Dépendance économique : 31 janvier 2018 Cour de cassation Pourvoi n° 16-20.940

·

·

Dépendance économique : 31 janvier 2018 Cour de cassation Pourvoi n° 16-20.940

COMM.

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 31 janvier 2018

Rejet et cassation partielle

Mme RIFFAULT-SILK, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 74 F-D

Pourvoi n° S 16-20.940
U 16-23.564 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :

I – Statuant sur le pourvoi n° S 16-20.940 formé par :

1°/ la société Dal industries, société par actions simplifiée, dont le siège est […]                            ,

2°/ la société Strudal, société par actions simplifiée, dont le siège est […]                            ,

contre un arrêt rendu le 29 juin 2016 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Bouygues bâtiment international, anciennement dénommée Bouygues bâtiment, société par actions simplifiée, dont le siège est […]                                       ,
2°/ à la société Christophe X…  , société civile professionnelle, dont le siège est […]                                , prise en qualité de liquidateur de la société Etudes et préfabrication industrielle (EPI), venant aux droits de la SCP Y…   -X… , laquelle venait aux droits de M. Yves Y…,

défenderesses à la cassation ;

II – Statuant sur le pourvoi n° U 16-23.564 formé par la société Christophe X…  , société civile professionnelle, dont le siège est […]                              , agissant en qualité de liquidateur de la société Etudes et préfabrication industrielle (EPI),

contre le même arrêt rendu dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Dal industries, dont le siège est […] (Belgique),

2°/ à la société Strudal, société par actions simplifiée, dont le siège est […]                                ,

3°/ à la société Bouygues bâtiment international, société par actions simplifiée,

défenderesses à la cassation ;

Les demanderesses au pourvoi n° S 16-20.940 invoquent, à l’appui de leur recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi n° U 16-23.564 invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 5 décembre 2017, où étaient présents : Mme Riffault-Silk, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mme Orsini, conseiller, M. Graveline, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat des sociétés Dal industries et Strudal, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Bouygues bâtiment international, de la SCP Capron, avocat de la société Christophe X…, ès qualités, l’avis de M. Debacq, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Dal industries (la société Dal), société mère de la société Strudal, qui fabrique industriellement et vend des charpentes et des façades en béton, a conclu, le 10 décembre 2001, avec la société Bouygues bâtiment devenue Bouygues bâtiment international (la société Bouygues), un protocole d‘accord comportant en annexe un accord-cadre de sous-traitance par lequel la société Bouygues, d’une part, lui cédait le capital de sa filiale, la société Etudes et préfabrication industrielle (la société EPI), concurrent de la société Strudal, et, d’autre part, s’engageait, à compter du 1er janvier 2002, à confier ou faire confier par les sociétés du « groupe Bouygues » aux sociétés appartenant au « groupe Dal » un certain montant de chiffre d’affaires pendant quatre ans, à des conditions de prix convenues entre elles, la société Bouygues conservant la liberté de confier ou non un contrat de sous-traitance à ces sociétés ; que le 30 mars 2003, la société EPI a été mise en liquidation judiciaire ; que reprochant à la société Bouygues de ne pas exécuter l’accord-cadre de sous-traitance, les sociétés Dal, Strudal et le liquidateur de la société EPI l’ont assignée en dommages-intérêts pour non-respect de ses engagements contractuels et, subsidiairement, pour abus de dépendance économique et rupture brutale d’une relation commerciale établie ; que la société Bouygues a invoqué la caducité de l’accord-cadre ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° S 16- 20.940 :

Attendu que les sociétés Dal et Strudal font grief à l’arrêt du rejet de leurs demandes au titre du non-respect de l’accord-cadre alors, selon le moyen :

1°/ que le cocontractant qui s’engage, dans le cadre d’une obligation de moyens, à fournir à un sous-traitant des marchés et travaux pour un chiffre d’affaires moyen fixé doit, si cet objectif n’est pas atteint, rapporter la preuve que ce fait est survenu sans faute de sa part ; qu’en ayant mis à la charge du groupe Dal le soin de prouver que la société Bouygues n’avait pas mis tout en oeuvre pour remplir l’engagement qu’elle avait pris dans l’accord-cadre de sous-traitance, quand il incombait à cette dernière qui avait promis à sa cocontractante un volume d’affaires annuel moyen dans les conditions du bordereau de prix liant les parties, d’établir qu’elle avait tout mis en oeuvre pour satisfaire à son engagement, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;

2°/ que le cocontractant qui s’engage à fournir un volume d’affaires moyen annuel à son partenaire doit établir, si cet objectif n’est pas atteint, que ce fait est survenu sans faute de sa part ; qu’ayant constaté que le groupe Bouygues avait les moyens, s’il le voulait, de satisfaire à son engagement et qu’il connaissait les capacités du groupe Dal de répondre à des appels d’offres, sans en déduire que la société Bouygues avait manqué à son engagement contractuel, aucun aléa de prix ne pouvant le justifier puisqu’ils étaient fixés dans un bordereau impératif, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;

3°/ qu’une obligation de moyens constitue un véritable engagement contractuel ; qu’en ayant, de fait, ôté tout caractère contraignant à l’obligation de moyens qu’elle avait caractérisée à la charge de la société Bouygues et qui consistait à apporter ses meilleurs soins à ce que le groupe Dal réalise, pendant quatre ans, un chiffre d’affaires annuel de 80 millions de frs, ce qui impliquait (en tout cas jusqu’à ce que cet objectif annuel soit rempli) qu’il soit consulté systématiquement sur les marchés rentrant dans le cadre de l’accord et que les offres du sous-traitant soient acceptées, dès lors qu’elles satisfaisaient aux prix fixés dans le bordereau de prix impératif et peu important que des offres de tiers soient moins disantes, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;

4°/ que la promesse de fournir un volume d’affaires moyen annuel à un sous-traitant engage le donneur d’ordres ; qu’ayant constaté que le bordereau de prix était impératif, pour ensuite dégager la société Bouygues de toute obligation de consulter et de confier au groupe Dal des marchés correspondant à ce bordereau de prix, sous prétexte que des tiers étaient moins disants, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;

5°/ que la promesse de consulter un sous-traitant et de lui confier des marchés, jusqu’à un certain volume d’affaires, pourvu que le sous-traitant respecte un bordereau de prix impératif, engage le donneur d’ordres ; qu’en ayant dégagé la société Bouygues de toute obligation à cet égard, prétexte pris de ce que le groupe Dal n’avait pas établi que les marchés listés en page 55 de ses conclusions avaient été confiés à des tiers aux prix du bordereau, quand ce qui était reproché à la société Bouygues, c’était précisément de ne pas les avoir proposés et confiés au groupe Dal aux prix – même plus chers – du bordereau, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté qu’il résultait des termes mêmes du protocole et de l’accord-cadre que les parties s’étaient mises d’accord sur un engagement réciproque de sous-traitance sous forme d’une obligation de moyen, et relevé que ces accords traduisaient la conscience qu’avaient les parties des variations du marché et de l’impossibilité de prévoir un chiffre d’affaires égal chaque année, de sorte qu’il s’agissait d’un objectif moyen dénué de sanction, l’arrêt relève que l’article 3 de l’accord-cadre ne faisait pas obligation à la société Bouygues de consulter systématiquement la société Dal pour tout appel d’offres, tout particulièrement lorsque ses prix étaient plus élevés, et que cette dernière ne rapporte pas la preuve que les marchés pour lesquels elle n’avait pas été consultée avaient été confiés à d’autres sous-traitants au prix de l’accord-cadre ; qu’il relève encore que les conditions du marché ont constitué un aléa, la société Dal reconnaissant qu’en cas d’offre concurrente moins-disante, la société Bouygues avait le choix de retenir ou non son offre, justifiant que des marchés aient pu être confiés à des sociétés proposant des prix inférieurs et que les sociétés du groupe Dal aient pu accepter, pour obtenir des marchés, des prix inférieurs, afin de s‘adapter aux prix du marché et à la concurrence ; qu’il ajoute que, par une note interne et un courrier électronique adressés à leurs collaborateurs, la société Bouygues et ses filiales avaient rappelé les termes de l’accord-cadre et la nécessité d’un suivi, afin de vérifier que les engagements pris étaient tenus, et avaient donné des instructions à cette fin ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu retenir qu’il n’était pas établi que la société Bouygues avait manqué à ses obligations ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de ce pourvoi :

Attendu que les sociétés Dal et Strudal font grief à l’arrêt du rejet de leurs demandes au titre de l’abus de dépendance économique alors, selon le moyen :

1°/ que l’abus de dépendance économique est caractérisé, lorsqu’un cocontractant impose à son partenaire des prix inférieurs à ce qui avait été convenu entre eux ; qu’en ayant déchargé la société Bouygues de toute responsabilité, au titre des prix, inférieurs au bordereau de prix impératif conclu entre eux, qu’elle avait imposés au groupe Dal, prétexte pris de ce que l’accord-cadre de 2001 aurait été négocié dans des conditions loyales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;

2°/ que l’abus de dépendance économique ne nécessite pas que la preuve d’une menace ou d’une pression soit rapportée ; qu’en ayant débouté les sociétés Dal et Strudal de leur demande présentée au titre de l’abus de dépendance économique subi par le groupe Dal, au motif que la preuve d’une menace ou d’une pression subie n’était pas rapportée, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x