Déséquilibre significatif : 16 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/06696
Déséquilibre significatif : 16 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/06696
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16 mars 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/06696

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 53B

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 MARS 2023

N° RG 21/06696 – N° Portalis DBV3-V-B7F-U2NK

AFFAIRE :

[W] [E]

[S] [K]

C/

S.A. LE CREDIT LYONNAIS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Septembre 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VERSAILLES

N° RG : 19/00153

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 16.03.2023

à :

Me Cécile PROMPSAUD, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Margaret BENITAH, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [W] [E]

né le [Date naissance 4] 1989 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]

Madame [S] [K]

née le [Date naissance 6] 1989 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentant : Me Thierry BENKIMOUN de la SELASU BENKIMOUN AVOCAT CONSEIL, Plaidant, avocat au barreau de MEAUX, vestiaire : 38 – Représentant : Me Cécile PROMPSAUD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 105 – N° du dossier 26320

APPELANTS

****************

S.A. LE CREDIT LYONNAIS

N° Siret : 954 509 741 (RCS Lyon)

[Adresse 2]

[Localité 7]

(et le siège central [Adresse 3])

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Magali TARDIEU-CONFAVREUX de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R010 – Représentant : Me Margaret BENITAH, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.409

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 Février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller et Madame Florence MICHON, Conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre du 6 juillet 2017, acceptée le 24 juillet 2017, Le Crédit Lyonnais a consenti à M. [E] et Mme [K] un prêt immobilier d’un montant de 460 000 euros, au taux de 2,05%, remboursable en 300 mensualités de 2 064,45 euros, destiné à financer l’acquisition d’une maison individuelle sise [Adresse 5] à [Localité 8], à usage de résidence principale.

Par courrier recommandé avec demande d’avis de réception daté du 13 mars 2018, adressé aux emprunteurs, Le Crédit Lyonnais a fait savoir que des renseignements et/ou justificatifs par eux fournis à l’appui de leur demande de prêt, et déterminants dans la décision d’octroi du prêt, étaient inexacts, et les a invités à fournir leurs explications sur ce point, ainsi que les originaux des pièces, faute de quoi il se prévaudrait de la déchéance du terme en application des conditions générales du contrat de prêt.

Par courriers recommandés avec demande d’avis de réception, datés du 6 septembre 2018, Le Crédit Lyonnais a prononcé la déchéance du terme du prêt, et mis en demeure M. [E] et Mme [K] de régler la somme de 446 962,73 euros représentant le capital restant dû, outre celle de 31 287,39 euros au titre de l’indemnité légale de 7% du capital restant dû.

Par exploit du 18 décembre 2018, Le Crédit Lyonnais a assigné les emprunteurs en paiement.

Par jugement rendu le 10 septembre 2021 le tribunal judiciaire de Versailles a :

condamné M. [E] et Mme [K] à payer à la société LCL les sommes suivantes :

446 962,73 euros au titre du capital restant dû après l’échéance du 15 août 2018, outre les intérêts au taux conventionnel de 2,05 % l’an à compter du 6 septembre 2018 et sous déduction des règlements partiels intervenus, d’un montant de 62 784,47 euros au 2 février 2021,

31 287,39 euros au titre de l’indemnité forfaitaire, outre les intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2018,

2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

rejeté la demande de délais de grâce,

rejeté la demande de capitalisation des intérêts,

condamné M. [E] et Mme [K] aux dépens qui pourront être recouvrés directement par Maître Magali Tardieu-Confavreux conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le 8 novembre 2021, M. [E] et Mme [K] ont relevé appel de cette décision.

Par ordonnance rendue le 10 janvier 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 8 février 2023.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe le 3 janvier 2023 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leur prétentions et moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. [E] et Mme [K], appelants, demandent à la cour de :

infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Versailles rendu le 10 septembre 2021 dans l’ensemble de ses dispositions,

Et par conséquent :

rejeter l’ensemble des demandes formulées par la SA LCL,

dire n’y avoir lieu à la déchéance du terme,

dire n’y avoir lieu à l’application du taux d’intérêts conventionnel sur le capital restant dû,

dire n’y avoir lieu au règlement de l’indemnité de résolution fixée conventionnellement à 7% du capital restant dû,

dire n’y avoir lieu à la capitalisation des intérêts,

condamner la SA LCL à leur régler la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la SA LCL aux entiers dépens,

A titre subsidiaire,

infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Versailles le 10 septembre 2021 en ce qu’il les a déboutés d’une part, du délai de grâce par eux sollicité et, d’autre part, de leur demande tendant à voir débouter le LCL de sa demande de condamnation fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

En conséquence :

leur accorder un délai de grâce les autorisant à reporter le paiement des sommes dues durant une période de trois années [sic], à charge pour eux de régler, dès la régularisation de la vente du bien appartenant à Mme [K], situé sur la commune d'[Localité 10], la somme de 270 000 euros, outre le règlement mensuel de la somme de 2 100 euros durant 35 mois, la dernière échéance viendra solder la dette contractée à l’égard de la banque,

Qu’à l’issue de cette période, ils devront procéder au règlement du capital restant dû minoré des sommes déjà remboursées,

débouter la SA LCL de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 5 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, Le Crédit Lyonnais, intimé demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à actualiser la condamnation,

condamner Mme [K] et M. [E] à lui payer la somme de (…) 408 561,76 euros augmentée des intérêts au taux conventionnel de 2,05 % sur la somme de 377 274,37euros à compter du 4 janvier 2023 jusqu’à parfait paiement et des intérêts au taux légal sur la somme de 31 287,39 euros à compter du 6 septembre 2018,

débouter Mme [K] et M. [E] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

condamner solidairement Mme [K] et M. [E] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Magali Tardieu-Confavreux en application de l’article 699 du code de procédure civile.

A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 16 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, sur l’étendue de la saisine de la cour

La cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, pour autant qu’elles sont soutenues par des moyens développés dans la discussion, et qu’elle ne répond aux moyens que pour autant qu’ils donnent lieu à une prétention correspondante figurant au dispositif des conclusions.

Elle rappelle également que les « dire et juger » et les « constater » qui sont des rappels des moyens invoqués à l’appui des demandes, ne conférant pas -hormis les cas prévus par la loi- de droit à la partie qui les requiert, ne sont pas des prétentions.

Sur la demande en paiement

Les appelants, qui ne contestent pas que des informations inexactes ont été communiquées à l’appui de leur demande de prêt, mais en imputent la responsabilité au courtier dont ils avaient sollicité le concours, qui s’est selon eux chargé de constituer l’intégralité du dossier remis à la banque, font valoir :

qu’ils ne sont pas à l’origine des manoeuvres réalisées pour l’obtention du prêt ; que la communication d’informations inexactes à l’établissement prêteur est le fait d’une tierce personne ; que le seul fait d’apposer leurs initiales sur l’offre de prêt rédigée par l’établissement bancaire ne suffit pas à caractériser les manoeuvres exigées par la loi, notamment s’agissant des règles légales qui régissent le vice du consentement ; qu’en conséquence, la banque ne peut se prévaloir d’une tromperie délibérée de leur part pour prononcer la déchéance du terme ;

qu’il appartient à la banque, qui doit vérifier les capacités financières et de remboursement des emprunteurs, de s’assurer de l’exactitude des informations relatives aux facultés contributives de l’emprunteur, en vérifiant les documents remis ; qu’en ne procédant pas à la vérification des éléments de solvabilité communiqués par le courtier avant l’octroi du crédit, ce qui lui aurait permis de se convaincre, sans aucune forme d’ambiguïté, du caractère erroné des informations transmises, la banque a commis une faute inexcusable, de sorte que, ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, elle n’est pas légitime à solliciter unilatéralement la déchéance du prêt,

que la clause appliquée par la banque est une clause abusive, dans la mesure où elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, puisqu’elle tend à laisser penser que le prêteur dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’inexactitude dans les déclarations de l’emprunteur, et laisse croire que l’emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien fondé de la déchéance,

qu’il n’y a aucun manquement de leur part dans l’exécution du contrat de prêt, aucun incident de paiement n’ayant été relevé à leur encontre depuis sa conclusion,

qu’ils ne sauraient être tenus au règlement des intérêts conventionnels, des frais annexes et de l’indemnité de résolution (sic) de 7% du capital restant dû, dès lors que la sanction applicable en cas d’irrégularités dans la formation du contrat de prêt devrait être la nullité du dit contrat pour vice du consentement,

qu’en tout état de cause, l’indemnité d’exigibilité anticipée de 7% du capital et des intérêts échus et non payés, que la banque réclame à hauteur de 31 287,39 euros, est manifestement excessive au regard du préjudice, en réalité nul, effectivement subi par la banque.

La banque rétorque :

que la clause de déchéance du terme dont elle a fait application n’est pas une clause abusive ; que la Cour de cassation a validé ce type de clauses,

qu’il est établi et non contesté que l’ensemble des documents ayant servi de base à l’octroi du prêt sont des faux ; que les informations relatives aux capacités contributives des emprunteurs étaient essentielles à l’appréciation de la banque pour l’octroi du crédit, ainsi que pour la poursuite de l’exécution du contrat,

que l’intervention d’un prétendu courtier n’est en rien établie ; qu’en tout état de cause, l’emprunteur est responsable de l’intermédiaire qu’il a mandaté, peu important l’auteur des faux documents, de sorte que M. [E] et Mme [K] doivent répondre des documents remis à la banque par leur ‘courtier’, à supposer qu’il existe, et ce quand bien même ils ne les auraient pas eux-mêmes falsifiés; qu’au demeurant, ils ont dans leur demande de prêt certifié exactes sur l’honneur les informations relatives à leurs revenus, dont les faux documents sont censés justifier ; qu’il est donc avéré qu’ils ont manqué à leur obligation de bonne foi dans la fourniture de renseignements nécessaires à l’appréciation par la banque de leur situation patrimoniale ; qu’en conséquence, elle était légitime à prononcer la déchéance du terme ;

que si la banque a l’obligation de se renseigner sur les facultés contributives des emprunteurs, ce qu’elle a fait en l’espèce, elle n’a pas à vérifier l’exactitude des renseignements que fournissent ceux-ci, sous leur seule responsabilité,

que l’indemnité d’exigibilité anticipée, prévue par l’article 6 de l’offre de prêt, a été acceptée par M. [E] et Mme [K], et doit s’appliquer ; qu’elle n’est pas manifestement excessive, au regard du préjudice qu’elle subit, puisqu’elle aurait dû percevoir, sur 25 ans, 128 738,04 euros d’intérêts, et qu’elle n’en a perçu que 98 987,46 euros du fait de la déchéance du terme ; qu’en outre, la condamnation au paiement de l’indemnité d’exigibilité vise également à réparer le préjudice subi du fait du manquement des emprunteurs à leur obligation de contracter de bonne foi,

que compte tenu des remboursements partiels effectués par les emprunteurs, la somme qui lui est due au 4 janvier 2023 s’établit à 408 561,76 euros, outre les intérêts.

Quant à la déchéance du terme 

Selon l’article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L’article 5.1 des conditions générales du prêt, dont Le Crédit Lyonnais a fait application en l’espèce, stipule que :

‘LCL aura la faculté de rendre exigibles par anticipation toutes les sommes dues au titre du prêt, tant en principal qu’en intérêts et accessoires, dans l’un quelconque des cas suivants : (…)

– inexactitude des renseignements et/ou des justificatifs fournis lors de la demande de prêt, résultant de manoeuvres frauduleuses imputables à l’un et/ou à l’autre des emprunteurs, portant sur la situation personnelle, professionnelle, patrimoniale ayant servi de base à l’octroi du prêt. (…)

Dans l’un ou l’autre des cas ci-dessus, LCL notifiera, par lettre recommandée avec accusé de réception, à l’emprunteur ou aux emprunteurs (…) qu’il se prévaut de la présente clause et que l’exigibilité anticipée lui sera acquise si ladite lettre reste sans effet à l’expiration d’un délai de 15 jours en cas d’impayé(s), 30 jours dans les autres cas.’

Il est de droit ( 1ère Civ., 20 janvier 2021, pourvoi n° 18-24.297) que ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment du consommateur, la clause qui permet au prêteur de prononcer, en l’absence même de préavis ou de défaillance dans le remboursement du prêt, la déchéance du terme en raison de la fourniture de renseignements inexacts lors de la souscription du contrat, dès lors que ceux-ci portent sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l’octroi du concours financier et que l’emprunteur conserve la faculté de recourir à un juge pour contester l’application de la clause à son égard.

Comme l’a exactement retenu le premier juge, dont l’analyse n’est pas utilement critiquée par les appelants, qui reprennent exactement les moyens qu’ils ont soutenus en première instance, sans tenir compte des réponses qu’y a apportées le tribunal avec précision, la clause litigieuse limite expressément la faculté de prononcer l’exigibilité anticipée du prêt à la fourniture d’un élément déterminant du consentement du prêteur dans l’octroi du crédit, les éléments concernant la situation personnelle, professionnelle et patrimoniale de l’emprunteur étant indispensables pour permettre au prêteur d’analyser sa solvabilité préalablement à l’octroi du prêt.

Par ailleurs, là encore comme justement retenu par le tribunal, la faculté octroyée à la banque de faire application de cette clause sans recours préalable au juge n’interdit en rien à l’emprunteur d’y recourir pour contester la mise en oeuvre de la dite clause à son égard, ce qu’ils font d’ailleurs dans le cadre de la présente procédure.

La clause querellée ne constitue donc pas une clause abusive, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’écarter son application.

L’inexactitude des renseignements fournis par les emprunteurs concernant leur situation n’étant pas utilement discutée, de même que le caractère apocryphe des documents produits à l’appui de la demande de prêt, que la banque verse aux débats, le premier juge a parfaitement relevé que :

les emprunteurs n’ont pas attrait dans la cause le courtier supposément auteur des manoeuvres de tromperie, ni n’ont révélé son identité,

aucun contrat de courtage bancaire n’est produit aux débats,

l’offre de prêt ne fait référence à aucun intermédiaire, et stipule à la rubrique ‘frais d’intermédiaire’ la valeur 0, ce qui exclut une telle intervention,

ce dont il a à raison déduit que les emprunteurs échouaient à rapporter la preuve de l’intervention d’un tiers dans l’octroi du prêt, étant observé que là encore, les motifs du jugement ne sont pas utilement critiqués par les appelants, qui, pas plus qu’ils ne l’ont fait en première instance, n’apportent le moindre élément permettant d’étayer leurs affirmations quant au rôle qu’aurait tenu le courtier auquel ils auraient prétendument eu recours.

Et en tout état de cause, même à tenir pour vraies leurs affirmations, l’intervention d’un tiers ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de la clause de déchéance du terme.

D’une part, en effet, les emprunteurs doivent répondre des agissements faits, pour leur compte, par le mandataire qu’ils ont désigné, et donc des manoeuvres frauduleuses de celui-ci, à supposer qu’il existe, consistant à fournir des faux justificatifs tels que bulletins de salaire, avis d’imposition, relevés de compte bancaire.

D’autre part, comme le souligne la banque, les emprunteurs ont, dans leur demande de prêt établie le 6 juillet 2017, et signée par leurs soins, déclaré des revenus annuels de 39 800 euros et 46 100 euros, parfaitement inexacts, transmis des bulletins de salaire et des avis d’imposition correspondants, et attesté sur l’honneur l’exactitude des renseignements donnés, notamment en ce qui concerne leurs revenus.

En conséquence, les appelants ont donc bien participé aux manoeuvres frauduleuses visées par la clause de déchéance du terme dont la banque a fait application.

Enfin, s’il appartient effectivement à l’établissement prêteur de s’assurer des capacités financières et de remboursement des emprunteurs, ce qui a été le cas en l’espèce, puisque des renseignements sur la situation professionnelle des emprunteurs, leurs revenus annuels, leurs charges et leur patrimoine ont été sollicités par la banque, avec la fourniture de bulletins de salaire et d’avis d’imposition, la banque n’est pas tenue, contrairement à ce qu’affirment les appelants, de vérifier l’authenticité des documents produits, et l’exactitude des déclarations effectuées par les emprunteurs, de sorte que c’est en vain que M. [E] et Mme [K] lui opposent sa propre faute, pour prétendre s’exonérer de l’application des stipulations du contrat qu’ils ont conclu avec elle.

Les conditions d’application de la clause d’exigibilité immédiate figurant au contrat de prêt, qui n’encourt aucune critique, étant réunies, Le Crédit Lyonnais, qui a conformément aux prévisions contractuelles, sollicité au préalable les observations des parties, était en droit de la mettre en oeuvre, peu important qu’aucun incident de paiement n’ait à cette date été relevé à l’encontre des emprunteurs.

Quant aux sommes dues

En vertu de l’article 6 du contrat de prêt, qui fait la loi des parties, et dont la banque est parfaitement en droit de réclamer l’exécution, de sorte qu’est vaine l’argumentation développée par les emprunteurs sur la sanction qu’il conviendrait en réalité d’appliquer, à savoir la nullité du contrat qui la dispenserait de régler les intérêts conventionnels, les frais annexes et l’indemnité de résiliation anticipée, dans le cas où la banque, pour une cause quelconque, demande le remboursement immédiat du capital devenu exigible par anticipation, toutes les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. De plus, une indemnité de 7 % du capital et des intérêts échus et non payés, outre les frais taxables occasionnés, est due par l’emprunteur.

Au vu des éléments soumis à l’appréciation de la cour, et notamment du contrat de prêt, du tableau d’amortissement et du décompte détaillé pour la période du 6 septembre 2018 au 4 janvier 2023 que produit Le Crédit Lyonnais à l’appui de sa demande en paiement telle qu’elle est actualisée à hauteur d’appel, et qui n’est pas utilement critiqué par les appelants, restent dues au 4 janvier 2023, en tenant compte des règlements effectués par les emprunteurs jusqu’au 3 janvier 2023, une somme de 377 253,18 euros au titre du principal, et une somme de 21,19 euros au titre des intérêts arrêtés au 4 janvier 2023.

S’agissant de l’indemnité de résiliation de 7%, son montant, non contesté dans son quantum, s’établit à 31 287,39 euros, et c’est à raison que le premier juge a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’en modérer le montant en application de l’article 1231-5 du code civil, dès lors qu’il n’était pas manifestement excessif, compte tenu du préjudice subi par Le Crédit Lyonnais, qui, même s’il a vocation, comme le soulignent les emprunteurs, à être remboursé du capital avant le terme initialement prévu, se trouve privé, du fait du manquement des emprunteurs, de la perception des intérêts restant à courir jusqu’à la fin du prêt, qu’il chiffre, sans être utilement contredit, à un manque à gagner de 119 750,58 euros.

M. [E] et Mme [K] doivent en conséquence être condamnés à régler à la banque les sommes de :

377 274,37 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 2,05% sur la somme de 377 253,18 euros à compter du 4 janvier 2023,

31 287,39 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2018.

Sur la demande de délais de grâce

Sur le fondement de l’article 1343-5 du code civil, M. [E] et Mme [K] demandent à bénéficier d’un délai de grâce de trois années pour s’acquitter du montant dû à la banque. Ils exposent que compte tenu de l’importance de la somme en cause et de la modicité de leurs revenus, il leur est actuellement impossible de rembourser l’intégralité de la somme due, mais qu’ils sont en mesure, avec le patrimoine dont ils disposent, de désintéresser la banque à l’issue de ce délai de grâce. Ils font valoir :

qu’ils sont en mesure de s’acquitter prochainement, du fait de la vente d’un pavillon appartenant à Mme [K], qui doit intervenir courant février 2023, d’une somme de 270 000 euros,

qu’ils sont également en mesure de diviser en 2 lots distincts le bien immobilier acquis grâce au prêt litigieux, en vue de céder l’un d’entre eux,

qu’ils se proposent en outre de régler mensuellement une somme de 2 100 euros, qui correspond très précisément à celle réglée à la banque dans le cadre de la souscription du prêt, rappelant qu’ils ont toujours honoré les échéances de leur crédit jusqu’à ce jour.

Le Crédit Lyonnais s’oppose à tout délai, motif pris de la déloyauté des appelants, qui est à l’origine du présent litige, de l’absence de tout justificatif tel qu’avis d’imposition et bulletins de salaire à l’appui de leur demande, et de sa méconnaissance des véritables revenus des emprunteurs, qui ne lui permet pas d’apprécier leur régularité ni leur pérennité. Quant à la promesse de vente que produisent les appelants, il observe qu’elle a été consentie à une SCI qui est constituée de l’appelante, et de 3 autres personnes dénommées également [K], lesquelles sont sans profession, mis à part le gérant, et dont le capital est de 100 euros, et sous conditions suspensive d’obtenir un financement bancaire correspondant à la totalité du prix, de sorte que la vente est loin d’être certaine. Et en tout état de cause, ajoute-t-il, si la vente devait se réaliser, il resterait du une somme de 138 000 euros que les revenus affichés par les appelants ne permettent pas de rembourser sur 24 mois.

En vertu de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années ( et non trois années comme le demandent les appelants) le paiement des sommes dues.

Alors que le premier juge a relevé que, s’ils s’acquittaient régulièrement depuis l’origine du prêt litigieux, des échéances mensuelles du prêt, M. [E] et Mme [K] s’abstenaient de justifier de leurs situations de revenus et charges, force est de constater qu’il en est de même en cause d’appel, où il n’est pas davantage produit une quelconque pièce justificative de leurs revenus.

Par ailleurs, il ne résulte pas des éléments produits par les appelants pour justifier qu’ils sont en mesure de mobiliser leur patrimoine, soit :

un contrat de location, soumis à la loi du 6 juillet 1989, consenti par Mme [K] pour un bien sis [Adresse 1] à [Localité 10] le 1er janvier 2022, pour une durée de 1 an,

une promesse de vente à une SCI Aloa, par Mme [K], du bien sis [Adresse 1] à [Localité 10], conclue le 1er décembre 2022, pour un prix de 270 000 euros, outre les frais,

un mandat de vente, portant sur le bien sis [Adresse 5] à [Localité 8], pour un prix de 625 000 euros, en date du 28 janvier 2022,

un contrat de location, soumis à la loi du 6 juillet 1989, consenti par Mme [K] pour une partie de son logement, sis [Adresse 5] à [Localité 8], le 1er mars 2022, pour une durée de 1 an,

que la vente de ce patrimoine immobilier pourrait effectivement intervenir d’ici deux ans, observation faite que les appelants ne justifient pas avoir entrepris une quelconque démarche en vue de diviser le bien acquis grâce au prêt litigieux, comme ils prétendent vouloir le faire, et que comme en justifie Le Crédit Lyonnais, la SCI Aloa a un capital sociale de 100 euros et est constituée outre de Mme [K] elle-même, qui se déclare sans profession, de 3 autre associés qui sont manifestement des membres de sa famille, et qui sont aussi pour 2 d’entre eux sans profession déclarée, tous éléments de nature à rendre très incertaine la réalisation de la vente du bien en cause.

M. [E] et Mme [K] ne justifiant pas plus devant la cour qu’en première instance de leur capacité à régler l’intégralité de leur dette dans le délai de 24 mois seul susceptible de leur être octroyé, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a rejeté leur demande de délai de grâce.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, M. [E] et Mme [K] doivent être condamnés in solidum aux dépens de l’appel.

Ils seront également condamnés, in solidum, à régler à la banque intimée une somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’elle a été contrainte d’exposer, en sus de la condamnation prononcée en première instance, qui est confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

CONFIRME, en toutes ses dispositions frappées d’appel, le jugement rendu le 10 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Versailles, sauf en ce qui concerne la condamnation de M. [E] et Mme [K] à payer à la société Le Crédit Lyonnais la somme de 446 962,73 euros au titre du capital restant dû après l’échéance du 15 août 2018, outre les intérêts au taux conventionnel de 2,05 % l’an à compter du 6 septembre 2018 et sous déduction des règlements partiels intervenus, d’un montant de 62 784,47 euros au 2 février 2021 ;

Réformant le jugement sur ce seul point, et y ajoutant,

Condamne M. [W] [E] et Mme [S] [K] à payer à la société Le Crédit Lyonnais la somme de 377 274,37 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 2,05% sur la somme de 377 253,18 euros à compter du 4 janvier 2023, au titre du solde du prêt ;

Déboute M. [E] et Mme [K] du surplus de leurs demandes,

Condamne M. [E] et Mme [K], in solidum, à régler à la société Le Crédit Lyonnais une somme de 2 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de l’appel ;

Condamne M. [E] et Mme [K], in solidum, aux dépens, qui pourront être recouvrés par le conseil de la société Le Crédit Lyonnais dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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