Déséquilibre significatif : 2 mars 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/04118
Déséquilibre significatif : 2 mars 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/04118
Ce point juridique est utile ?

2 mars 2023
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
21/04118

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/04118 –

N° Portalis DBVH-V-B7F-IH7U

MPF – NR

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE PRIVAS

15 septembre 2021

RG :20/01747

S.A. SOCIETE GENERALE [Localité 6]

C/

S.C.I. GALA

S.E.L.A.R.L. SELARL [S] [P]

Grosse délivrée

le 02/03/2023

à Me Frédéric VIGNAL

à Me Jean-marie CHABAUD

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

1ère chambre

ARRÊT DU 02 MARS 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PRIVAS en date du 15 Septembre 2021, N°20/01747

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre

Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère

Mme Séverine LEGER, Conseillère

GREFFIER :

Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 12 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 02 Mars 2023.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANTE :

S.A. SOCIÉTÉ GÉNÉRALE [Localité 6]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Frédéric VIGNAL de la SCP LEXMAP&ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau D’ARDECHE

Représentée par Me Caroline CHAPOUAN de la SCP LEXMAP&ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VALENCE

INTIMÉES :

S.C.I. GALA

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

S.E.L.A.R.L. SELARL ETUDE BALINCOURT,

[Adresse 3]

[Localité 2]

Assignée à personne morale le 25 janvier 2022

Sans avocat constitué

ARRÊT :

Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 02 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 10 juin 2014, la SCI Gala a souscrit auprès de la Société Générale un emprunt de 515 690,65 euros au taux conventionnel de 3,25% durant dix-sept ans.

Par jugement du 19 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Privas a ouvert à l’égard de la SCI Gala une procédure de sauvegarde converti la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire par jugement du 20 février 2019. La Selarl Balincourt, représentée par Maître [D] [I], a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Conformément aux dispositions de l’article L 622-24 du code de commerce, la Société Générale a déclaré au passif de la procédure sa créance à titre chirographaire soit la somme de 17 778,90 euros au titre des intérêts échus, 409 922,88 euros au titre du capital restant dû avec intérêts contractuels au taux de 3,25%.

La SCI Gala a formé une contestation le 8 octobre 2019 et sollicité l’admission partielle de la créance à hauteur de la somme de 332 138,64 euros au motif que le calcul des intérêts conventionnels sur la base d’une année lombarde au lieu d’une année civile était sanctionnée par la substitution du taux d’intérêt légal au taux d’intérêt conventionnel.

Par ordonnance du 15 juillet 2020, le juge commissaire de la procédure a constaté l’existence d’une contestation sérieuse, prononcé le sursis à statuer sur l’admission de la créance, et invité la SCI Gala à saisir la juridiction compétente dans le délai d’un mois à compter de la notification de la décision.

La SCI Gala a assigné la Société Générale par acte du 12 août 2020 devant le tribunal judiciaire de Privas aux fins d’annulation la stipulation d’intérêts conventionnels insérée dans l’acte de prêt et de fixation de la créance à la somme de 332 138,64 euros avec intérêts au taux légal de 0,04%.

Par jugement réputé contradictoire du 15 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Privas a :

– déclaré irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par la Société Générale ;

– fixé la créance de la Société Générale au passif du redressement judiciaire de la SCI Gala à la somme de 332 138,64 euros, avec intérêt au taux de 0,04% à compter de la date de déchéance du terme ;

– rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires ;

– dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société anonyme Société Générale aux dépens

Par déclaration du 17 novembre 2021, la Société Générale [Localité 6] a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 27 juin 2022, la procédure à été clôturée le 27 octobre 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 10 novembre 2022.

Par un avis de déplacement d’audience en date du 19 juillet 2022, l’audience a été déplacée au 12 janvier 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 juillet 2022, la Société Générale demande à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau:

– débouter la SCI Gala de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner la SCI Gala au paiement de la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la SCI Gala aux entiers dépens.

L’appelante rappelle que l’utilisation de l’année lombarde pour calculer les intérêts de l’emprunt n’est pas systématiquement une cause de nullité de la clause de stipulation d’intérêt conventionnel et que l’intimée doit rapporter la preuve du préjudice que cette utilisation lui a causé. L’appelante conteste de surcroît la qualité de consommateur ou de non-professionnel de la SCI Gala et fait grief au tribunal d’avoir annulé la clause d’intérêts conventionnels en se fondant sur un rapport non contradictoire alors que la SCI Gala ne rapporte pas la preuve du préjudice causé par la référence à l’année lombarde.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 avril 2022, la SCI Gala, intimée, demande à la cour de :

A titre principal :

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

– rejeter l’ensemble des demandes de la Société Générale ;

A titre subsidiaire :

– prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts de la Société Générale pour le prêt litigieux ;

– ordonner la substitution du taux légal au taux conventionnel prévu à l’acte de prêt ;

– ordonner à la Société Générale de produire un tableau d’amortissement actualisé au taux légal ;

– fixer le montant de la créance de la Société Générale à la somme de 332 138, 64 euros, outre intérêts au taux légal de 0,04% ;

– rejeter l’ensemble des demandes de la Société Générale ;

En tout état de cause :

– condamner la Société Générale à la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens

L’intimée soutient que le rapport d’analyse qu’elle a versé aux débats démontre que le recours au diviseur 360 jours a permis à la banque de réclamer un montant plus élevé d’intérêts que le recours au diviseur 365 et en déduit que le TEG mentionné dans l’acte de prêt est erroné, cette erreur du TEG lui étant préjudiciable. Elle rappelle que son préjudice calculé par le tribunal s’élève à la somme de 22,25 euros. La SCI Gala estime par ailleurs que les premiers juges l’ont à juste titre qualifiée de non-professionnel dès lors que son objet était purement familial, le prêt qu’elle a contracté étant destiné à acquérir une maison servant à la résidence principale de la famille. Elle fait observer à la cour que l’offre de prêt vise d’ailleurs les articles 312-1 et suivants du code de consommation, applicables aux consommateurs et aux non-professionnels. A titre subsidiaire, si la sanction de la nullité contractuelle n’était pas retenue, l’intimée demande à la cour de prononcer la déchéance du droit aux intérêts prévue à l’ancien article L 312-33 du code de la consommation.

La Selarl Balincourt, assignée par acte remis à [F] [R], secrétaire, laquelle a déclaré être habilitée à recevoir l’acte, n’a pas constitué avocat.

MOTIFS :

Sur la nullité de la stipulation des intérêts conventionnels :

Le tribunal a considéré que le recours au diviseur 360 ‘ année lombarde – dans un prêt immobilier consenti à un consommateur ou à un emprunteur non-professionnel était proscrit, d’une part, et qu’il avait été utilisé à l’insu de l’emprunteur pour ne pas avoir été mentionné dans l’offre de prêt, d’autre part. Après avoir comparé le montant total des intérêts dus par l’emprunteur pendant toute la durée du prêt calculés selon l’année lombarde de 360 jours (157 123,28 euros) et le montant total des intérêts selon l’année civile de 365 jours (157 101,03 euros), le premier juge a constaté qu’entre les deux sommes il existait une différence de 22,25 euros au détriment de l’emprunteur et en faveur de la banque et que le taux d’intérêt conventionnel et le TEG étaient supérieurs à ceux mentionnés dans l’acte de prêt. Il en a déduit que la stipulation d’intérêts conventionnels n’était pas conforme à l’article 1907 du code civil lequel dispose que le taux d’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit.

La Société Générale sollicite l’infirmation du jugement entrepris au motif que le calcul des intérêts conventionnels sur 360 jours n’a pas eu d’effet sur le montant des intérêts supporté par l’emprunteuse. Elle rappelle que la cour de cassation impose désormais aux juges de caractériser l’atteinte suffisamment grave aux droits de l’emprunteur au point de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et que cette jurisprudence a été corroborée par l’ordonnance n°2019-740 du 17 juillet 2018 relative aux sanctions civiles en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global laquelle prévoit que ces sanctions sont proportionnées au préjudice effectivement subi par l’emprunteur. Enfin, elle estime que la Sci Gala est une professionnelle.

La SCI Gala, se fondant sur le rapport d’analyse mathématique qu’elle produit aux débats, fait valoir que l’usage du diviseur 360 a permis à la banque de réclamer un montant total d’intérêts conventionnels supérieur à celui qu’elle aurait pu réclamer en usant du diviseur 365. Elle en déduit que les intérêts conventionnels réclamés ne correspondent pas au taux d’intérêt et au TEG mentionnés dans l’acte de prêt. L’intimée soutient en outre qu’elle est un non-professionnel et rappelle que le prêt qui lui a été consenti ne pouvait être calculé que sur la base d’une année civile.

L’utilisation du diviseur 360 correspondant à la durée de l’année lombarde pour calculer les intérêts conventionnels ne suffit pas à elle seule à entraîner l’annulation du taux d’intérêt conventionnel stipulé par l’acte de prêt et l’emprunteur est tenu de démontrer que cette base de calcul a entraîné à son détriment un écart supérieur à la décimale tel que prévu par l’article R 313-1 du code de la consommation dans sa version applicable au présent litige.

La question de la qualification de non-professionnel de la SCI Gala est donc indifférente : à supposer qu’elle ne soit pas considérée comme un professionnel et qu’en conséquence le recours au diviseur 360 soit exclu pour le calcul des intérêts, il ne lui suffirait pas de démontrer que les intérêts du prêt ont été calculés sur la base d’une année lombarde et non sur une année civile pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts conventionnels.

La Société Générale ne conteste pas que dans le tableau d’amortissement du prêt litigieux, les intérêts conventionnels ont été calculés sur la base d’une année lombarde et confirme ainsi les conclusions du rapport d’expertise extra-judiciaire produit par la SCI Gala.

La SCI Gala ne démontre pas que le calcul des intérêts sur la base d’une année lombarde a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation.

En effet, le rapport d’expertise extra-judiciaire produit conclut de manière générale que l’utilisation du diviseur 360 a, de manière exponentielle, des incidences inacceptables pour le consommateur non-professionnel. Le rédacteur du rapport indique que ce mode de calcul impacte mécaniquement le capital remboursé dès lors que les intérêts indûment prélevés ampute la diminution du capital restant dû, entraînant une répercussion en cascade et déséquilibre tout le tableau d’amortissement jusqu’au terme du prêt.

L’écart global sur la capital restant dû n’a toutefois pas été chiffré dans le rapport, le rédacteur s’étant contenté de le chiffrer pour les quatre premières échéances comme suit: «  7/9/2014 : 12,76 euros ; 7/10/2014 : 12,79 euros ; 7/11/2014 : 12,82 euros ». Il en est de même pour le calcul de l’écart des intérêts: «  7/8/2014 : -12,76 euros ; 7/9/2014 :  0,03 euros 7/10/2014 0,03 euros ; 7/11/2014 0,03 euros ».

Il apparaît néanmoins à l’examen des écarts calculés sur les seules quatre premières échéances que le surcoût du prêt imputable au calcul des intérêts sur la base d’une année lombarde est minime, ce dont l’expert a implicitement convenu en écrivant juste sous les résultats du calcul des écarts: « l’aspect éventuellement minime ne peut entrer en ligne de compte, il s’agit d’un principe ».

Le premier juge a quant à lui rédigé deux tableaux dans son jugement, le premier étant le tableau d’amortissement de la banque dans lequel les intérêts conventionnels sont calculés sur la base de 360 jours et le second est un tableau d’amortissement ans lequel les intérêts conventionnels sont calculés sur la base de 365 jours. Il ressort en fin de tableau un écart de 22,50 euros entre le montant total des intérêts conventionnels du premier tableau (157 123,28 euros) et celui du second tableau (157 101,03 euros).

La Sci Gala ne rapporte donc pas la preuve que l’utilisation du diviseur 360 au lieu du diviseur 365 a entraîné un écart d’intérêts supérieur à la marge de tolérance prévue par l’article R. 313-1 du code de la consommation.

Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et la SCI Gala sera déboutée de sa demande d’annulation de la stipulation d’intérêts conventionnels.

Pour les mêmes raisons, elle sera aussi déboutée de sa demande de déchéance du droit aux intérêts de la Société Générale.

Il est équitable de la condamner à payer à la Société Générale la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute la SCI Gala de toutes ses demandes,

Y ajoutant,

La condamne à payer à la Société Générale la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux dépens.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x