Déséquilibre significatif : 14 avril 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03004
Déséquilibre significatif : 14 avril 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03004
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14 avril 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/03004

2ème Chambre

ARRÊT N°192

N° RG 20/03004

N° Portalis DBVL-V-B7E-QXK4

CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE – PAYS DE LOIRE

C/

M. [U] [Y]

Mme [O] [D] épouse [Y]

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me NAUX

– Me KERMEUR

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 AVRIL 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseiller,

GREFFIER :

Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Ludivine MARTIN, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 21 février 2023, tenue en double rapporteur par Monsieur Joel CHRISTIEN, Président de Chambre et Monsieur David JOBARD, Président de Chambre, sans opposition des parties

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 14 avril 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE – PAYS DE LOIRE

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Louis NAUX de la SELARL L.R.B. AVOCATS CONSEILS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE

INTIMÉS :

Monsieur [U] [Y]

né le [Date naissance 4] 1978 à [Localité 8] (35)

[Adresse 2]

[Localité 6]

Madame [O] [D] épouse [Y]

née le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 7] (53)

[Adresse 2]

[Localité 6]

Tous représentés par Me Yohann KERMEUR de la SELARL KERMEUR AVOCAT, postulant, avocat au barreau de RENNES

Tous représentés par Me Marc ROUXEL, plaidant, avocat au barreau d’ANGERS

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre préalable émise le 25 septembre 2013, la Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire (la Caisse d’épargne) a, en vue de racheter un crédit immobilier antérieur, consenti à M. [U] [Y] et Mme [O] [D] (les époux [Y]) un prêt de 52 779 euros au taux de 2,91 % l’an et au taux effectif global (TEG) de 4,43 %, remboursable en 134 mensualités.

Selon offre préalable émise le 1er octobre 2013, la Caisse d’épargne a, aux mêmes fins, consenti aux époux [Y] :

un second prêt de 45 000 euros au taux de 3,34 % l’an et au TEG de 4,45 %, remboursable en 180 mensualités,

un troisième prêt de 83 659,21 euros au taux de 3,46 % l’an et au TEG de 4,28 %, remboursable en 234 mensualités.

Enfin, par contrat du 8 février 2014, elle leur a, en vue de financer la construction d’un local commercial à usage de courts de squash, consenti un quatrième prêt de 148 367 euros au taux de 3,12 % l’an et au TEG de 4,14 %, remboursable en 180 mensualités.

Prétendant que les intérêts des prêts auraient été illicitement calculés sur la base d’une année de 360 jours, les emprunteurs ont, par acte du 29 mars 2016, fait assigner le prêteur devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Nantes, en annulation de la stipulation d’intérêts, subsidiairement en déchéance du droit du prêteur aux intérêts, et en restitution du trop-perçu d’intérêts.

Par jugement du 25 juin 2020, le premier juge a :

déclaré recevables les demandes des époux [Y],

débouté les époux [Y] des demandes formées au titre des prêts de 52 779 euros et 148 367 euros,

prononcé la nullité de la clause d’intérêts des prêts de 45 000 euros et de 83 659,21 euros,

ordonné la substitution du taux légal au taux conventionnel pour toute la durée des prêts, avec les variations périodiques prévues par la loi pour le taux légal,

condamné la Caisse d’épargne à rembourser aux époux [Y] une somme égale à la différence entre les intérêts perçus et ceux calculés au taux légal conformément aux dispositions qui précédent,

condamné la Caisse d’épargne à communiquer aux époux [Y] un nouveau tableau d’amortissement conforme aux dispositions qui précèdent pour chacun des deux prêts, dans un délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard pendant six mois passés lesquels il devra de nouveau être statué,

condamné la Caisse d’épargne à communiquer aux époux [Y] un nouveau tableau d’amortissement conforme aux dispositions qui précèdent après chaque variation du taux légal, dans un délai de 30 jours à compter de publication du nouveau taux,

condamné la Caisse d’épargne aux dépens, en ce compris l’intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement prévus à l’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution,

condamné la Caisse d’épargne à payer aux époux [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de leurs autres demandes,

ordonné l’exécution provisoire de l’ensemble des dispositions qui précédent.

La Caisse d’épargne a relevé appel de cette décision le 3 juillet 2020.

Par ordonnances des 29 septembre 2020 et 11 octobre 2022, le premier président a débouté la Caisse d’épargne de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire, mais l’a autorisée à consigner la somme de 41 981,72 euros entre les mains d’un séquestre afin d’éviter la poursuite de l’exécution provisoire des seules condamnations pécuniaires prononcées à son encontre.

La Caisse d’épargne demande à la cour de :

infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a annulé la stipulation d’intérêts des prêts de 45 000 euros et de 83 659,21 euros,

dire irrecevable la demande de nullité de la clause d’intérêts formulée par les époux [Y],

à défaut la dire mal fondée,

constater la carence des demandeurs dans l’administration de la preuve d’une erreur et d’un préjudice,

confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté les époux [Y] de leur demande d’annulation de la stipulation d’intérêts des prêts de 52 779 euros et 148 367 euros,

subsidiairement, prononcer une déchéance du droit aux intérêts dans la seule limite de l’éventuel préjudice subi,

condamner les époux [Y] au paiement d’une indemnité de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens.

Ayant formé appel incident, les époux [Y] demandent quant à eux à la cour de :

infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a les a déboutés de leurs demandes relatifs aux prêts de 52 779 euros et 148 367 euros,

au titre de ces deux prêts, prononcer à titre principal la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels et, à titre subsidiaire, la déchéance totale du droit aux intérêts,

condamner la Caisse d’épargne à produire un tableau d’amortissement rectificatif établi sur la base du taux légal en vigueur au jour du 25 septembre 2013, faisant apparaître le montant des intérêts trop perçus dans le délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, et sous astreinte journalière de 150 euros,

ordonner la restitution des intérêts trop-perçus,

confirmer le jugement attaqué en ses autres dispositions, notamment en ce qu’il a prononcé la nullité de la clause d’intérêts des prêts de 45 000 euros et de 83 569,21 euros,

en tout état de cause, dire la Caisse d’épargne mal fondée en ses demandes et l’en débouter,

condamner la Caisse d’épargne au paiement d’une indemnité de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, ‘en ce compris l’article 13 du décret n° 2016-230 du 26 février 2016″.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour la Caisse d’épargne le 10 décembre 2020 et pour les époux [Y] le 1er octobre 2020, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 12 janvier 2023.

EXPOSÉ DES MOTIFS

La Caisse d’épargne soutient que la demande d’annulation de la stipulation d’intérêts formée par les emprunteurs et à laquelle le premier juge a fait droit serait irrecevable, la déchéance du droit du prêteur aux intérêts dans la proportion fixée par le juge étant la seule sanction applicable.

Pourtant, ainsi que l’a exactement relevé le jugement attaqué, la question de la nature de la sanction applicable au prêteur en cas d’inexactitude du TEG et de calcul des intérêts conventionnels sur une base autre que l’année civile relève du débat au fond, et non d’une fin de non-recevoir.

Il est énoncé dans les deux offres de crédit immobilier émises les 25 septembre et 1er octobre 2013 ainsi que dans le contrat de prêt du 8 février 2014 que ‘les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû au taux d’intérêt indiqué ci-dessus sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours’.

Pour rejeter les demandes d’annulation de la stipulation d’intérêts des prêts de 52 779 euros et de 148 367 euros, le premier juge a rappelé qu’une telle clause était licite lorsqu’elle était stipulée dans des contrats de prêt souscrits pour les besoins d’une activité professionnelle, et relevé que le premier prêt avait été contracté pour racheter un emprunt antérieur destiné à financer la construction d’un local professionnel exploité par les emprunteurs, et que le quatrième était destiné à financer la construction des locaux d’exploitation d’un club de squash.

Le contrat de prêt de 148 367 euros n’a en effet pas été passé dans les formes des offres de crédit immobilier, si bien que les époux [Y] prétendent à tort que les parties se seraient volontairement soumises à la règlement des crédit immobiliers du code de la consommation, et avait effectivement pour objet de financer la construction d’un local à usage professionnel, de sorte que la clause de calcul des intérêts sur une base autre que l’année civile était licite.

Pour autant, même pour des prêts consentis à des professionnels, le TEG doit quant à lui être toujours calculé sur la base de l’année civile, mais les époux [Y] ne démontrent nullement que le TEG de 4,14 % mentionné dans le contrat du 8 février 2014 serait rendu inexact du fait du calcul des intérêts sur 360 jours.

Il est en revanche exact que le premier prêt de 52 779 euros a été régularisé sous la forme d’une offre préalable prévue par la réglementation des crédit immobiliers consentis aux particuliers, l’acte mentionnant qu’il était destiné à racheter un crédit antérieur afférent à la ‘résidence principale de l’emprunteur’ et les intimés précisant à cet égard que le bien financé était un local attenant à leur résidence principale.

Or, ainsi que l’a à juste titre rappelé le premier juge, il est exact que dans les prêts consentis à des consommateurs ou non-professionnels, le taux d’intérêts conventionnel doit, comme le TEG, être calculé par référence à l’année civile, et non à l’année dite ‘bancaire’ de 360 jours.

Il en résulte que la clause litigieuse des offres émises les 25 septembre et 1er octobre 2013 est illicite, mais, contrairement à ce que prétendent les époux [Y] et à ce que le premier juge a considéré, il demeure qu’il appartient à l’emprunteur d’établir que l’application de la clause litigieuse a pu concrètement affecter l’exactitude du TEG mentionné dans l’offre et jouer en sa défaveur.

Or, les époux [Y] ne démontrent nullement l’existence d’un surcoût du crédit ou d’une inexactitude du TEG en leur défaveur.

En toute hypothèse, la Caisse d’épargne fait à juste titre observer que, pour le calcul du TEG d’un prêt à périodicité mensuelle, la détermination du taux de période en lui appliquant le rapport d’un mois de 30 jours sur une année de 360 jours, produit un résultat mathématique strictement équivalent à l’application du rapport d’un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année civile de 365 jours prescrit par l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause, dont aucune disposition n’exclut l’application aux prêts autres que ceux dont le TEG est calculé selon la méthode d’équivalence des flux.

D’autre part, si, même en présence d’un prêt à périodicité mensuelle, la réalisation d’un tel calcul sur la base d’une année de 360 jours peut, lorsqu’il existe des intérêts produits par les portions du crédit débloquées par tranches successives ou par le capital libéré à une date autre que la date d’échéance prévue par le tableau d’amortissement, être de nature à affecter le coût du crédit et, partant, le TEG, les époux [Y] n’apportent pas la preuve, qui leur incombe, qu’il existe en l’espèce de telles échéances brisées et qu’en tous cas celles-ci aient pu générer la facturation d’un trop-perçu d’intérêts intercalaires en leur défaveur, de nature à affecter l’exactitude du TEG au delà de la marge d’erreur d’une décimale prévue à l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause, dont aucune disposition n’exclut l’application aux prêts autres que ceux dont le TEG est calculé selon la méthode d’équivalence des flux, ni en tous cas qu’il en serait résulté pour eux, au regard du caractère minime de l’erreur potentielle, un préjudice indemnisable.

Par ailleurs, il est suggéré à tort que cette clause de calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours serait abusive comme créant, au détriment des emprunteurs, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat de prêt, en ce qu’elle leur dissimulerait des modalités de calcul des intérêts qui leur seraient défavorables.

Il a en effet été précédemment relevé que l’application de cette clause à un contrat de prêt remboursable par mensualités produit, en dehors des échéances brisées, un résultat mathématique strictement équivalent à l’application du rapport d’un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année civile de 365 jours prescrit par l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.

En outre, si son application aux échéances brisées des opérations financées a pu, à supposer même qu’il en existe, tout au plus générer un écart d’intérêts minime insusceptible de vicier raisonnablement le consentement des emprunteurs à l’acceptation d’une telle clause s’ils avaient bénéficié d’une négociation individuelle.

Il en résulte que les époux [Y] ne démontrent pas que cette clause créerait un déséquilibre significatif à leur détriment, de sorte qu’elle ne saurait être qualifiée d’abusive.

Surabondamment, il sera observé que cette clause, qui porte sur la rémunération prévue en contrepartie du service financier offert au consommateur et, partant, sur l’objet même du contrat, est rédigée de façon claire et compréhensible, et que l’opacité qui lui est prêtée relativement à ses prétendues conséquences économiques ne résulte que d’allégations présentées par les emprunteurs au soutien de contestations dont la pertinence n’a pas été retenue.

Il n’y a donc pas lieu de déclarer cette clause non écrite, et moins encore celle, distincte, de stipulation d’intérêts conventionnels qui, en toute hypothèse distincte, demeurerait applicable quand bien même la clause de calcul des intérêts sur 360 jours serait laissée inappliquée.

Il convient donc d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a, au seul motif de l’illicéité de la clause de calcul des intérêts sur 360 jours, prononcé la nullité de la stipulation d’intérêts des prêts de 45 000 euros et de 83 659,21 euros, et de débouter les époux [Y] de leurs demandes en annulation de la stipulation d’intérêts au titre de ces prêts, ainsi qu’en déchéance du droit du prêteur aux intérêts au titre de l’ensemble des prêts.

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la Caisse d’épargne l’intégralité des frais exposés par elle à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 25 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Nantes, en ce qu’il a prononcé la nullité de la clause d’intérêts des prêts de 45 000 euros et de 83 659,21 euros, ordonné la substitution du taux légal au taux conventionnel pour ces prêts, et condamné la Caisse d’épargne à rembourser le trop-perçu d’intérêts, à communiquer aux époux [Y] un nouveau tableau d’amortissement conforme et à leur payer une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens ;

Déboute M. [U] [Y] et Mme [O] [D] épouse [Y] de leurs demandes d’annulation de la stipulation d’intérêts des prêts de 45 000 euros et de 83 659,21 euros ;

Déboute M. [U] [Y] et Mme [O] [D] épouse [Y] de leurs demandes de déchéance du droit du prêteur aux intérêts ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Condamne M. [U] [Y] et Mme [O] [D] épouse [Y] à payer à la Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire une somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [U] [Y] et Mme [O] [D] épouse [Y] aux dépens de première instance et d’appel ;

Accorde le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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