14 septembre 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/01296
COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 14 Septembre 2023
N° RG 21/01296 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GXPF
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ANNECY en date du 29 Avril 2021, RG 18/01640
Appelants
M. [I] [W]
né le [Date naissance 2] 1980 à [Localité 5] – MAROC
et
Mme [G] [C] épouse [W]
née le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 6] ([Localité 6]), demeurant ensemble [Adresse 4]
Représentés par la SELARL CAMILLE DI-CINTIO AVOCAT, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Cécile MAGGIULLI, avocat plaidant au barreau de GRENOBLE
Intimée
S.A. BNP PARIBAS dont le siège social est sis [Adresse 3] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Julien MARTINET, avocat plaidant au barreau de PARIS
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 09 mai 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant offre du 28 septembre 2010, acceptée le 11 octobre 2010, la société BNP Paribas (la BNP) a consenti un prêt immobilier à M. [I] [W] et son épouse Mme [G] [W] née [C], d’un montant de 658 862,47 CHF remboursable en 80 échéances trimestrielles au taux conventionnel fixe de 2,60 % et un taux effectif global de 2,72758 %.
Ce contrat a fait l’objet de deux avenants en date des 17 août 2015 et 20 décembre 2016 portant abaissement du taux d’intérêts, en dernier lieu à 0,85 % l’an.
Par des courriers adressés à la BNP les 12 décembre 2017 et 22 mars 2018, le conseil des époux [W] a réclamé au prêteur le remboursement de trop-perçus d’intérêts en faisant valoir l’application d’un taux de change erroné lors du déblocage des fonds, et de diverses erreurs affectant le TEG.
Le 23 avril 2018, la banque a fourni des explications sur chacun des points soulevés et s’est opposée à tout remboursement.
C’est dans ces conditions que, par acte d’huissier du 16 octobre 2018, M. et Mme [W] ont fait assigner la société BNP Paribas devant le tribunal de grande instance d’Annecy en nullité de la stipulation d’intérêts de ce prêt, avec substitution du taux d’intérêt légal, et pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 67 379,44 CHF au titre des intérêts trop-perçus, ainsi qu’une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
La BNP s’est opposée aux demandes en soulevant principalement la prescription de l’action des époux [W], et subsidiairement en sollicitant leur rejet au fond.
Par jugement contradictoire du 29 avril 2021, le tribunal judiciaire d’Annecy a :
déclaré prescrite l’action des époux [W] en nullité de la stipulation d’intérêts relativement au contrat de prêt du 11 octobre 2010 consenti par la société BNP Paribas, ainsi qu’aux deux avenants y afférents des 17 août 2015 et 20 décembre 2016,
par conséquent, déclaré leur action irrecevable,
condamné M. et Mme [W] à payer à la société BNP Paribas la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné M. et Mme [W] au paiement des dépens,
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 22 juin 2021, M. [I] [W] et Mme [G] [C] son épouse ont interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 22 mars 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. et Mme [W] demandent en dernier lieu à la cour de:
Vu les articles 1134, 1146 et 1147 du code civil,
Vu l’article 1907 du code civil,
Vu les articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation,
Vu les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation,
Vu l’article 12 du code de procédure civile,
Vu les articles 2224 et suivants du code civil,
déclarer recevable l’appel interjeté par les époux [W],
infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
– déclaré prescrite l’action des époux [W] en nullité de la stipulation d’intérêts relativement au contrat de prêt du 11 octobre 2010 consenti par la BNP, ainsi qu’aux deux avenants y afférents des 17 août 2015 et 20 décembre 2016,
– par conséquent, déclaré leur action irrecevable,
– débouté M. et Mme [W] de leur demande en nullité de la stipulation d’intérêts du contrat de prêt du 11 octobre 2010 consenti par la BNP ainsi qu’aux deux avenants y afférents des 17 août 2015 et 20 décembre 2016 et de substitution du taux légal au taux contractuellement fixé pour chacun de ces actes,
– débouté M. et Mme [W] de leur demande de voir condamner la BNP Paribas à leur verser, avec intérêts de droit à compter de la demande la somme de 67 379,44 CHF au titre des intérêts trop perçus de 2011 à décembre 2016 et à recalculer les intérêts au taux légal pour la période postérieure,
– débouté M. et Mme [W] de leur demande de condamnation de la BNP Paribas à leur verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de leur préjudice subi du fait de la perte de chance de souscrire un crédit à un meilleure coût,
– débouté M. et Mme [W] de leur demande de condamnation de la BNP Paribas à leur verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l’instance,
– condamné M. et Mme [W] à payer à la BNP la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. et Mme [W] au paiement de dépens,
– rejeté les autres demandes de M. et Mme [W].
En conséquence, statuant à nouveau,
juger recevables comme non prescrites les demandes et l’action des époux [W] présentées à l’encontre de la BNP, et fondées,
juger que la BNP a manqué à ses obligations contractuelles relativement au taux de change et en matière d’information de l’emprunteur les taux d’intérêt et taux effectif global du contrat de prêt et de ses avenants,
juger que le taux effectif global du prêt souscrit et de ses avenants est erroné en ce qu’il n’intègre pas le coût de l’assurance décès invalidité PTIA supporté par les époux [W],
juger que le contrat de prêt consenti par la BNP aux époux [W] et ses avenants sont erronés en ce qu’ils prennent pour base de calcul des intérêts une année de 360 jours,
juger que les mentions relatives au taux et à la durée de période sont manquantes dans le contrat de prêt initial et erronées dans les avenants,
juger non écrites les clauses abusives relatives au taux de change et à la stipulation des intérêts sur une année de 360 jours,
en conséquence,
condamner la BNP à restituer aux époux [W] les sommes perçues en exécution du contrat de prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements,
condamner la BNP à restituer aux époux [W] les amortissements intérêts commissions et primes d’assurances perçues au titre du contrat depuis sa date d’effet,
ordonner la compensation de ces sommes avec celles éventuellement dues par les époux [W] à la BNP,
juger que la somme due après compensation portera intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt,
prononcer la déchéance du droit aux intérêts du prêt souscrit par les époux [W] (anciennement nullité de la stipulation d’intérêts) pour la BNP et la substitution du taux légal au taux contractuellement fixé pour le prêt et ses avenants,
condamner la BNP à verser à M. et Mme [W], avec intérêts de droit à compter de la demande, la somme de 67 379,44 CHF au titre des intérêts trop perçus de 2011 à décembre 2016 et à recalculer les intérêts au taux légal pour la période postérieure, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
condamner la même à verser à M. et Mme [W] la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des manquements contractuels de la BNP à ses obligations,
condamner la BNP à verser à M. et Mme [W] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles de première instance, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance,
rejeter les demandes de la BNP,
y ajoutant, condamner la BNP à verser à M. et Mme [W] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles d’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
Par conclusions notifiées le 02 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la société BNP Paribas demande en dernier lieu à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que l’annulation de la stipulation d’intérêts du prêt en litige serait encourue,
statuant à nouveau, déclarer ainsi irrecevable ladite demande,
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré les actions de M. et Mme [W] irrecevables et les a condamnés à payer à la BNP la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens,
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. et Mme [W] de leurs demandes,
débouter M. et Mme [W] de leurs demandes à toutes fins qu’elles comportent,
les condamner au paiement, au profit de la BNP, d’une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile s’ajoutant à la condamnation de première instance ainsi qu’aux entiers dépens.
L’affaire a été clôturée à la date du 06 avril 2023 et renvoyée à l’audience du 09 mai 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 06 juillet 2023, prorogé à ce jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour entend souligner :
– que les appelants ajoutent au dispositif du jugement qui n’a statué que sur la recevabilité de leurs demandes, sans examiner le fond du litige,
– que les conclusions des appelants mélangent dans leur argumentation les différents fondements et actions qu’ils prétendent exercer, ainsi que les sanctions qu’ils entendent voir prononcer contre la banque de sorte qu’il sera statué, dans un souci de clarté, demande par demande.
Sur la déchéance du droit aux intérêts
La BNP fait grief au jugement d’avoir jugé que la nullité de la stipulation d’intérêts était encourue et demande la réformation du jugement de ce chef.
Toutefois, le jugement n’a pas tranché ce point dans son dispositif puisqu’il a déclaré irrecevable l’ensemble des demandes de M. et Mme [W], lesquelles étaient fondées sur la nullité de la stipulation d’intérêts. Il n’y a donc pas lieu de réformer le jugement pour une décision qu’il n’a pas prise.
Les époux [W] soutiennent avoir été trompés sur le coût réel du prêt, faute pour la banque d’avoir intégré au TEG le coût de l’assurance. Ils invoquent également l’absence de taux et de durée de période. Ils entendaient devant le premier juge obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts sur ce fondement, mais sollicitent aujourd’hui la seule déchéance du droit aux intérêts.
La BNP soutient que cette action est prescrite, le point de départ de la prescription étant le jour de la conclusion du contrat.
L’article L 312-33 ancien du code de la consommation (en vigueur au jour du contrat) rappelle les sanctions encourues par le prêteur ou bailleur qui ne respecte pas les obligations prévues aux articles L 312-7 et L 312-8, et précise qu’il pourra être déchu du droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
S’agissant de l’action en déchéance du droit aux intérêts, en application de l’article L110-4 du code de commerce, le délai de prescription est de cinq ans. Le point de départ de ce délai se situe à la date à laquelle l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître l’erreur affectant le TEG.
Le point de départ du délai de prescription est, par principe, la date du contrat et, par exception, lorsque l’erreur n’est pas décelable à la lecture de l’acte, la date à laquelle elle a été révélée à l’emprunteur.
La prescription de l’action ne s’apprécie pas grief par grief de sorte que la découverte d’erreurs dont les emprunteurs n’ont pu avoir connaissance par la seule lecture du contrat ne permet pas de reporter le point de départ de la prescription lorsque certains des griefs invoqués étaient détectables par le simple examen de l’offre. En conséquence, si une seule des irrégularités pouvait être décelée à la simple lecture de l’offre de prêt, le point de départ du délai de prescription de l’action en déchéance du droit aux intérêts conventionnels doit être fixée au jour de l’acceptation de l’offre sans report possible tiré de la révélation des autres irrégularités invoquées (Civ. 1ère 5 janvier 2022 n°20-16.350, publié).
Il résulte des documents contractuels que l’assurance déléguée, contractée auprès de Cardif, est une assurance facultative et que l’absence d’intégration de celle-ci dans le calcul du TEG résulte tout à la fois de l’absence de toute mention de l’assurance dans le coût global du prêt sur l’offre et d’un renvoi par astérisque sur le tableau d’amortissement annexé à l’offre qui mentionne : «TEG annuel * 2,72758 %», l’astérisque figurant immédiatement au-dessous précisant «*hors frais d’assurance déléguée».
Les appelants produisent eux-mêmes le dossier client qui leur a été adressé par Cardif le 3 novembre 2010 dont la lecture révèle que les cotisations d’assurance sont payées directement à l’assureur et non prélevées par la banque en même temps que les échéances du prêt.
Il sera ajouté qu’il s’agit en tout état de cause d’une assurance facultative, sa souscription n’étant pas une condition d’obtention du prêt, de sorte que son intégration dans le TEG n’est pas exigée par les articles L. 313-1 et R. 313-1 anciens du code de la consommation (antérieurs au 1er mai 2011), applicables en l’espèce.
Concernant le taux de période et sa durée, l’offre de prêt précise, dans l’article intitulé «conditions financières» que le prêt est à taux d’intérêt fixe nominal de 2,60 % l’an, soit au taux de période trimestriel de 0,65 %. La clause relative au coût total du prêt ne précise pas la durée de la période (qui figure toutefois dans la clause conditions financières) et reprend le même taux de période, tout en mentionnant le TEG annuel de 2,727758 % «calculé selon la méthode proportionnelle à partir du taux de période tel que défini à l’alinéa précédent».
Il convient de rappeler que Mme [W] exerçait, à l’époque de la signature de l’offre, la profession de «banquière» (acte de vente), ayant occupé notamment un poste de chargé d’affaires selon ses propres déclarations, de sorte que la lecture d’un contrat de prêt lui était très aisée. Elle avait donc, dès l’acceptation de l’offre, les moyens de percevoir le manque allégué.
Les avenants qui ont modifié le taux d’intérêt ne valent pas novation, ainsi qu’il l’est expressément rappelé dans ces deux avenants (pièces n° 15 et 16 de l’intimé), de sorte qu’ils n’ouvrent pas un nouveau délai de prescription, pour des irrégularités prétendues du contrat initial.
Concernant le calcul des intérêts conventionnels sur 360 jours, ainsi que l’a justement relevé le tribunal, l’offre de prêt contient une clause, dans l’article intitulé «remboursement du capital et paiement des intérêts» dont les termes sont parfaitement clairs, à savoir: «les intérêts sont calculés sur la base d’une année de 360 jours et d’un mois de 30 jours», de sorte que les emprunteurs, dont l’un au moins avait une compréhension complète des termes du contrat du fait de sa profession, étaient en mesure, dès la signature du contrat, de déceler l’éventuelle anomalie qu’ils allèguent.
La démarche des emprunteurs, consistant à faire procéder par un expert à la vérification du calcul du TEG, sur le fondement de données exclusivement contenues dans l’offre de prêt qu’ils connaissaient parfaitement, ne procède que de leur seule volonté, alors que ces données leur étaient connues dès la signature du contrat. En conséquence le point de départ de la prescription de l’action en nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels ne saurait être reporté à la date de communication aux emprunteurs du résultat de l’analyse mathématique effectuée en l’espèce par M. [J] (pièce n° 11 des appelants).
Les emprunteurs étaient donc en mesure, dès la réception de l’offre, de vérifier, par eux-mêmes ou en s’en remettant à un tiers, l’exactitude du taux effectif global et du mode de liquidation des intérêts conventionnels.
L’action ayant été engagée plus de cinq ans après la signature du contrat, c’est à juste titre que le premier juge l’a déclarée prescrite, sans qu’il soit nécessaire d’examiner d’autres griefs pouvant entraîner la déchéance du droit aux intérêts.
Sur les clauses abusives
Les appelants soutiennent que les clauses relatives au calcul des intérêts sur une année de 360 jours et au taux de change devraient être réputées non écrites comme étant abusives.
La BNP n’a développé aucun moyen en réponse sur ce point, qui n’était pas dans le débat en première instance.
Il est constant que l’action tendant à voir déclarer une clause abusive n’est pas soumise à prescription, de sorte que cette demande est recevable.
Il convient en premier lieu de rappeler que, en application des dispositions des articles L. 312-8, L. 312-33, L. 313-1 et R. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable au litige, la mention, dans l’offre de prêt, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que l’année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l’article L. 312-33 du même code, lorsque l’inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale (Civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.875).
L’action en déchéance du droit aux intérêts ayant été déclarée irrecevable, l’application éventuelle de cette sanction ne peut être examinée.
Par ailleurs, en application de l’article L. 132-1 ancien du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Il est jurisprudence constante (Civ. 1, 09 septembre 2020, n° 19-14.934) qu’il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, d’apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Or en l’espèce, force est de constater que les époux [W] ne soutiennent même pas que la clause précitée entraînerait un déséquilibre significatif en leur défaveur.
Force est de constater en tout état de cause qu’aucune distorsion supérieure à la décimale ne résulte de cette application puisque, selon les calculs conformes au point c) de l’annexe de l’article R. 313-1 du code de la consommation (année normalisée de 365 jours, un mois comportant 30,41666 jours), les intérêts payables par trimestres sont calculés comme suit:
capital emprunté x taux d’intérêt x 91,25 (30,41666 x3)
365 jours
selon le tableau d’amortissement établi après déblocage des fonds (pièce n° 3 des appelants) les intérêts devant être payés par les emprunteurs sont pour l’échéance n° 12 d’un montant de 3757,92 CHF. Sur la base d’un capital restant dû à cette date de 578 142,24 CHF, et en prenant en compte une année normalisée, le résultat est le suivant :
578 142,24 x 2,60 % x 91,25 = 3 757,92 CHF
365 jours
soit un résultat identique au montant effectivement payé par les époux [W].
Le calcul sur la base d’une année normalisée de 360 jours permet de vérifier cette identité de résultat:
capital emprunté x taux d’intérêt x 90 (30×3)
360 jours
soit 578 142,24 x 2,60 % x 90 = 3 757,92 CHF
360 jours
La même vérification, faite pour d’autres échéances aboutit au même résultat.
La seule différence éventuelle ne concerne que les mois incomplets, or les pièces produites ne révèlent aucun mois incomplet, y compris lors du remboursement partiel auquel les époux [W] ont procédé en août 2017, (pièce n° 10 des appelants), la date de valeur retenue étant celle de l’échéance, ce qui n’entraîne donc aucun surcoût.
Il convient en outre de souligner que l’expert privé, M. [J], n’a procédé à aucun calcul différentiel sur la base de l’année lombarde (les calculs qu’il a réalisés portant exclusivement sur l’absence d’inclusion de l’assurance facultative dans le TEG et la question du taux de période), mais affirme simplement que la clause serait nulle, sans aucune démonstration de son caractère abusif.
La clause incriminée ne crée donc aucun déséquilibre significatif au détriment des emprunteurs et ne peut donc être jugée abusive. La demande sera rejetée.
M. et Mme [W] invoquent également le caractère abusif de la clause relative au taux de change faisant porter le risque de change sur l’emprunteur, en développant que la banque a appliqué un taux de change erroné lors du déblocage des fonds.
La seule clause figurant dans les conclusions des appelants dont ils estiment qu’elle serait abusive est celle intitulée «modalités de mise à disposition des fonds provenant du prêt», aux termes de laquelle : «en plus des conditions prévues aux conditions générales, et sous réserve que le CHF soit librement convertible, transférable et disponible sur le marché au comptant lors de chaque mise à disposition, les fonds seront mis à disposition en EUR après conversion en EUR sur la base du cours du change en vigueur 2 jours ouvrés précédant la date de déblocage de fonds».
Or les développements des époux [W] font reproche à la banque de n’avoir pas respecté cette clause lors du déblocage des fonds, mais n’expliquent pas en quoi cette clause serait abusive.
L’offre de prêt contient par ailleurs une clause intitulée «montant des échéances», qui précise que «durant la période d’utilisation et/ou de remboursement, les échéances du prêt devront être acquittées en CHF, et seront prélevées directement sur le compte CHF du ou des bénéficiaires ouvert sur les livres de la banque, ce que le ou les bénéficiaires acceptent. Néanmoins, le(s) bénéficiaire(s) aura (auront) la possibilité de se libérer en EUR, pour la contre-valeur EUR des sommes dues en CHF, calculée sur la base du cours de change en vigueur 2 jours ouvrés précédant la date d’échéance».
Cette clause permet ainsi aux emprunteurs de faire jouer en leur faveur les variations du taux de change, selon qu’elles sont à la hausse ou à la baisse.
L’offre contient encore un article «déclarations et engagements particuliers du (des) bénéficiaires» qui stipule:
«Le(s) bénéficiaire(s) reconnaît (reconnaissent) avoir pleine conscience des risques de fluctuation des cours de change inhérents au présent prêt immobilier et accepte(nt) d’en supporter les conséquences, jusqu’au parfait remboursement de la banque.»
C’est donc à tort que les appelants soutiennent que le contrat ne comporterait aucun avertissement sur l’existence d’un risque de change, puisque celui-ci figure bien dans le contrat.
Par ailleurs, aucune clause potestative ne figure quant au taux de change devant être appliqué, puisque la définition figurant pour «cours de change» est la suivante : «désigne le cours de change, établi par la banque, pour l’EURO contre le CHF […] Ce cours sera déterminé sur la base du cours constaté par la banque sur le marché au comptant (vers 11 heures (heure de [Localité 7], France)), à la date de chaque calcul de contre-valeur considéré».
Cette clause désigne clairement le cours qui sera appliqué et c’est en vain que les époux [W] soutiennent le contraire.
En outre, il convient de rappeler que le prêt est destiné aux frontaliers, ainsi que cela résulte de son intitulé, ce qui signifie que l’un au moins des époux [W] travaille en Suisse, ce qu’ils ne contestent pas. Au demeurant, le prêt est remboursable en CHF, sur un compte ouvert en CHF (pièce n° 2 des appelants, courrier de la BNP du 22 novembre 2010), et non en euros. Les appelants ne soutiennent d’ailleurs pas avoir été contraints d’acheter des devises pour rembourser leur prêt (et ne produisent aucune pièce en ce sens).
La lecture des courriers adressés par les époux [W] à la BNP en janvier 2011 (pièces n° 4 et 6 des appelants), révèle en outre que Mme [W] comprend parfaitement les règles d’application du taux de change et les effets potentiels de sa variation.
Ainsi, aucune clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation ne figure au contrat litigieux, et la demande de ce chef sera rejetée.
Sur l’action en responsabilité contre la banque
En application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, M. et Mme [W] entendent agir en responsabilité contre la BNP en invoquant l’application par celle-ci d’un taux de change erroné contraire aux stipulations contractuelles lors du déblocage des fonds.
Ils réclament de ce chef des dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros.
La BNP soutient que cette action est prescrite, les époux [W] ayant eu connaissance dès la souscription du contrat de tous les éléments leur permettant d’agir.
Le premier juge n’a pas spécifiquement statué sur ce chef de demande.
Il résulte des pièces produites aux débats que Mme [W] a adressé à la banque un courrier le 10 janvier 2011, très circonstancié, dans lequel elle fait déjà état de cette erreur alléguée (pièce n° 4 des appelants), tous les arguments aujourd’hui développés figurant d’ores et déjà dans ce courrier, auquel la BNP a répondu le 24 janvier 2011 (pièce n° 5 des appelants), Mme [W] y ayant répliqué (pièce n° 6).
Ainsi, et quand bien même le point de départ de la prescription ne serait pas celui de la signature du contrat, il est à tout le moins celui du jour de ce courrier qui révèle que les époux [W] avaient, dès le 10 janvier 2011, connaissance des éléments leur permettant d’agir en responsabilité contre la banque pour ce grief.
Les avenants postérieurs n’ont touché qu’au taux d’intérêt conventionnel et n’ont en rien modifié les conditions d’application du taux de change. En tout état de cause le préjudice allégué était réalisé dès le déblocage des fonds, de sorte que la signature des avenants postérieurs n’a pas pour effet de reporter le point de départ de la prescription.
L’action n’ayant été engagée que par assignation délivrée le 16 octobre 2018, soit plus de cinq ans après le 10 janvier 2011, celle-ci est irrecevable comme prescrite.
Il n’y a donc pas lieu d’examiner la faute alléguée.
Les époux [W] font état d’autres griefs, qui sont identiques à ceux déjà examinés ci-dessus au titre de la déchéance du droit aux intérêt, soit l’absence d’intégration du coût de l’assurance au TEG et de mention du taux et de la durée de la période. Or il a été jugé ci-dessus que les époux [W] avaient les moyens de déceler ces prétendues erreurs dès la signature du contrat, de sorte que l’action en responsabilité contre la banque pour la faute prétendument commise par elle de ces chefs est encore prescrite.
Sur les demandes accessoires
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la BNP la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [W], qui succombent en leur appel, supporteront les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Annecy le 29 avril 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M. [I] [W] et Mme [G] [W], née [C], de leur demande tendant à voir juger abusives et donc non écrites les clauses relatives au taux de change et à la stipulation des intérêts sur une année de 360 jours,
Déclare irrecevable comme prescrite l’action en responsabilité de M. [I] [W] et Mme [G] [W], née [C], contre la société BNP Paribas,
Condamne in solidum M. [I] [W] et Mme [G] [W], née [C], à payer à la société BNP Paribas la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [I] [W] et Mme [G] [W], née [C], aux entiers dépens de l’appel.
Ainsi prononcé publiquement le 14 septembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente