Dépôt de marque et présomption de fraude fiscale
Dépôt de marque et présomption de fraude fiscale
Ce point juridique est utile ?

Déposer des marques en France sans procéder à une inscription sur le registre des marques de l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle, B.O.I.P. est l’un des critères permettant de déterminer que le caractère fictif d’un siège social d’une société au Luxembourg.

L’administration fiscale a fait valoir avec succès que la société 321 CBD, qui dispose de son centre décisionnel en France, est susceptible de réaliser sur le territoire national tout ou partie de son activité, entrainant ainsi le respect d’obligations comptables et fiscales.

Outre la présence de salariés résidents en France, pour son activité la société 321 CBD :

– Utilisait le site cbd.fr devenu cbd.com, dont les conditions d’utilisation sont soumises au droit français, et qui pour numéro de contact renvoie à un numéro de téléphone français;

– a disposé de plusieurs lignes téléphoniques en FRANCE pour l’exploitation des sites internet www.famous-cbd.fr, www.magna- cbd.com, www.mega-market-cbd.com et www.wildgFasscbd.fr;

– déposait ses colis au bureau de poste situé en France.

L’administration relève en outre qu’il n’est communiqué que des factures de prestations comptables et administratives d’un cabinet d’expertise comptable luxembourgeois, n’établissant aucunement la prise de décisions depuis le Luxembourg.

Sur le respect par la société de ses obligations fiscales au Luxembourg, l’administration souligne qu’à la date du 09/03/2023, il n’apparaît aucun bilan déposé par la société 321 CBD SARL sur le site internet du registre du commerce luxembourgeois d’accès public www.lbr.lu depuis son immatriculation, ce qui permet de présumer que la société 321 CBD n’a pas rempli ses obligations fiscales au LUXEMBOURG. L’administration observe que l’appelante, s’agissant de la déclaration de résultat, ne produit qu’un compte de profits et pertes provisionnel pour l’année 2021 ; ce document sans date ne justifie aucunement de l’établissement et du dépôt des déclarations de résultat dans les délais requis.

Il est enfin observé qu’à la date du 4 juillet 2023, aucun compte annuel de la société n’est publié sur le Registre de commerce des sociétés officiel du Luxembourg

Pour rappel, l’article L.16 B du du livre des procédures fiscales n’exige que de simples présomptions de la commission de fraude, en particulier de ce qu’une société étrangère exploiterait un établissement stable en FRANCE en raison de l’activité duquel elle serait soumise aux obligations fiscales et comptables prévues par le code général des impôts en matière d’impôt sur les bénéfices et/ou de taxes sur le chiffre d’affaires (Cass. Com., 15 février 2023, n°20-20.599).

Il est de jurisprudence établie que la discussion sur l’application d’une convention fiscale entre la France et un autre pays ne relève pas du magistrat appelé à se prononcer sur l’autorisation de visite, mais du juge de l’impôt (Com., 26 juin 2012, pourvoi n° 11-21.047, Bull. 2012, IV, n° 136). De même, la discussion de l’existence d’un établissement stable en France relève du contentieux de l’impôt (Com., 29 juin 2010, pourvoi n° 09-15.706).

A ce stade de l’enquête fiscale, en application des dispositions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, il n’y a pas lieu pour le juge des libertés et de la détention de déterminer si tous les éléments constitutifs des manquements recherchés étaient réunis, notamment l’élément intentionnel, mais, en l’espèce ce juge dans le cadre de ses attributions, ne devait rechercher que s’il existait des présomptions simples des agissements prohibés et recherchés (Cass. Com. 7 décembre 2010, n°10-10.923 ; Cass. Com. 15 février 2023, n°21-13.288).

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne une ordonnance d’autorisation d’opérations de visite et saisie dans les locaux de la société 321 CBD SARL et SIAMAS BIEN-ETRE SAS, émise par la Direction nationale d’enquêtes fiscales. Les requérants ont interjeté appel de cette ordonnance et ont également formé un recours contre les opérations de visite domiciliaire. Les parties ont présenté leurs arguments devant la cour d’appel, avec la société 321 CBD, Monsieur [F] [R], Monsieur [Z] [T], Madame [I] [S], la société SIAMAS BIEN-ETRE SAS et Monsieur [L] [K] demandant l’annulation de l’ordonnance et une indemnité, tandis que l’Administration fiscale demande la confirmation de l’ordonnance et le rejet des demandes des requérants. L’affaire a été mise en délibéré pour une décision ultérieure.

Les points essentiels

SUR LA JONCTION :

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient en application de l’article 367 du code de procédure civile et eu égard au lien de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG 23/06517 et RG 23/06521 qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.

SUR L’APPEL (RG 23/06517) :

Dans leurs écritures précitées, les appelants soulèvent un moyen principal selon lequel les pièces présentées par le service fiscal à l’appui de ses allégations ne constituent pas des présomptions de nature à justifier la mise en oeuvre de la procédure instituée par l’article L16 B du Livre des procédures fiscales.

En premier lieu, les appelants font état de l’absence de pertinence des pièces produites par l’administration fiscale au soutien de sa requête. Il est soutenu que sur 92 pièces listées, 18 pièces (soit environ 20%) sont de simples documents relatifs à la vie sociale des sociétés du groupe 321 CBD et 14 pièces (soit environ 15%) sont des documents qui résultent de la base de données des particuliers interne à la Direction Générale des Finances Publiques. Ils soulèvent la question de la légitimité de ces dernières pièces dans la mesure où nul ne peut en principe se constituer de preuve à soi-même, faisant référence aux 14 attestations fournies par les agents de l’administration fiscale requérante servant à fonder l’ordonnance. Il est indiqué en outre que l’administration s’appuie également sur des pièces issues de sites d’informations et d’articles de presse très généraux.

En second lieu, les appelants soutiennent qu’il n’est pas établi à l’encontre de la société 321 CBD de présomption d’exercice sur le territoire national d’une activité professionnelle de vente de produits à base de CBD sans souscription des déclarations fiscales y afférentes et en omettant de passer en France les écritures comptables correspondantes.

SUR LE RECOURS (RG 23/06521) :

Les requérants soutiennent à titre principal que dès lors que les présomptions de fraude n’étaient pas établies, par suite l’ordonnance étant mal fondée et la mise en oeuvre des opérations de visite et de saisie doit également être remise en cause.

À titre subsidiaire, les requérants soulèvent l’irrégularité de la saisie de pièces intitulée ‘Certification et test d’analyse adressé 321 CBD ‘, soutenant que l’ordonnance n’autorisait que les saisies nécessitées par la recherche de la preuve des agissements présumés ainsi que la saisie des documents et des supports d’informations illustrant la fraude présumée. Ils en demandent la restitution.

Le Directeur général des finances publiques s’oppose à l’annulation de la saisie de cette pièce relative aux produits commercialisés par la société 321 CBD visée par les présomptions de fraude, et dès lors utile à la preuve des agissements présumés. En l’espèce, l’administration constate en outre qu’aucune pièce n’est communiquée.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il est de jurisprudence établie que les pièces précisément identifiées, dont la saisie est contestée, doivent être versées aux débats en expliquant les raisons pour chacune pour lesquelles ces documents sont sans lien avec l’enquête ou relèvent de la confidentialité s’attachant aux relations entre un avocat et son client, ce qui permet au juge saisi de statuer sur leur sort à la suite d’un examen précis et d’un contrôle concret de proportionnalité et, le cas échéant, d’ordonner leur restitution.

En l’espèce, il est constaté que les requérants ne produisent ni la pièce saisie cotée selon le procès-verbal n° 040 014 et 040 015, ni d’argumentaire motivé au soutien de leur demande d’annulation de sa saisie.

Le moyen sera donc écarté et la demande de restitution rejetée.

Les montants alloués dans cette affaire: – La Société 321 CBD, société de droit luxembourgeois, Monsieur [F] [R], de Monsieur [Z] [T], Madame [I] [S], la société SIAMAS BIEN-ÊTRE SAS et Monsieur [L] [K] : 300 euros chacun
– La Société 321 CBD, société de droit luxembourgeois, de Monsieur [F] [R], de Monsieur [Z] [T], de Madame [I] [S], de la société SIAMAS BIEN-ÊTRE SAS et de Monsieur [L] [K] : dépens

Réglementation applicable

– Code de procédure civile
– Code général des impôts

Article du Code de procédure civile cité : Article 367
“Les instances enregistrées sous les numéros de RG 23/06517 et RG 23/06521 seront regroupées sous le numéro le plus ancien en raison du lien de connexité entre les affaires.”

Article du Code général des impôts cité : Article L16 B
“Lorsque l’autorité judiciaire estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts, elle peut autoriser les agents de l’administration des impôts à rechercher la preuve de ces agissements en effectuant des visites en tous lieux où les pièces et documents sont susceptibles d’être détenus.”

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d’appel de PARIS
– Mme Véronique COUVET, Greffier

Mots clefs associés & définitions

– Bonne administration de la justice
– Article 367 du code de procédure civile
– Connexité entre les affaires
– Joindre les instances
– RG 23/06517 et RG 23/06521
– Appelants
– Pièces présentées par le service fiscal
– Présomptions de nature
– Procédure instituée par l’article L16 B du Livre des procédures fiscales
– Absence de pertinence des pièces produites
– Légitimité des pièces issues de la base de données des particuliers
– Activité professionnelle de vente de produits à base de CBD
– Déclarations fiscales
– Écritures comptables
– Résidence fiscale
– Activité de grossiste
– Vente à distance
– Expédition des produits
– Déclarations de TVA et de résultats
– Centre décisionnel
– Moyens humains et matériels
– Obligations comptables et fiscales
– Existence d’un établissement stable en France
– Présomptions de fraude
– Visite domiciliaire
– Pièces produites par l’administration fiscale
– Existence de moyens humains et matériels en France
– Entrepos au Luxembourg
– Obligations fiscales au Luxembourg
– Bilan déposé
– Marques enregistrées
– Centre décisionnel en France
– Recours
– Saisie de pièces contestée
– Restitution des pièces
– Opérations de visite et de saisie
– Article 700 du code de procédure civile
– Équité
– Application de l’article 700
– Somme à payer au titre de l’article 700
– Bonne administration de la justice: principe selon lequel la justice doit être rendue de manière équitable et efficace
– Article 367 du code de procédure civile: disposition légale régissant la jonction des instances
– Connexité entre les affaires: lien entre plusieurs affaires justifiant leur jonction
– Joindre les instances: regrouper plusieurs affaires pour les traiter ensemble
– RG 23/06517 et RG 23/06521: références des dossiers judiciaires
– Appelants: parties faisant appel d’une décision de justice
– Pièces présentées par le service fiscal: documents fournis par l’administration fiscale
– Présomptions de nature: hypothèses présumées vraies en l’absence de preuves contraires
– Procédure instituée par l’article L16 B du Livre des procédures fiscales: démarche légale prévue par la loi fiscale
– Absence de pertinence des pièces produites: documents jugés non pertinents pour l’affaire en cours
– Légitimité des pièces issues de la base de données des particuliers: validité des documents provenant de la base de données des particuliers
– Activité professionnelle de vente de produits à base de CBD: commerce de produits à base de cannabidiol
– Déclarations fiscales: documents déclarant les revenus et les impôts d’une personne ou d’une entreprise
– Écritures comptables: enregistrements des opérations financières d’une entité
– Résidence fiscale: lieu où une personne est considérée comme résidant fiscalement
– Activité de grossiste: commerce de gros
– Vente à distance: vente de produits sans contact physique avec le client
– Expédition des produits: envoi des marchandises aux clients
– Déclarations de TVA et de résultats: documents déclarant la TVA et les résultats financiers d’une entreprise
– Centre décisionnel: lieu où les décisions importantes sont prises
– Moyens humains et matériels: ressources humaines et matérielles
– Obligations comptables et fiscales: devoirs en matière de comptabilité et de fiscalité
– Existence d’un établissement stable en France: présence permanente d’une entité en France
– Présomptions de fraude: hypothèses de fraude présumées en l’absence de preuves contraires
– Visite domiciliaire: inspection du domicile dans le cadre d’une enquête
– Pièces produites par l’administration fiscale: documents fournis par l’administration des impôts
– Existence de moyens humains et matériels en France: présence de ressources humaines et matérielles en France
– Entrepos au Luxembourg: stockage au Luxembourg
– Obligations fiscales au Luxembourg: devoirs fiscaux au Luxembourg
– Bilan déposé: document comptable déposé auprès des autorités compétentes
– Marques enregistrées: marques protégées par un enregistrement légal
– Centre décisionnel en France: lieu où les décisions importantes sont prises en France
– Recours: action en justice pour contester une décision
– Saisie de pièces contestée: contestation de la saisie de documents
– Restitution des pièces: retour des documents saisis
– Opérations de visite et de saisie: actions d’inspection et de confiscation
– Article 700 du code de procédure civile: disposition légale concernant les frais de justice
– Équité: principe de justice et d’équité
– Application de l’article 700: mise en œuvre de l’article 700 du code de procédure civile
– Somme à payer au titre de l’article 700: montant à verser au titre des frais de justice.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 juin 2024
Cour d’appel de Paris
RG n° 23/06517
Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 15

ORDONNANCE DU 5 JUIN 2024

(n°25, 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 23/06517 (appel) – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHNPD auquel est joint le RG 23/6521 (recours)

Décisions déférées : Ordonnance rendue le 21 mars 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS

Procès-verbal de visite et saisie en date du 22 mars 2023 clos à 12H40 pris en exécution de l’Ordonnance rendue le 21 mars 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d’appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l’article L16B du Livre des procédures fiscales, modifié par l’article 164 de la loi n°2008-776 du 04 août 2008 ;

Assisté de Mme Véronique COUVET, Greffier lors des débats et de la mise à disposition;

Après avoir appelé à l’audience publique du 24 janvier 2024 :

321 CBD S.A.R.L., société de droit luxembourgeois

Elisant domicile au cabinet d’avocats FTPA

[Adresse 7]

[Localité 14]

SIAMAS BIEN-ETRE S.A.S.

Elisant domicile au cabinet d’avocats FTPA

[Adresse 7]

[Localité 14]

Monsieur [F] [R]

Né le [Date naissance 4] 1980 à [Localité 8]

Elisant domicile au cabinet d’avocats FTPA

[Adresse 7]

[Localité 14]

Monsieur [Z] [T]

Né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 18] AZERBAIDJAN

Elisant domicile au cabinet d’avocats FTPA

[Adresse 7]

[Localité 14]

Madame [I] [S]

Elisant domicile au cabinet d’avocats FTPA

[Adresse 7]

[Localité 14]

Représentés par Me Nicolas MESSAGE, de la SELAS FOUCAUD TCHEKHOFF POCHET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0010

Assistés de Me Gaëlle ARNASSAN, de la SELAS FOUCAUD TCHEKHOFF POCHET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0010

APPELANTS ET REQUERANTS

Monsieur [L] [K]

Né le [Date naissance 5] 1987 à [Localité 19]

Elisant domicile au cabinet d’avocats FTPA

[Adresse 7]

[Localité 14]

Représenté par Me Nicolas MESSAGE, de la SELAS FOUCAUD TCHEKHOFF POCHET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0010

Assisté de Me Gaëlle ARNASSAN, de la SELAS FOUCAUD TCHEKHOFF POCHET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0010

REQUERANT

et

LA DIRECTION NATIONALE D’ENQUETES FISCALES

[Adresse 10]

[Localité 15]

Représentée par Me Jean DI FRANCESCO, de la SCP URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0137

Assistée de Me Alix NICOLI, de la SCP URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0137

INTIMÉE ET DEFENDERESSE AU RECOURS

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 24 janvier 2024, le conseil des requérants, et l’avocat de l’Administration fiscale ;

Les débats ayant été clôturés avec l’indication que l’affaire était mise en délibéré au 24 avril 2024 pour mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour puis prorogée au 5 juin suivant, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l’ordonnance ci-après :

Le 21 mars 2023, le juge des libertés et de la détention près du tribunal judiciaire de Paris a rendu, en application des dispositions de l’article L 16 B du Livre des Procédures Fiscales, une ordonnance d’autorisation d’opérations de visite et saisie dans les locaux et dépendances sis [Adresse 11] [Localité 13] susceptibles d’être occupés par SIAMAS BIEN-ETRE SAS et/ou 321 CBD SARL et toute autre entité entretenant des liens juridiques avec SIAMAS BIEN-ETRE SAS.

Cette ordonnance se fondait sur une requête de la Direction nationale d’enquêtes fiscales (ci-après DNEF) présentée le 13 mars 2023.

La requête de l’administration était accompagnée de 92 pièces numérotées de 1 à 92.

L’autorisation de visite et saisie des lieux susmentionnés était délivrée aux motifs que la société de droit luxembourgeois 321 CBD exercerait en FRANCE une activité commerciale de vente de produits notamment à base de CBD sur le territoire national, sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes et ainsi ne procéderait pas à la passation en FRANCE des écritures comptables correspondantes.

Et ainsi, est présumée s’être soustraite et/ou se soustraire à l’établissement et au paiement de l’impôt sur les Bénéfices ou des Taxes sur le Chiffre d’Affaires, en se livrant à des achats ou des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le Code Général des Impôts (articles 54 et 209-1 pour l’IS et 286 pour la TVA).

Les opérations de visite et saisie se sont déroulées le 22 mars 2023 dans les locaux susmentionnés.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d’appel le 13 avril 2023, la Société 321 CBD, société de droit luxembourgeois, Monsieur [F] [R], Monsieur [Z] [T], Madame [I] [S] et la société SIAMAS BIEN-ÊTRE SAS ont interjeté appel de l’ordonnance (RG 23/06517) et, avec Monsieur [L] [K], ont formé un recours contre les opérations de visite domiciliaire qui se sont déroulées le 22 mars 2023 dans les locaux et dépendances sis [Adresse 11] [Localité 13] susceptibles d’être occupés par SIAMAS BIEN-ETRE SAS et/ou 321 CBD SARL et toute autre entité entretenant des liens juridiques avec SIAMAS BIEN-ETRE SAS (RG 23/06521).

Sur l’appel (RG 23/06517) :

Par conclusions en date du 1er août 2023, la Société 321 CBD, société de droit luxembourgeois, Monsieur [F] [R], Monsieur [Z] [T], Madame [I] [S] et la société SIAMAS BIEN-ÊTRE SAS demandent à cette juridiction de :

– Constater que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris datée du 21 mars 2023 est irrégulière ;

– Annuler l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris datée du 21 mars 2023 ;

– Constater corrélativement l’irrégularité du déroulement des opérations de visite et de saisie du 22 mars 2023 mises en oeuvre en application de l’ordonnance ;

– Condamner l’Administration fiscale au versement d’une indemnité de 2 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses conclusions déposées au greffe de la cour d’appel le 17 juillet 2023, sur l’appel, le Directeur Général des Finances Publiques demande à cette juridiction de :

– Confirmer l’ordonnance du 21 mars 2023 du Juge des libertés et de la détention de PARIS

– Rejeter toutes demandes, fins et conclusions.

– Condamner l’appelante au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

– Sur le recours (RG 23/06521) :

Par conclusions en date du 1er août 2023, la Société 321CBD, société de droit luxembourgeois, Monsieur [F] [R], Monsieur [Z] [T], Madame [I] [S], la société SIAMAS BIEN-ÊTRE SAS et Monsieur [L] [K] demandent à cette juridiction de :

– Constater l’irrégularité du déroulement des opérations de visite et de saisie du 22 mars 2023 mises en oeuvre en application de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris datée du 21 mars 2023 ;

– Condamner l’Administration fiscale au versement d’une indemnité de 2 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses conclusions déposées au greffe de la cour d’appel le 17 juillet 2023, sur le recours, le Directeur Général des Finances Publiques demande à cette juridiction de:

– Rejeter toutes demandes, fins et conclusions.

– Condamner les requérants au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

SUR CE :

SUR LA JONCTION :

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient en application de l’article 367 du code de procédure civile et eu égard au lien de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG 23/06517 et RG 23/06521 qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.

SUR L’APPEL (RG 23/06517) :

Dans leurs écritures précitées, les appelants soulèvent un moyen principal selon lequel les pièces présentées par le service fiscal à l’appui de ses allégations ne constituent pas des présomptions de nature à justifier la mise en oeuvre de la procédure instituée par l’article L16 B du Livre des procédures fiscales.

En premier lieu, les appelants font état de l’absence de pertinence des pièces produites par l’administration fiscale au soutien de sa requête. Il est soutenu que sur 92 pièces listées, 18 pièces (soit environ 20%) sont de simples documents relatifs à la vie sociale des sociétés du groupe 321 CBD et 14 pièces (soit environ 15%) sont des documents qui résultent de la base de données des particuliers interne à la Direction Générale des Finances Publiques. Il soulèvent la question de la légitimité de ces dernières pièces dans la mesure où nul ne peut en principe se constituer de preuve à soi-même, faisant référence aux 14 attestations fournies par les agents de l’administration fiscale requérante servant à fonder l’ordonnance. Il est indiqué en outre que l’administration s’appuie également sur des pièces issues de sites d’informations et d’articles de presse très généraux.

En second lieu, les appelants soutiennent qu’il n’est pas établi à l’encontre de la société 321 CBD de présomption d’exercice sur le territoire national d’une activité professionnelle de vente de produits à base de CBD sans souscription des déclarations fiscales y afférentes et en omettant de passer en France les écritures comptables correspondantes.

Ils rappellent que pour en tirer une conclusion inverse, l’ordonnance se fonde notamment sur trois éléments factuels qui sont erronés :

– la Société est détenue par [Z] [T]et [F] [R] et dirigée par ce dernier, tous deux résidents de France ;

– la société exploite des sites internet de ventes de produits à base de CBD à destination d’une clientèle française et utilise des moyens matériels et humains situés en France ;

– la société détient majoritairement des filiales en France qui développent le commerce de CBD.

Il souligne que compte tenu de la proximité du Luxembourg et de la France, la clientèle française représente effectivement une part importante de l’activité de la société 321 CBD.

Par contre, il est prétendu que ladite société n’exerce pas d’activité commerciale en France, mais au Luxembourg.

S’agissant de la nature de l’activité exercée par la société 321 CBD, il est exposé que contrairement à ce que soutient l’administration fiscale, elle exerce exclusivement une activité de grossiste auprès de sociétés françaises et étrangères, ne commercialise pas ses produits auprès de particuliers en France, mais auprès des sociétés françaises G.T.A.F, SIAMAS BIEN-ETRE et EURODR en qualité de grossiste. Il est ainsi souligné que les sociétés françaises commercialisent directement les produits auprès de leur clientèle française, par l’intermédiaire de leurs sites internet ou des boutiques. Dans le cadre d’une vente à distance, les produits sont expédiés directement par la société 321 CBD depuis le Luxembourg au nom et pour le compte des sociétés françaises ; la société 321 CBD n’intervenant pas dans le processus de vente aux particuliers, au titre du processus d’expédition. Il est encore exposé que si l’administration fiscale a relevé que si la société 321 CBD avait expédié au cours de la période considérée plus de 7000 colis à des clients français au nom et pour le compte des sociétés françaises, les colis pris en charge par Colissimo ne sont pas déposés par la société au bureau de Poste de [Localité 9] en France, mais directement enlevés par la Poste française à l’adresse du siège social de la Société au Luxembourg.

Il est encore soutenu que les sociétés G.T.A.F, SIAMAS BIENETRE et EURODR déposent dûment leurs déclarations de TVA et de résultats respectives en France. Le chiffre d’affaires ainsi que le résultat réalisé par chacune d’elles comprend les ventes réalisées auprès de clients français pour lesquelles la société 321 CBD est intervenue au titre de l’expédition des produits.

Les appelant soutiennent également que la société 321 CBD ne dispose pas de centre décisionnel en France, que le siège de direction effectif de la société n’est pas situé en France mais au Luxembourg, nonobstant le fait que Messieurs [F] [R] et [Z] [T] déclarent résider fiscalement en France et qu’ils détiennent chacun 50% des parts de la société. Il est soutenu que cette situation purement factuelle liée à la résidence fiscale des deux associés ne présume pourtant en rien le lieu du siège de direction effective de la Société en France. Ils font valoir que Monsieur [F] [R] dispose également d’un logement à [Localité 17] à Luxembourg à proximité de l’adresse du siège social situé au [Adresse 2] de la même rue de la société 321 CBD ; cette proximité lui permettant une présence quotidienne au siège de la société.

Il est encore exposé qu’en sa qualité de gérant de cette société, il perçoit en outre une rémunération soumise à l’impôt sur le revenu au Luxembourg et a ainsi payé 116 242 euros d’impôt sur le revenu au titre de ses revenus 2021 au Luxembourg, pays où il acquitte également des cotisations sociales.

Les appelants soutiennent également que la société 321 CBD ne dispose pas de moyens humains en France, mais au Luxembourg où elle dispose également de moyens matériels; les conclusions de l’administration basées sur des informations résultant de profils Linkedln étant inexactes. Il est encore argué que les décisions des associés ainsi que la comptabilité de la société sont également respectivement prises et tenues au Luxembourg. Il est exposé ainsi que cette société dépose ses déclarations de TVA ainsi que ses déclarations de résultats au Luxembourg et, à ce titre, a déclaré un résultat de 186 990,94 euros, correspondant à un impôt sur les sociétés de 53 960,05 euros au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2021.

Dans ses écritures précitées, le Directeur Général des Finances Publiques, après un rappel des faits, (pages 2 à 12 de ses conclusions auxquelles il sera renvoyé), souligne que l’argumentation développée par les appelants ne remet pas en cause le bien-fondé des présomptions retenues par le premier juge.

L’administration rappelle que tant la discussion de l’application d’une convention fiscale que de l’existence d’un établissement stable en France, relèvent de la compétence du juge de l’impôt, ce que n’est pas le magistrat saisi d’une demande d’autorisation de visite domiciliaire, ni le Premier président statuant en appel, ainsi que rappelé par la jurisprudence.

Il est soutenu qu’en l’espèce, l’ordonnance du juge des libertés et de la détention vise la société 321 CBD en ce qu’elle est présumée exercer sur le territoire français tout ou partie de son activité professionnelle sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et ainsi omet de passer, en France, les écritures comptables y afférentes. Plus particulièrement, le juge a retenu que la société en cause pouvait être présumée exercer tout ou partie de son activité en France, à partir de la direction et de moyens dont elle disposait en France, activité qui aurait ainsi dû être soumise à l’ensemble des impôts commerciaux, ce qui résultait des éléments d’enquête.

Sur la pertinence des pièces produites par l’administration, le Directeur Général des Finances Publiques souligne que ces éléments ne sont pas contestés, mais qu’il est simplement soutenu qu’ils seraient inutiles. Il expose encore que le moyen selon lequel les appelants reprochent à l’administration d’avoir remis au juge des attestations établies par ses agents faisant état de la consultation de fichiers internes à l’administration ou de sites internet publics n’est aucunement fondé, la jurisprudence a toujours jugé que l’administration pouvait mettre en oeuvre la procédure de visite domiciliaire prévue par l’article L 16 B en se fondant sur des éléments régulièrement constatés par elle, notamment au moyen d’attestations sans méconnaître les dispositions de l’article 1315 du Code civil (Cass. crim. 17/05/2001 pourvoi 99-30113 ; cass. crim. 10/04/2002 pourvoi 00-30297 ; 26/06/2012 pourvoi 11.21047 publié (moyen non admis); 9 juillet 2013 pourvoi 12-23.094).

Sur la nature de l’activité exercée en France par la société 321 CBD, afin de répondre aux appelants qui contestent l’attestation de l’administration selon laquelle les colis pris en charge dans le cadre du contrat COLISSIMO sont déposés par la société 321 CBD SARL au bureau de poste situé en France à [Localité 9] [Adresse 16], l’administration fiscale produit la copie du contrat Privilège N°845402-321CBD/La Poste transmis par le Groupe La Poste en réponse au droit de communication exercé les 05/10/2022 et 24/11/2022 daté de janvier 2020, est paraphé et signé par les parties (Pièce 2). Ce contrat indique exactement les mentions reportées dans l’attestation de l’administration selon lesquelles, le client s’engage à remettre ses envois dans l’établissement postal [Localité 9] Cote des Roses BP (page 9 à l’article 4.2 “modalités de remise des envois dans le réseau postal “). Il est précisé également que si le contrat de collecte et/ou remise du client prend fin pour quelque motif que ce soit, le contrat Privilège se poursuit, et sauf signature d’un nouveau contrat, les colis clients ne seront plus collectés, et le client devra le cas échéant, effectuer ses dépôts directement [Localité 9] [Adresse 16]. L’administration fiscale observe que, pour contester l’attestation de l’administration, l’appelante communique uniquement un avenant, ni daté, ni signé qui serait applicable uniquement à compter du 01/09/2022 ; le contrat initial avec le détail de la prestation n’est pas communiqué.

Sur le centre décisionnel en France, l’administration réplique aux appelants que M.[R], au vu des pièces produites, ne communique qu’une attestation d’enregistrement datée du 12 novembre 2021, mais aucun document justifiant d’une présence régulière au Luxembourg.

Par ailleurs, l’administration fait observer tel qu’il ressort de la pièce 1 produite à l’appui de sa requête, que la société est engagée par la signature de son seul gérant unique. Il est donc soutenu que le juge a valablement retenu que la société 321 CBD SARL était présumée disposer de son centre décisionnel en France, en la personne de son gérant unique, [F] [R] domicilié en France.

Sur l’existence de moyens au Luxembourg, l’administration rappelle qu’elle n’a pas à démontrer que la société visée par les présomptions de fraude n’aurait pas les ressources nécessaires à l’exercice de son activité au Luxembourg, mais qu’il convient seulement de s’interroger s’il pouvait être présumé, au vu des éléments produits, que la société 321 CBD disposait sur le territoire français de moyens humains et matériels lui permettant de déployer une activité en France entrainant le respect d’obligations comptables et fiscales.

En l’espèce, il est soutenu qu’outre la présence de salariés résidents en France, il était relevé dans l’ordonnance que pour son activité la société 321 CBD :

– Utilisait le site cbd.fr devenu cbd.com, dont les conditions d’utilisation sont soumises au droit français, et qui pour numéro de contact renvoie à un numéro de téléphone français;

– a disposé de plusieurs lignes téléphoniques en FRANCE pour l’exploitation des sites internet www.famous-cbd.fr, www.magna- cbd.com, www.mega-market-cbd.com et www.wildgFasscbd.fr;

– déposait ses colis au bureau de poste situé en France.

L’administration relève en outre qu’il n’est communiqué que des factures de prestations comptables et administratives d’un cabinet d’expertise comptable luxembourgeois, n’établissant aucunement la prise de décisions depuis le Luxembourg.

S’agissant de la présence d’un entrepôt au Luxembourg, l’administration fait valoir qu’elle ne dispose d’aucune information quant à la surface et à la nature des activités réalisées dans ce lieu au Luxembourg, si ce n’est l’expédition des marchandises à destination de pays autres que la France.

Sur le respect par la société de ses obligations fiscales au Luxembourg, l’administration souligne qu’à la date du 09/03/2023, il n’apparaît aucun bilan déposé par la société 321 CBD SARL sur le site internet du registre du commerce luxembourgeois d’accès public www.lbr.lu depuis son immatriculation, ce qui permet de présumer que la société 321 CBD n’a pas rempli ses obligations fiscales au LUXEMBOURG. L’administration observe que l’appelante, s’agissant de la déclaration de résultat, ne produit qu’un compte de profits et pertes provisionnel pour l’année 2021 ; ce document sans date ne justifie aucunement de l’établissement et du dépôt des déclarations de résultat dans les délais requis.

Il est enfin observé qu’à la date du 4 juillet 2023, aucun compte annuel de la société n’est publié sur le Registre de commerce des sociétés officiel du Luxembourg (Pièce 3).

L’administration soutient donc que la société 321 CBD, qui dispose de son centre décisionnel en France, est susceptible de réaliser sur le territoire national tout ou partie de son activité, entrainant ainsi le respect d’obligations comptables et fiscales.

Sur ce, le magistrat délégué :

1) Sur la pertinence des pièces présentées au juge des libertés et de la détention par l’administration fiscale :

L’administration peut mettre en oeuvre l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales pour rechercher la preuve de la fraude d’un contribuable en se fondant sur des éléments régulièrement constatés par elle (Com., 9 juillet 2013, pourvoi n° 12-23.094).

Le moyen par lequel les appelants reprochent à l’administration d’avoir remis au juge des attestations établies par ses agents faisant état de la consultation de fichiers internes à l’administration ou de sites internet publics n’est pas fondé, dès lors qu’il est loisible à l’administration fiscale afin de mettre en oeuvre la procédure de visite domiciliaire prévue par l’article L. 16 B de se fonder sur des éléments régulièrement constatés par elle, notamment au moyen d’attestations sans méconnaître les dispositions de l’article 1363 du Code civil.

Le moyen sera écarté.

2) Sur les présomptions :

L’article L16 B du Livre des procédures fiscales, dans sa version en vigueur du 01 janvier 2020 au 31 décembre 2023, prévoit que :

I. ‘ Lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l’administration des impôts, ayant au moins le grade d’inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des finances publiques, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support.

Il convient au préalable de rappeler que l’article L.16 B du du livre des procédures fiscales n’exige que de simples présomptions de la commission de fraude, en particulier de ce qu’une société étrangère exploiterait un établissement stable en FRANCE en raison de l’activité duquel elle serait soumise aux obligations fiscales et comptables prévues par le code général des impôts en matière d’impôt sur les bénéfices et/ou de taxes sur le chiffre d’affaires (Cass. Com., 15 février 2023, n°20-20.599).

Il est de jurisprudence établie que la discussion sur l’application d’une convention fiscale entre la France et un autre pays ne relève pas du magistrat appelé à se prononcer sur l’autorisation de visite, mais du juge de l’impôt (Com., 26 juin 2012, pourvoi n° 11-21.047, Bull. 2012, IV, n° 136). De même, la discussion de l’existence d’un établissement stable en France relève du contentieux de l’impôt (Com., 29 juin 2010, pourvoi n° 09-15.706).

Il convient en outre de rappeler, comme indiqué précédemment, qu’à ce stade de l’enquête fiscale, en application des dispositions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, il n’y a pas lieu pour le juge des libertés et de la détention de déterminer si tous les éléments constitutifs des manquements recherchés étaient réunis, notamment l’élément intentionnel, mais, en l’espèce ce juge dans le cadre de ses attributions, ne devait rechercher que s’il existait des présomptions simples des agissements prohibés et recherchés (Cass. Com. 7 décembre 2010, n°10-10.923 ; Cass. Com. 15 février 2023, n°21-13.288).

Il convient enfin de souligner que, sauf pour les appelants à apporter la preuve de l’illicéité des pièces fournies par l’administration, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, qu’il est de jurisprudence constante qu’en se référant et en analysant les seuls éléments d’information fournis par l’administration, le juge apprécie souverainement l’existence des présomptions de fraude justifiant la mesure autorisée.

En l’espèce, s’agissant des éléments caractérisant l’existence de présomptions de la commission de fraude retenus par le juge des libertés et de la détention, la décision d’autorisation a procédé à une appréciation pertinente du dossier qui lui a été présenté et, par des motifs que cette juridiction fait siens, a justement décidé que les éléments ci-après étaient de nature à faire présumer que la société 321 CBD visée par l’ordonnance d’autorisation exercerait ou a exercé, depuis la FRANCE, tout ou partie de ses activités commerciales consistant dans l’exploitation d’un commerce notamment le commerce de compléments alimentaires tels que gélules, huiles et tisanes à base de CBD sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et ainsi, omettraient ou ont omis de passer les écritures comptables y afférentes :

– la société de droit luxembourgeois 321 CBD SARL, constituée le 18/12/2018, dirigée par [F] [R], en sa qualité de gérant et immatriculée sous le numéro B232323 auprès du Registre du Commerce et des Sociêtés du LUXEMBOURG, sise [Adresse 2] [Localité 17] à compter du 07/05/2020, ayant pour enseigne commerciale PURPLE STORE, déclare pour objet social l’exploitation d’un commerce notamment le commerce de compléments alimentaires tels que gélules, huiles et tisanes à base de CBD, tel qu’autorisé par la règlementation grand-ducal ;

– son capital social est détenu par [F] [R] et [Z] [T] à hauteur de 50 % des parts chacun. (Pièces 1, 2 et 5) ; [F] [R] déclarant résider fiscalement, au 1er janvier 2022, [Adresse 6] [Localité 8] (Pièce 6) et [Z] [T], [Adresse 3] [Localité 12]. (Pièce 4)

– dès lors, la société de droit luxembourgeois 321 CBD SARL, détenue intégralement par [Z] [T] et [F] [R], qui en est également le gérant, tous deux résidents de France, est présumée avoir son centre décisionnel en FRANCE ;

– selon l’application TTC, Traitement de la TVA intraCommunautaire, la société de droit luxembourgeois 321CBD SARL a déclaré en 2020, des livraisons de biens à hauteur de 1 815 243 euros, en 2021, des livraisons de biens à hauteur de 1 233 961 euros, en 2022, des livraisons de biens à hauteur de 1 872 896 euros et de prestations de services à hauteur de 783 232 euros (Pièce 30) ;

– à la date du 09/03/2023, il n’apparaît aucun bilan déposé par la société 321 CBD SARL sur le site internet du registre du commerce luxembourgeois d’accès public www.lbr.lu depuis son immatriculation. (Pièce 3) et que dès lors, la société de droit luxembourgeois 321 CBD SARL, qui a effectué des opérations de livraisons de biens et de services intracommunautaires de 2020 à 2022, est présumée ne pas remplir ses obligations fiscales au LUXEMBOURG ;

– les marques ‘321 cbd’ et ‘Purple Store’ ont été enregistrées comme marques françaises, respectivement les 08/06/2018 et 05/01/2021 auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle, I.N.P.I., et sont déposées par [Z] [T] (Pièce 7) ; les marques ‘ 321 cbd ‘et ‘ Purple Store ‘ n’ont fait l’objet d’aucune inscription sur le registre des marques de l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle, B.O.I.P. (Pièce 8) ;

– la société de droit luxembourgeois 321 CBD SARL, enseigne commerciale PURPLE STORE est ainsi détenue par [Z] [T] et [F] [R], et dirigée par ce dernier, tous deux résidents de FRANCE,

– la société de droit luxembourgeois 321 CBD SARL n’est pas répertoriée dans la base de données fiscales des professionnels, interne à la Direction Générate des Finances Publiques, sous réserve des données souscrites par voie électronique ou courrier qui ne seraient pas encore prises en compte au 03/03/2023,

– cette société exploite plusieurs sites internet de ventes de produits à base de CBD à destination d’une clientèle essentiellement française et utilisant des moyens matériels et humains situés en FRANCE,

– elle développe une activité de grossiste CBD et réalisant des livraisons intraCommunautaires à destination d’un grand nombre de sociétés françaises,

– elle détient majoritairement des filiales en FRANCE qui développent le commerce de CBD sous l’enseigne PURPLE STORE,

– elle posséde indirectement par le biais d’une SCI des biens immobiliers en FRANCE,

L’ensemble de ces éléments étaient donc de nature à également faire présumer que la société 321 CBD ,visée par l’ordonnance d’autorisation, exercerait ou a exercé, depuis la FRANCE, tout ou partie de ses activités commerciales consistant en une activité commerciale de vente de produits notamment à base de CBD sur le territoire national et y disposer de son centre décisionnel en les personnes de [F] [R] et [Z] [T], sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes et ainsi ne procéderait pas à la passation en FRANCE des écritures comptables correspondantes.

Le moyen sera rejeté.

L’ordonnance du juge de la libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris en date du 21 mars 2023 sera par suite confirmée.

SUR LE RECOURS (RG 23/06521) :

Les requérants soutiennent à titre principal que dès lors que les présomptions de fraude n’étaient pas établies, par suite l’ordonnance étant mal fondée et la mise en oeuvre des opérations de visite et de saisie doit également être remise en cause.

À titre subsidiaire, les requérants soulèvent l’irrégularité de la saisie de pièces intitulée ‘Certification et test d’analyse adressé 321 CBD ‘, soutenant que l’ordonnance n’autorisait que les saisies nécessitées par la recherche de la preuve des agissements présumés ainsi que la saisie des documents et des supports d’informations illustrant la fraude présumée. Ils en demandent la restitution (Pièce n°5).

Le Directeur général des finances publiques s’oppose à l’annulation de la saisie de cette pièce relative aux produits commercialisés par la société 321 CBD visée par les présomptions de fraude, et dès lors utile à la preuve des agissements présumés. En l’espèce, l’administration constate en outre qu’aucune pièce n’est communiquée.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il est de jurisprudence établie que les pièces précisément identifiées, dont la saisie est contestée, doivent être versées aux débats en expliquant les raisons pour chacune pour lesquelles ces documents sont sans lien avec l’enquête ou relèvent de la confidentialité s’attachant aux relations entre un avocat et son client, ce qui permet au juge saisi de statuer sur leur sort à la suite d’un examen précis et d’un contrôle concret de proportionnalité et, le cas échéant, d’ordonner leur restitution.

En l’espèce, il est constaté que les requérants ne produisent ni la pièce saisie cotée selon le procès-verbal n° 040 014 et 040 015, ni d’argumentaire motivé au soutien de leur demande d’annulation de sa saisie.

Le moyen sera donc écarté et la demande de restitution rejetée.

Par suite, les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées le 22 mars 2023 dans les locaux et dépendances sis [Adresse 11] [Localité 13] susceptibles d’être occupés par SIAMAS BIEN-ETRE SAS et/ou 321 CBD SARL et toute autre entité entretenant des liens juridiques avec SIAMAS BIEN-ETRE SAS seront déclarées régulières.

SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE :

Les circonstances de l’espèce et l’équité justifient qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice du Directeur Général des Finances Publiques, les appelants et Monsieur [L] [K] seront ainsi condamnés chacun au paiement de la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 23/06517 et RG 23/06521 et disons que l’instance se poursuivra sous le numéro RG le plus ancien, soit le numéro de RG 23/06517.

Confirmons l’ordonnance du 21 mars 2023 du juge des libertés et de détention du tribunal judiciaire de PARIS,

Déclarons régulières les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées le 22 mars 2023 dans les locaux et dépendances sis [Adresse 11] [Localité 13] susceptibles d’être occupés par SIAMAS BIEN-ETRE SAS et/ou 321 CBD SARL et toute autre entité entretenant des liens juridiques avec SIAMAS BIEN-ETRE SAS,

Condamnons la Société 321 CBD, société de droit luxembourgeois, Monsieur [F] [R], de Monsieur [Z] [T], Madame [I] [S], la société SIAMAS BIEN-ÊTRE SAS et Monsieur [L] [K] à payer au Directeur Général des Finances Publiques chacun la somme de TROIS CENT EUROS (300 euros),

Disons que les dépens seront mis à la charge de la Société 321 CBD, société de droit luxembourgeois, de Monsieur [F] [R], de Monsieur [Z] [T], de Madame [I] [S], de la société SIAMAS BIEN-ÊTRE SAS et de Monsieur [L] [K].

LE GREFFIER

Véronique COUVET

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

OLIVIER TELL


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