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23 juin 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/04402
2ème Chambre
ARRÊT N°311
N° RG 20/04402
N° Portalis DBVL-V-B7E-Q5NS
Mme [L] [U] épouse [Z]
Mme [Y] [Z]
C/
S.A. CA CONSUMER FINANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me DAUGAN
– Me CASTRES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 23 Mars 2023
devant Monsieur Jean-François POTHIER, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Juin 2023, après prorogations, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTES :
Madame [L] [U] épouse [Z]
née le 01 Mars 1961 à [Localité 8] (93)
[Adresse 3]
[Localité 5]
Madame [Y] [Z]
née le 18 Juin 1987 à [Localité 7] (77)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentées par Me Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
S.A. CA CONSUMER FINANCE
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Hugo CASTRES de la SCP LECLERCQ & CASTRES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSE DU LITIGE :
Selon offre préalable acceptée le 25 mai 2018, la Société CA Consumer Finance a consenti a Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] un prêt affecté d’un montant de 14 478,76 euros remboursable en 72 mensualités de assorti d’un taux d’intérêt annuel de 4,28 % l’an. Ce prêt a été souscrit en vue de l’achat d’un véhicule.
Alléguant le non paiement des échéances la Société CA Consumer Finance a prononcé la déchéance du terme et par acte d’huissier du 11 octobre 2019, a fait assigner Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] devant le tribunal d’instance de Redon aux fins de paiement des causes impayées du crédit.
Par jugement réputé contradictoire du 19 juin 2020, le tribunal de proximité de Redon a :
– Déclaré recevable la demande de la société CA Consumer Finance
– Prononcé la déchéance du droit aux intérêts de la société CA Consumer Finance au titre du prêt souscrit par Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] le 25 mai 2018, à compter de cette date
– Condamné Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 13 465,28 euros avec intérêts légal, sans majoration possible, à compte de l’assignation
– Débouté les parties de toutes autres demandes
– Condamné Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] aux entiers dépens
– Condamné Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Ordonné l’exécution provisoire de la décision
Mmes [U] et [Z] sont appelantes du jugement et par dernières conclusions notifiées le 27 avril 2021, elles demandent de :
– Infirmer le jugement entrepris
– Dire et juger que la déchéance du terme n’a pas été valablement prononcée et débouter par conséquent la société CA Consumer Finance de toutes ses demandes
– A titre subsidiaire, si par impossible la Cour déclarait recevable la société CA Consumer Finance à solliciter l’intégralité du solde du prêt, Confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels et limiter la créance à la somme de 13 465,28 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de l’assignation, sans majoration et écarté toute solidarité.
– Accorder à Mme [U] et Mme [Z] un délai de grâce en vertu des dispositions de l’article 1244-1 du code civil
– Débouter la société CA Consumer Finance de toutes ses demandes, fins et conclusions autres ou contraires.
– Condamner la société CA Consumer Finance à verser à Mme [Z] et Mme [U] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner la société CA Consumer Finance aux entiers dépens, d’instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 30 août 2021, la société CA Consumer Finance demande de :
– Réformer le jugement dont appel,
– Débouter Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] de toutes leurs demandes fins et conclusions.
– Condamner solidairement Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] à payer à CA Consumer Finance, en application de l’article L312-39 du Code de la Consommation, la somme de 15 698,37 euros avec intérêts au taux de 4,280 % l’an à compter du 16 avril 2019 jusqu’à parfait paiement.
Subsidiairement, si la déchéance du droit aux intérêts venait à être prononcée :
– Condamner solidairement Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] à payer à CA Consumer Finance, en application de l’article L312-39 du Code de la Consommation, la somme de 14 628,44 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2019 jusqu’à parfait paiement.
En tout état de cause :
– Condamner in solidum Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] au paiement d’une indemnité de 2500,00 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions visées.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 janvier 2023.
La société CA Consumer Finance a été invitée à présenter ses observations par note en délibéré sur le caractère abusif de la clause de l’offre de prêt stipulant que ‘ en cas de défaillance de la part de l’emprunteur dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû majoré des intérêts échus et non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard au taux égal à celui du prêt ‘ au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts des 26 janvier 2017 C-421/14 et 8 décembre 2022 C-600/21) ainsi que de la Cour de cassation (arrêt du 22 mars 2023 21-16.044).
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Pour solliciter le rejet des demandes du prêteur, les appelantes font valoir que Mme [U] ne serait pas co-emprunteuse faute d’avoir signé les conditions particulières du prêt.
Mais il sera constaté ainsi que soutenu par la société CA Consumer Finance que Mme [U] est bien intervenue à l’acte de prêt en tant que co-emprunteur pour avoir apposé sa signature en telle qualité sur l’offre préalable qu’elle a accepté le 25 mai 2018 ; qu’il ressort des énonciations de l’offre que seule Mme [Z] a souscrit à l’assurance facultative expliquant l’absence de la signature de Mme [U] sur la place qui lui était réservée en tant que de besoin sur le formulaire.
Mmes [U] et [Z] contestent les conditions dans lesquelles le prêteur a prononcé la déchéance du terme le 16 avril 2019 faute de justification d’avoir été précédé d’un courrier de mise en demeure explicite sur l’arriéré et ses conséquences.
Il est de principe que, si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.
En l’espèce, la société CA Consumer Finance soutient avoir satisfait à son obligation et produit aux débats des courriers adressés à Mme [Z] et Mme [U] le 1er mars les mettant en demeure de régler la somme de 823,86 euros au titre des échéances impayées.
Il sera cependant constaté qu’il n’apparaît pas que ce courrier ait été adressé en recommandé de sorte qu’il n’en ressort pas une interpellation suffisante des consorts [U] [Z].
Par ailleurs, il résulte de l’article R. 632-1 du code de la consommation que le juge doit écarter d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat.
Or, la question de la validité de la déchéance du terme ressort des éléments du débat comme ayant été expressément invoquée par les emprunteuses.
Il est de principe que, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la clause d’un contrat de prêt qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, une telle clause étant abusive au sens de l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation.
À cet égard, les conditions générales de l’offre de prêt stipulent que ‘en cas de défaillance de la part de l’emprunteur dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû majoré des intérêts échus et non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard au taux égal à celui du prêt’.
Une telle clause, qui laisse croire à l’emprunteur qu’il ne dispose d’aucun délai pour régulariser l’arriéré ou saisir le juge des référés en suspension de l’obligation de remboursement du prêt sur le fondement de l’article L. 314-20 du code de la consommation, et que le prêteur peut se prévaloir sans délai de la déchéance du terme pour une seule échéances impayée, sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant des prêts consentis pour une somme de plus de 14 000 euros sur une période de 6 ans, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à l’obligation de rembourser immédiatement la totalité du capital restant dû.
Le fait que ces stipulations soient la reproduction des dispositions du code de la consommation ne saurait suffire à le dispenser de prévoir soumettre à l’emprunteur une clause de résiliation ne créant pas de déséquilibre significatif en la défaveur des emprunteurs.
Il convient en conséquence de déclarer cette clause de déchéance du terme abusive et de l’écarter d’office après que les parties ont été invitées à présenter leurs observations.
Il en résulte que le prêteur ne peut se prévaloir de la déchéance du terme du contrat.
En revanche, la banque fait valoir à juste titre que la défaillance dans le remboursement du prêt perdure depuis le mois de mars 2019 et qu’elle est bien fondée à solliciter la résiliation judiciaire du contrat en application des articles 1224 et 1228 du code civil le paiement des échéances de remboursement à bonne date étant en effet une obligation essentielle de l’emprunteur et sa carence persistante dans l’exécution de ses obligations présentant un caractère suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat.
Sur la déchéance du droit aux intérêts du prêteur :
Il résulte des articles L. 312-12 et R. 312-2 du code de la consommation, que le prêteur doit, préalablement à la conclusion du contrat de crédit, donner à l’emprunteur, par écrit ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres lui permettant, compte tenu de ses préférences, d’appréhender clairement l’étendue de son engagement, l’ensemble de ces informations devant être présentées conformément à la fiche d’information type figurant à l’annexe à l’article R. 311-3 et à présent à l’article R. 312-5.
Pour prononcer la déchéance du droit du prêteur aux intérêts, le premier juge a relevé que la société CA Consumer Finance ne produisait pas la fiche d’informations pré-contractuelles.
Le prêteur lui fait grief d’avoir statué ainsi, alors que ce document n’était pas un élément du contrat lui-même et n’était donc pas soumis à la formalité du double original, que les emprunteurs ont reconnu, lors de l’acceptation de l’offre, avoir été mis en possession de la fiche d’informations précontractuelles européenne.
La société Consumer Finance produit en outre en cause d’appel un exemplaire de la ‘liasse contractuelle’ habituellement remise à ses clients, contenant une fiche d’informations précontractuelles.
La Cour de justice de l’Union européenne a, par arrêt du 18 décembre 2014, dit pour droit que les dispositions de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d’une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution desdites obligations de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive et ne constituant qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents.
Dès lors même en admettant que la clause figurant au contrat puisse constituer l’indice de l’existence d’une fiche d’informations précontractuelles portée à la connaissance de Mme [U] et Mme [Z], elle n’est pas corroborée par des éléments de preuve de nature à convaincre la cour de sa remise, et moins encore de sa conformité au modèle type prévu par l’annexe à l’article R. 312-5.
En effet, la ‘liasse contractuelle’ produite par la société CA Consumer Finance est constituée par l’édition informatique d’une offre et d’une fiche d’informations précontractuelles vierges de sorte que, faute de production d’une copie de la fiche relative au prêt consenti à Mme [Z] et Mme [U], il ne peut en être déduit que, pour l’opération de crédit considéré, il a nécessairement été remis aux emprunteur un document précisant notamment, conformément à l’article R. 312-2, le type de crédit considéré, son montant total, sa durée, les conditions de mise à disposition des fonds, le nombre et la périodicité des échéances, le montant total dû par les emprunteurs, le taux débiteur, le taux annuel effectif global, tous les frais liés à l’exécution du contrat de crédit, l’existence du droit de rétractation, le droit au remboursement anticipé et le délai pendant lequel le prêteur est engagé par les informations précontractuelles.
C’est donc à juste titre que le premier juge a prononcé la déchéance du droit du prêteur aux intérêts.
Aux termes de l’article L. 341-1 et L. 341-8 du code de la consommation, le prêteur qui accorde un crédit sans communiquer à l’emprunteur les informations précontractuelles dans les conditions fixées par l’article L.’312-12 est déchu du droit aux intérêts, l’emprunteur n’étant alors plus tenu qu’au seul remboursement du capital, à l’exclusion des intérêts contractuels et des pénalités.
C’est en conséquence par de justes motifs que le premier juge a relevé qu’une somme totale de 1 013,48 euros avait été versée par les emprunteurs au titre du remboursement du capital prêté de 14 478,76 euros de sorte que le prêteur n’était plus fondé à leur réclamer qu’une somme de 13 465,28 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de l’assignation.
Il convient de confirmer le jugement en ce que, afin de garantir l’effectivité de la sanction, il a ordonné la suppression de la majoration du taux légal prévu par l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, la seule majoration de 5 points étant supérieure au taux contractuel.
Mme [U] et Mme [Z] s’étant toutes deux engagées par le même acte et dans les mêmes termes à rembourser la totalité de l’emprunt se sont dès lors solidairement engagées envers le prêteur et le jugement sera réformé en ce qu’il a écarté la solidarité des deux co-emprunteuses qui seront condamnées solidairement au paiement.
Compte tenu de l’ancienneté des impayés, il n’y a pas lieu d’accorder des délais à Mmes [U] et [Z] pour s’acquitter de leur dette.
Succombant pour l’essentiel, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné Mmes [U] et [Z] aux dépens de première instance. Les appelantes seront condamnées aux dépens d’appel.
Il n’y a pas matière à faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Réforme partiellement le jugement rendu le 19 juin 2020 par le tribunal de proximité de Redon et statuant sur l’entier litige,
Déclare abusive et écarte la clause du contrat de prêt formé par offre acceptée le 25 mai 2018 stipulant que ‘en cas de défaillance de la part de l’emprunteur dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû majoré des intérêts échus et non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard au taux égal à celui du prêt’.
Dit que la société CA Consumer Finance ne peut se prévaloir de la clause d’exigibilité du contrat.
Prononce la résolution judiciaire du contrat conclu suivant offre préalable de prêt du 25 mai 2018 consenti par la société Consumer Finance à Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z].
Prononce la déchéance du droit aux intérêts de la société CA Consumer Finance au titre du prêt souscrit par Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] le 25 mai 2018, à compter de cette date.
Condamne solidairement Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 13 465,28 euros avec intérêts légal, sans majoration possible, à compter de l’assignation du 11 octobre 2019.
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Condamne Mme [L] [U] et Mme [Y] [Z] in solidum aux dépens de première instance et d’appel.
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.
LE GREFFIER LE PRESIDENT