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13 octobre 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/00297
2ème Chambre
ARRÊT N°453
N° RG 21/00297
N° Portalis DBVL-V-B7F-RIHM
CAISSE REGIOINALE DE CREDIT AGRICOME MUTUELLE ATLANTIQUE VENDEE
C/
M. [S] [X]
Mme [M] [F] épouse [X]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me CASTRES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 OCTOBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Elodie CLOATRE, lors des débats, et Mme Ludivine BABIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 07 Septembre 2023
devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 13 Octobre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
CAISSE REGIOINALE DE CREDIT AGRICOME MUTUELLE ATLANTIQUE VENDEE
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représentée par Me Hugo CASTRES de la SCP LECLERCQ & CASTRES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [S] [X]
né le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 7] (52)
[Adresse 4]
[Localité 5]
Assigné par acte d’huissier en date du 15/04/2021, délivré à personne, n’ayant pas constitué
Madame [M] [F] épouse [X]
née le [Date naissance 3] 1953 à [Localité 9] (46)
[Adresse 1]
[Localité 6]
Assigné par acte d’huissier en date du 15/04/2021, délivré à personne, n’ayant pas constitué
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon offre préalable acceptée le 4 novembre 2015, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique-Vendée (le Crédit agricole) a consenti à M. [N] [X] et Mme [M] [F] (les époux [X]) un prêt de 25 500 euros au taux de 3,60 % l’an, remboursable en 144 mensualités de 246,66 euros, assurance emprunteur comprise.
Prétendant que les échéances de remboursement n’ont plus été honorées à compter de septembre 2018 en dépit d’un courrier de mise en demeure de régulariser l’arriéré sous quinzaine en date du 6 février 2019, le prêteur s’est, par un second courrier recommandé du 12 mars 2019, prévalu de la déchéance du terme et, par actes des 26 septembre et 17 octobre 2019, a fait assigner les emprunteurs en paiement devant le tribunal d’instance de Nantes devenu le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nantes.
Estimant d’office que la déchéance du terme n’était pas régulière faute d’avoir été précédée d’un courrier de mise en demeure de régulariser l’arriéré expédié en recommandé avec accusé de réception, mais qu’il y avait néanmoins matière à prononcer la résolution judiciaire du contrat pour manquement grave des emprunteurs à leur obligation de remboursement, ce qui entraînait l’anéantissement rétroactif du contrat avec obligation de restitutions de part et d’autre, le premier juge a, par jugement réputé contradictoire du 15 décembre 2020 :
dit le Crédit agricole recevable en son action,
prononcé la résolution judiciaire du contrat de prêt accepté le 4 novembre 2015,
condamné M. [X] à payer au Crédit agricole la somme de 8 926,77 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
condamné Mme [X] à payer au Crédit agricole la somme de 8 926,77 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
ordonné l’exécution provisoire de la décision,
condamné les époux [X] in solidum aux dépens,
débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires.
Faisant grief au premier juge d’avoir soulevé le moyen de l’irrégularité de la déchéance du terme en excédant ses pouvoirs juridictionnels et sans respecter le principe de la contradiction, et faisant valoir que les emprunteurs, défaillants, n’avaient jamais contesté avoir reçu le courrier simple de mise en demeure ayant précédé la déchéance du terme, et qu’en toute hypothèse la résiliation judiciaire du contrat de prêt pour manquement des emprunteurs à leurs obligation ne saurait priver le prêteur de son droits aux intérêts contractuels et aux pénalités, le Crédit agricole a relevé appel de cette décision le 15 janvier 2021, pour demander à la cour de l’infirmer et de :
dire nul le jugement attaqué et évoquer, ou en tous cas le réformer,
condamner solidairement les époux [X] au paiement de la somme de 23 476,34 euros, avec intérêts au taux de 3,60 % à compter du 12 mars 2019,
subsidiairement, si la cour venait à considérer que la déchéance du terme n’est pas acquise et que la résolution du contrat de prêt n’est pas encourue, condamner solidairement les époux [X] au paiement d’une somme mensuelle de 266,39 euros au titre des impayés jusqu’à la date de la décision à intervenir ou du terme du contrat, outre les intérêts de retard au taux contractuel jusqu’à complet paiement,
en tous cas, condamner in solidum les époux [X] au paiement d’une indemnité de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Les époux [X] n’ont pas constitué avocat devant la cour.
Le Crédit agricole a été invité à présenter ses observations par note en délibéré sur le caractère abusif de la clause de l’offre de prêt stipulant que ‘en cas de défaillance de la part de l’emprunteur dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés’, au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts des 26 janvier 2017 C-421/14 et 8 décembre 2022 C-600/21) ainsi que de la Cour de cassation (arrêt du 22 mars 2023, 21-16.044).
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour le Crédit agricole le 7 avril 2021 et signifiées aux intimés défaillants le 15 avril 2021, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 juin 2023.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la nullité du jugement
Le Crédit agricole fait grief au premier juge d’avoir estimé la déchéance du terme irrégulière, alors qu’il n’entrait pas dans ses pouvoirs juridictionnels de le relever d’office et qu’il lui appartenait en toute hypothèse de respecter le principe de la contradiction en sollicitant préalablement les observations des parties.
Il résulte cependant de l’article 472 du code de procédure civile que, si le défendeur ne comparaît pas, le juge ne fait droit à la demande que s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée.
En décidant, à tort ou à raison, que la preuve d’une mise en demeure préalable à la déchéance du terme n’était pas rapportée faute d’avoir été adressée aux emprunteurs par lettre recommandée avec accusé de réception, le premier juge n’a donc pas excédé ses pouvoirs juridictionnels, l’erreur de droit ou de fait ainsi commise ne relevant que du contentieux de la réformation.
D’autre part, il est de principe que, dans les procédures orales sans représentation obligatoires, le moyen soulevé d’office par le juge est présumé avoir été débattu contradictoirement à l’audience.
Or, le Crédit agricole n’apporte pas la preuve contraire de la violation invoquée.
Il n’y a donc pas matière à annulation du jugement attaqué.
Sur la régularité de la déchéance du terme
Le Crédit agricole produit les courriers de mise en demeure de régulariser l’arriéré sous quinzaine en date du 6 février 2019 ayant précédé la déchéance du terme, elle-même notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mars 2019.
En présupposant que les époux [X], défaillants, pouvaient ne pas avoir reçu cette mise en demeure préalable qui leur a été adressée par lettre simple, le premier juge a inversé la charge de la preuve.
Néanmoins, il résulte de l’article R. 632-1 du code de la consommation que le juge doit écarter d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat.
Or, la question de la validité de la déchéance du terme ressort des éléments du débat comme ayant été expressément soulevée par le premier juge et soutenue par l’appelant.
En outre, il est de principe que, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la clause d’un contrat de prêt qui prévoit la résiliation de plein droit de celui-ci en cas d’échéance impayée sans mise en demeure laissant à l’emprunteur un préavis d’une durée raisonnable pour régulariser la situation, une telle clause étant abusive au sens de l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation.
Or, en l’occurrence, il est stipulé aux conditions générales du contrat de prêt que ‘en cas de défaillance de la part de l’emprunteur dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés’.
Une telle clause laisse ainsi croire aux emprunteurs qu’ils ne disposent d’aucun délai pour régulariser l’arriéré ou saisir le juge des référés en suspension de l’obligation de remboursement du prêt sur le fondement de l’article L. 314-20 du code de la consommation, et que le prêteur peut se prévaloir sans délai de la déchéance du terme pour une seule échéances impayée, sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant du prêt, consenti en l’espèce pour un montant de 25 500 euros pendant douze ans.
Ainsi, elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs, exposés à l’obligation de rembourser immédiatement la totalité du capital restant dû.
Il convient en conséquence de déclarer cette clause de déchéance du terme abusive et de l’écarter d’office.
Sur la résiliation judiciaire
L’inefficacité de la clause de résiliation de plein droit du contrat n’interdit toutefois nullement au prêteur de solliciter la résiliation judiciaire de celui-ci, en cas de manquement grave des emprunteurs à leurs obligations contractuelles.
En l’espèce, l’interruption de tout règlement depuis septembre 2018 constitue en effet un manquement grave et persistant des époux [X] à leur obligation essentielle de remboursement du prêt et justifie la résiliation judiciaire du contrat.
Cependant, contrairement à ce qu’a décidé le premier juge, cette résiliation prononcée aux torts des emprunteurs n’a d’effet que pour l’avenir, sans anéantir rétroactivement le contrat.
Au regard des circonstances de l’espèce, la résiliation sera prononcée à effet au 12 mars 2019, date de la mise en demeure de régler la totalité des sommes dues, de sorte que le prêteur est fondé à réclamer les mensualités impayées échues antérieurement ainsi que le capital restant dû à cette date, à conserver les échéances honorées pendant l’exécution de celui-ci, et à se prévaloir des clauses de maintien des intérêts contractuels de retard et d’indemnité de défaillance qui sont distinctes de la clause de déchéance du terme et s’appliquent dans tous les cas de rupture contractuelle pour défaillance des emprunteurs.
Il en résulte que les époux [X] restent devoir au Crédit agricole les sommes de :
1 726,62 euros au titre des échéances échues impayées de septembre 2018 à mars 2019, assurance comprise (246,66 x 7),
20 056,15 euros au titre du capital restant dû,
1 604,49 euros au titre de l’indemnité de défaillance égale à 8 % du capital restant dû,
soit, au total, 23 387,26 euros, avec intérêts à compter de la mise en demeure du 12 mars 2019, au taux de 3,60 % sur le principal de 21 782,77 euros et au taux légal sur l’indemnité de 1 704,49 euros.
En effet, le prêteur qui se prévaut de la déchéance du terme, ne peut, conformément aux dispositions des articles L. 311-23, L. 311-24 et D. 311-6 devenus L. 312-38, L. 312-39 et D. 312-16 du code de la consommation, obtenir par surcroît de l’emprunteur défaillant le paiement d’une indemnité égale à 8 % des échéances échues impayées, fût-ce sur la part de ces échéances qui devait être affectée à l’amortissement du capital.
Les époux [X] seront donc condamnés au paiement de cette somme, le jugement attaqué étant réformé en ce sens.
Il n’y a néanmoins pas matière à application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Déboute la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique-Vendée de sa demande d’annulation du jugement ;
Infirme le jugement rendu le 15 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Nantes en ce qu’il condamné chacun des époux [X] au paiement de la somme de 8 926,77 euros avec intérêts au taux légal et débouté le Crédit agricole du surplus de ses demandes ;
Déclare abusive et écarte la clause du contrat de prêt formé par offre acceptée le 4 novembre 2015 stipulant que, ‘en cas de défaillance de la part de l’emprunteur dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés’ ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de prêt à effet au 12 mars 2019 ;
Condamne solidairement M. [N] [X] et Mme [M] [F] épouse [X] à payer à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique-Vendée la somme de 23 387,26 euros avec intérêts à compter du 12 mars 2019, au taux de 3,60 % sur le principal de 21 782,77 euros et au taux légal sur l’indemnité de 1 704,49 euros ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [N] [X] et Mme [M] [F] épouse [X] aux dépens d’appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT