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13 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/15835
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 13 AVRIL 2023
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/15835 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGL4T
Décision déférée à la cour :
Jugement du 31 août 2022-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 19/00247
APPELANTE
S.A. BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Ayant pour avocat plaidant Me Philippe MÉTAIS et Elodie VALETTE, avocats au barreau de PARIS
INTIMÉ
Monsieur [U] [M]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Anne-Valérie BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0686
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 15 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant commandement de payer valant saisie immobilière délivré le 29 avril 2019, publié le 4 juin 2019 au service de la publicité foncière de Paris 1er bureau, sous le volume 2019 S n°11, la SA BNP Paribas Personal Finance (ci-après la société BNPPPF) a entrepris une saisie des biens appartenant à M. [U] [M] situés [Adresse 2], pour avoir paiement d’une somme totale de 330.432,75 euros, en vertu d’un acte notarié de prêt dit « Helvet Immo » en date du 3 juin 2009 (prêt libellé en francs suisses remboursable en euros).
Par acte d’huissier en date du 2 août 2019, la société BNPPPF a fait assigner M. [M] à l’audience d’orientation du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris aux fins de vente forcée.
Par jugement du 26 février 2020, dont la société BNPPPF a relevé appel, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré cette dernière coupable de faits de pratiques commerciales trompeuses et recel s’agissant des contrats de prêt intitulés « Helvet Immo » et l’a condamnée à une peine d’amende de 187.500 euros. La société BNPPPF a également, dans le même jugement, été condamnée, sur intérêts civils, à payer diverses sommes à trois associations de consommateurs et environ 2300 personnes physiques, dont M. [U] [M] qui a obtenu les sommes de 141.062,97 euros en réparation de son préjudice financier, 10.000 euros en réparation de son préjudice moral et 3.500 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Par jugement en date du 31 août 2022, le juge de l’exécution a :
– déclaré irrecevables les demandes de la société BNPPPF,
– ordonné la radiation du commandement de payer valant saisie immobilière délivré le 29 avril 2019 à M. [M],
– dit que le présent jugement sera mentionné en marge de la publication de la copie du commandement,
– condamné la société BNPPPF à payer à M. [M] la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour abus de saisie,
– condamné la société BNPPPF au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les autres demandes accessoires formulées par M. [M],
– condamné la société BNPPPF aux frais et dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu que la société BNPPPF ne justifiait pas avoir prononcé la déchéance du terme, le courrier du 10 juin 2015 invoqué n’étant pas produit, de sorte que le créancier poursuivant ne démontrait pas être titulaire d’une créance répondant aux exigences de l’article L.311-2 du code des procédures civiles d’exécution, d’autant plus que le commandement ne faisait pas état de mensualités impayées et que la créance de M. [M] était d’un montant très supérieur à la somme mentionnée au titre des intérêts échus.
La société BNPPPF a fait appel de cette décision par déclaration du 16 septembre 2022, puis a saisi le premier président d’une demande d’autorisation d’assigner à jour fixe par requête du 23 septembre 2022, autorisation qui lui a été accordée par ordonnance du président de chambre délégataire en date du 29 septembre 2022.
Par acte d’huissier du 29 novembre 2022, déposée au greffe par le RPVA le 2 décembre 2022, la SA BNP Paribas Personal Finance a fait assigner à jour fixe M. [M] devant la cour d’appel de Paris.
Par conclusions du 9 mars 2023, la SA BNP Paribas Personal Finance demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré irrecevables ses demandes, ordonné la radiation du commandement, dit que le jugement sera mentionné en marge de la publication du commandement, l’a condamnée à payer à M. [M] la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts, et l’a condamnée au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [M] au titre d’un préjudice moral qu’il prétendait subir et de la publication du jugement ;
Statuant à nouveau,
Sur le fond,
– débouter M. [M] de ses demandes et contestations ;
– juger l’action de la société BNPPPF recevable ;
– juger qu’elle est bien titulaire d’une créance certaine, liquide et exigible et agit en vertu d’un titre exécutoire ;
– fixer le montant de sa créance en principal, accessoires, intérêts et frais s’élève à la somme globale de 195.988,91 euros, selon décompte arrêté au 15 mars 2023 avec intérêts au taux contractuel de 2,54 %, à parfaire jusqu’à la date effective de paiement outre les dépens sur la présente saisie ;
– juger que le quantum de la créance revendiquée est bien fondé et justifié ;
– fixer la date de vente judiciaire dans un délai compris entre deux et quatre mois à compter du prononcé de la décision des biens saisis ;
A titre principal :
– fixer les modalités de visite de l’immeuble : visite organisée par la société AJILEX, huissiers de justice associés à [Localité 3] ou tel autre huissier qu’il plaira à « Monsieur le Juge de l’Exécution » de désigner et le concours de la force publique si nécessaire ;
– dire et juger que la visite des biens et droits immobiliers saisis aura lieu entre 30 et 15 jours avant la date d’adjudication ;
– taxer le montant des frais de poursuite de vente du créancier poursuivant en l’état de la procédure ;
– mentionner le montant de la créance du poursuivant en principal, accessoires, intérêts et frais à la somme globale de 195.988,91 euros selon décompte arrêté au 15 mars 2023 avec intérêts au taux contractuel de 2,54 %, à parfaire jusqu’à la date effective de paiement outre les dépens sur la présente saisie ;
– dire et juger que les intérêts continueront à courir jusqu’à la distribution du prix de la vente à intervenir ;
– employer les frais de la présence instance en frais privilégiés de vente ;
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la vente amiable serait accordée par la cour :
– s’assurer que la vente amiable peut être conclue dans des conditions satisfaisantes compte tenu de la situation du bien, des conditions économiques du marché et après justification des diligences éventuelles du débiteur pour y parvenir ;
– fixer le montant du prix en deçà duquel l’immeuble ne pourra être vendu eu égard aux conditions économiques du marché ainsi que, le cas échéant, les conditions particulières de la vente qu’elle estime à 90.000 euros ;
– dire que le prix de vente sera consigné entre les mains du bâtonnier de l’ordre des avocats de [Localité 3] désigné en qualité de séquestre ;
– taxer les frais de poursuites de la SEL Puget Leopold-Couturier, avocat poursuivant ;
– dire que les émoluments de l’avocat poursuivant seront fixés suivant les dispositions de l’article 37 du décret n°60-323 du 2 avril 1960 modifié et mis à la charge de l’acquéreur en sus des frais taxés ;
– fixer la date de l’audience à laquelle l’affaire sera appelée dans un délai qui ne pourra excéder 4 mois du jugement d’orientation à intervenir ;
Sur les demandes formées par M. [M] sur le fondement du droit des clauses abusives :
A titre principal,
– juger que les stipulations prévoyant que les remboursements s’imputent en priorité sur les intérêts sont le reflet de l’ancien article 1254 du code civil (aujourd’hui 1343-1) qui est une règle supplétive au sens de l’article 1 paragraphe 2 de la directive 93/13 ;
En conséquence, juger que ces stipulations sont exclues du champ d’application de la directive 93/13 ;
– juger que les clauses relatives au risque de change et les clauses relatives à la variation du taux d’intérêt relèvent de l’objet principal et qu’elles sont rédigées de manière claire et compréhensible ;
En conséquence, juger que les clauses relatives au risque de change et les clauses relatives à la variation du taux d’intérêt ne relèvent pas du contrôle des clauses abusives et débouter M. [M] de ses demandes sur le fondement des clauses abusives ;
– juger que la « clause de reconnaissance d’acceptation du bordereau d’acceptation » n’est pas abusive ;
En conséquence, débouter M. [M] de ses demandes sur le fondement des clauses abusives ;
A titre subsidiaire,
– juger que les clauses relatives au risque de change et les clauses relatives à la variation du taux d’intérêt ne créent pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
En conséquence, débouter M. [M] de ses demandes sur le fondement des clauses abusives ;
A titre infiniment subsidiaire,
– si par extraordinaire, la cour jugeait que le prêt Helvet Immo ne comporte pas de plafond, juger que seules les stipulations relatives à l’augmentation sans plafond du montant des échéances pourraient créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
En conséquence, ordonner la suppression des seules stipulations relatives à l’augmentation sans plafond du montant des échéances et juger que les autres stipulations peuvent être maintenues, le contrat de prêt pouvant continuer d’être exécutées ;
– si par extraordinaire, la cour jugeait les clauses relatives à la variation du taux d’intérêt abusives, juger que le taux d’intérêt conventionnel initial devra s’appliquer rétroactivement ;
A titre infiniment subsidiaire, sur les sanctions :
– si par extraordinaire, la cour entendait prononcer la nullité du contrat de prêt, ordonner :
o la restitution par M. [M] :
– de la contrevaleur en euros des montants empruntés en francs suisses ;
– de la valeur du service fourni par BNPPPF consistant en la mise à disposition d’un capital, laquelle sera calculée au jour de la restitution par application du taux d’intérêt moyen dont M. [M] a bénéficié au titre du prêt qui lui a été accordé ;
o la restitution par BNPPPF de toutes les sommes perçues au titre du prêt ;
– à titre infiniment subsidiaire, ordonner la compensation entre les restitutions réciproques à opérer ;
– si par extraordinaire, la cour entendait prononcer la nullité du contrat de prêt, prononcer le maintien des inscriptions hypothécaires sur le bien immobilier objet du financement jusqu’au parfait remboursement par M. [M] des sommes dues au titre des restitutions ;
Sur la demande subsidiaire de nullité du contrat de prêt par M. [M] sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses :
– juger qu’elle n’a pas commis de pratiques commerciales trompeuses, déloyales et dolosives ayant induit M. [M] en erreur et ainsi vicié son consentement lors de la conclusion du prêt Helvet Immo ;
En conséquence,
– débouter M. [M] de ses demandes sur le fondement du dol et de l’erreur ;
– juger qu’en l’absence de nullité, la demande de restitution formulée par M. [M] est sans objet ;
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, il est fait droit à la demande de la nullité du prêt Helvet Immo,
– ordonner la restitution par M. [M] :
o de la contrevaleur en euros du montant emprunté en francs suisses ;
o de la valeur du service fourni par BNPPPF consistant en la mise à disposition d’un capital ; et
o des sommes versées par BNPPPF en exécution du jugement pénal rendu le 26 février 2020 par la 13ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris à titre provisoire ;
– ordonner la restitution par BNPPPF de toutes les sommes perçues au titre du prêt ;
– ordonner la compensation entre les restitutions réciproques à opérer ;
– prononcer le maintien de l’inscription hypothécaire sur le bien immobilier objet du financement jusqu’au parfait remboursement par M. [M] des sommes dues au titre des restitutions ;
Sur la demande infiniment subsidiaire de dommages et intérêts sur le fondement d’un prétendu manquement de BNPPPF à son obligation d’information renforcée à l’égard de M. [M] :
A titre principal,
– juger que le juge de l’exécution et donc la cour d’appel statuant comme juge d’appel du jugement d’orientation n’a pas compétence pour se prononcer sur le prétendument manquement de BNPPPF à son obligation d’information renforcée ;
– en conséquence, juger irrecevable M. [M] de sa demande sur ce fondement ;
A titre subsidiaire,
– juger qu’elle a rempli son obligation d’information à l’égard de M. [M] ;
– juger que M. [M] ne démontre pas l’existence d’un préjudice indemnisable ;
– en conséquence, débouter M. [M] de sa demande de dommages et intérêts ;
Sur la demande de dommages-intérêts sur le fondement de l’abus de saisie :
– débouter M. [M] de sa demande au titre de l’abus de saisie ;
Sur la demande de dommages-intérêts sur le fondement du préjudice moral :
– juger que M. [M] ne souffre d’aucun préjudice ;
– en conséquence, débouter M. [M] de sa demande au titre de son prétendu préjudice moral ;
– à titre subsidiaire, déduire des dommages-intérêts versés au titre du préjudice moral les sommes versées en exécution du jugement pénal rendu le 26 février 2020 par la 13ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris à titre provisoire ;
Sur la demande de publication de l’arrêt à intervenir :
– débouter M. [M] de sa demande de publication de la décision à intervenir par voie de presse,
– à titre subsidiaire, juger qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une astreinte pour assurer la publication du jugement à intervenir par voie de presse ;
En tout état de cause,
– débouter M. [M] de l’intégralité de ses demandes ;
– condamner M. [M] au paiement de la somme de 25.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions du 6 décembre 2022, M. [U] [M] demande à la cour d’appel de :
1. A titre principal, sur l’absence de créance,
Sur l’absence de créance liquide et exigible,
– confirmer le jugement entrepris et juger que la société BNPPPF ne dispose pas d’une créance liquide et exigible,
– par conséquent, prononcer l’irrecevabilité de l’intégralité des demandes, fins et conclusions de la société BNPPPF,
Sur l’absence de titre exécutoire,
– juger que la BNPPPF ne dispose pas d’un titre exécutoire,
– par conséquent, prononcer l’irrecevabilité de l’intégralité des demandes, fins et conclusions de la société BNPPPF,
– prononcer l’irrégularité de la compensation opérée arbitrairement par la société BNPPPF,
– fixer le montant de la créance de la BNPPPF sur le montant du principal hors intérêts à défaut pour elle de justifier du taux de l’intérêt pratiqué,
– juger que le décompte figurant dans le commandement de payer délivré tout comme le dernier décompte produit ne sont pas conformes à l’article R. 321-3 3° du code des procédures civiles d’exécution,
– en conséquence, prononcer la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière et de l’assignation délivrés par BNPPPF et, par voie de conséquence :
– ordonner la radiation du fichier immobilier du commandement de payer valant saisie immobilière,
– à titre subsidiaire, constater que la créance de la BNPPPF, compte tenu des créances de M. [M] sur elle, ne peut être supérieure à 120.247,28 euros,
2. A titre subsidiaire, sur le contrat de prêt réputé non écrit ou inexistant,
2.1 ‘ débouter la société BNPPPF de sa demande d’irrecevabilité des demandes pour prescription,
2.2 ‘ confirmer le jugement entrepris et juger que la fin de non-recevoir soulevée par la BNPPPF sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile est tardive et la condamner à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 123 du code de procédure civile,
2.3 ‘ prononcer le caractère abusif des clauses n°1 à 9 du contrat Helvet Immo,
Constatant que ces clauses constituent l’objet principal du contrat sans lesquelles celui-ci ne peut subsister,
– prononcer l’anéantissement rétroactif du contrat,
En conséquence,
– le condamner à restituer à la BNPPPF les sommes en euros qu’elle a mises à sa disposition au titre du prêt, soit 197.500 euros,
– condamner la BNPPPF à lui restituer les sommes qui lui ont été versées, soit 236.121,80 euros,
– prononcer la compensation entre les sommes dues par les deux parties et condamner BNPPPF à lui verser le solde existant de 38.621,80 euros,
2.4 ‘ A titre subsidiaire,
– constater que la BNPPPF s’est rendue coupable de dols multiples,
– à titre subsidiaire, constater que l’emprunteur a commis une erreur sur les qualités substantielles,
– en conséquence, et quel que soit le fondement retenu par le juge de l’exécution :
– prononcer la nullité du contrat de prêt,
– ordonner les restitutions consécutives à l’annulation, à savoir :
– le condamner à restituer à la BNPPPF les sommes en euros qu’elle a mises à sa disposition au titre du prêt, soit 197.500 euros,
– condamner la BNPPPF à lui restituer les sommes qui lui ont été versées, soit 236.121,80 euros,
– prononcer la compensation entre les sommes dues par les deux parties et condamner la BNPPPF à lui verser le solde existant de 38.621,80 euros,
– prononcer l’annulation du contrat d’assurance garantissant le prêt,
A titre infiniment subsidiaire : sur le manquement de la banque à son devoir d’information
– juger que la BNPPPF a manqué à son devoir d’information,
– condamner la société BNPPPF à réparer son préjudice de perte de chance lequel sera évalué à la somme de 338.564,80 euros,
3. Sur les demandes formulées en tout état de cause,
Sur l’abus de saisie,
– condamner la BNPPPF à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l’abus de saisie,
Sur le préjudice moral,
– constater que le comportement fautif de BNPPPF est à l’origine d’un préjudice moral pour le demandeur,
– en conséquence, condamner BNPPPF à lui payer la somme de 35.000 euros,
Sur la demande de publication de la décision à intervenir,
– constater qu’il y a un intérêt impérieux à ce que le grand public soit informé de la condamnation de la banque, dans la mesure où des milliers de ces prêts sont actuellement toujours en cours d’exécution et qu’il est possible d’en obtenir réparation devant une juridiction,
– ordonner, à compter du jugement à intervenir, aux frais de la banque, la publication in extenso du dispositif de la décision à intervenir, sur une moitié de page, pendant 2 mois, dans les revues suivantes : Les Échos, Le Figaro, Le Monde et Libération, ainsi que dans les revues Banque, Banque et Droit, 60 Millions de Consommateurs, UFC Que Choisir, et ce, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,
Sur la vente amiable,
Pour le cas où la cour ne le suivait pas dans son argumentation, l’autoriser à vendre amiablement les biens et droits immobiliers saisis,
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,
– condamner la BNPPPF au paiement de la somme de 25.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le caractère exigible de la créance
La société BNPPPF soutient qu’elle dispose d’une créance exigible à l’encontre de M. [M] justifiant la saisie immobilière. Elle explique que la jurisprudence admet la validité de la déchéance du terme prononcée sans mise en demeure préalable lorsque l’acte de prêt le prévoit par des stipulations expresses et non équivoques, ce qui est le cas en l’espèce, et que la Cour de cassation admet l’absence d’obligation de formaliser la déchéance du terme à l’issue du délai de régularisation des impayés (1ère civ., 10 novembre 2021, n°19-24.386) ; qu’ainsi, lorsque le débiteur a été mis en demeure de s’exécuter et qu’il a été informé, qu’à défaut d’exécution, la déchéance du terme interviendrait, il n’est pas nécessaire de procéder à une seconde notification de la déchéance du terme elle-même. Elle fait valoir que bien que le contrat de prêt la dispensait expressément d’adresser à l’emprunteur une mise en demeure préalable, elle a envoyé une mise en demeure à M. [M], lequel a été informé de la déchéance du terme par courriers des 24 avril 2015, 23 mars 2015 et 5 février 2015 ; qu’en l’absence de réponse à ces courriers et de règlement, elle a prononcé la déchéance du terme le 10 juin 2015.
M. [M] fait valoir que la banque ne justifie pas de la déchéance du terme ; que ses conclusions reconnaissent implicitement l’absence de prononcé de la déchéance du terme puisqu’elle conclut uniquement sur la lettre de mise en demeure et ne revendique pas avoir envoyé une lettre prononçant la déchéance du terme ; que si la jurisprudence admet l’absence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme dès lors qu’une disposition expresse et non équivoque figurant dans le contrat de prêt en dispense la banque, il n’en va pas de même de la déchéance du terme du contrat, puisque selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la banque ne peut pas poursuivre le recouvrement sans avoir préalablement prononcé la déchéance du terme ; qu’en l’absence de déchéance du terme, la banque ne dispose pas d’une créance liquide et exigible au sens de l’article L. 311-2 du code des procédures civiles d’exécution.
Il résulte de l’article L.311-2 du code des procédures civiles d’exécution que pour procéder à une saisie immobilière le créancier doit être muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.
S’agissant de l’exigibilité d’une créance résultant d’un acte notarié, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que, sauf disposition expresse et non équivoque, la déchéance du terme suppose la délivrance préalable d’une mise en demeure restée sans effet et précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.
En l’espèce, il résulte des termes du contrat de prêt que le prêteur n’était pas tenu, pour exiger le remboursement immédiat du capital en cas de défaillance de l’emprunteur, d’adresser à ce dernier une mise en demeure. Cette circonstance est toutefois indifférente en l’espèce, dès lors qu’il est constant que le prêteur a envoyé des mises en demeure préalables.
La BNPPPF a en effet adressé à M. [M] quatre lettres recommandées avec demande d’avis de réception les 5 février, 23 mars, 24 avril et 27 avril 2015, réclamant à ce dernier la régularisation des impayés dans un délai de quinze jours (AR signé pour les quatre lettres). Par courrier du 23 mars 2015, elle l’a averti qu’à défaut de verser la somme de 6.203,16 euros dans un délai de quinze jours, le prêt deviendra exigible par anticipation, et il devra alors rembourser l’intégralité du capital restant dû, les frais de change, les indemnités et autres pénalités prévues au contrat et les intérêts sur le capital restant dû, jusqu’au parfait règlement. Le courrier du 27 avril 2015 actualise le montant des impayés à la somme de 13.430,38 euros, met en demeure M. [M] de verser cette somme dans un délai de 15 jours à compter de la date de première présentation de la présente mise en demeure, et réitère le même avertissement que celui contenu au courrier du 23 mars 2015.
La BNPPPF dit avoir prononcé la déchéance du terme le 10 juin 2015. Elle n’a adressé aucun courrier en ce sens à M. [M].
Selon la première chambre civile de la Cour de cassation (1ère civ., 10 novembre 2021, n°19-24.386), lorsqu’une mise demeure, adressée par la banque à l’emprunteur et précisant qu’en l’absence de reprise du paiement des échéances dans un certain délai la déchéance du terme serait prononcée, est demeurée sans effet, la déchéance du terme est acquise à l’expiration de ce délai sans obligation pour la banque de procéder à sa notification.
La BNPPPF déduit de cet arrêt qu’elle était dispensée de notifier le prononcé de la déchéance du terme à M. [M].
Cependant, en l’espèce, la banque a adressé plusieurs mises en demeure en fixant un délai de quinze jours à M. [M] pour régulariser les impayés. La dernière mise en demeure, datée du 27 avril 2015, a été réceptionnée à une date qui ne ressort pas de l’accusé de réception, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer la date à laquelle la déchéance du terme est acquise. En tout état de cause, le prétendu prononcé de la déchéance du terme à la date du 10 juin 2015 est très postérieur à cette date.
En outre, aucune de ces mises en demeure préalables ne mentionnait, à titre d’information, le montant du capital restant dû à la date de la lettre, et celui-ci était susceptible d’évolution chaque mois en fonction du taux de change. En effet, le contrat de prêt stipule que l’amortissement du capital évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels de l’emprunteur. Par conséquent, l’absence de notification du prononcé de la déchéance du terme met en l’espèce le débiteur dans l’ignorance du montant des sommes exigibles, notamment le capital restant dû, d’autant plus que le tableau d’amortissement annexé à son contrat de prêt est établi en francs suisses.
Il résulte des différents décomptes établis par la BNPPPF (y compris celui du 17 juin 2015), qui font mention d’une exigibilité anticipée au 10 juin 2015, qu’il était dû à cette date la somme de 20.194,00 euros au titre des intérêts et accessoires et 279.749,09 euros au titre du capital restant dû (ce montant étant repris dans le commandement de payer valant saisie immobilière). Or il n’est pas possible de vérifier que ce montant correspond au tableau d’amortissement qui est établi en francs suisses.
La particularité du contrat Helvet Immo et la variabilité du capital restant dû imposaient au prêteur de notifier au débiteur la déchéance du terme, au moment où elle était prononcée, afin de l’informer sur le montant total exigible.
D’ailleurs, l’arrêt de la Cour de cassation invoqué par la société BNPPPF a été rendu, par la première chambre civile, dans le cadre d’une assignation en paiement, laquelle vaut mise en demeure de payer la totalité des sommes exigibles. Mais en l’espèce, le créancier doit justifier d’une créance exigible avant d’engager une mesure d’exécution, de sorte qu’il ne peut être dispensé d’informer le débiteur de l’exigibilité de la dette et de son montant total, par la notification de la déchéance du terme.
Ainsi, au regard des éléments communiqués, la banque ne prouve pas avoir prononcé la déchéance du terme le 10 juin 2015 comme elle le soutient, et en tout état de cause ne l’a pas notifiée au débiteur, lequel était alors dans l’ignorance tant de l’exigibilité effective de la dette que de son montant.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la BNPPPF ne justifie pas d’une déchéance du terme régulière, donc d’une créance exigible. Dès lors, c’est à bon droit que le premier juge a déclaré irrecevables les demandes du créancier poursuivant, étant rappelé que les intérêts réclamés au commandement sont d’un montant inférieur à la créance de M. [M] sur la BNPPPF. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de la BNPPPF.
Sur les demandes formulées par M. [M] en tout état de cause
1) Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive
M. [M] sollicite une somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts en raison du caractère abusif de la procédure de saisie immobilière, faisant valoir que la procédure a été entreprise alors, d’une part, que la banque avait fait l’objet d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel pour pratiques commerciales trompeuses, dans un dossier comptant plus de 1600 parties civile dont des associations de consommateurs, d’autre part, qu’une procédure au fond était en cours (et est toujours pendante) devant le tribunal de grande instance de Paris, de sorte que la BNPPPF a souhaité court-circuiter le juge du fond, espérant se servir ensuite de l’autorité de chose jugée du jugement d’orientation et de l’article R.311-5 du code des procédures civiles d’exécution pour que les prétentions des victimes soient irrecevables dans les procédures au fond. Il estime que cette attitude est constitutive d’un abus de saisie au sens de l’article L.121-2 du code des procédures civiles d’exécution.
La société BNPPPF fait valoir que la saisie immobilière a été diligentée sur le fondement d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, de sorte qu’elle ne saurait constituer une mesure inutile ou abusive au sens de l’article L.121-2 du code des procédures civiles d’exécution.
Aux termes de l’article L.121-2 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie.
Le juge de l’exécution a estimé que la délivrance du commandement présentait un caractère abusif et a condamné la banque à payer à M. [M] une somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts.
Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le caractère abusif d’une mesure d’exécution s’apprécie au jour où le juge statue.
Or la problématique relative à l’exigibilité de la créance n’est apparue que devant le juge de l’exécution et la cour d’appel, et non au moment où la procédure de saisie immobilière a été engagée. Et au vu de la difficulté de la question soumise à la présente juridiction, la banque a pu croire de bonne foi être titulaire d’une créance liquide et exigible constatée par un titre exécutoire.
En outre, l’erreur dans l’appréciation de ses droits n’est pas constitutif d’un abus, de même que le simple fait de succomber en ses prétentions.
Aucun abus de saisie n’est donc caractérisé en l’espèce.
Il convient en conséquence d’infirmer le jugement sur ce point et de débouter M. [M] de sa demande de dommages-intérêts pour saisie abusive.
2) Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral
M. [M] sollicite également, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, réparation de son préjudice moral à hauteur de 35.000 euros, à raison de la stipulation de clauses abusives, soulignant que l’augmentation du capital l’a empêché de revendre le bien au moment où il a connu des difficultés financières, que ce prêt est une préoccupation quotidienne pour lui et qu’il ne pouvait imaginer réaliser une opération ruineuse en contractant avec une banque respectable.
La société BNPPPF conclut à l’absence de démonstration d’un préjudice moral qui lui soit imputable. Elle fait valoir que la somme demandée n’est pas justifiée, qu’elle n’est pas responsable de l’état de fait que M. [M] entend réparer, à savoir la crise de la dette souveraine dans certains pays européens ayant entraîné la chute de l’euro, et que l’emprunteur a eu connaissance des effets de la variation du taux de change sur l’amortissement du prêt avec l’offre de prêt et les premiers relevés trimestriels.
Le juge de l’exécution, et partant, la cour d’appel statuant avec les mêmes pouvoirs, ne peuvent délivrer des titres exécutoires que dans les cas prévus par la loi. Ils ne peuvent accorder des dommages-intérêts que pour abus de saisie du créancier, résistance abusive du débiteur, ou plus généralement en cas d’exécution ou d’inexécution dommageable.
Les demandes de la BNPPPF étant irrecevables, M. [M] ne peut se plaindre d’une exécution dommageable.
La demande de dommages-intérêts présentée en l’espèce, outre qu’elle est fondée curieusement à la fois sur l’article 1240 du code civil et sur le contrat de prêt, excède donc les pouvoirs du juge de l’exécution.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a écarté cette demande.
3) Sur la demande de publication de la décision
M. [M] sollicite la publication de la présente décision dans la presse, sous astreinte.
La BNPPPF s’oppose à cette demande, en ce que d’une part M. [M] ne justifie pas de la nécessité d’une telle mesure, d’autre part une telle sanction porterait une atteinte disproportionnée à son image.
Compte tenu de l’issue du litige, la publication de la présente décision dans la presse n’est nullement justifiée, ni nécessaire.
Sur les demandes accessoires
Au vu de la présente décision, il convient de confirmer les condamnations accessoires de la BNPPPF, et de condamner cette dernière aux dépens d’appel, dont distraction au profit de l’avocat de l’intimé, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’équité commande en outre de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [M] à hauteur de 4.000 euros. L’appelante sera donc condamnée au paiement de cette somme en compensation des frais irrépétibles d’appel de M. [M].
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
INFIRME le jugement rendu le 31 août 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a condamné la SA BNP Paribas Personal Finance à payer à M. [U] [M] la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
DÉBOUTE M. [U] [M] de sa demande de dommages-intérêts pour saisie abusive,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
REJETTE la demande de publication de la décision dans la presse,
CONDAMNE la SA BNP Paribas Personal Finance à payer à M. [U] [M] la somme de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SA BNP Paribas Personal Finance aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés directement par Me Anne-Valérie Benoit, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,