Déséquilibre significatif : 25 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01108
Déséquilibre significatif : 25 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01108

25 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG
20/01108

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 10

ARRÊT DU 25 MAI 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01108 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBJMC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Novembre 2019 – Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 17/09145

APPELANTE

SELARL ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société TRAITEUR CONCEPT

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée et assistée par Me Jean-Marc DESCOUBES de la SELEURL DESCOUBES AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0969

INTIMÉE

EPIC THEATRE NATIONAL DE CHAILLOT, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée et assisté à l’audience de Me Laurence DEPOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C0233

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été appelée le 16 Mars 2023, en audience publique, devant Valérie MORLET, Conseillère, chargée du rapport, faisant fonction de Présidente d’audience, et Laurent NAJEM, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Florence PAPIN, Présidente

Madame Valérie MORLET, Conseillère

Monsieur Laurent NAJEM, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Florence PAPIN, Présidente et par Catherine SILVAN, greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

Faits et procédure

Après appel public à candidatures, l’EPIC Théâtre National de Chaillot (TNC) a le 26 juillet 2013 conclu avec la SARL Traiteur Concept une convention d’occupation temporaire du domaine public, pour l’exploitation d’un bar-restaurant, avec effet au 1er octobre 2013 et pour une durée de deux ans, moyennant le versement d’une redevance annuelle composée d’une part variable du chiffre d’affaires (de 4 à 12%) assortie d’un minimum garanti de 15.000 euros HT, soit 17.940 euros TTC.

La convention a pris fin le 30 septembre 2015 et les locaux ont alors été restitués.

Arguant d’un abus de position, d’agissements fautifs et déloyaux de la part du Théâtre National de Chaillot, la société Traiteur Concept l’a par acte du 11 juillet 2016 assigné en responsabilité et indemnisation devant le tribunal de commerce de Paris.

Le tribunal de commerce, par jugement du 15 mai 2017, s’est déclaré incompétent pour connaître de l’affaire au profit du tribunal de grande instance de Paris auquel le dossier a été adressé.

Entretemps, le tribunal de commerce de Paris a par jugement du 27 septembre 2017 prononcé la liquidation judiciaire de la société Traiteur Concept et désigné la SELARL Actis Mandataire Judiciaires, prise en la personne de Me [N] [T], en qualité de liquidateur judiciaire de l’entreprise.

La société Actis est donc volontairement intervenue à l’instance devant le tribunal de grande instance de Paris par conclusions du 30 mai 2018.

*

Le tribunal, par jugement du 21 novembre 2019, a :

– constaté la reprise volontaire par la société Actis, prise en la personne de Me [T], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Traiteur Concept, de l’instance initiée par cette dernière à l’encontre Théâtre National de Chaillot,

– dit que le Théâtre National de Chaillot a engagé sa responsabilité envers la société Traiteur Concept dans l’exécution d’occupation temporaire du 19 juillet 2013 les ayant liés, en ne l’informant pas formellement de chacune des manifestations avec activités de restauration organisées au sein du [Adresse 5],

– condamné le Théâtre National de Chaillot à payer à la société Traiteur Concept, représentée par son liquidateur judiciaire Me [T], la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, toutes causes de préjudice confondues,

– condamné le Théâtre National de Chaillot à payer à la société Traiteur Concept, représentée par son liquidateur judiciaire Me [T], la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné le Théâtre National de Chaillot aux dépens de l’instance,

– ordonné l’exécution provisoire,

– rejeté toutes les autres demandes.

La société Actis, liquidateur judiciaire de la société Traiteur Concept, a par acte du 6 janvier 2020 interjeté appel de ce jugement, intimant le Théâtre National de Chaillot devant la Cour.

*

La société Actis, liquidateur judiciaire de la société Traiteur Concept, dans ses dernières conclusions signifiées le 29 septembre 2020, demande à la Cour de :

– la dire recevable et bien fondée en son appel,

– rejeter l’appel incident du Théâtre National de Chaillot aux fins d’infirmation du jugement en ce qu’il a dit qu’il a engagé sa responsabilité envers la société Traiteur Concept dans l’exécution de la convention d’occupation temporaire du 19 juillet 2013 les ayant liées en n’informant pas formellement celle-ci de chacune des manifestations avec activités de restauration organisées au sein du [Adresse 5],

– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le Théâtre National de Chaillot a engagé sa responsabilité envers la société Traiteur Concept dans l’exécution de la convention d’occupation temporaire du 19 juillet 2013 les ayant liées en n’informant pas formellement celle-ci de chacune des manifestations avec activités de restauration organisées au sein du [Adresse 5],

– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les autres demandes de la société Traiteur Concept,

– dire que les modalités d’exécution de la convention d’occupation temporaire du domaine public aux fins d’exploitation d’un bar-restaurant signée le 19 juillet 2013, telles qu’imposées par le Théâtre National de Chaillot, ont été constitutives d’un abus de droit et de pouvoir,

– dire que le Théâtre National de Chaillot a soumis la société Traiteur Concept à des obligations et des sujétions ayant créé un déséquilibre significatif dans l’exécution de la convention signée le 19 juillet 2013,

– dire que le Théâtre National de Chaillot a exécuté la convention de mauvaise foi,

En conséquence,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné le Théâtre National de Chaillot à payer à la société Traiteur Concept, qu’elle représente, la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, toutes causes de préjudices confondues,

– condamner le Théâtre National de Chaillot à lui payer, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Traiteur Concept, une somme de 250.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique,

– condamner le Théâtre National de Chaillot à lui payer, ès qualités, une somme de 20.000 euros en réparation du préjudice moral de la société Traiteur Concept,

– condamner le Théâtre National de Chaillot à lui payer, ès qualités, une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le Théâtre National de Chaillot aux dépens.

Le Théâtre National de Chaillot (TNC), dans ses dernières conclusions signifiées le 3 juillet 2020, demande à la Cour de :

– le recevoir en son appel incident partiel et y faisant droit, infirmer le jugement ce qu’il :

. a dit sa responsabilité engagée envers la société Traiteur Concept en raison de l’absence d’information formelle sur les manifestations avec activité de restauration organisées au sein du [Adresse 5],

. l’a condamné à payer à la société Actis, en sa qualité de liquidateur de la société Traiteur Concept les sommes de 10.000 euros à titre de dommages intérêts et 2.000 euros au titre de l’article 700 [sic, du code de procédure civile],

. l’a condamné aux dépens de procédure,

– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté toutes les autres demandes,

– rejeter l’intégralité des demandes, fins et conclusions formées en cause d’appel par la société Actis, en sa qualité de liquidateur de la société Traiteur Concept,

– le recevoir en sa demande reconventionnelle et y faisant droit, condamner la société Actis, prise en la personne de Me [T], en sa qualité de liquidateur de la société Traiteur Concept, à lui payer la somme de 8.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

*

La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 18 janvier 2023, l’affaire plaidée le 16 mars 2023 et mise en délibéré au 25 mai 2023.

Il a en cours de délibéré par e-mail du greffe du 10 mai 2023 été demandé au conseil du Théâtre National de Chaillot s’il avait déclaré une créance de frais irrépétibles entre les mains du liquidateur de la société Traiteur Concept, ce à quoi il a par e-mail en retour du même jour répondu par la négative.

Motifs

Il est rappelé que l’article 912 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que les dossiers comprenant les copies des pièces visées dans les conclusions et numérotées dans l’ordre du bordereau récapitulatif sont déposés à la cour quinze jours avant la date fixée pour l’audience de plaidoirie. Or la société Actis, ès qualités pour la société Traiteur Concept, ne justifie pas avoir déposé son dossier de pièces au plus tard le 1er mars 2023, quinze jours avant l’audience du 16 mars 2023, ni le jour de cette audience, ni même ultérieurement, malgré demandes du greffe en ce sens.

Sur la responsabilité du Théâtre National de Chaillot

Les premiers juges ont estimé qu’il résultait clairement de la convention d’occupation conclue entre le Théâtre National de Chaillot et la société Traiteur Concept que le premier s’était réservé le droit d’organiser des manifestations dans les espaces objets de la convention (et, ainsi, dans le grand foyer), sans que le restaurateur puisse exiger d’être choisi pour assurer le service ni invoquer une concurrence déloyale, mais à charge pour le théâtre de notifier audit restaurateur, de manière précise et non uniquement sur un agenda partagé, les manifestations prévues pour lui permettre de présenter une offre de service. Ils ont observé que le Théâtre National de Chaillot ne justifiait pas du respect de son obligation d’information formelle et ont retenu un manquement de sa part de ce chef. Les premiers juges ont en revanche considéré que la société Traiteur Concept ne démontrait pas que le Théâtre National de Chaillot lui ait imposé de pratiquer des prix anormalement bas pour ses prestations (afin d’assurer la concurrence avec d’autres prestataires), ni que le théâtre ne lui ait pas livré des locaux lui permettant d’exercer ses activités, lui imposant des travaux importants et constatent enfin que le traiteur a régulièrement été informé des travaux que le Théâtre National de Chaillot prévoyait lui-même dans le grand foyer. En réparation du préjudice résultant du manquement du théâtre à son obligation de notification préalable des événements à venir dans le grand foyer, mais en l’absence de bilan comptable du traiteur et au seul vu des factures communiquées, les premiers juges ont évalué le préjudice de la société Traiteur Concept à hauteur de la somme globale de 10.000 euros.

La société Actis, ès qualités pour la société Traiteur Concept, critique le jugement. Elle fait valoir, à l’origine d’un déséquilibre contractuel, les agissements fautifs du Théâtre National de Chaillot, qui lui a imposé de pratiquer des prix anormalement bas à l’occasion de réceptions dans le bar ou le restaurant, qui ne l’a jamais prévenue et l’a systématiquement évincée de sa candidature pour l’organisation de réceptions dans le grand foyer du théâtre, qui lui a imposé d’accepter une convention de mécénat et lui a imposé une fermeture pour travaux dans le grand foyer. Elle reproche également au TNC divers incidents ayant émaillé leurs relations contractuelles (donnant à ce titre un exemple de non-paiement d’une facture de champagne), des sujétions anormales et un traitement discriminatoire. Elle affirme que l’attitude déloyale du Théâtre National de Chaillot a entraîné pour elle de graves difficultés, de sorte qu’elle a perdu environ 540.000 euros de chiffre d’affaires sur deux années et précise produire en cause d’appel les pièces comptables dont elle ne justifiait pas en première instance. Elle fait enfin valoir un préjudice moral, dont elle réclame réparation à hauteur de 20.000 euros.

Le Théâtre National de Chaillot estime que la société Actis, pour la société Traiteur Concept, procède par affirmations sans preuve et soutient, en tout état de cause, que les critiques sont sans fondement. Elle reproche aux premiers juges d’avoir retenu sa responsabilité par une interprétation d’une sévérité excessive de la mise à disposition de son planning de manifestations, point au titre duquel il sollicite l’infirmation du jugement.

Sur ce,

Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi et se résolvent en dommages et intérêts à raison de l’inexécution ou de la mauvaise exécution par le débiteur de son obligation (articles 1134 et 1147 du code civil en sa version applicable en l’espèce, antérieure au 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations). L’article L442-6 I du code de commerce, en sa version applicable entre le 29 juillet 2010 et le 19 mars 2014, dispose en outre qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, notamment, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (point 2°).

Plusieurs reproches sont faits par la société Traiteur Concept au Théâtre National de Chaillot, qui a cependant abandonné en cause d’appel ses moyens concernant la livraison de locaux ne lui permettant pas d’exercer ses activités et lui imposant des travaux importants. Il en est pris acte.

1. sur l’information donnée dans le dossier de consultation aux fins de candidature

Est versé aux débats un dossier de consultation (cahier des charges) en vue de l’attribution d’une convention d’occupation et d’exploitation d’une activité de restauration assise, rapide et de bar au Théâtre National de Chaillot. Le document n’est pas daté, mais est communiqué par les deux parties et contesté d’aucune part.

Ce cahier des charges énonce dès l’article 1.1, concernant le « contexte » que « le Théâtre souhaite proposer un lieu de restauration de qualité avec, selon le planning et dans les conditions précisées ci-après :

– un service à table et au bar et,

– dans les périodes où des aménagements viendront occuper l’espace principal du grand foyer, un service de restauration rapide et de bar » (caractères italiques du document). Il précise également qu’« un programme de travaux d’envergure doit débuter à l’été 2013 pour s’achever en 2015 », lequel doit porter « sur la rénovation complète de la salle Gémier [deuxième salle du théâtre, moyenne], la création d’un accès décor rénové et la mise en accessibilité du théâtre pour le Public à Mobilité Réduite (PMR) ». L’article 3.1, au chapitre concernant la désignation des locaux et lieux d’exploitation, rappelle le « contexte particulier » de la signature de la convention prévue, précisant que « pendant cette période, la salle Gémier sera fermée et l’occupation du grand foyer alternera entre des périodes où il est disponible entièrement et des périodes où y est implanté un gradin ou divers dispositifs scénographiques occupant la majorité de sa surface » et encore qu’« aux périodes où le grand foyer n’est pas indisponible, le restaurateur pourra implanter une restauration à table » mais qu’« aux périodes où le grand foyer est occupé pour les besoins de l’activité du Théâtre, le restaurateur proposera une formule de restauration rapide et de bar ».

La société Traiteur Concept ne peut se prévaloir d’une information lacunaire et prétendre ne pas avoir été informée de l’importance des travaux prévus, la fermeture pendant « une période d’environ 6 mois » du grand foyer dans lequel la restauration assise devait être installée lorsque les travaux et aménagements ne l’empêcheraient pas, alors même que le cahier des charges évoque bien une période de deux années de travaux et la « fermeture de la salle Gémier pour rénovation complète pendant plus de deux saisons ».

Ainsi, après examen du cahier des charges et dépôt de sa candidature, signant le 19 juillet 2013 la convention d’occupation temporaire du domaine public aux fins d’exploitation d’un restaurant avec le Théâtre National de Chaillot, la société Traiteur Concept disposait d’une information loyale, complète et claire concernant la campagne de travaux d’ampleur prévue et susceptible d’impacter son activité, ainsi que l’ont retenu les premiers juges.

Le montant de la redevance annuelle pour l’occupation du domaine public du théâtre a été évalué au vu de ce contexte particulier et des sujétions importantes imposées au bénéficiaire, la société Traiteur Concept.

La société Traiteur Concept ne justifie aucunement d’une gêne dans son activité causée par les travaux en cause et dépassant celle à laquelle elle pouvait s’attendre au regard des informations données par le Théâtre National de Chaillot.

Les premiers juges ont en conséquence à juste titre écarté tout manquement du Théâtre National de Chaillot à son obligation d’information précontractuelle.

2. sur l’organisation de réceptions par le Théâtre National de Chaillot avec des entreprises extérieures

(1) sur l’information relative à l’organisation des réceptions par le théâtre

Dans le cadre de l’appel d’offres, le cahier des charges indique qu’« en cas de changement dans le planning des activités du théâtre, ou en cas de location d’espaces pour des manifestations privées, des fermetures partielles ou totales des espaces pourront être décidées par le Théâtre et seront communiquées au restaurateur 15 jours minimum à l’avance » (article 3.1). Ainsi, dès avant la signature de la convention d’occupation, la société Traiteur Concept savait que des événements privés pouvaient être organisés dans l’espace de restauration, susceptibles d’être attribués à d’autres traiteurs, événements dont elle devait être tenue informée.

Aux termes de l’article 4 de la convention signée entre le théâtre et le restaurateur, ce dernier « reçoit le droit exclusif d’exploiter les espaces, objets de la présente convention » étant ajouté que « ne sont pas considérées comme portant atteinte à l’exclusivité d’exploitation attribuée au bénéficiaire, les activités de restauration que le Théâtre National de Chaillot pourrait être amené à organiser dans le cadre des activités et manifestations », étant précisé qu’elles ne donneront lieu à aucune indemnité ni dédommagement et que le théâtre « informera formellement le bénéficiaire de ces manifestations afin de lui permettre le cas échéant de présenter une offre ».

Or la société Traiteur Concept ne conteste pas avoir eu accès au planning du Théâtre National de Chaillot, lequel a ainsi, en toute transparence, rempli son obligation d’information formelle, étant observé qu’aucune autre entreprise de restauration ni traiteur ne pouvait consulter cet « agenda partagé », interne au théâtre. Il appartenait au traiteur, au regard des sujétions particulières de son contrat, de prendre connaissance de ce planning afin, éventuellement, de présenter son offre de services au théâtre.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a retenu un manquement du Théâtre National de Chaillot du chef de cette information relative à ses activités, information formellement et clairement donnée par le biais d’un « agenda partagé » auquel d’autres entreprises n’avaient pas accès, et en ce qu’il a par voie de conséquence condamné le théâtre à indemniser le traiteur à ce titre.

Statuant à nouveau, la Cour déboutera la société Actis, ès qualités pour la société Traiteur Concept, de toute demande indemnitaire liée à un défaut d’information par le Théâtre National de Chaillot concernant les événements organisés par celui-ci.

(2) sur la mise à l’écart de la société Traiteur Concept

La société Traiteur Concept affirme en outre, sans aucunement l’établir, qu’elle était « systématiquement évincée de l’organisation des réceptions par la direction du TNC sans jamais être consultée au préalable », se plaignant ainsi de payer elle-même les espaces pour des sociétés extérieures.

Elle reconnaît cependant avoir dans ce cadre bénéficié d’au moins un contrat avec la société Orange, dont elle indique produire aux débats le devis (événement « Hello Show 2014 » du 25 septembre au 4 octobre 2014, sa pièce n°6). La Cour relève en outre qu’elle fait état de quatre réceptions auxquelles elle a participé, au titre desquelles elle indique communiquer ses factures (sa pièce n°7), laissant apparaître qu’elle a eu l’occasion d’être sélectionnée pour les événements organisés par le Théâtre National de Chaillot.

Ayant eu un accès au planning des événements organisés par le Théâtre National de Chaillot, la société Traiteur Concept ne justifie pas avoir présenté ses offres et ne peut donc prétendre avoir été évincée des marchés ni avoir subi un « traitement discriminatoire » au profit d’autres entreprises. La société Traiteur Concept ne peut, aux termes d’allégations sans aucune preuve, accuser le théâtre d’avoir ainsi pensé « pouvoir rééquilibrer ses comptes ».

Les premiers juges ont donc à juste titre écarté la responsabilité du Théâtre National de Chaillot de ce chef.

3. sur l’obligation de pratiquer des prix « anormalement bas »

A l’occasion de l’organisation des réceptions organisées par le Théâtre National de Chaillot pour lesquelles elle reconnaît avoir été sélectionnée (« pot de départ [Z] [R] », « pot de dernière [P] [U] », « cocktail amical [Y] [L] », « cocktail VIP »), la société Traiteur Concept indique communiquer ses factures (sa pièce n°7) laissant apparaître les « prix anormalement bas » qui lui auraient été imposés par le théâtre (de 6,17 à 16,50 euros par personne).

Le restaurateur ne justifie cependant pas de l’absence de réalité économique des prix ainsi pratiqués. La référence à la facturation par un autre traiteur de tarifs supérieurs ne peut apporter cette preuve, dans la mesure où il n’est pas établi que des événements de même nature soient concernés. Les réceptions organisées par la société Traiteur Concept apparaissent elles-mêmes être très différentes les unes des autres, avec des tarifs très différents, selon qu’il s’agissait d’un « pot de départ », d’un « pot de dernière », d’un « cocktail amical » ou d’un « cocktail VIP ».

Le restaurateur n’établit pas non plus que ses prix lui étaient imposés par le théâtre. Les échanges d’e-mails qu’elle indique communiquer (sa pièce n°8) n’apportent pas cette preuve. Si en effet le Théâtre National de Chaillot a pu lui demander de respecter certains budgets, elle ne précise pas le contexte et la nature de la réception en cause (lesquels pouvaient justifier un budget serré) et les discussions visées s’apparentent en l’état « à des échanges habituels entre partenaires économiques », ainsi que l’ont justement constaté les premiers juges. Il n’est justifié d’aucune contrainte, d’aucune « violence économique », d’aucune menace.

C’est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont écarté toute responsabilité du Théâtre National de Chaillot sur ce point.

4. sur l’acceptation d’une « convention de mécénat »

La société Traiteur Concept reproche ensuite au Théâtre National de Chaillot de lui avoir imposé « d’accepter une convention de mécénat afin de fournir gratuitement 2.400 bouteilles de Saumur gratuite », ajoutant que cette convention a été signée par une de ses filiales « car elle ne pouvait pas apparaître directement en sa qualité de titulaire du marché négocié ».

Force est de constater qu’aucune convention de la sorte n’est versée aux débats et que les échanges d’e-mails qu’elle indique communiquer (sa pièce n°8) ne permettent en aucun cas de prouver un manquement du Théâtre National de Chaillot à ses obligations contractuelles ni même une sujétion imposée à la société Traiteur Concept « parfaitement anormale » et encore moins un « abus de pouvoir » de la part du théâtre.

Les premiers juges n’ont donc à juste titre retenu aucune responsabilité du Théâtre National de Chaillot à ce titre.

5. sur les divers incidents

La société Traiteur Concept affirme enfin que « divers incidents ont émaillé la relation contractuelle en raison de la mauvaise foi de la direction du théâtre », évoquant à ce titre des « méthodes douteuses » de cette dernière à propos des stocks de boissons (absence de règlement de bouteilles qui lui auraient été commandées). Aucun élément de preuve n’est communiqué.

Les premiers juges ont en conséquence justement écarté toute responsabilité du Théâtre National de Chaillot du chef d’incidents divers, dont un seul est allégué sans preuve.

***

En l’absence de tout manquement prouvé du Théâtre National de Chaillot à son obligation d’exécution de bonne foi de la convention d’occupation conclue avec la société Traiteur Concept, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les préjudices allégués par cette dernière.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le sens de l’arrêt conduit à l’infirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge du Théâtre National de Chaillot.

Statuant à nouveau de ce chef et ajoutant au jugement, la Cour condamnera la société Actis, en sa qualité de liquidateur de la société Traiteur Concept, qui succombe en ses prétentions, aux dépens de première instance et d’appel, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, étant précisé que le conseil du Théâtre National de Chaillot ne réclame pas la distraction des dépens à son profit de sorte que la question de sa déclaration de créance de ce chef ne se pose pas.

Le Théâtre National de Chaillot fait valoir des frais exposés en première instance et en cause d’appel, non compris dans les dépens en application de l’article 700 du code de procédure civile. Alors que la présente instance contentieuse a été ouverte par assignation du 11 juillet 2016, la créance qu’il allègue à ce titre contre la société Traiteur Concept est bien antérieure au jugement de placement du restaurateur en liquidation judiciaire du 27 septembre 2017. Or le conseil du théâtre a indiqué à la Cour ne pas avoir déclaré sa créance à ce titre au passif de l’entreprise en difficulté, en méconnaissance des articles L622-21 et suivants et L641-3 du code de commerce. Le théâtre sera donc déclaré donc irrecevable en sa demande tendant à la condamnation de la société Actis, ès qualités, en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel, et de toute demande tendant à la fixation du montant d’une telle créance, ne justifiant d’aucune déclaration de créance à ce titre.

Par ces motifs,

La Cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement,

Déboute la SELARL Actis Mandataires Judiciaires, prise en la personne de Me [N] [T], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Traiteur Concept, de toute demande indemnitaire présentée contre l’EPIC Théâtre National de Chaillot,

Condamne la SELARL Actis Mandataires Judiciaires, prise en la personne de Me [N] [T], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Traiteur Concept, aux dépens de première instance et d’appel,

Dit l’EPIC Théâtre National de Chaillot irrecevable en sa demande d’indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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