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Y compris pour les contrats d’adhésion (non négociés), il est possible de faire condamner une place de marché électronique en présence d’un déséquilibre contractuel significatif entre les parties.
Le tribunal de commerce de Paris a condamné deux entreprises du groupe Amazon (Amazon services Europe et Amazon France services) à modifier sous six mois, et sous astreinte, plusieurs clauses des conditions générales d’utilisation de sa « place de marché » et à payer une amende de 4 millions d’euros. Ces modifications vont permettre de rééquilibrer les relations commerciales entre Amazon et les entreprises, souvent de taille modeste, qui commercialisent des produits sur sa « place de marché ». Cette condamnation fait suite à l’assignation d’Amazon par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, à l’issue d’une enquête menée par la DGCCRF. Sept clauses des conditions générales d’utilisation imposées par Amazon à ses partenaires commerciaux étaient particulièrement déséquilibrées au sens de l’ancien article L.446 1 2° du code de commerce. Ces clauses permettaient par exemple, à Amazon de modifier unilatéralement ses conditions commerciales ou de clore sans explication ni préavis le compte d’un de ses vendeurs.
Bien que les contrats conclus avec les vendeurs tiers contiennent une clause attributive de compétence au Luxembourg et que l’article 4.1 du Règlement européen dit Rome II du 11 juillet 2007 pose que « la loi applicable est ce/le du lieu où le dommage survient», la juridiction française était compétente. En effet, d’une part, le Ministre de l’économie a agi sur le fondement de la responsabilité délictuelle et d’autre part que, en tant que garant de l’ordre public économique sur le territoire national, l’article L.442-6 étant une loi de police, il bénéficie pour se faire d’une action autonome de protection du fonctionnement du marché national et de la concurrence, action qui n’est pas soumise au consentement des cocontractants et notamment du fournisseur de la prestation de services. De surcroît, le lieu du dommage en l’espèce est principalement, voire essentiellement, le territoire national car les vendeurs tiers domiciliés en France sont les victimes des clauses incriminées. Enfin, selon la compétence au titre de la loi de police économique, d’application territoriale, le lieu de rattachement est à plusieurs titres la France puisque la résidence d’une grande partie des vendeurs tiers est en France, comme le lieu d’exécution de la prestation (commandes de produits passés par des résidents français et livraison des dits produits sur le territoire national) et surtout la réalisation de l’atteinte à la concurrence se produit sur le marché national, celui des vendeurs tiers, des autres places de marché et des consommateurs.
La soumission contractuelle, établie
La soumission contractuelle était révélée notamment par l’existence d’un rapport de force économiquement déséquilibré entre les parties ; la jurisprudence se fonde pour l’établir sur un faisceau d’indices : rôle incontournable de l’une des deux parties, puissance de négociation de la société qui occupe une position de leader sur le secteur économique concerné par sa taille et sa notoriété, intermédiaire incontournable sur le marché pertinent, absence de marge réelle de négociation des cocontractants, clause dénoncée se retrouvant dans tous les contrats, clause générale et imprécise dans tous les contrats…. En l’occurrence, les indices suivants ont été retenus :
1) L’absence de négociation :
2) La puissance d’ASE dans l’absolu et relative aux vendeurs tiers et aux autres places de marché :
3) Le caractère en pratique relativement incontournable pour les petits vendeurs tiers :
La juridiction a également conclu à l’existence de clauses manifestement déséquilibrés dans le contrat ou la relation commerciale et le contrat n’a pas été rééquilibré par l’intérêt qu’ont les vendeurs tiers d’accéder aux sites Amazon et les avantages que ces derniers tirent du contrat.
Les clauses suivantes ont été sanctionnées :
1° clause relative aux modifications contractuelles : « nous avons le droit d’amender toutes dispositions contractuelles … à tout moment et à notre entière discrétion. Ces modifications prennent effet au moment où elles sont affichées sur Seller Central ou sur le site Amazon et il est de votre responsabilité de revoir périodiquement ces sites ….. nous pouvons changer les politiques des Programmes sans vous en aviser….vous devez revoir régulièrement les rubriques Seller Central … pour vous assurer que les produits que vous proposez à la vente peuvent être effectivement vendus via le Service applicable. Une utilisation du service poursuivi après toute modification affichée par Amazon constitue de votre part une acceptation de ces modifications »
Cette clause permet à Amazon, dispensée de toute négociation, de faire entrer en vigueur immédiatement et sans aucun préavis une modification du contrat, sans même avoir l’obligation contractuelle d’en aviser personnellement et directement par mail ses cocontractant, censés regarder tous les jours l’outil Seller Central pour rechercher si par hasard une clause ou Politique a été modifiée ; il en résulte qu’un cocontratant peut se retrouver ainsi sans le savoir, s’il ne l’a pas fait, devoir subir de nouvelles conditions pour la vente de ses produits ou être en infraction avec une nouvelle disposition du contrat avec les sanctions qu’Amazon peut alors prendre (suspension ou fermeture de l’accès au site, de son compte, résiliation du contrat, dégradation de ses indicateurs de performance, remboursement de produits déjà vendus à ses clients); en outre cette clause est unilatérale au seul bénéfice d’Amazon et confère à cette dernière la possibilité de modifier à tout instant des clauses essentielles pour le vendeur tiers, relative à l’équilibre de ses droits et obligations; il n’a alors plus d’autre possibilité que de résilier le contrat mais ce alors sans avoir eu le temps de trouver une solution de substitution et surtout de la mettre en œuvre ; en effet, changer de place de marché, en dehors même du temps pour se faire agréer par une nouvelle place, nécessite de revoir complétement son organisation, sa politique commerciale et de rédiger de nouvelles fiches produits pour les mettre en ligne sur le site de son nouveau partenaire ; cette situation conduit le vendeur tiers soit à se résigner à accepter les nouvelles conditions d’Amazon pénalisantes soit à perdre un important chiffre d’affaires pendant plusieurs mois. La combinaison de modifications unilatérales à tout moment avec une entrée en vigueur immédiate, sans préavis et sans notification obligatoire individuelle à chacun des cocontractants, est exorbitante du droit français et contraire à tous les usages.
2° Les clauses relatives à la suspension ou résiliation du contrat : « à tout moment, à notre seule discrétion et sans préavis, nous pouvons interrompre la fourniture de tout ou parties des services » et que le point « Durée et résiliation » prévoit que « nous pouvons résilier ou suspendre ce contrat ou un service avec effet immédiat pour toute raison et à n’importe quel moment par simple notification …. A la fin du contrat, tous les droits et obligations des parties prennent fin sauf les articles …. …qui continueront à être en vigueur également après la fin du contrat ».
Cette clause est constitutive d’un déséquilibre significatif en ce qu’elle est générale (« pour toute raison »), discrétionnaire (pas d’obligation contractuelle de motiver), imprécise, en raison de l’absence de préavis, en ce que la durée de la suspension n’est pas connue du vendeur tiers par un engagement contractuel et en ce qu’elle n’est pas proportionnelle au manquement de ce dernier.
3° Les clauses relatives aux indices de performances : « votre utilisation du service peut être soumise à des limites applicables aux comptes…. Ces limites sont déterminées sur la base de facteurs de performance… ». Lesdits indicateurs sont au nombre de 3: taux de commandes défectueuses, taux d’annulation de commandes avant traitement et taux d’expéditions en retard.
Le principe de la mesure de la performance du vendeur tiers dans la satisfaction du client est parfaitement légitime et usuel dans toute la distribution, quelle qu’en soit la forme et les modalités (mise à disposition d’une marque, franchise, concession….) et répond à la nécessité de protéger le consommateur et l’image du site et de la marque Amazon ce dont bénéficie en premier lieu cette dernière mais également la collectivité des vendeurs tiers. Toutefois, cette clause a été sanctionnée en raison de l’imprécision des critères retenus. S’il est certes légitime que Amazon puisse faire évoluer ses indicateurs de performance mais que le fait que, cet élément majeur du contrat puisse être modifié sans que cela soit obligatoirement notifié au vendeur tiers, sous une forme autre que le fait que l’affichage sur une page de la liste des critères sur le Seller Central, sans préavis et sans explication sur la manière dont il est déterminé et sur ses conséquences, renforce le caractère significativement déséquilibré de cette clause ; les critères d’évaluation de la performance des vendeurs tiers ne sont pas explicités clairement quant à leur périmètre, aux conséquences du non-respect de certains d’entre eux et qu’ils sont susceptibles d’évoluer de manière discrétionnaire, sans préavis et sans notification obligatoire alors même que les conséquences pour les vendeurs tiers peuvent être majeures (impossibilité de vendre dans le pire des cas et en toute hypothèse réduction des chances d’accès à la « Buy box » conditionnant le volume des ventes d’un vendeur tiers) ; de plus la durée de la suspension du compte du vendeur tiers est arbitraire.
4° les clauses relatives à la maîtrise du compte vendeur : « nous avons le droit à notre entière discrétion……d’interdire ou restreindre l’accès à tout site Amazon …. et de retarder ou suspendre une mise en vente ou de refuser de mettre en vente …..l’un ou l’autre de vos produits à notre entière discrétion ».
Cette clause ne fait aucune référence à « des produits dangereux ou non conformes à la réglementation » et ne mentionne aucune raison justifiant une telle décision. En raison de sa généralité et de l’imprécision de sa rédaction, cette clause entraine un déséquilibre significatif au détriment du vendeur tiers au sens de l’article L.442-6 2° du Code de commerce.
5° Les clauses relatives à la garantie « A a Z » avec le retour et remboursement des produits : la garantie A à Z prévue par cette clause permet aux clients du vendeur tiers de renvoyer leurs produits et d’être remboursés du prix de leur achat si le produit livré n’a pas correspondu à la fiche produit, s’il était défectueux, pas livré en état ou pas dans les délais notamment ; pour ce faire le client présente une réclamation à Amazon à laquelle le vendeur tiers est tenu de répondre dans les 3 jours ; s’il ne respecte pas ce délai, ou si la réponse du vendeur tiers n’est pas appropriée après enquête d’Amazon, le vendeur tiers est débité sur son compte du remboursement réalisé par cette dernière et ce sans même que le produit ne soit retourné et que toutes les réclamations, même si elles ont été refusées, sont affichées dans le compte du vendeur tiers.
Cette clause telle qu’elle est rédigée et mise en oeuvre concrètement, est manifestement déséquilibrée au détriment des vendeurs tiers en ce qu’elle autorise cette dernière à rembourser le client même en cas de non-retour du produit, même si après enquête la réclamation est considérée comme injustifiée et en ce qu’elle autorise l’affichage des dites réclamations avec celle justifiées.
6° les clauses relatives à l’utilisation des marques du vendeur tiers : cette clause permet à Amazon d’utiliser « les technologies, marques, contenu informations produits, données …fournis par le vendeur tiers sur le site amazon.fr, pendant le contrat et ce même à son expiration, alors que cette possibilité n’est pas réciproque » ; cette clause, relative à la marque et aux éléments de propriété intellectuelle, résultant notamment de la création de fiches produits du vendeur tiers, est très large, non justifiée par les nécessités commerciales et non compensée par des droits comparables au bénéfice du cocontractant ; elle présente un caractère unilatéral et disproportionné dès lors que le contrat Amazon ne donne lieu à aucune négociation ;
7° clauses relatives à la parité des canaux de vente : « vous devez conserver une parité entre les produits que vous proposez par tous vos canaux de vente (autres que dans vos magasins physiques) a) …même niveau de support que vos services clientèles les plus avantageux, même qualité de l’information pour tous /es contenus ».
Cette clause permet à Amazon de bénéficier des mêmes conditions que celles consenties par un vendeur tiers aux autres places de marché concurrentes (prix d’achat, tarifs d’expédition …) et cette dernière se réserve ainsi la possibilité de bénéficier automatiquement des conditions négociées ou pratiquées par le vendeur tiers sur d’autres canaux de marché ; elle limite ainsi la stratégie de distinction de la part de son cocontractant voire qu’elle bénéficie du fruit de sa négociation, avec d’autres places de marché ou fournisseurs, sans contrepartie (déséquilibre significatif au détriment du vendeur).
A noter que l’une des clauses majeures du contrat Amazon (« les exonérations générales de responsabilité ») a été validée : « le cocontractant s’engage à indemniser Amazon de tout préjudice et la décharge de toute responsabilité s’agissant d’un manquement avéré ou prétendu à toute obligation ; la responsabilité d’ Amazon ne saurait être engagée même en présence d’une négligence et/ou interruptions et pannes du site ayant causé au vendeur tiers des conséquences pour ses transactions ; la responsabilité éventuelle d’Amazon est limitée au montant maximal correspondant aux sommes que le vendeur tiers lui a reversées au titre de ses ventes durant les 6 derniers mois en cas de négligence ; en cas de responsabilité pour négligence grossière ou faute grave, ce plafond ne trouve plus à s’appliquer et la responsabilité est totale et sans limitation ».
Ce type de clause est usuel dans les contrats pour des sites internet car les pannes de systèmes, la saturation d’un site par le trop grand nombre de transactions simultanées, les attaques virales sont des éléments imprévisibles et insurmontables ; il est avéré que Amazon consacre des moyens considérables avec un niveau d’investissement annuel très supérieur â ceux des autres sites pour s’en prémunir et pour assurer la continuité de ses services et la sécurité des transactions qui y sont effectuées ; outre que toute interruption de l’accès au site ou des transactions serait doublement préjudiciable à Amazon en pertes de recettes sur ses propres ventes et en pertes de commissions sur celles des vendeurs tiers, surtout c’est un élément majeur de son image tant auprès des consommateurs, ses clients et ceux des vendeurs tiers, alors que la majorité de la marge du groupe Amazon provient des commissions payées par les vendeurs tiers; les conséquences des erreurs seraient telles pour Amazon qu’il est inenvisageable qu’elle n’ait pas fait ses meilleures efforts pour s’en prémunir ce que démontre d’ailleurs le montant de ses investissements et le fait que les témoignages des vendeurs tiers ne font pas état d’incident; que néanmoins Amazon n’est pas à l’abri de dysfonctionnements (pannes de serveur, bug, attaques, virus… ) mais qu’elle n’a qu’une obligation de moyens mais pas une obligation de résultat. Ladite clause ne peut être et n’a pas à être réciproque car les litiges entre le client et le vendeur tiers, si la responsabilité de ce dernier est retenue, sont d’une toute autre nature ; cette clause n’est donc pas déséquilibrée car il ressort implicitement du début de sa rédaction qu’elle n’est relative qu’a des dysfonctionnements sur ses sites internet ou de nature informatique.
Pour rappel, cette condamnation est intervenue sur l’initiative de la DGCCRF qui est chargée de veiller à l’absence de déséquilibre significatif dans les relations commerciales pour garantir le bon fonctionnement des marchés et protéger les entreprises françaises. En tant que garant de l’ordre public économique, le ministre de l’Economie peut également assigner des entreprises devant le tribunal de commerce afin de faire sanctionner par le juge les pratiques ou clauses contractuelles portant atteinte à la loyauté des relations commerciales et imposer leur suppression ou leur arrêt. Pour ce type de pratiques, le ministre a par exemple déjà fait condamner deux agences de voyage en ligne pour déséquilibre significatif dans leurs relations avec les hôteliers.
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