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10 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/04967
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 10 MAI 2023
(n° 90 , 25 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/04967 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDJMS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Novembre 2020 – Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2019005181
APPELANTES
SELARL [O] ET [G] FIDRY prise en la personne de Maître [N] [G], ès qualités de liquidateur de la SARL MPH DISTRIBUTION
[Adresse 3]
[Localité 5]
SCP [C] [X] – [R] [B] prise en la personne de Me [R] [B], ès qualités d’administrateur judiciaire de la SARL MPH DISTRIBUTION
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentées par Maître Jean-claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque D0945, avocat postulant
Assistées de Maître Maxime VIGNAUD de L’AARPI RENAULT THOMINETTE VIGNAUD REEVE, avocat au barreau de PARIS, toque P248, avocat plaidant
INTIMEES
S.A.S. MONOPRIX agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 552 018 020
[Adresse 2]
[Localité 8]
S.A.S. ACHATS MARCHANDISES CASINO agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de CRETEIL sous le numéro 428 269 104
[Adresse 1]
[Localité 9]
S.N.C DISTRIBUTION LEADER PRICE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de CRETEIL sous le numéro 384 846 432
[Adresse 12]
[Localité 7]
S.N.C. SEDIFRAIS agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PONTOISE sous le numéro 341 500 858
[Adresse 6],
[Adresse 11]
[Localité 10]
Représentées par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2477, avocat postulant
Assistées de Maître Thibault REYMOND de la SELAS PELTIER JUVIGNY MARPEAU ‘ ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque L0099 avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 22 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre
Madame Sophie DEPELLEY, conseillère
Monsieur Julien RICHAUD, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur [M] [D] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre et par Monsieur MARTINEZ, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La SARL MPH Distribution avait pour activité principale, jusqu’à sa liquidation prononcée par jugement du tribunal de commerce de Metz du 5 février 2020 convertissant le redressement judiciaire ouvert le 21 novembre 2018 et désignant la Selarl [O] et [G] Fidry en qualité de liquidateur judiciaire, la vente en gros de produits agricoles aux enseignes de la grande distribution.
La SAS Achats Marchandises Casino (ci-après, “la SAS AMC”), anciennement dénommée EMC Distribution, est la centrale de référencement du groupe Casino. Sa société mère, la société Casino Guichard Perrachon, contrôle directement ou indirectement le sociétés suivantes (ci-après, ensemble, avec la SAS AMC, “les sociétés du groupe Casino”) :
– la SAS Monoprix, qui supervise la gestion des magasins à enseigne Monoprix ;
– la SAS Distribution Casino France, qui exploite les magasins à enseigne Géant (hypermarchés) et Casino (supermarchés) ;
– la SNC Sedifrais, centrale d’achat pour les produits ultra frais pour les sociétés d’exploitation de magasins notamment sous enseigne Franprix ;
– la SNC Distribution Leader Price, qui gère les magasins à enseigne Leader Price.
La SARL MPH Distribution et la SAS AMC ont entretenu des relations commerciales entre 2007, selon la première, ou 2008, selon la seconde, et 2018 portant sur la fourniture d”ufs et de lait sous marques de distributeurs et premier prix.
La SARL MPH Distribution, qui souligne le bon déroulement des relations jusqu’en 2011, explique :
– avoir subi un déréférencement brutal et total en juin 2011 sanctionnant son refus de sponsoriser le Paris Handball Club dont le président était un des responsables de la centrale de référencement ;
– que les relations commerciales n’ont repris qu’en avril 2012 à raison de l’accord de sa société s’ur MB Partners d’émettre une facture de parrainage de ce club sportif pour la saison écoulée ;
– que, à compter de 2013, elle était l’objet de pressions constantes la contraignant à supporter des règlements et des pénalités injustifiés qui ont conduit à son état de cessation des paiements et à l’ouverture d’une procédure collective à son bénéfice.
Pendant cette période néanmoins, les sociétés du groupe Casino et la SARL MPH Distribution ont conclu le 20 décembre 2017 un protocole transactionnel aux termes duquel la seconde s’engageait à verser aux premières au plus tard le 28 février 2018 une indemnité de 730 000 euros réparant le préjudice causé par un rappel d”ufs contaminés au fipronil courant 2017. Les sociétés du groupe Casino soutiennent par ailleurs avoir réduit en 2018 leur courant d’affaires en accord avec la SARL MPH Distribution à raison de son incapacité à assumer ses livraisons.
Par courrier du 14 novembre 2018, la SARL MPH Distribution a mis en demeure les sociétés du groupe Casino de lui restituer le montant de sommes indument perçues. Par lettre de leur conseil du 7 décembre 2018, ces dernières contestaient le principe de ces créances.
C’est dans ces circonstances que la SARL MPH Distribution, représentée par les organes de la procédure collective, a, par acte d’huissier signifié le 18 décembre 2018, assigné les sociétés du groupe Casino devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 25 novembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :
– débouté la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de sa demande de condamner solidairement la SAS Distribution Casino France et la SAS AMC à lui payer la somme de 1 995 698,51 euros à titre de répétition de l’indu (493 465,70 euros au titre des avoirs émis entre 2013 et 2015, 908 311,19 euros au titre des baisses de prix et 593 921,62 euros au titre des pénalités) ;
– débouté la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de sa demande de condamner solidairement la SNC Sedifrais et la SAS AMC à lui payer la somme de 5 588 911,20 euros à titre de répétition de l’indu (2 124 348,87 euros au titre des avoirs émis entre 2013 et 2015, 3 113 451,91 euros au titre des avoirs émis en 2016 et 351 110,51 euros au titre des pénalités) augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
-condamné la SNC Distribution Leader Price à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 360 000 euros à titre de répétition de l’indu au titre des statistiques, augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception de la somme indue, et rejeté le surplus des demandes à ce titre ;
– condamné la SNC Sedifrais à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 101 479,37 euros au titre de factures impayées et de 24 782,42 euros au titre des pénalités de retard de paiement ;
– condamné la SNC Distribution Leader Price à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 5 940,59 euros au titre de factures impayées et de 3 824,80 euros au titre des pénalités de retard de paiement ;
– débouté la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de sa demande de condamner solidairement la SAS Monoprix et la SAS AMC à lui payer la somme de 676 880,95 euros à titre de répétition de l’indu (654 824,95 euros au titre des baisses de prix et 21 996 euros au titre des pénalités) augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
– condamné la SAS Distribution Casino France à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 57 250 euros à titre de répétition de l’indu (au titre des statistiques) augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception de sommes indues ;
– débouté la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de sa demande de publication judiciaire ;
– condamné la SAS Distribution Casino France la SNC Distribution Leader Price et la SNC Sedifrais à payer, chacune, à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter, solidairement, les entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 15 mars 2021, la SARL MPH, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, a interjeté appel de ce jugement en intimant la SAS AMC, la SAS Monoprix, la SNC Sedifrais et la SNC Distribution Leader Price mais pas la SAS Distribution Casino France.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 février 2023, la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, demande à la cour :
– de recevoir la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, en son appel et l’y déclarer bien fondée ;
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 novembre 2020 en ce qu’il a :
* condamné la SNC Distribution Leader Price à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire :
° 360 000 euros à titre de répétition de l’indu (au titre des statistiques) augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
° 3 824,80 euros à titre de pénalités pour retard de règlement ;
° 5 940,59 euros au titre de factures impayées ;
* condamné la SNC Sedifrais à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire :
° 101 479,37 euros au titre de factures impayées ;
° 24 782,42 euros à titre de pénalités pour retard de règlement ;
* condamné la SAS Distribution Casino France à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, 57 250 euros à titre de répétition de l’indu (au titre des statistiques) augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
* condamné les sociétés Distribution Casino France, Distribution Leader Price et Sedifrais à payer, chacune, à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* ordonné l’exécution provisoire de la décision ;
* condamné solidairement les sociétés Distribution Casino France, Distribution Leader Price et Sedifrais aux dépens de l’instance ;
– d’infirmer pour le surplus le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 novembre 2020 en toutes ses dispositions frappées d’appel et, statuant à nouveau :
* de condamner solidairement la SAS Distribution Casino France la SAS AMC à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 1 995 698,51 euros à titre de répétition de l’indu et de dommages-intérêts (493 465,70 euros au titre des avoirs émis entre 2013 et 2015, 908 311,19 euros au titre des baisses de prix et 593 921,62 euros au titre des pénalités), augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
* de condamner solidairement la SNC Sedifrais et la SAS AMC à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 5 588 911,20 euros à titre de répétition de l’indu et de dommages-intérêts (2 124 348,87 euros au titre des avoirs émis entre 2013 et 2015, 3 113 451,91 euros au titre des avoirs émis en 2016 et 351 110,51 euros au titre des pénalités), augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
* de condamner solidairement la SNC Distribution Leader Price et la SAS AMC à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 1 836 142,22 euros à titre de répétition de l’indu et de dommages-intérêts (1 693 460,27 euros au titre des baisses de prix et 142 681,93 euros au titre des pénalités) augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
* de condamner solidairement la SAS Monoprix et la SAS Monoprix à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 676 880,95 euros à titre de répétition de l’indu et de dommages-intérêts (654 824,95 euros au titre des baisses de prix et 21 996 euros au titre des pénalités) augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
* d’ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir pendant six mois à compter de la signification du jugement à intervenir, en haut de la page d’accueil des sites internet de chacun des défendeurs (notamment www.casino.fr, www.geantcasino.fr, www.supercasino.fr, www.casinofrive.fr, www.leaderprice.fr, www.monoprix.fr), ainsi que dans quatre quotidiens nationaux (Le Monde, Le Figaro, Les Echos, Le Parisien/Aujourd’hui en France) dans les 30 jours de la signification du jugement à intervenir aux frais des défendeurs solidairement ;
– de condamner solidairement les sociétés du groupe Casino à payer, chacune, à la SARL MPH Distribution la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
En réplique, dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 février 2023, la SAS AMC, la SNC Distribution Leader Price, la SNC Sedifrais et la SAS Monoprix demandent à la cour, au visa des articles 564 et 901 du code de procédure civile, L 442-6 ancien du code de commerce et 2224 du code civil :
– à titre liminaire, de :
* juger que la SAS Distribution Casino France n’est pas visée dans la déclaration d’appel régularisée par la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire ;
* juger que les demandes en dommages et intérêts à l’encontre de la SAS Distribution Casino France, des intimées et solidairement à l’encontre de la SAS AMC sont des prétentions nouvelles formulées pour la première fois dans les deuxièmes conclusions de la SARL MPH Distribution ;
* en conséquence, déclarer irrecevables les demandes formées par la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, à l’encontre de la SAS Distribution Casino France, non intimée à la présente instance ;
* déclarer irrecevables les demandes de dommages et intérêts formulées par la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, pour la première fois dans ses deuxièmes conclusions ;
– à titre principal, de :
* juger que la SARL MPH Distribution ne rapporte pas la preuve de ses allégations ;
* juger en particulier que la SARL MPH Distribution ne rapporte pas la preuve d’une soumission ou d’une tentative de soumission de la part des intimées ;
* juger que les avoirs visés par les écritures de la SARL MPH Distribution au titre des années 2013 à 2016 résultent d’une négociation effective avec le groupe Casino ; qu’il n’y a pas eu de menaces ou mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation de la SARL MPH Distribution ; que les avoirs visés sont justifiés et font l’objet de contreparties réelles et proportionnées, et que par conséquent ces avoirs sont conformes à l’ancien article L 442-6 I du code de commerce ;
* juger que les baisses tarifaires visées par les écritures de la SARL MPH Distribution au titre de l’année 2016 sont le résultat d’une négociation avec le groupe Casino qui a donné lieu à des contreparties réelles et proportionnées ; que la SARL MPH Distribution a réciproquement bénéficié d’augmentations tarifaires, illustrant ainsi le caractère équilibré de la relation, et que par conséquent ces baisses tarifaires sont conformes aux dispositions de l’ancien article L 442-6 I du code de commerce ;
* juger que les pénalités visées par les écritures de la SARL MPH Distribution sont contractuellement prévues dans un accord librement négocié et que la SARL MPH Distribution a pu les contester et obtenir le cas échéant un remboursement ; constater que la SARL MPH Distribution ne démontre pas que les pénalités appliquées ne seraient pas dues ;
* juger que la SARL MPH Distribution ne démontre pas son état de dépendance économique à l’égard du groupe Casino ;
* en conséquence, confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 novembre 2020 en ce qu’il a débouté la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de ses demandes relatives aux avoirs, aux baisses tarifaires et aux pénalités ;
– à titre incident :
* de juger que la convention prévoyant la communication de statistiques par le groupe Casino à la SARL MPH Distribution visée par les écritures de cette dernière résulte d’une négociation effective entre les parties et constitue une contrepartie réelle et proportionnée, et que par conséquent cette convention est conforme aux dispositions de l’ancien article L 442-6 I du code de commerce ;
* de juger que les factures impayées par la SNC Sedifrais et la SNC Distribution Leader Price sont susceptibles de se compenser avec les créances dont elles disposent à l’encontre de la SARL MPH Distribution ;
* en conséquence :
° d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 novembre 2020 en ce qu’il a condamné la SNC Distribution Leader Price à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 360 000 euros à titre de répétition de l’indu au titre du contrat de fournitures de données statistiques, augmentée des intérêts au taux légal depuis la perception de la somme indue ;
° d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 novembre 2020 en ce qu’il a condamné la SNC Sedifrais à payer à la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 101 479,37 euros au titre de factures impayées et de 24 782,42 euros au titre des pénalités de retard de paiement ;
° d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 novembre 2020 en ce qu’il a condamné la SNC Distribution Leader Price à payer la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 5 940,59 euros au titre de factures impayées et de 3 824,80 euros au titre des pénalités de retard de paiement ;
* statuant à nouveau, de :
° débouter la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de ses demandes à l’encontre de la SNC Distribution Leader Price au titre du contrat de fournitures de données statistiques ;
° débouter la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de ses demandes à l’encontre de la SNC Sedifrais et de la SNC Distribution Leader Price au titre des factures impayées ;
– en tout état de cause et y ajoutant, de :
* rejeter la demande de condamnation solidaire ;
* rejeter la demande de publication du jugement ;
* rejeter la demande relative au point de départ des intérêts de retard ;
* débouter la SARL MPH Distribution, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de l’ensemble de ses demandes ;
* condamner la SARL MPH Distribution à payer aux sociétés AMC, Monoprix, Distribution Leader Price et Sedifrais la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* condamner la SARL MPH Distribution aux entiers dépens.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I – Sur les fins de non-recevoir
En vertu des articles 31 et 32 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir étant irrecevable.
Et, conformément à l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
1°) Sur la recevabilité des demandes formées contre la SAS Distribution Casino France
Moyens des parties
Au soutien de leur fin de non-recevoir, les sociétés du groupe Casino exposent, au visa des articles 901 et 552 du code de procédure civile, que la déclaration d’appel ne vise pas la SAS Distribution Casino France, pourtant partie au litige en première instance. Elles en déduisent que, les condamnations n’étant ni solidaires ni indivisibles, les demandes de la SARL MPH Distribution à l’encontre de la SAS Distribution Casino France sont irrecevables (avoirs émis entre 2013 et 2015, baisses de prix et pénalités).
La SARL MPH Distribution n’a pas répondu à ce moyen de défense.
Réponse de la cour
Conformément à l’article 900 du code de procédure civile, l’appel est formé par déclaration unilatérale ou par requête conjointe.
En vertu des articles 14 et 16 du code de procédure civile, nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée, le juge, tenu en toutes circonstances de faire observer et d’observer lui-même le principe de la contradiction ne pouvant retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
Non intimée dans la déclaration d’appel qui saisit la cour, la SAS Distribution Casino France n’est pas partie à l’instance. Aussi, sont irrecevables les demandes présentées par la SARL MPH Distribution à l’encontre de la SAS Distribution Casino France tendant à sa condamnation à lui payer les sommes de 493 465,70 euros au titre des avoirs émis entre 2013 et 2015, 908 311,19 euros au titre des baisses de prix et 593 921,62 euros au titre des pénalités outre les intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues.
2°) Sur la recevabilité des demandes indemnitaires de la SARL MPH Distribution
Moyens des parties
Au soutien de leur fin de non-recevoir, les sociétés du groupe Casino exposent que la SARL MPH Distribution n’a sollicité en première instance que des remboursements au titre de la répétition de l’indu alors qu’elle demande des condamnations à des dommages et intérêts depuis ses deuxièmes conclusions d’appel, ces prétentions étant nouvelles au sens des articles 564 et 565 du code de procédure civile. Elles en déduisent l’irrecevabilité des demandes de condamnation solidaire à des dommages et intérêts présentées contre :
– la SAS Distribution Casino France au titre des avoirs émis pour un montant total de 493 465,70 euros, des baisses de prix pour un montant de 908 311,19 euros et des pénalités pour un montant de 593 921,62 euros ;
– la SNC Sedifrais au titre des avoirs émis entre 2013 et 2015 pour un montant de 2 124 348,87 euros, des avoirs émis entre 2016 pour un montant de 3 113 451,91 euros et au titre des pénalités pour un montant de 351 110,51 euros ;
– la SNC Distribution Leader Price au titre des baisses de prix pour un montant de 1 692 460,27 euros et des pénalités pour un montant de 142 681,93 euros ;
– la SAS Monoprix au titre des baisses de prix pour un montant de 654 824,95 euros et des pénalités pour un montant de 21 996 euros.
La SARL MPH Distribution n’a pas répondu à ce moyen de défense.
Réponse de la cour
Conformément à l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
En, en vertu de l’article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
S’il est exact que la SARL MPH Distribution ne sollicitait devant le tribunal de commerce que la répétition de sommes indument perçues, dont le fondement est autonome au sens désormais des articles 1352 et suivants du code civil, et qu’elle demande aujourd’hui, simultanément et sur des fondements textuels qui n’ont pas varié, des dommages et intérêts, ceux-ci sont exactement de même montant, leur quantum étant fixé par référence aux seules sommes versées sans ajout et sans évocation d’un préjudice quelconque autre que leur absence de paiement, le tout étant confondu sans le moindre cumul. Aussi, les sociétés du groupe Casino ne contestant pas la possibilité d’agir en restitution sur le fondement de l’article L 442-6 I 1° ou 2° du code de commerce en dépit de la lettre de son III, ces prétentions tendent strictement aux mêmes fins au sens de l’article 565 du code de procédure civile : elles ne sont pas nouvelles et sont ainsi recevables.
En conséquence, la fin de non-recevoir opposée par les sociétés du groupe Casino sera rejetée.
II – Sur les demandes de la SARL MPH Distribution
1°) Sur le cadre normatif et factuel du litige
a) Sur les dispositions applicables et leur portée
– Sur l’article L 442-6 I 1° du code de commerce
Moyens des parties
La SARL MPH Distribution, s’appuyant notamment sur la circulaire Dutreil du 8 décembre 2005, les avis 18-2 du 12 avril 2018, 18-6 du 7 juin 2018 et 18-8 du 20 septembre 2018 de la Commission d’examen des pratiques commerciales (ci-après, “la CEPC”) et le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, soutient que l’article L 442-6 I 1° du code de commerce est applicable, en ce qu’il vise un “avantage quelconque”, à une réduction de prix ou à une ristourne et non aux seuls services commerciaux. Elle précise que cette analyse est confirmée par un arrêt récent de la Cour de cassation du 10 février 2023. Elle ajoute que la charge de la preuve de l’absence de contrepartie lui incombe mais qu’il appartient aux sociétés du groupe Casino de démontrer l’exécution des services constituant la contrepartie des avoirs ou des réductions de prix.
Les sociétés du groupe Casino estiment pour leur part que cette disposition n’est pas applicable aux avantages qui constituent des éléments du prix, le contrôle judiciaire du prix n’étant admissible que sur le fondement de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce. Elle conteste la transposabilité de l’arrêt du 10 février 2023 aux faits de l’espèce notamment car les avoirs consentis par la SARL MPH Distribution étaient en eux-mêmes déconnectés de tout service commercial au regard de leurs justifications alors que la loi ne permet un contrôle de la rémunération que des services prévus par les parties.
Réponse de la cour
Aux termes de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce dans ses versions applicables aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d’une opération d’animation commerciale, d’une acquisition ou d’un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d’enseignes ou de centrales de référencement ou d’achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d’affaires ou en une demande d’alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients. A compter du 19 mars 2014, le texte précisait que ce dernier pouvait consister en une demande d’alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d’exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité.
Il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 dite “loi NRE”, que, si le dispositif inséré à l’article L 442-6 I 1° du code de commerce visait, prioritairement dans le secteur de la grande distribution, les prestations de services, il n’était néanmoins pas destiné à se limiter à la sanction de la “fausse coopération commerciale” et devait permettre également celle de “tout avantage ne correspondant pas à un service rendu ou disproportionné par rapport à ce service” (page 194 du rapport présenté au Sénat), l’objectif étant de mieux réprimer les pratiques abusives y compris en luttant contre la recherche de marge arrière et les réductions de prix, qui supposent, pour être “licites”, une contrepartie réelle, effective et proportionnée aux résultats escomptés (rapport présenté à l’Assemblée nationale sous l’article 29). En outre, la circulaire du 8 décembre 2005 relative aux relations commerciales, dite Dutreil, précise en son point 5 que “toute demande de rémunération de services de coopération commerciale ou de services distincts, ou d’obtention de réductions de prix au titre des CGV/CPV doit correspondre, respectivement, à un service effectivement rendu, ou à une contrepartie effectivement obtenue, afin de ne pas placer le fournisseur en situation d’accorder à un client des avantages discriminatoires, portant sur un service fictif ou dépourvus de contrepartie réelle”, la distinction ainsi faite entre service et contrepartie induisant une application du texte au-delà des services commerciaux en dépit de sa lettre.
Par plusieurs avis, la CEPC a retenu que “le champ d’application de l’article L 442-6-I-1° du code de commerce ne se limitait pas aux seuls services de coopération commerciale” (avis n° 18-6 citant les avis 15-24 et 18-3). Elle a par ailleurs admis la possibilité de contrôler le prix d’une prestation ou d’un avantage tarifaire sur le fondement de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce (avis n° 15-22 sur “le prix de la prestation” ; avis n° 17-3 sur “l’octroi d’avantages tarifaires en fin d’année, sous la forme d’avoirs justifiés uniquement par des opérations promotionnelles de mise en avant des produits” MDD ; avis n° 18-2 pour des “ristournes de fin d’année” ; avis n° 19-1 précisant que “l’article L 442-6 I 1° du code de commerce envisage uniquement le résultat de la procédure de fixation du prix et ne s’applique pas à la procédure de fixation elle-même”).
Enfin, le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 confirme cette extension, antérieure à la réforme qui la consacre, du champ du texte à tout avantage dans le but notamment de “recentrer les pratiques restrictives de concurrence sur des notions générales qui permettent d’englober les nombreuses clauses et pratiques énumérées dans l’actuel L 442-6 du code de commerce” (page 8) :
“La définition de la pratique du 1 du I du nouvel article L 442-1 a également été précisée. Ainsi, les termes : “à aucun service commercial effectivement rendu” sont remplacés par les termes : “aucune contrepartie”. En effet, l’actuelle rédaction peut être interprétée comme limitant le champ d’application de cette pratique aux accords de coopération commerciale du fait de la référence au “service commercial”. Or, les juridictions appliquent ce texte dans les relations commerciales en examinant à juste titre les contreparties aux avantages obtenus sans se limiter aux opérations de coopérations commerciales. La suppression des termes : “service commercial effectivement rendu” est donc pertinente”.
Alors que la lettre du texte permet par la grande généralité de ses termes d’étendre son application au-delà des seuls services de coopération commerciale (“service commercial”) et à un avantage de toute nature (“un avantage quelconque”), ni sa ratio legis ni les interprétations qui ont pu lui être données ne s’opposent à ces extensions. Ainsi, la Cour de cassation a récemment jugé que ” l’application de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce exige seulement que soit constatée l’obtention d’un avantage quelconque ou la tentative d’obtention d’un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage” (Com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163).
Dès lors, au sens de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce, la notion de service commercial est entendue largement et ne correspond pas seulement à celle de coopération commerciale, et l’avantage peut être tarifaire, tel, potentiellement, les “avoirs” ou les baisses de prix objet du litige qui ne sauraient être exclus a priori de son champ d’application. Cette interprétation n’autorise ni un contrôle généralisé de la lésion, notion distincte de l’absence totale de contrepartie ou de sa disproportion manifeste qui renvoie à l’analyse de la réalité de la prestation attendue, ni celui de la stricte adéquation du prix à un service en violation de la liberté contractuelle. Elle n’interdit pas non plus par principe, comme le soutiennent les sociétés du groupe Casino, l’émission d’avoirs ou l’octroi de réductions tarifaires décorrélés de tout service commercial dès lors qu’ils ont une cause identifiable qui en justifie l’existence et, dans cette hypothèse, le montant (retour de marchandises défectueuses, régularisation d’une facturation erronée ou toute autre cause d’un avoir au sens classique du terme).
Dans ce cadre, il incombe à la SARL MPH Distribution, conformément à l’article 1353 du code civil, de prouver l’obtention (ou sa tentative) par son partenaire commercial d’un avantage quelconque, et aux sociétés du groupe Casino d’établir au contraire la réalité et l’effectivité de la contrepartie servie.
– Sur l’article L 442-6 I 2° du code de commerce
Moyens des parties
La SARL MPH Distribution explique que la caractérisation de la faute prévue par l’article L 442-6 I 2° du code de commerce suppose, d’une part, la preuve d’une soumission ou de sa tentative en considération du contexte d’acceptation et ou d’imposition de l’obligation et à l’aide d’un faisceau d’indices comprenant notamment la structure du marché et l’éventuelle situation de dépendance économique, et, d’autre part, celle du déséquilibre significatif au regard du contenu de la stipulation litigieuse. Elle précise qu’il lui incombe d’établir la réunion des conditions d’application du texte, à charge pour les sociétés du groupe Casino qui soutiennent l’existence d’un équilibre général du contrat de le démontrer.
En réponse, ces dernières exposent que l’article L 442-6 I 2° du code de commerce pose trois conditions cumulatives tenant à l’absence de négociation effective et à l’existence de menaces ou de mesures de rétorsion, à l’imposition d’une obligation et à la caractérisation d’un déséquilibre significatif non annihilé par des contreparties effectives. Elles soutiennent que le déséquilibre structurel du marché ou la situation de dépendance économique ne créent pas une présomption de soumission mais en sont de simples indices insuffisants et que la preuve de l’absence de négociation effective incombe, sans allègement ni renversement de sa charge, à la SARL MPH Distribution qui l’allègue.
Réponse de la cour
Aux termes de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d’une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d’autre part l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par la SARL MPH Distribution, conformément à l’article 9 du code de procédure civile, de l’absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d’ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l’existence d’un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L’appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l’insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d’adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative.
Si l’analyse de la contrepartie participe prioritairement de l’appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l’absence d’avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d’assujettissement.
L’appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l’économie du contrat, et concrète. Elle s’opère en considération de la convention écrite prévue par l’article L 441-7 I du code de commerce qui précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l’opération de vente ou des prestations de services. Ainsi, l’article L 442-6 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et Cconst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC).
L’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties, les effets des pratiques n’ayant en revanche pas à être pris en compte ou recherchés (en ce sens, Com., 3 mars 2015, n° 14-10.907). En l’absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à la SARL MPH Distribution, tandis que celle d’un éventuel rééquilibrage du contrat par une autre clause repose sur les sociétés du groupe Casino.
b) Sur la structure du marché et la situation de dépendance économique de la SARL MPH Distribution
Moyens des parties
La SARL MPH Distribution explique :
– que le marché de la grande distribution est ” nécessairement ” déséquilibré en sa défaveur au regard de la position du groupe Casino sur celui-ci comparé à la sienne sur le marché amont, en tant que PME ;
– être en état de dépendance économique à l’égard des sociétés du groupe Casino puisque son chiffre d’affaires réalisé avec celles-ci représentait 20,17 % de son chiffre d’affaires en 2013, 37,15 % de celui de 2014, 62,29 % de celui de 2015, 51,58 % de celui de 2016 et 51,86 % de celui de 2017.
Les sociétés du groupe Casino répondent que la SARL MPH Distribution, qui entretenait un courant d’affaires avec d’autres distributeurs, ne démontre pas son état de dépendance économique, qui ne peut exister qu’au-delà d’un seuil de 22 %, pour les années 2013 à 2015, et précise que celui-ci ne caractérise quoi qu’il en soit pas à lui seul la soumission ou sa tentative. Elles ajoutent ne pas être en position de leader sur le marché en aval, la part du groupe Casino sur celui-ci n’étant que de 11,6 % à l’époque des faits et faisant de lui le quatrième opérateur.
Réponse de la cour
Quoique le dispositif de lutte contre le déséquilibre significatif ait été spécifiquement pensé en considération d’un déséquilibre structurel en faveur de la grande de distribution et au détriment des fournisseurs, l’esprit de la loi ne fonde aucune présomption de fait, les travaux préparatoires successifs précisant d’ailleurs que le rapport de forces est parfois inversé selon la qualité des fournisseurs et la nature de leurs produits. Ce tempérament est d’autant plus pertinent que la SARL MPH Distribution exerce une activité d’achat-vente en qualité d’intermédiaire et qu’elle n’est producteur d’aucun bien.
Les parties fournissent peu d’éléments sur la structure du marché et se contentent sur ce point de considérations très générales. L’unique donnée concrète est apportée par les sociétés du groupe Casino qui précisent que la part de marché du groupe Casino sur le marché en aval de la distribution alimentaire était de 11,6 % à l’époque des faits, celui en étant le quatrième opérateur. Au regard du rôle de la SARL MPH Distribution, simple intermédiaire parmi d’autres, de l’importance du pouvoir économique du groupe Casino sur un marché ne comprenant que peu d’acteurs, peu important à ce titre qu’il n’occupe que la quatrième place, ainsi que des volumes d’affaires que permet de générer des relations commerciales avec un grand distributeur, le marché peut être considéré comme structurellement déséquilibré en la défaveur de la SARL MPH Distribution qui ne jouit d’aucun pouvoir compensateur.
L’état de dépendance économique est pour l’essentiel défini pour les besoins de l’application de l’article L 420-2 du code de commerce qui n’est pas en débat. Pour autant, en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d’indice constitutif avec d’autres d’un faisceau caractérisant une présomption de fait au sens de l’article 1382 du code civil, il doit être apprécié de manière uniforme. Il s’entend de l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s’apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur, ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d’une solution équivalente s’entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l’entreprise de développer des relations contractuelles avec d’autres partenaires, de substituer à son donneur d’ordre un ou plusieurs autres donneurs d’ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Dans sa décision n° 19-DCC-180 du 27 septembre 2019, l’Autorité de la concurrence précisait, dans le cadre d’une relation fournisseur/fabricant, qu’il existait un “seuil de menace” au-delà duquel la survie du second pouvait être remise en cause, la disparition d’un débouché le plaçant, à plus ou moins brève échéance, dans une situation financière difficile, pouvant parfois conduire à une faillite, et que le niveau de ce seuil n’était toutefois pas fixe et dépendait d’un grand nombre de paramètres spécifiques selon les secteurs concernés, la structure et la situation financière des entreprises, l’existence et le coût d’éventuelles solutions alternatives (§37, le seuil retenu pour le marché de l’approvisionnement dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire en Guyane qui comprenait cinq principaux acheteurs était de 22 %, taux identique à celui retenu par la Commission européenne dans sa décision du 25 janvier 2000, n° COM/M. 1684, Carrefour/Promodes cité par les intimées).
Au regard des chiffres communiqués par la SARL MPH Distribution et non contestés par les sociétés du groupe Casino (page 17 de ses écritures et ses pièces 8 et 44), de la nature de leurs relations commerciales, de la structure du marché déjà évoquée et de la difficulté évidente pour elle de trouver une solution de remplacement équivalente quoiqu’une possibilité de diversification existe, la situation de dépendance économique de la première est avérée dès l’année 2013.
2°) Sur les avoirs
a) Sur les avoirs de 2013 à 2015
Moyens des parties
La SARL MPH Distribution soutient que ces avoirs, qui sont des réductions de prix déguisées, ont été accordés sous la contrainte, qui découle de son état de dépendance économique sur un marché structurellement déséquilibré en sa défaveur et des mesures de blocage de prix pratiquées par sociétés du groupe Casino pour la fragiliser, et sans contrepartie, ces dernières ne démontrant ni la survenance des évènements qui y sont mentionnés ni l’exécution d’un service les causant.
Les sociétés du groupe Casino opposent l’absence de lien entre ces avoirs et un quelconque service de coopération commerciale au regard de leurs causes que la SARL MPH Distribution a elle-même mentionnées lors de leur émission et qu’aucun élément ne permet de remettre en question. Elles précisent que ces dernières caractérisent l’existence d’une contrepartie et qu’aucune soumission, qui ne peut se déduire exclusivement de l’état de dépendance économique et de la structure du marché, n’est prouvée.
Réponse de la cour
Si les 1° et 2° de l’article L 442-6 I du code de commerce mobilisent des notions se recoupant partiellement, notamment en ce que la disproportion manifeste ou l’inexistence de la contrepartie est un élément d’appréciation du caractère significatif du déséquilibre, leurs régimes sont néanmoins distincts, le second, instrument de préservation de l’équilibre contractuel global impliquant une absence de négociation effective, autorisant une mise en balance plus étendue et plus subjective et qualitative que le premier qui commande une analyse essentiellement objective et quantitative et s’opère terme à terme sans égard pour l’existence d’une soumission. Aussi peuvent-ils être invoqués cumulativement, sans pour autant multiplier les restitutions ou les préjudices.
Ces avoirs, accordés par la SARL MPH Distribution entre le 19 juin 2013 et le 23 juin 2015 sans preuve d’une sollicitation antécédente de l’une quelconque des sociétés du groupe Casino, expriment expressément leur cause et leur objet avec plus ou moins de précision, certains se limitant à la mention ” avoir sur marchandises ” quand d’autres visent une défectuosité du produit vendu (‘uf ou lait), une absence de livraison, cas de remboursement compatible avec l’article 3-2 de l’annexe 1 du contrat cadre (pièce 6 de l’appelante), ou une régularisation au titre d’une période de facturation (pièces 9-1 à 9-14 et 10-1 à 10-9 de l’appelante).
Si l’absence de toute référence à une justification claire des premiers et les chiffres parfois ronds de leur montant crédibilisent la thèse de l’appelante, aucun des éléments produits ne permet cependant de présumer l’existence d’une sollicitation quelconque, même implicite, des sociétés du groupe Casino qui caractériserait une obtention ou une tentative d’obtention, comme une soumission ou une tentative de soumission. L’augmentation des sommes accordées est sur ce point sans pertinence puisqu’elle est corrélée à celle du chiffre d’affaires dégagé à l’occasion de la relation commerciale (pièces 39-1 à 39-3 de l’appelante) et, partant, aux volumes fournis dont l’accroissement multiplie le risque d’erreurs, telles celles réparées par la seconde catégorie d’avoirs émis. Et, aucun lien ne peut être fait avec les retards de paiements listés dans les pièces 81 et 82 de la SARL MPH. Aussi, l’émission de ces avoirs doit être considérée comme spontanée, opérée d’initiative par cette dernière.
En pareilles circonstances, et au regard des mentions qu’elle a elle-même portées sur ceux-ci, qui ne font jamais référence à un service quelconque attendu, il n’appartient pas aux sociétés du groupe Casino de démontrer l’existence d’une autre cause et d’un rattachement à un service commercial, que les motifs précisés excluent ou n’évoquent pas, mais à la SARL MPH Distribution de prouver contre et outre ces écrits qui émanent d’elle et qu’elle n’a jamais critiqués avant sa mise en demeure du 14 novembre 2018, ce qu’elle ne fait pas.
En conséquence, les demandes de la SARL MPH Distribution au titre des avoirs accordés de 2013 à 2015 sont infondées au titre des 1° et 2° de l’article L 442-6 I du code de commerce et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
b) Sur les avoirs de novembre 2016 à janvier 2017
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL MPH Distribution expose que l’avenant du 22 décembre 2016, qui contrevient à la durée d’application des grilles tarifaires valables jusqu’au 30 juin 2017 et réduit le volume garanti, a été signé sous la contrainte. Elle estime celle-ci caractérisée par le déséquilibre du rapport de forces entre les parties aggravé par la nature des produits vendus ainsi que par sa soumission, en réponse à son refus d’une nouvelle modification tarifaire, à une procédure d’appel d’offres qui ne lui était pas pourtant plus appliquée depuis 2014, par des menaces de déréférencement et par des défauts de règlement des factures échues. Elle précise que les avoirs des 2 novembre et 27 décembre 2016 ont été accordés dans ce cadre non négocié pour permettre le déblocage des paiements. Elle explique que l’avenant du 27 janvier 2017 et les trois avoirs du 28 décembre 2016 lui ont été imposés dans des conditions identiques, l’octroi des seconds conditionnant la signature du premier et le déblocage des règlements. Elle ajoute que le montant cumulé de ces avoirs est disproportionné au regard des volumes garantis qui, concernant le lait, n’ont pas été réalisés. Elle en déduit une violation des 1° et 2° de l’article L 442-6 I du code de commerce mais également de son 3° et souligne l’indifférence de l’éventuelle répercussion, qu’elle conteste, de ces avoirs sur ses propres fournisseurs.
En réponse, les sociétés du groupe Casino exposent que les avoirs litigieux ont été librement négociés et que la pratique d’un appel d’offres, sans rapport avec la conclusion des avenants et l’octroi de ces derniers, n’est pas assimilable à une menace de déréférencement. Elles ajoutent que les retards de paiement à compter du 20 décembre 2016 sont liés à des difficultés de gestion interne sans rapport avec les négociations et que l’unique déréférencement du 4 janvier 2017 concerne exclusivement l’arrêt de produits premiers prix dans trois entrepôts et a été annoncé avec un préavis de quatre semaines.
Réponse de la cour
– Sur l’article L 442-6 I 1° du code de commerce
Sur l’avenant du 22 décembre 2016 concernant les ‘ufs (pièce 25 de l’appelante)
Aux termes de cet acte, la SARL MPH Distribution s’engage à verser un avoir total de 1 000 000 d’euros en contrepartie, d’une part, de la poursuite certaine de la relation pendant un an avec un maintien des tarifs garantis sur six mois et, d’autre part, d’un engagement d’achats de 14 908 000 d’euros des sociétés du groupe Casino, l’objectif commun de chiffre d’affaires pour 2017, en hausse par rapport à 2016, étant fixé à 20 730 000 d’euros. La correspondance entre les avoirs et ces contreparties découle de leur prévision dans un même acte et de l’annonce explicite des premiers comme “contrepartie des engagements d’EMC” dans son article 3. La mention “indépendamment des dispositions qui précèdent” en entame du paragraphe définissant les avoirs ne rompt pas ce lien de rattachement puisqu’elle est simplement destinée à distinguer ces derniers, notamment, de ceux émis en régularisation au regard de l’écart entre l’économie de coût d’achat effective et son montant convenu. Il en est de même de l’intitulé de ces avoirs puisque, à la différence des précédents pour lesquels il était décisif à raison de la spontanéité de leur émission et faute de tout autre élément, leur objet, exprimé dans un acte, est connu et réel.
Le contrat cadre conclu avec la SARL MPH Distribution le 24 février 2016 (pièce 7 de l’appelante) stipule la fixation de prix fermes insusceptibles de modification unilatérale dans les accords commerciaux (article 3.1). Il ressort de l’accord commercial 52147CF (pièce 17 de l’appelante) que les prix relatifs aux ‘ufs étaient garantis jusqu’au 30 novembre 2016, l’accord adressé en pièce-jointe du courriel du 27 octobre 2016 (pièces 22 et 22-1 de l’appelante) n’étant pas pertinent puisqu’il fixe les prix en contemplation de l’avenant à régulariser (il est ainsi désigné sous le terme d’” accords co relatifs ” à ce dernier) et n’est par hypothèse pas en vigueur au jour de sa signature. L’erreur du préambule de l’avenant qui évoque une échéance au 31 décembre 2016 profite à la SARL MPH Distribution.
Ainsi, la première contrepartie évoquée est réelle et porte, à s’en tenir aux mentions de l’acte, sur une poursuite certaine de la relation pendant un an avec maintien des tarifs pendant six mois (articles 1 et 3a). Elle sécurise pour cette durée la relation contractuelle puisque, quoique conclu à durée indéterminée, le contrat cadre ménageait la possibilité d’un recours à l’appel d’offres et d’une rupture unilatérale avec un préavis raisonnable (article 4).
Et, le fait que le minimum convenu ne représente que 70 % du volume effectif de 2016 n’est pas pertinent, la seconde contrepartie résidant précisément dans la stipulation d’une assurance contre une réduction trop importante du flux d’affaires qui ne caractérise pas nécessairement une rupture brutale partielle au sens de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce, sa cause pouvant être conjoncturelle, et qui était possible en application du contrat cadre, la SAS AMC s’engageant par ailleurs à mettre tout en ‘uvre pour réaliser en 2017 un chiffre d’affaires supérieur au volume de 2016, son obligation n’étant à ce titre que de moyen mais demeurant néanmoins sanctionnable juridiquement.
Enfin, si le rapport entre le montant de la marge attendue sur le volume garanti et celui des avoirs consentis est pertinent pour apprécier la valeur du service rendu et la proportionnalité manifeste de l’avantage correspondant, le moyen manque en fait faute pour la Cour de pouvoir déterminer le taux de marge pour chaque produit en confrontant les pièces comptables et financières communiquées que sont les comptes annuels avec rapports de gestion (pièces 2-1 à 2-7 des intimées), les bilans et les balances générales (pièces 39-1 à 39-5 de l’appelante) ainsi que les chiffres d’affaires réalisés avec les sociétés du groupe Casino (pièces 8 et 44 de l’appelante), les synthèses élaborées par la SARL MPH Distribution n’étant pour leur part pas certifiées (pièces 31 et 41 de l’intimée) et les factures étant produites de manière parcellaire.
Aussi, le paiement des avoirs en exécution de l’avenant du 22 décembre 2016 ne présente aucune disproportion manifeste au regard des contreparties sérieuses stipulées et dont l’exécution effective n’est pas contestée. La demande de la SARL MPH Distribution à ce titre est infondée et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur l’avenant du 27 janvier 2017 concernant le lait (pièce 30 de l’appelante)
Aux termes de cet acte, la SARL MPH Distribution s’engage à verser un avoir total de 1 950 000 d’euros en contrepartie, d’une part, de la prolongation de la durée de la relation avec maintien des tarifs sur certaines références pendant six mois et, d’autre part, d’un engagement d’achats de 13 000 000 d’euros des sociétés du groupe Casino, l’objectif commun de chiffre d’affaires pour 2017, en baisse de près de 5 millions par rapport à 2016, étant fixé à 16 300 000 d’euros.
Contrairement à ce que soutient la SARL MPH Distribution, le courriel du 23 décembre 2016 (pièce 69 de l’appelante) porte sur l’application de tarifs à certains produits laitiers pour l’année 2017, ce qui correspond au ” périmètre actuel ” à reconduire du courriel du 28 décembre 2016 (pièce 70 de l’appelante), et non sur un volume quelconque qui serait garanti. De ce fait, l’engagement sur un minimum d’achats constitue bien, avec la continuation certaine de la relation pour un an et un objectif commun dont la détermination est source d’obligation, une contrepartie sérieuse pour les raisons déjà exposées. Au regard du chiffre d’affaires réalisé par la SARL MPH Distribution dans ses relations avec les sociétés du groupe Casino, le montant de l’avoir global n’apparait pas manifestement disproportionné.
Par ailleurs, si les avoirs ont été accordés avant la signature de l’avenant, les correspondances produites (pièces 68 à 71 de l’appelante), qui confortent la lettre de ce dernier, établissent un lien univoque entre les deux, les engagements des sociétés du groupe Casino constituant ainsi les contreparties directes des avoirs. Et, ces dernières produisent un tableau récapitulatif des achats réalisés en 2017 pour les produits visés dans l’avenant (pièce 11 non contestée en sa teneur) qui révèle que le minimum garanti a été dépassé en intégrant le flux d’affaires entretenu avec la société 3F Distribution, constituée par les cogérants de la SARL MPH Distribution. A ce titre, si la première n’est pas partie à l’avenant, il ressort du courriel de la seconde du 27 décembre 2016 que les relations qu’elle entretient avec les sociétés du groupe Casino ont été prises en compte lors de la détermination du volume minimum garanti, la SARL MPH Distribution conditionnant l’envoi des accords signés et l’émission des “avoirs correspondants ” au paiement des factures échues de la société 3F Distribution (pièce 68 de l’appelante), signe d’une prise en compte globale des relations commerciales. Celle-ci est également confirmée par les accords commerciaux de 2017 qui mentionnent le gérant de la SARL MPH Distribution tout en concernant des commandes passées auprès de la société 3F Distribution (pièce 12 des intimées). Aussi, la contrepartie convenue a été effectivement servie.
En conséquence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le défaut de paiement partiel opposé par les sociétés du groupe Casino et leur moyen, quoi qu’il en soit impropre à caractériser la disproportion manifeste des contreparties des avoirs, tiré de la répercussion par la SARL MPH Distribution des avantages consentis sur ses propres fournisseurs, le paiement des avoirs en exécution de l’avenant du 27 janvier 2017 n’est pas manifestement disproportionné au regard des contreparties sérieuses stipulées et effectivement exécutées. La demande de la SARL MPH Distribution à ce titre est infondée et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
– Sur l’article L 442-6 I 2° du code de commerce
L’absence de disproportion manifeste entre les avoirs émis et les contreparties accordées exclut, les moyens de la SARL MPH Distribution étant sur ce point strictement identiques et ne portant pas sur l’économie générale de la relation commerciale, l’existence d’un déséquilibre significatif.
Surabondamment, la Cour constate que l’existence d’une soumission n’est pas caractérisée car :
– après avoir refusé le 21 octobre 2016 les propositions tarifaires des intimées tout en annonçant “une autre proposition” (pièce 18 de l’appelante), la SARL MPH Distribution a démontré sa capacité à s’opposer aux demandes des sociétés du groupe Casino en érigeant le paiement des factures échues en condition préalable à toute discussion (pièces 50-1 et 68 de l’appelante) et à obtenir des contreparties supplémentaires (pièces 68, 69 et 71 pour le lait délactosé) sans jamais dénoncer une pression quelconque et en soulignant au contraire l’existence d’accords véritables (pièce 28 de l’appelante) ;
– si la chronologie résumée par la SARL MPH Distribution donne l’apparence d’une contrainte caractérisée par une précarisation de la relation à raison d’une mise en concurrence en réponse à sa résistance puis par l’instauration d’une insécurité économique générée par un blocage des paiements, celle-ci, qui découle en réalité d’une reconstruction rétrospective de la relation, n’est en réalité pas établie. En effet, le recours à l’appel d’offres (pièce 19 de l’appelante), dont la SARL MPH Distribution reconnaît qu’il était pratiqué jusqu’en 2014, était autorisé par l’article 4 du contrat cadre du 24 février 2016 (pièce 7 de l’appelante) et n’était pas surprenant puisque les accords commerciaux arrivaient à échéance, tant pour les ‘ufs que pour le lait. Aussi, la démarche des sociétés du groupe Casino, libres de mener des négociations parallèles en l’absence de toute exclusivité consentie, ne peut s’analyser en une mesure de représailles destinée à forcer le consentement de son partenaire commercial. Et, si le retard de paiement est réel (pièces 24, 27, 50-1 à 50-5 de l’appelante), il porte sur des sommes qui, rapportées au flux d’affaires entretenu par les parties, sont de faible importance, le courrier du 28 décembre 2016 spécialement cité par la SARL MPH Distribution à ce titre visant une somme totale avoisinant 346 000 euros (pièce 27 de l’appelante). Aussi, concomitance n’étant pas causalité, rien ne permet de lier l’appel d’offres et les retards de paiement, qui sont intervenus alors que les discussions étaient très avancées et qui, par ailleurs, existaient également au détriment des sociétés du groupe Casino et ont émaillé la relation hors période de négociation (pièce 8 des intimées), à l’émission des avoirs ‘ufs et lait, tout regrettables qu’ils soient pour la SARL MPH Distribution ;
– l’unique déréférencement allégué pour cette période, précédé d’un préavis de près d’un mois, ne portait que sur des produits premiers prix dans trois entrepôts et résultent, au regard de l’unique courriel du 4 janvier 2017 produit qui en établit l’existence, d’un accord entre les parties, de surcroît postérieur à l’émission des avoirs litigieux (pièce 72 de l’appelante).
Aussi, en dépit de la structure du marché et de l’état de dépendance économique de la SARL MPH Distribution, les éléments produits, qui ne révèlent aucune menace ou pression, caractérisent l’existence d’une libre négociation exclusive de toute soumission.
– Sur l’article L 442-6 I 3° du code de commerce
En application de ce texte dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d’obtenir ou de tenter d’obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l’assortir d’un engagement écrit sur un volume d’achat proportionné et, le cas échéant, d’un service demandé par le fournisseur et ayant fait l’objet d’un accord écrit.
Les volumes garantis visés dans un engagement écrit étant, pour les raisons déjà exposées, proportionnés aux avoirs consentis, la demande de la SARL MPH Distribution à ce titre est également infondée.
3°) Sur les baisses tarifaires
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL MPH Distribution expose que, entre juin et août 2016, les sociétés du groupe Casino lui ont imposé en deux temps, sous la menace d’un déréférencement partiel le 16 juin 2016, des baisses de prix (437 687,34 euros) sans contrepartie alors que les tarifs étaient fixés jusqu’au 30 novembre 2016. Elle en déduit une violation de l’article L 442-6 I 1° et 2° du code de commerce. Elle ajoute que, entre septembre 2016 et décembre 2017, elles ont modifié unilatéralement les prix en violation des accords tarifaires (2 818 909,02 euros), comportement engageant leur responsabilité au sens de l’article L 442-6 I 1°, 2°, 4° et 12° du code de commerce.
En réponse, les sociétés du groupe Casino exposent que les baisses pratiquées, quelle que soit la période considérée, étaient permises par l’article 3-1 du contrat cadre et par la loi et ont été librement négociées par les parties sans pression ni menace de représailles pour favoriser la bonne exécution de leurs obligations, la SARL MPH Distribution ayant pu s’opposer à certaines baisses tout en bénéficiant par ailleurs de hausses de ses tarifs. Elles contestent tout déréférencement, seul un “mouvement de périmètre” ayant été pratiqué, et tout lien entre un appel d’offres quelconque et les réductions négociées.
Réponse de la cour
a) Sur les réductions de prix acceptées (juin à août 2016)
– Sur l’article L 442-6 I 1° du code de commerce
Il ressort des courriels échangés par les parties entre le 19 mai 2016 et le 1er juin 2016 (pièces 11 à 13 de l’appelante) puis entre le 1er et le 5 juillet 2016 (pièce 15 de l’appelante) que la SARL MPH Distribution a mis en ‘uvre une “action promotionnelle” du 15 au 30 juin 2016 avec une remise de 30 % sur toute la gamme ‘ufs distribuée dans les enseignes Franprix et Leaderprice, puis a procédé à de nouvelles baisses tarifaires à compter du 7 juillet 2016 pour les ‘ufs fournis à ces dernières et à la SAS Monoprix. Ces correspondances révèlent que ces modifications, à l’évidence considérées comme habituelles par la SARL MPH Distribution, et réciproques puisqu’elle annonçait elle-même une prochaine “réorientation” possible en considération de “l’atterrissage à fin août” et qu’elle bénéficiait en 2016, comme en 2018, de revalorisations à la hausse (pièce 40 de l’appelante et pièce 13 des intimées), étaient dictées par la volonté partagée des parties de “rester conformes à [leurs] accords” et “d’atteindre les objectifs d’engagement”.
Cette pratique concertée, qui tend à adapter les tarifs aux conditions du marché et à permettre aux parties de tenir leurs engagements contractuels et qui est par hypothèse décorrélée d’un service de coopération commerciale, est contractuellement autorisée (articles 3.1 et 3.2 du contrat cadre). Dans cette logique, la réduction accordée correspond à un ajustement du prix contraint par les exigences du marché n’appelant pas en soi de contrepartie spécifique et dont la nécessité n’a pas été discutée jusqu’à la mise en demeure précontentieuse. Elle est opérée, non pour maintenir ou accroître abusivement les marges ou la rentabilité des sociétés du groupe Casino, mais dans l’intérêt commun des parties en ce qu’elle favorise la réalisation des objectifs qu’elles s’étaient fixés. Aussi, l’appréciation demandée à la Cour induit non l’examen de la réalité ou de la disproportion manifeste d’une contrepartie mais un contrôle de l’adéquation entre le prix librement négocié et les produits fournis, voie qui n’est pas ouverte par l’article L 442-6 I 1° du code de commerce.
En conséquence, ce moyen n’est pas fondé.
– Sur l’article L 442-6 I 2° du code de commerce
La soumission (ou sa tentative) doit être appréciée en lien avec le dispositif de négociation annuelle prévu par l’article L 441-7 du code de commerce dans sa version applicable qui a été créé et modifié pour réduire les marges arrières et favoriser une véritable coopération commerciale à travers la globalisation de la négociation, dans un document ou un ensemble unique assurant sa traçabilité et permettant un contrôle effectif par l’administration, et sa concentration sur une période réduite ainsi que le précisent les travaux parlementaires de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 et de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014. Si le texte de la loi, comme ces derniers et le contrat cadre conclu entre les parties (articles 3.1 et 3.2), n’exclut pas la possibilité d’une renégociation intercalaire conformément au droit commun des contrats et au principe de la liberté contractuelle, encore faut-il que celle-ci repose sur un motif concret, vérifiable et licite.
Outre le fait que la raison d’être des réductions évoquées exclut à elle seule une soumission à un déséquilibre significatif, les hausses par ailleurs obtenues traduisant globalement une réciprocité suffisante, les échanges de courriels analysés révèlent l’existence d’une négociation effective, la SARL MPH Distribution ayant présenté aux sociétés du groupe Casino des contre-propositions pour partie entendues et ayant pu librement discuter des baisses sollicitées et de leur périmètre, les termes des courriels ne traduisant aucune contrainte. Et, l’unique déréférencement allégué du 16 juin 2016, qui est insusceptible d’être rattaché aux baisses tarifaires en débat, correspond en réalité à des ” mouvements de périmètre ” destinés à favoriser le développement de la gamme d”ufs bio et affectant un nombre réduit de références et de points de vente (pièce 14 de l’appelante). Enfin, le recours le 26 octobre 2016 à un appel d’offres (pièce 19 de l’appelante) était licite et prévisible pour les raisons déjà exposées et est insusceptible, au regard de sa date, de son objet et de la teneur des échanges produits, d’être lié aux négociations menées sur ces modifications de tarifs, pas plus qu’il ne l’était aux avoirs consentis.
En conséquence, les demandes de la SARL MPH Distribution sont infondées et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
b) Sur les modifications prétendues unilatérales (septembre 2016 à décembre 2017)
– Sur l’article L 442-6 I 1° du code de commerce
Les courriels échangés par les parties entre le 22 juillet et le 26 décembre 2016 (pièces 16, 18 et 20 de l’appelante) révèlent que les baisses pratiquées par les sociétés du groupe Casino, à une période coïncidant avec l’expiration des accords commerciaux, l’ont été à l’issue de négociations réelles et s’inscrivent dans la même logique que les précédentes. Aussi, pour les raisons déjà évoquées, les conditions d’application de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce ne sont pas remplies.
– Sur l’article L 442-6 I 2° du code de commerce
Ainsi qu’il a été dit, la cause des baisses tarifaires et l’existence de hausses par ailleurs obtenues sont exclusives d’une soumission à un déséquilibre significatif, aucun lien entre l’appel d’offres ou les mouvements de périmètre et ces réductions n’étant établi. Et, à nouveau, les pièces produites se réfèrent systématiquement à des accords verbaux ou écrits dont rien ne permet de considérer qu’ils aient été imposés à la SARL MPH Distribution qui a été en mesure d’exprimer sa position et de discuter des modifications envisagées.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la SARL MPH Distribution à ce titre.
– Sur l’article L 442-6 I 4° du code de commerce
En application de ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente.
Outre l’absence de caractère manifestement abusif des conditions tarifaires négociées, la SARL MPH Distribution ne démontre aucune menace de rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales.
Ce moyen est infondé.
– Sur l’article L 442-6 I 12° du code de commerce
Conformément à cette disposition, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de passer, de régler ou de facturer une commande de produits ou de prestations de services à un prix différent du prix convenu résultant de l’application du barème des prix unitaires mentionné dans les conditions générales de vente, lorsque celles-ci ont été acceptées sans négociation par l’acheteur, ou du prix convenu à l’issue de la négociation commerciale faisant l’objet de la convention prévue à l’article L 441-7, modifiée le cas échéant par avenant, ou de la renégociation prévue à l’article L 441-8.
L’existence d’une négociation effective entre les parties quelle que soit la période considérée exclut l’application de ce texte et commande le rejet des demandes de la SARL MPH Distribution.
4°) Sur les données statistiques
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL MPH Distribution expose que les données brutes communiquées en contrepartie du paiement de la somme de 417 250 euros n’ont pour elle aucun intérêt faute d’être exploitables, leur communication à ses propres fournisseurs étant de surcroît proscrite par l’article 2-2 du contrat.
En réponse, les sociétés du groupe Casino expliquent que la SNC Distribution Leader Price a fourni à la SARL MPH Distribution des statistiques exhaustives sur les sorties de ses entrepôts, pour la somme de 360 000 euros, conformément à leur accord. Elles précisent que la valeur du service rendu est caractérisée par le fait que ces données contiennent des informations précises sur les ventes des produits dont les panélistes ne disposent pas et utiles au titre de la logistique en vue de l’amélioration des livraisons, la SARL MPH Distribution pouvant partager son analyse avec ses propres fournisseurs afin de leur apporter une meilleure visibilité du marché et mesurer l’efficacité des opérations promotionnelles.
Réponse de la cour
La SARL MPH Distribution et la SNC Distribution Leader Price ont conclu le 28 décembre 2016 (pièce 32 de l’appelante) un contrat intitulé “statistiques sorties entrepôt” aux termes duquel celle-ci s’engage à communiquer à celle-là “un ensemble de données [comprenant] les statistiques de vente de janvier 2016 à fin décembre 2016, référence par référence, magasin par magasin et mois par mois [pour l’ensemble des magasins à enseigne Franprix et Leaderprice], lui permettant de connaître les ventes en volume de ses produits dans les magasins qui les vendent” (article 1).
En exécution de cette convention, la SAS AMC a adressé le 29 décembre 2016 à la SARL MPH Distribution, dès réception du paiement de la somme de 360 000 euros exigée en contrepartie (article 3 et pièce 33 de l’appelante), un tableau Excel de 905 pages ne comprenant que des données brutes non classées. En l’absence de tout traitement préalable opéré par les intimées et d’effort réel pour la constitution du document lui-même, constat qui découle tant de sa nature que de la brièveté du délai de sa transmission, la valeur du service rendu ne tient qu’à celle, intrinsèque, des données communiquées.
Or, outre le fait que les données sont, telles qu’elles sont présentées, inexploitables sans un lourd travail, coûteux et chronophage, de traitement et de recoupements, le contrat stipule une obligation de confidentialité (article 4) : la possibilité d’un partage des résultats de son exploitation entre la SARL MPH Distribution et ses fournisseurs, inexistante, n’est pas un critère pertinent de détermination de la valeur du service rendu au sens de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce. Et, la SARL MPH Distribution fournissant des produits sous marques de distributeur ou premiers prix, la connaissance de la répartition des stocks entre les différents magasins des sociétés du groupe Casino ne présente pour elle aucun intérêt et ne peut servir de fondement à une analyse quelconque de performance ou à une adaptation de sa stratégie commerciale. Ainsi, le prix de ce service, dont la fourniture n’a impliqué pour la SNC Distribution Leader Price que l’utilisation d’un logiciel informatique, est à l’évidence manifestement disproportionné.
Quoiqu’il ne soit pas en débat à raison de l’irrecevabilité des demandes présentées à l’encontre de la SAS Distribution Casino France, la Cour constate que ce raisonnement vaut pour l’accord du 26 décembre 2013 de même objet pour les ventes réalisées par les magasins à enseigne Casino (Géant Casino, Supermarché Casino et Casino proximité) pour la période de juin à décembre 2013 (pièce 15 des intimées) qui a suscité, moyennant le paiement d’une somme de 57 250 euros (article 3 et pièces 35-1 à 3 de l’appelante) la communication le 30 décembre 2013 d’un tableau de 196 pages de données brutes non classées (pièce 16 des intimées), l’écart significatif de prix, pour un service en réalité équivalent en dépit de l’extension de son périmètre en 2016, confirmant l’absence de tout élément objectif fondant sa détermination.
En conséquence, c’est par de justes motifs que la Cour adopte, que le tribunal de commerce, dont le jugement sera confirmé de ce chef, a condamné au visa de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce la SNC Distribution Leader Price à rembourser la somme de 360 000 euros, aucun appel incident n’étant formé contre la SAS Distribution Casino France qui n’est pas partie à l’instance. Aucune infirmation n’étant sollicitée au titre de l’absence de solidarité de cette condamnation dans le dispositif des écritures de la SARL MPH Distribution au sens de l’article 954 du code de procédure civile, le débat qui anime les parties sur ce point est sans objet et ne sera pas examiné.
5°) Sur les pénalités
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL MPH Distribution expose, au visa de l’article L 442-6 I 2° et 8° du code de commerce, que les sociétés du groupe Casino lui ont appliqué d’office, depuis 2013, des pénalités sans qu’elle ait été en mesure d’en contrôler la réalité en violation des stipulations contractuelles, et ce en dépit de ses contestations systématiques demeurées sans réponse.
En réponse, les sociétés du groupe Casino expliquent que ces pénalités, dont la cause était exprimée dans les factures les appliquant, sanctionnent des retards ou des défauts de livraison conformément aux stipulations contractuelles. Elles ajoutent que la SARL MPH Distribution a eu l’opportunité de les contester en utilisant la plateforme numérique dédiée avant et après l’émission de la facture litigieuse et que certaines de ses réclamations, dont il n’est pas prouvé qu’elles aient été systématiques, ont abouti à l’octroi d’avoirs.
Réponse de la cour
En application de l’article L 442-6 I 8° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d’office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d’une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n’est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n’ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant.
C’est par de justes motifs que la Cour adopte que le tribunal, qui n’a pas inversé la charge de la preuve et dont le jugement sera confirmé sur ce point, a rejeté la demande de la SARL MPH Distribution au titre des pénalités car :
– l’annexe à l’accord cadre du 5 novembre 2012, que la SARL MPH Distribution invoque spécialement (page 50 de ses écritures et sa pièce 6), stipule en son article IIIc les conséquences des ruptures fournisseurs et des retards de livraison ainsi que les conditions de leur contestation avant toute facturation soit par courrier ou courriel soit sur la plateforme numérique dédiée, toute réclamation étant proscrite six mois après le fait générateur de chaque pénalité, modalités exclusives de tout déséquilibre significatif au sens de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce ;
– la SARL MPH Distribution a ainsi été mise en mesure de contester les pénalités litigieuses, dont la nature était portée à sa connaissance, avant comme après leur facturation et justifie d’ailleurs en avoir formé un certain nombre à hauteur, non de 1 109 710,06 euros, mais de 570 301,75 euros (ses pièces 76 à 78, qui intègrent les demandes irrecevables contre la SAS Distribution Casino France). Alors que les sociétés du groupe Casino justifient l’existence de nombreuses ruptures engendrant une dégradation fréquente du taux de service en 2017 et 2018 (pièce 6 des intimées), la SARL MPH Distribution oppose dans les contestations qu’elle produit, outre un motif inopérant tenant à l’absence de prévision contractuelle des pénalités, la ” réduction significative du nombre de poules pondeuses françaises “, motif récurrent qualifié de force majeure pour justifier par hypothèse un fait acquis, et de manière plus résiduelle sinon ponctuelle un écart de quantité causé par le ” manque de réactivité ” des intimées, un refus injustifié de livraison ou des erreurs dans le décompte des marchandises livrées (ses pièces 76 à 78). Ces pièces, volumineuses et non spécialement analysées par la SARL MPH Distribution, confirment non seulement la réalité de l’essentiel des faits générateurs des pénalités appliquées ainsi que la communication préalable de leur nature exacte à la SARL MPH Distribution (pièces 51 à 53 de l’appelante), mais qu’elle avait la possibilité de les contester avant ou après leur facturation. Et, cette faculté n’était pas fictive puisque les sociétés du groupe Casino démontrent avoir traité les contestations émises, parfois en leur donnant une suite favorable (leurs pièces 19 à 21), peu important l’absence de procès-verbal de réception dressé à l’occasion de chaque livraison. Ces modalités pratiques d’exécution confortent l’absence de déséquilibre significatif et établissent, au sens de l’article L 442-6 I 8° du code de commerce, la possibilité effective de contrôle du fournisseur, constat qui commande le rejet des demandes de la SARL MPH Distribution.
6°) Sur les factures impayées et les retards de paiement
Moyens des parties
Tandis que la SARL MPH Distribution invoque l’application des stipulations contractuelles aux retards de paiement imputables aux sociétés du groupe Casino, ces dernières opposent l’absence de réception des factures litigieuses et la compensation des sommes dues avec les créances dont elles disposent à son encontre.
Réponse de la Cour
Conformément à l’article 1134 du code civil (devenu 1103), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi.
En outre, en vertu des dispositions des articles 1147, 1149 et 1150 du code civil (devenus 1231-1 à 3), le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n’étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée.
Enfin, en application de l’article 1153 (devenu 1231-6) du code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte. Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d’un autre acte équivalent telle une lettre missive s’il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.
Aux termes des articles 11 du contrat cadre du 5 novembre 2012 et 3.4 du contrat cadre du 24 février 2016, tout retard de paiement pourra conduire à l’application d’une pénalité égale à trois fois le taux d’intérêt légal sur toutes les sommes dues dès le premier jour de retard et jusqu’à complet paiement ainsi que d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros par facture payée en retard, stipulation reprenant les termes de l’article L 441-6 du code de commerce dans sa version applicable.
Si les sociétés du groupe Casino soutiennent ne pas avoir reçu les factures, elles n’en contestent ni le principe ni la mesure (page 47 de leurs écritures) qui sont par ailleurs prouvés par la SARL MPH Distribution (ses pièces 81 à 87 non discutées).
En conséquence, le jugement entrepris, dont les motifs sont adoptés par la Cour, sera confirmé de ce chef.
Les sociétés du groupe Casino invoquent le bénéfice de la compensation de ces sommes avec les créances suivantes qu’elles prétendent détenir sur la SARL MPH Distribution :
– pour la SAS AMC, un montant de 745 613,80 euros non versé en vertu du protocole transactionnel (pièce 3) ;
– pour la SNC Distribution Leader Price, un montant de 774 167,75 euros non versé en vertu de ce dernier ainsi que des factures de pénalités restant impayées ;
– pour la SNC Sedifrais, un montant de 1 935 285,98 euros au titre des factures de pénalités, d’avoirs émis en 2016 et d’avoir sur retour de marchandises ;
– pour la SAS Monoprix, un montant de 25 606,63 euros ;
– pour la SAS Distribution Casino France, qui n’est pas partie, un montant de 74 705,73 euros.
Par jugements des 21 novembre 2018 (pièce 1 des intimées) et 31 janvier 2020, le tribunal de commerce de Metz a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SARL MPH Distribution, puis a converti cette mesure en liquidation judiciaire. Par jugements du 5 juillet 2022, il a relevé de leur forclusion de la SAS AMC, la SNC Sedifrais et la SNC Distribution Leader Price et les a invitées à déclarer leur créance (pièce 25 des intimées).
En application des articles 1348 et 1348-1 du code civil, la compensation peut être prononcée en justice, même si l’une des obligations, quoique certaine, n’est pas encore liquide ou exigible. A moins qu’il n’en soit décidé autrement, la compensation produit alors ses effets à la date de la décision. Le juge ne peut refuser la compensation de dettes connexes au seul motif que l’une des obligations ne serait pas liquide ou exigible. Dans ce cas, la compensation est réputée s’être produite au jour de l’exigibilité de la première d’entre elles.
Et, en vertu de l’article L 622-7 du code de commerce, auquel renvoie l’article L 641-3, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes.
Au sens de ce texte, des créances sont considérées comme connexes lorsqu’elles sont issues ou dérivent de l’exécution ou de l’inexécution du même contrat mais également lorsqu’elles se rattachent à un contrat-cadre ou à plusieurs conventions, même informelles, constituant les éléments d’un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations entre les parties (en ce sens, notamment, Com., 14 octobre 2014, n° 13-24.482).
Si l’absence d’achèvement de la procédure de vérification des créances et de production d’un état des créances admises ne fait pas en soi obstacle à une compensation judiciaire, la Cour devant apprécier le caractère vraisemblable de la créance à compenser, consacrer, celui-ci acquis, le principe de la compensation à opérer, qui ne sera effective qu’après admission, et ordonner celle-ci à concurrence du montant de la créance à fixer par le juge-commissaire (en ce sens, Com. 3 avril 2019, n°17-28.463, et Com. 19 février 2008, n° 06-19.310), encore faut-il que la déclaration de créance soit prouvée (en ce sens, Com. 13 février 2019, n° 17-15.439). Or, quoique relevées de leur forclusion et explicitement invitées à régulariser leur situation par le tribunal de commerce, les sociétés du groupe Casino ne justifient pas avoir déclaré leurs créances. Aussi, ces dernières sont insusceptibles de compensation.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef également.
7°) Sur la responsabilité in solidum de la SAS AMC
Les demandes de la SARL MPH Distribution non satisfaites en première instance étant rejetées, le tribunal de commerce n’ayant pas retenu de solidarité et aucune infirmation n’étant sollicitée dans le dispositif des écritures de l’appelante concernant les chefs de dispositif correspondants, les moyens des parties à ce titre sont sans objet et ne seront pas examinés.
8°) Sur les intérêts moratoires
En application de l’article 1352-7 du code civil, celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande.
Le tribunal de commerce a assorti la condamnation prononcée contre la SNC Distribution Leader Price au titre des statistiques des intérêts au taux légal depuis la perception de la somme indue, celle de la SAS Distribution Casino France étant hors débat à raison de l’irrecevabilité prononcée.
Aucune infirmation n’étant sollicitée par la SARL MPH Distribution au titre des autres condamnations prononcées à son bénéfice, seul ce chef de dispositif est objet du litige. A ce titre, la répétition étant fondée sur la violation d’une obligation connue de la SNC Distribution Leader Price qui ne pouvait ignorer l’absence de toute contrepartie sérieuse et effective au paiement qu’elle recevait, sa mauvaise foi est caractérisée.
Aussi, le jugement sera confirmé de ce chef.
9°) Sur la publication judiciaire
Au regard de la nature et de l’ancienneté du litige et de sa solution, une publication judiciaire, qui est une mesure de réparation complémentaire, ne se justifie pas, les répétitions obtenues remplissant la SARL MPH Distribution de ses droits.
Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté sa demande de publication judiciaire et la Cour déboutera la SARL MPH Distribution, pour les mêmes raisons, de cette demande renouvelée en cause d’appel.
III – Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
En application de l’article L 622-22 du code de commerce auquel renvoie l’article L 641-3 en matière de liquidation judiciaire, sous réserve des dispositions de l’article L 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l’administrateur ou le commissaire à l’exécution du plan nommé en application de l’article L 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
Et, en vertu de l’article L 622-17 I du code de commerce auquel renvoie l’article L 641-13 en matière de liquidation judiciaire, les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance.
Le critère de détermination du caractère postérieur ou antérieur des créances au sens du droit des procédures collectives est leur fait générateur ainsi que l’induit la référence expresse à leur naissance. Cependant, la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 ayant ajouté un critère d’utilité au critère chronologique et les créances au titre des dépens et des frais irrépétibles ne pouvant être considérées, sauf preuve contraire qui n’est pas ici rapportée, comme nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur, ces dernières doivent être fixées au passif, conformément à l’article L 622-22 du code de commerce (en ce sens, 3ème Civ., 8 juillet 2021, n° 19-18.437).
La SARL MPH Distribution succombant au litige, sa demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée. Et, une somme de 8 000 euros, correspondant à 2 000 euros pour chaque intimée, sera fixée, avec les dépens de la procédure, à son passif en application des articles 696 et 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
DÉCLARE irrecevables les demandes présentées par la SARL MPH, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, à l’encontre de la SAS Distribution Casino France tendant à sa condamnation à lui payer les sommes de 493 465,70 euros au titre des avoirs émis entre 2013 et 2015, 908 311,19 euros au titre des baisses de prix et 593 921,62 euros au titre des pénalités outre les intérêts au taux légal depuis la perception des sommes indues ;
REJETTE la fin de non-recevoir opposée par les sociétés du groupe Casino tirée de la présentation de demandes indemnitaires nouvelles ;
REJETTE la demande de publication judiciaire de l’arrêt présentée par la SARL MPH, prise en la personne de son liquidateur judiciaire ;
REJETTE la demande de la SARL MPH, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, au titre des frais irrépétibles ;
FIXE au passif de la SARL MPH Distribution :
– une somme de 8 000 euros, au bénéfice de la SAS Achats Marchandises Casino, de la SNC Distribution Leader Price, de la SNC Sedifrais et de la SAS Monoprix à raison de 2 000 euros chacune ;
– les entiers dépens d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE