Déséquilibre significatif : 11 avril 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/08823
Déséquilibre significatif : 11 avril 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/08823
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11 avril 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
22/08823

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-11 OP

ORDONNANCE SUR CONTESTATION

D’HONORAIRES D’AVOCATS

DU 11 AVRIL 2023

N°2023/ 92

N° RG 22/08823 –

N° Portalis DBVB-V-B7G-BJTAA

[W] [N]

C/

[B] [P]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Maître [B] [P]

Décision déférée au Premier Président de la Cour d’Appel:

Décision fixant les honoraires de Me [B] [P] rendue le 03 Juin 2022 par le Bâtonnier de l’ordre des avocats de MARSEILLE.

DEMANDEUR

Monsieur [W] [N], demeurant [Adresse 1]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022-007445 du 23/09/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

représenté par Me Jean-Pierre RAYNE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

DEFENDEUR

Maître [B] [P], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Julie REQUIN de la SELARL CABINET REQUIN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ

L’affaire a été débattue le 09 Mars 2023 en audience publique devant

Monsieur Nicolas ERNST, Vice-Président placé près le premier président,

délégué par ordonnance du Premier Président .

Greffier lors des débats : Mme Coralie GATOUILLAT.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2023.

ORDONNANCE

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2023

Signée par Monsieur Nicolas ERNST, Vice-Président placé près le premier président et Manon BOURDARIAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Par décision en date du 3 juin 2022, le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Marseille a fixé les honoraires dus par [W] [N] à Me [B] [P] à la somme de 46.800 EUR TTC et a dit qu’un solde de 34.050 EUR reste du à Me [B] [P].

Par courrier recommandé du 17 juin 2022, réceptionné au greffe de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, [W] [N] a relevé appel de cette décision.

A l’audience du 9 mars 2023, [W] [N] sollicite l’infirmation de la décision déférée, et que les honoraires soient fixés à la somme de 11.500 EUR.

Il soutient que la clause pénale contenue dans la convention d’honoraires est nulle. Il estime que les sommes versées à l’interruption de la mission de l’avocat sont suffisantes, et souligne la surévaluation des heures de travail mises en compte par Me [P].

Me [P] sollicite le bénéfice de ses écritures tendant à la réformation de la décision querellée ainsi que l’allocation de la somme de 1.500 EUR au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle expose que l’ordonnance déférée est nulle. Elle conclut que la clause pénale prévue à l’article 5 de la convention d’honoraire trouve à s’appliquer, si bien que ses honoraires doivent être fixés à la somme de 189.757, 29 EUR.

Subsidiairement, elle sollicite la communication de pièces sous astreinte, et la fixation de ses honoraires à la somme de 86.466, 04 EUR.

Très subsidiairement, elle sollicite fixation à hauteur de 55.428, 12 EUR, eu égard au temps passé.

L’affaire a été mise en délibéré au 11 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

1/ Sur l’annulation de la décision déférée

Si l’intimée, appelante incidente, soutient que la décision déférée mérite d’être annulée, elle ne livre ni moyen ni argument au soutien de cette prétention.

Cette prétention ne peut, dans ces conditions, être accueillie.

2/ Sur la portée de l’article 5 de la convention d’honoraires du 7 septembre 2016

2.1/ Sur la nature de la clause litigieuse

Aux termes de l’article 1152 du code civil, dans sa rédaction applicable au 7 septembre 2016, date de la convention d’honoraires, ‘Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite.’

Il se déduit de l’application de ces dispositions que la clause dont l’objet est de permettre aux parties de se libérer unilatéralement de leur engagements ne s’analyse pas en une clause pénale, mais en une faculté de dédit.

En l’espèce, aux termes de l’article 5 intitulé ‘Clause pénale’ de la convention d’honoraires du 7 septembre 2016, signée par les deux parties, ‘les honoraires fixes sont minimes pour permettre au client de se libérer des justes honoraires dus à la liquidation du dossier d’indemnisation. Dès lors, si le client devait interrompre la mission de l’avocat avant la liquidation de son préjudice, il devra régler une somme équivalente à 15% HT du montant des demandes en l’état de la jurisprudence en la matière si elles sont susceptibles d’être chiffrées. A défaut, il devra 10% HT du montant des demandes dès lors qu’elles seront en état d’être chiffrées même par son successeur. Il devra en sus une indemnité de 2000 EUR HT.’

Il s’en déduit que l’article 5 consiste non pas en la sanction d’une inexécution contractuelle, mais en une clause autorisant le mandant à dénoncer unilatéralement le contrat moyennant paiement d’une indemnité. Les parties n’ont par conséquent pas stipulé une clause pénale, mais une faculté de dédit, excluant le pouvoir du juge de diminuer ou de supprimer l’indemnité convenue.

Il est constant que [W] [N] a fait usage de sa faculté de repentir à titre onéreux en interrompant la mission confiée à Me [P], en août 2021, et alors que la mission initialement convenu selon convention du 27 septembre 2016 n’était pas achevée.

2.2/ Sur le caractère abusif de la clause litigieuse

Comme l’expose l’appelant, il entre dans les pouvoirs du premier président statuant en matière de fixation des honoraires d’avocat d’examiner le caractère abusif des clauses des conventions lorsque le client de l’avocat est un non-professionnel ou consommateur.

Aux termes de l’article L212-1 du code de la consommation, ‘dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.

L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la commission des clauses abusives, détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Un décret pris dans les mêmes conditions, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.’

En l’espèce, il n’est pas contesté que [W] [N] n’est pas un professionnel. Il a par suite qualité de consommateur.

Or l’article 5 de la convention litigieuse, ci-dessus rappelé, soumet la résolution ou la résiliation du contrat à des conditions ou modalités plus rigoureuses pour le consommateur que pour le professionnel, en ce que si la sanction de la résiliation du contrat ou du dédit à l’initiative du professionnel n’est pas stipulée, celle relevant du droit d’option du consommateur l’est à titre onéreux. En outre, le coût du dédit, fixé à ‘15%HT du montant des demandes en l’état de la jurisprudence en la matière si elles sont susceptibles d’être chiffrées’ ou ‘10% HT du montant des demandes dès lors qu’elles seront en état d’être chiffrées’ est supérieur au coût total du par le client de l’avocat dans l’hypothèse où la mission serait allée à son terme, ce au regard de l’article 3 de la convention du 7 septembre 2016 qui prévoit notamment un honoraire de résultat.

Par suite, l’article 5 de la convention est présumé abusif au sens de l’article R212-2, 8° du code de la consommation.

Alors que l’appelant met en débat le caractère excessif et disproportionné de la dite en clause au regard du code de la consommation, Me [P] ne rapporte pas la preuve contraire, indiquant que les conditions de l’application de la dite clause sont réunies, et que ces stipulations ont été acceptées par [W] [N].

Il s’en déduit que la clause est abusive. Par suite, l’article 5 de la convention du 7 septembre 2016 est réputé non écrit.

Les prétentions de Me [P] qui se fondent sur ces stipulations ne peuvent être accueillies.

Il n’y a par conséquent pas lieu d’examiner les prétentions de Me [P] qu’elle déduit de la possibilité de chiffrer les demandes d’indemnisation dans le cadre de la procédure objet de la convention d’honoraires. Les demandes de communication de pièces seront, de même, écartées.

3/ Sur les honoraires dus

Il est constant que le dessaisissement de l’avocat, avant que ne soit intervenu un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, rend inapplicable la convention d’honoraires initialement conclue et les honoraires dus à l’avocat doivent être fixés selon les critères définis à l’article 10 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1971, à savoir les usages, la situation de fortune du client, la difficulté de l’affaire, les frais exposés par l’avocat, sa notoriété et les diligences de celui-ci.

En l’espèce, Me [P] met en compte 171 heures de travail.

Sur les 29h de rendez-vous, [W] [N] en conteste la durée, estimant qu’elle est surévaluée. Il ne conteste pas la réalité des rendez-vous visés. L’avocat précise que la durée mise en compte ne retient pas uniquement le temps passé en présence de [W] [N] ou de leurs interlocuteurs communs (médecin, expert), mais intègre le temps de déplacement et de préparation du rendez. Ce dernier argument sera retenu.

Sur les 25h mises en compte au titre des échanges téléphoniques et des SMS, cette évaluation ne repose sur aucun justificatif, pourtant nécessairement existants. Les captures d’écran et exemples de SMS communiqués par Me [P] ne démontrent pas la fréquence, sur la durée de la mission, des échanges. Au regard de la durée de la mission, cette estimation sera ramenée à 10 heures.

Sur le temps d’audience, estimé à 11 heures, il sera retenu en ce que ce temps intègre le temps de trajet, et tient nécessairement compte du temps effectivement passé à l’audience, qui peut être amplement supérieur au strict temps de plaidoirie.

Sur le temps de mobilisation pour les deux expertises, estimé au total à 9 heures, il sera limité à 2×2 heures, sot 4 heures.

Sur les 97 heures d’ ‘études et de préparations’, l’estimation du temps nécessaire à la recherche juridique et la rédaction peut être retenu. En revanche, les 50 heures mises en compte pour l”étude et le tri des documents’ seront ramenées à 5 heures. Les pièces relatives à la procédure pour laquelle Me [P] était missionnée étaient certes nombreuses, mais, de par leur nature médicale ou présentant une exigence de technique juridique limitée, ne justifient pas une telle durée de mobilisation. Un total de 52 heures sera retenu.

Par suite, c’est un total de 29+10+11+4+52= 106 heures de travail qui sera retenu.

[W] [N] soutient que le taux de 230 EUR TTC de l’heure doit être retenu ; Me [P] soutient que le taux utile est de 360 EUR TTC. Au regard de l’expérience effective de Me [P], de la spécificité du contentieux du préjudice corporel, la particularité de l’affaire du fait de la gravité du préjudice, des sommes mises en compte et des enjeux lourds pour son client, un taux de 300 EUR TTC sera retenu.

Au titre du temps passé par l’avocat, la somme de 31.800 EUR sera jugée satisfactoire.

S’agissant des frais de secrétariat, ils sont justifiés en dehors du nombre d’heures de mobilisation de personnel à un taux de 35EUR de l’heure, qui n’est pas étayé.

Dans ces conditions, seule l’estimation adverse s’élevant à 10h peut être retenue, pour une somme de 350 EUR. Les frais de secrétariat (correspondances, photocopies, 10 heures de secrétariat, commandes de dossier médical) s’élèvent par conséquent à un total de 3.468, 12 EUR.

Du tout, l’honoraire du à Me [P] sera fixé à la somme de 35.268, 12 EUR. Me [P] expose que [W] [N] a remis entre ses mains la somme de 12.750 EUR. Il conviendra de constater que [W] [N] reste débiteur de 22.518, 12 EUR.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, contradictoirement en matière de contestation d’honoraires d’avocat,

INFIRMONS la décision du 3 juin 2022 rendue par M.le Batonnier de l’ordre des avocats de Marseille ;

Et, statuant à nouveau,

FIXONS à la somme de 35.268, 12 EUR l’honoraire du par [W] [N] à Me [B] [P] ;

DIT qu’en l’état de versements déjà réalisés à hauteur de 12.750 EUR, il reste redevable de la somme de 22.518, 12 EUR ;

DEBOUTE Me [B] [P] de ses autres demandes ;

DISONS n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DISONS que chaque partie prendra à sa charge les dépens, ainsi qu’elle les aura exposés, avec distraction au profit des conseils qui en auront fait la demande.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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