titre de l’article 700, outre les dépens,
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
rejeté la demande de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie visant à leur faire payer les frais d’inscription d’hypothèque judiciaire,
débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau,
Concernant Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine
– juger qu’ils ont agi en qualité de CIF, sinon de CGP,
– juger qu’ils ont manqué à leurs obligations d’information,
– juger qu’ils n’ont pas respecté les obligations légales et réglementaires qui s’imposaient à eux en leur qualité de CIF, sinon de CGP,
– juger en conséquence que les époux [O] ont ainsi perdu une chance de ne pas réaliser l’investissement proposé par Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine,
En conséquence,
– condamner in solidum Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine à leur payer la somme de 227 160 euros au titre de leur préjudice matériel,
– condamner in solidum Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine à leur payer la somme 10 000 euros au titre de leur préjudice moral,
Concernant la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie
– déclarer abusives les clauses du prêt prévoyant un remboursement en franc suisse et un risque de change à la charge exclusive de l’emprunteur,
– juger en conséquence que ces clauses leur sont inopposables,
– juger qu’ils ne sont débiteurs au titre des prêts litigieux que du capital emprunté en euros à savoir 167 718 euros et 144 176 euros,
– enjoindre en conséquence sous astreinte de 500 euros par jour de retard à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de produire l’historique des versements effectués par eux depuis l’origine des prêts,
– condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à rembourser la différence entre la somme totale versée par eux depuis l’origine de chacun de prêt et le capital emprunté de 167 718 euros et 144 176 euros,
– juger subsidiairement que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manqué à son obligation d’information et de mise en garde,
En conséquence,
– condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur verser, en deniers et quittance, la somme de 148 564 euros au titre de la perte de change,
– juger que sur ce montant la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine sont tenus in solidum,
– débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de toutes ses demandes reconventionnelles,
– fixer sinon la créance de la banque à la somme en principal de 182 278 euros,
– débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de sa demande au titre de l’indemnité de remboursement,
– réduire subsidiairement le montant de la clause pénale à un euro,
Concernant tous les défendeurs
– condamner in solidum Monsieur [U], la Sarl 2L Gestion et Patrimoine et la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner in solidum Monsieur [U], la Sarl 2L Gestion et Patrimoine et la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie aux entiers dépens.
En réplique, dans leurs conclusions adressées par voie électronique le 3 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Sarl 2L Gestion et Patrimoine et Monsieur [U] demandent à la cour de :
A titre principal, au visa des articles 122 du code de procédure civile et 2224 du code civil,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’action formée par les époux [O] irrecevable car prescrite,
– débouter en conséquence les époux [O] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à leur encontre,
A titre subsidiaire,
– juger que l’action exercée par les époux [O] est irrecevable à l’égard de Monsieur [U] au visa de l’article L.223-22 du code de commerce,
– juger que les époux [O] ne démontrent pas l’existence d’une faute de la part de Monsieur [U] et/ou 2L Gestion et Patrimoine, ni d’un préjudice en lien causal avec l’intervention de ces derniers au sens des articles 1134, 1147 et 1315 anciens du code civil,
A titre infiniment subsidiaire,
– condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à les garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre au titre de la conclusion des contrats de prêts litigieux conformément aux dispositions des articles 1134, 1147 anciens du code civil et L.519-3-4 du code monétaire et financier,
En tout état de cause,
– condamner les époux [O] à leur payer la somme de 10 000 euros chacun au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés pour ceux d’appel par la Selurl Bollonjeon conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– débouter en conséquence les époux [O] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à leur encontre.
Enfin, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie demande à la cour de :
– ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture,
– à défaut, écarter les conclusions et pièces notifiées le 20 janvier 2023 par les époux [O],
A titre principal,
– confirmer purement et simplement le jugement déféré en ce qu’il a :
– déclaré irrecevable l’action des époux [O] à l’encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie,
condamné solidairement les époux [O] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 252 552,50 euros au titre du prêt immobilier n°026867401, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 juillet 2017 et jusqu’à parfait paiement,
condamné solidairement les époux [O] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 95 724,86 euros au titre du prêt immobilier n°027697201, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 juillet 2017 et jusqu’à parfait paiement,
condamné in solidum les époux [O] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum les époux [O] aux entiers dépens,
– sur appel incident, infirmer le même jugement en ce qu’il a :
rejeté sa demande de condamnation des époux [O] à lui payer l’ensemble des frais exposés pour procéder à l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire et à la dénonciation de cet acte,
– condamner par conséquent les époux [O] à lui payer l’ensemble des frais exposés pour procéder à l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire et à la dénonciation de cet acte outre définitive à venir,
A titre subsidiaire, si la prescription de l’action n’était pas retenue,
– dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute contractuelle au titre du devoir d’information, de conseil et de mise en garde,
– constater en tout état de cause que les époux [O] ne justifient pas de leur préjudice, notamment au regard de la perte de chance de ne pas contracter dans de meilleures conditions ou de s’être abstenus de contracter,
– statuer ce que de droit sur les demandes formalisées par les époux [O] à l’encontre de Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine,
– dire et juger irrecevable et non fondé l’appel en intervention forcée formalisé par Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine à son encontre,
En tout état de cause, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à savoir :
– condamné solidairement les époux [O] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 252 552,50 euros au titre du prêt immobilier n°026867401, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 juillet 2017 et jusqu’à parfait paiement,
– condamné solidaire les époux [O] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 95 724,86 euros au titre du prêt immobilier n°027697201, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 juillet 2017 et jusqu’à parfait paiement,
– dire et juger irrecevable la demande nouvelle formalisée en cause d’appel au titre de la clause abusive, et à défaut non fondée,
– rejeter toutes autres demandes,
– condamner in solidum Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine et les époux [O] au paiement d’une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, en sus de la somme obtenue en première instance dont distraction au profit de Maître [L] en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La clôture, initialement fixée au 23 janvier 2023, a été reportée à la demande des parties au 7 février 2023 par décision distincte.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’action en responsabilité initiée contre Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine
Estimant, d’une part, que la valeur des biens acquis en 2006 aurait été surestimée et, d’autre part, que les crédits souscrits se sont révélés, à terme, désavantageux pour eux compte tenu de l’évolution de la parité euro / CHF, les époux [O] retiennent l’existence d’une faute imputable à Monsieur [U] ainsi qu’à la société Sarl 2L Gestion et Patrimoine justifiant la demande indemnitaire présentée à leur encontre.
Sur le fondement des articles L.110-4 du code de commerce, 2222 puis 2224 du code civil et de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, le premier juge a justement retenu que le délai de prescription quinquennal s’appliquait aux faits de l’espèce, l’article 2233 du code civil relatif aux actions en paiement étant inapplicable s’agissant d’une action en responsabilité.
L’article 2224 du code civil précité rappelle en ce sens que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Le point de départ du délai de prescription d’une action en responsabilité pour défaut de conseil ou d’information se situe ainsi au jour de conclusion du contrat ou, dans l’hypothèse où le dommage s’est révélé ultérieurement, à compter du jour où le demandeur a pris connaissance du manquement et des conséquences qui en résultent pour lui.
Au soutien de leur action en responsabilité dirigée contre Monsieur [U] et la Sarl 2L Gestion et Patrimoine, qualifiés de ‘concepteur[s] et d’architecte[s] du projet’ consistant en ‘une opération d’investissement complexe’, les époux [O] versent aux débats un unique document intitulé ‘étude personnalisée’, daté du 8 novembre 2006 et mentionnant la seule identité de Monsieur [U] en qualité de ‘conseiller’.
Aucun contrat ni aucune facture ou note d’honoraire n’est produite par les parties.
La lecture du document produit permet de retenir qu’il correspond factuellement à une projection schématisant à long terme un investissement concernant deux biens immobiliers sous un régime fiscal attractif (Robien).
Cette ‘étude personnalisée’ se limite ainsi à esquisser, de façon simplifiée (sur 3 pages identiques dans leur conception pour chaque bien), une projection sur 11 puis 16 ans. Les données économiques de la simulation sont manifestement peu affinées (prêt en euros à taux fixe de 2,5% pour le premier bien et de 2,64% pour le second, taxe foncière de 500 euros et 300 euros, charges de copropriété de 0% dans les deux cas, revalorisation de l’actif immobilier à 1% par an pour les deux biens, revalorisation du loyer à 1,5% par an pour les deux biens, charges locatives de 5% pour chacun des biens, taux de rémunération des capitaux investis à 3,5% par an sur toute la durée du placement, etc…) et en tout état de cause non-contractuelles conformément aux mentions apparentes au pied de chacune des pages de la simulation.
Au demeurant, les époux [O] disposaient manifestement, au 8 novembre 2006, d’offres de prêt personnalisées de la part de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie (en date du 2 septembre 2006 pour le bien de [Localité 6] et du 12 octobre 2006 pour celui de [Localité 7]), la seconde ayant même d’ores et déjà été acceptée par eux le 3 novembre 2006 tandis que la première a été acceptée le jour de l’étude (8 novembre 2006).
La cour relève à ce titre qu’il n’est aucunement établi que Monsieur [U] et/ou la Sarl 2L Gestion et Patrimoine (dont l’identité n’apparaît pas dans la simulation du 8 novembre 2006) aient orienté les époux [O] vers la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie en ce que ces derniers étaient manifestement en possession des offres de la banque au jour de l’étude et en ce que ni l’identité de Monsieur [U], ni celle de la Sarl 2L Gestion et Patrimoine ni l’intervention éventuelle d’un quelconque conseiller ou courtier n’est mentionnée dans les contrats prêts signés les 3 et 8 novembre 2006.
La cour observe encore que les données économiques des deux prêts s’avèrent différentes de celles de l’étude versée aux débats dans la mesure où les taux d’intérêts, leur caractère variable et la monnaie dans laquelle l’emprunt a été contracté ne correspondent pas à la simulation opérée en faveur des époux [O] par Monsieur [U].
Aucun élément complémentaire n’étant versé aux débats pour étayer la consistance de la prestation de ce dernier, celle-ci a nécessairement pris fin au jour de l’étude, le caractère onéreux de l’intervention n’étant en outre pas démontré puisque les appelants se limitent à évoquer des ‘commissions d’intermédiation perçues auprès de la banque et très probablement du constructeur’ sans justifier de leurs allégations.
Il en résulte que la relation nouée avec les époux [O] s’est assurément limitée à une prestation ponctuelle concernant un dispositif d’investissement en défiscalisation, au moyen de données économiques non-détaillées et incomplètes, dont les résultats sont présentés par le prestataire à titre non-contractuel.
Dès lors, que la prestation soit qualifiée de conseil en investissement ou de conseil en patrimoine, force est de constater que cette dernière ne s’est pas poursuivie postérieurement au 8 novembre 2006. En outre, le dommage allégué par les appelants étant en lien avec une opération de financement souscrite à taux variable et en devises étrangères, manifestement distincte de la simulation produite, et à laquelle ni Monsieur [U] ni la Sarl 2L Gestion et Patrimoine n’ont été partie, le délai de prescription de l’action en responsabilité dirigée à leur encontre ne saurait être reporté ou suspendu, sur le fondement de l’article 2234 du code civil, jusqu’à la date à laquelle les époux [O] indiquent avoir pris connaissance de leur préjudice (soit le terme du placement).
Enfin, à supposer qu’il soit établi que les biens de [Localité 6] et de [Localité 7] aient été ciblés par Monsieur [U] ou la Sarl 2L Gestion et Patrimoine puis présentés par eux aux époux [O], le caractère potentiellement surévalué de leur valeur était décelable, pour un investisseur normalement diligent, dès la présentation de l’offre au moyen d’une étude de marché même sommaire.
Aussi, Monsieur [U] puis la Sarl 2L Gestion et Patrimoine ayant été assignés en responsabilité selon assignation du 18 janvier 2017, l’action des époux [O] à leur encontre s’avère irrecevable comme prescrite, le courriel 16 novembre 2015 de Monsieur [U] étant, au regard de son contenu, insusceptible de valoir reconnaissance univoque d’une quelconque renonciation à la prescription, au demeurant déjà expirée à cette date, concernant une éventuelle action en responsabilité dirigée contre lui-même ou la société 2L Gestion et Patrimoine.
Aussi, sans qu’il y ait lieu de statuer sur la qualité à défendre de Monsieur [U], l’action des époux [O] doit être déclarée irrecevable comme prescrite.
Dans ces conditions, l’appel en garantie formé par Monsieur [U] et la Sarl Sarl 2L Gestion et Patrimoine contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie s’avère sans objet.
Sur la demande en paiement formée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie
A titre liminaire, il doit être observé que le moyen tiré du caractère abusif des clauses 1.2.1 et 1.2.9 des deux contrats de prêts ‘tout habitat en devises’ (clauses identiques pour chacun des contrats), quoiqu’évoqué pour la première fois en cause d’appel, s’avère recevable sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile en ce qu’il tend à faire écarter, au moins partiellement, la demande en paiement présentée par la banque.
Il est en outre constant que le caractère abusif d’une clause peut être invoqué en défense sans qu’une fin de non-recevoir tirée de la prescription lui soit opposable.
Au sens du droit de la consommation et au regard de la jurisprudence de la cour de justice de la communauté européenne, une clause abusive se définit comme une stipulation, dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur, ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Toutefois, le caractère abusif d’une clause ne peut être retenu si la stipulation critiquée porte sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, pour autant qu’elle soit rédigée de façon claire et compréhensible.
A ce titre, les emprunteurs conviennent dans leurs propres écritures que ‘[les] deux clauses structurent le crédit proposé autour du franc suisse’ et ‘portent incontestablement sur l’objet principal du contrat’.
Le détail de chacune de ces clauses permet de retenir que la banque et les époux [O] ont convenu, pour le financement de biens immobiliers qu’ils acquièrent en euros, d’un emprunt en devises (CHF) remboursable en devises (CHF).
En ce sens, la cour relève qu’il est expressément stipulé au paragraphe 1.2.1 que les données de l’offre sont établie sur la base du cours Euro / CHF au 30 août 2006 (10 décembre 2006 pour le second prêt) et que les contre-valeurs en CHF s’avèrent indicatives dans la mesure où elles seront calculées :
– pour le montant du crédit, au cours du jour de la réalisation,
– pour les échéances, au cours du jour d’achat des devises.
Le paragraphe 1.2.9 retient en ce sens le montant en euros de chacune des échéances (39 échéances d’intérêts et d’assurance puis 1 échéance finale portant sur le capital) tout en appelant l’attention des emprunteurs sur le fait que l’échéancier communiqué en euros s’avère purement théorique.
Il en résulte que les clauses litigieuses s’avèrent à la fois claires et compréhensibles sur le plan formel, syntaxique et grammatical, mais également intelligibles pour un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif qui ne peut éluder que la somme empruntée en devises sera déterminée en fonction du taux de change (Euro / CHF) au jour du déblocage des fonds tout comme le montant des mensualités sera déterminé à échéance, en CHF, selon l’évolution de ce même taux de change.
Au surplus, il échet de rappeler que le mécanisme induit par ces clauses s’avère particulièrement transparent pour les époux [O] lesquels, au jour de la souscription des contrats, résidaient en Suisse, percevaient l’un et l’autre leurs revenus du travail en CHF et possédaient simultanément, selon les relevés communiqués par la banque non-contredits par les emprunteurs, différents placements en euros (PEL, livret d’épargne populaire ‘Orchestral’ et deux comptes titres) dans les livres de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie pour une valeur totale de 254 097,28 euros au 25 octobre 2006.
Dans ces conditions, il est établi que la portée concrète des stipulations était clairement perceptible pour les époux [O] s’agissant des conséquences économiques susceptibles de résulter d’une variation, à leur détriment ou à leur profit, du cours Euro / CHF.
Les époux [O] seront donc déboutés de leurs demandes visant à faire déclarer abusives lesdites clauses ainsi que de leurs demandes subséquentes en inopposabilité.
Concernant sa demande en paiement, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie sollicite la confirmation de la décision déférée ayant retenu le montant de son décompte arrêté 19 juillet 2017, déduction faite de l’indemnité de 7% dans la mesure où le concours s’est poursuivi jusqu’à son terme, seule l’échéance finale étant demeurée impayée.
Cette créance n’est pas contestée en son quantum par les appelants. Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné les époux [O] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de :
252 552,50 euros au titre du prêt immobilier n°026867401, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 juillet 2017 et jusqu’à parfait paiement,
95 724,86 euros au titre du prêt immobilier n°027697201, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 juillet 2017 et jusqu’à parfait paiement.
Sur l’action en responsabilité initiée contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie
Il a été précédemment rappelé que les parties ne s’opposent aucunement sur l’application du délai de prescription quinquennal s’agissant de l’action en responsabilité initiée par les époux [O] qui reprochent à la banque un manquement à ses obligations d’information et de mise en garde.
Conformément à l’article 2224 précité, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie soutient que le délai de prescription quinquennal court à compter de la conclusion de chacun des concours tandis que les appelants retardent le points de départ de ce délai à la date à laquelle ils ont pris connaissance du fait que le montage financier s’avérait dommageable les concernant.
A ce titre, les époux [O] indiquent avoir pris connaissance du dommage en 2015 (page 4/54 de leurs dernières écritures) ce qui s’avère cohérent, d’une part, avec la date à compter de laquelle le franc suisse s’est fortement apprécié par rapport à l’euro au regard de la décision de la Banque nationale suisse (15 janvier 2015) relative à la suppression du taux plancher du CHF et, d’autre part, avec un courriel du 16 novembre 2015 par lequel les emprunteurs relatent ‘un entretien [avec Monsieur [U]] pour mieux comprendre [leur] situation financière’ en lien avec les concours consentis par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, étant rappelé qu’il s’agit de prêts in fine impliquant un amortissement du capital lors de l’échéance finale révélant, en son ampleur, l’étendue du préjudice résultant de la souscription des concours litigieux.
Aussi, la cour retient que les emprunteurs ont perçu, à tout le moins, la potentialité d’un dommage en lien avec les concours souscrits auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à compter de 2015 de sorte que leurs demandes indemnitaires dirigées contre la banque, formulées pour la première fois dans leurs écritures du 6 novembre 2017, s’avèrent recevables.
Concernant le devoir de mise en garde
L’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non-averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque d’endettement qui résulte de son octroi. Il ne porte aucunement sur l’opportunité ou les risques de l’opération financée.
Il appartient à la banque de démontrer le caractère averti du contractant ou de justifier qu’elle a satisfait à l’obligation qui lui incombe, étant précisé que le caractère non-averti des emprunteurs n’est pas débattu par les parties.
Il a été rappelé en l’espèce que les époux [O] étaient titulaires, au jour de leurs engagements, de différents supports financiers créditeurs à hauteur de 254 097,28 euros.
Il a également été précisé que les concours litigieux ont servi à acquérir un patrimoine immobilier lequel, quoique sa valeur à terme soit pondérée par les appelants à une somme d’environ 200 000 euros, entre dans le patrimoine des emprunteurs en ce qu’il constitue un élément susceptible d’être réalisé.
Il est enfin acquis aux débats que les emprunteurs exerçaient l’un et l’autre, au temps de la conclusion des concours litigieux, une profession qualifiée en Suisse (infirmiers en hôpital psychiatrique) leur procurant des revenus significatifs lesquels ont été complétés par les revenus locatifs générés par les investissement de [Localité 6] et à [Localité 7].
Dans ces conditions, l’existence d’un risque d’endettement n’apparaît pas caractérisé les concernant, la charge des emprunts étant manifestement adaptée aux capacités et à la surface financière des emprunteurs.
Concernant l’obligation d’information
L’obligation d’information consiste, pour le prêteur, à renseigner le candidat emprunteur sur les caractéristiques essentielles du crédit qu’il lui propose de souscrire.
En lien avec la faute reprochée par les appelants à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, il a été mentionné au titre des motifs relatif à l’existence de clauses abusives que les emprunteurs avaient été destinataires, au moyen des clauses 1.2.1 et 1.2.9 de chacun des contrats, d’une information claire et précise concernant l’existence d’un risque de change pour un concours souscrit en devises et remboursable en devises.
Aussi, sauf à constituer un devoir d’alerte, inexistant en droit positif, imposant aux établissements bancaires de s’immiscer dans la gestion patrimoniale de leurs clients en leur conseillant de vendre des actifs acquis en euros pour solder leur prêt compte tenu de l’évolution du cours Euro / CHF, ou à exiger de la banque qu’elle propose spontanément une renégociation des prêts consentis à compter d’un niveau de décrochage qu’il conviendrait d’apprécier, le défaut d’information allégué n’est en l’espèce aucunement démontré.
Aussi, les époux [O] seront déboutés de la demande indemnitaire présentée à l’encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie.
Sur les demandes de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre de la mesure conservatoire prise à l’encontre des époux [O]
La mesure conservatoire prise à l’initiative de la banque ne saurait être mise à la charge des époux [O] en ce que cette dernière disposait déjà, selon les actes de prêts et selon l’ acte notarié relatif à l’acquisition du bien de [Localité 6], du bénéfice du nantissement d’instruments financiers, à concurrence de la somme de 150 000 euros, et d’une hypothèque de premier rang sur le bien précité.
Aussi, la mesure conservatoire complémentaire prise sur le bien situé à [Localité 7] s’avère surabondante au regard des garanties déjà existantes.
La décision du premier juge ayant débouté la banque de cette demande sera donc confirmée.
Sur les demandes annexes
Les époux [O], qui succombent à l’instance, sont condamnés in solidum aux dépens d’appel dont distraction au profit de Maître [L] et de la Selurl Bollonjeon s’agissant des frais dont elles ont fait l’avance sans avoir reçu provision.
En outre, les époux [O] sont condamnés à verser la somme de 1 500 euros à Monsieur [U] et 1 500 euros à la Sarl 2L Gestion et Patrimoine au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Ils sont également condamnés in solidum à verser la somme de 3 000 euros à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme la décision déférée sauf en ce qu’elle a déclaré irrecevable l’action de Monsieur [P] [O] et de Madame [X] [J] époux [O] à l’encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable l’action en responsabilité initiée par Monsieur [P] [O] et de Madame [X] [J] épouse [O] à l’encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre des concours n°026867401 et 027697201 des 3 et 8 novembre 2006,
Déboute Monsieur [P] [O] et de Madame [X] [J] épouse [O] de leurs demandes,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Monsieur [P] [O] et de Madame [X] [J] épouse [O] aux dépens d’appel dont distraction au profit de Maître [L] et de la Selurl Bollonjeon s’agissant des frais dont elles ont fait l’avance sans avoir reçu provision,
Condamne Monsieur [P] [O] et de Madame [X] [J] épouse [O] à verser la somme de 1 500 euros à Monsieur [Y] [U] et 1 500 euros à la Sarl 2L Gestion et Patrimoine au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Monsieur [P] [O] et de Madame [X] [J] épouse [O] à verser la somme de 3 000 euros à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi prononcé publiquement le 27 avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente