Dépendance économique : 20 juillet 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 22/00144

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Dépendance économique : 20 juillet 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 22/00144

OM/CH

[T] [U]

C/

S.A.S. ERDE

S.A.S.U. ERDE EXPERT

S.A.R.L. DMP

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 20 JUILLET 2023

MINUTE N°

N° RG 22/00144 – N° Portalis DBVF-V-B7G-F4NB

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, décision attaquée en date du 07 Février 2022, enregistrée sous le n° 19/00779

APPELANT :

[T] [U]

[Adresse 7]

[Localité 2]

représenté par Me Clémence MATHIEU de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Véronique PARENTY-BAUT, avocat au barreau de DIJON, et Me Pierre FRONTON, avocat au barreau de LYON substitué par Me Bénédicte PANET, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES :

S.A.S. ERDE

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Elsa GOULLERET de la SELARL ESTEVE GOULLERET NICOLLE & ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

S.A.S.U. ERDE EXPERT

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Elsa GOULLERET de la SELARL ESTEVE GOULLERET NICOLLE & ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

S.A.R.L. DMP

[Adresse 8]

[Localité 4]

représentée par Me Elsa GOULLERET de la SELARL ESTEVE GOULLERET NICOLLE & ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 Juin 2023 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [U] (le salarié) a été engagé le 2 février 2015 par contrat à durée indéterminée en qualité de responsable des ventes, statut cadre, par la société ERDE (l’employeur).

Il a été licencié le 17 septembre 2019 pour faute grave.

La société DMP est la société mère des sociétés ERDE et ERDE expert (créée le 11 octobre 2016).

Estimant ce licenciement nul, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 7 février 2022, a rejeté toutes ses demandes et l’a condamné à rembourser un paiement indu.

Le salarié a interjeté appel le 17 février 2022.

Il demande l’infirmation du jugement, soutient que les trois sociétés précitées sont des co-employeurs et réclame le paiement à ces trois sociétés, des sommes de :

– 136 279,30 euros de rappel de rémunération variable sur l’exercice 2016/2017,

– 13 627,93 euros de congés payés afférents,

– 96 466,39 euros de rappel de rémunération variable sur l’exercice 2017/2018,

– 9 646,64 euros de congés payés afférents,

– 115 495, 27 euros de rappel de rémunération variable sur l’exercice 2018/2019,

– 11 549,52 euros de congés payés afférents,

– 103 268,56 euros de rappel de rémunération variable sur l’exercice 2019/2020,

– 10 326,85 euros de congés payés afférents,

– 60 000 euros de rappel de rémunération variable au titre des marges sur l’exercice 2017/2018,

– 6 000 euros de congés payés afférents,

– 66 126 euros de rappel de rémunération variable au titre des marges sur l’exercice 2018/2019,

– 6 612 euros de congés payés afférents,

– 69 080 euros de rappel de rémunération variable au titre des marges sur l’exercice 2019/2020,

– 6 908 euros de congés payés afférents,

– 842,38 euros de rappel d’heures supplémentaires,

– 84,23 euros de congés payés afférents ,

– 10 341,29 euros de rappel de salaire pour la période de mise à pied ou, à titre subsidiaire, 3 125 euros,

– 1 034,12 euros de congés payés afférents ou, à titre subsidiaire, 312,50 euros,

– 124 095,48 euros d’indemnité pour travail dissimulé ou, à titre subsidiaire, 37 500 euros,

– 30 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 30 000 euros de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,

– 10 000 euros de dommages et intérêts pour discrimination et non-respect des règles relatives au congé parental,

– 62 047,74 euros d’indemnité de préavis ou, à titre subsidiaire, 18 750 euros,

– 6 204,77 euros de congés payés afférents ou, à titre subsidiaire, 1 875 euros,

– 206 825,80 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire, 62 500 euros,

A titre subsidiaire :

– 124 095,48 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

ou, à titre subsidiaire, 37 500 euros,

en tout état de cause :

– les intérêts au taux légal,

– 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’employeur conclut à l’irrecevabilité de certaines demandes comme étant nouvelles à hauteur d’appel, la confirmation du jugement et sollicite le paiement de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés ERDE expert et DMP demandent, chacune, 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 10 août 2022 et 3 mai 2023.

MOTIFS :

Sur la recevabilité de certaines demandes devant la cour d’appel :

L’article 564 du code de procédure civile dispose que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, sauf exceptions.

En l’espèce, l’employeur relève que le salarié forme pour la première fois des demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour violation des obligations de prévention et de sécurité et pour discrimination et non-respect des règles relatives au congé parental.

Il indique, également, que le salarié demande un rappel de rémunération variable pour l’exercice 2019/2020, non réclamé en première instance, et alors qu’il a quitté l’entreprise le 17 septembre 2019.

Le salarié répond que ces demandes sont recevables.

Il sera relevé que la demande de rémunération variable pour l’exercice 2019/2020 tend aux mêmes fins que les demandes formulées en première instance pour les exercices antérieurs, de sorte qu’elle est recevable en application des dispositions de l’article 565 du code précité.

Les demandes portant sur l’indemnisation de la violation alléguée de l’obligation de sécurité et pour discrimination et non-respect des règles relatives au congé parental sont nouvelles en appel.

Elles ne sont pas le complément nécessaire ni l’accessoire de la demande de nullité du licenciement formée devant le conseil de prud’hommes dès lors qu’étaient invoqués un harcèlement moral et une atteinte à la liberté d’expression.

Elles ne constituent pas plus des demandes tendant à la même fin que la demande en nullité du licenciement.

Elles sont donc irrecevables devant la cour.

Sur l’indemnisation au titre du harcèlement moral, le salarié n’a pas réclamé de dommages et intérêts à ce titre en première instance.

Cette demande nouvelle devant la cour d’appel est le complément nécessaire de cette demande en nullité, même si l’indemnité de ce préjudice est autonome et peut être obtenue indépendamment de la nullité du licenciement ou de l’indemnité de celui-ci en l’absence de cause réelle et sérieuse.

En effet, le harcèlement moral était invoqué à l’appui de la nullité du licenciement.

Cette demande sera donc déclarée recevable devant la cour d’appel.

Sur le co-emploi :

1°) Le co-emploi se traduit par une immixtion permanente de la société mère dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie et d’action de cette dernière.

C’est à celui qui l’invoque de le prouver lequel doit mettre en évidence qu’au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, que la société employeur a perdu tout client propre et se trouve sous la totale dépendance économique de la société mère, laquelle lui sous-traite et organise elle-même son activité, que ses dirigeants ont perdu tout pouvoir décisionnel, que la société mère s’est substituée à sa filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives et assure également sa gestion financière et comptable.

En l’espèce, le salarié indique qu’il travaillait pour les sociétés DMP et ERDE et, à partir du transfert de l’activité remorques à destination des professionnels à la société ERDE expert, pour cette dernière.

Il se prévaut d’un organigramme des sociétés, de la présentation du groupe en 2017 selon un dossier de presse et des attestations de MM. [Y], [V], [Z], [I], [L] et de Mme [A] qui précisent que le salarié travaillait pour les deux sociétés ERDE et ERDE expert.

Il ajoute que M. [H], directeur général de ERDE expert, était son supérieur hiérarchique et non Mme [N], devenue directrice générale de ERDE le 24 mars 2017.

M. [H] a été nommé directeur général de la société ERDE que par décision de l’assemblée générale du 28 août 2018, déposée au greffe le 14 décembre 2019.

Il précise que M. [R] était président des sociétés ERDE et DMP, cette dernière présidant la société ERDE expert.

Il conclut qu’il existe une confusion de direction, d’activité et d’intérêts.

L’employeur et les sociétés DPM et ERDE expert répondent que M. [H] a été nommé au poste de directeur général le 28 août 2018, que seul M. [E] donnait des consignes au salarié et que M. [H] n’est intervenu qu’après le retour du salarié de congé parental et alors que M. [E] n’était plus salarié de l’entreprise.

Ils précisent que la création de la société ERDE expert présentait des risques, d’où la mise de prestations administratives et commerciales facturées à cette société par la société ERDE et une aide de la société holding.

Il est aussi rappelé que la société ERDE expert a recruté des salariés en production et que les commerciaux de la société ERDE ont contribué à la commercialisation des remorques qu’elle fabriquait.

Cependant, le salarié échoue à démontrer une immixtion permanente de la société DPM ou encore de la société ERDE à l’encontre de la société ERDE expert, l’aide procurée à cette dernière en début d’activité ne traduisant pas un co-emploi comme défini ci-avant, peu important la date de nomination de M. [H] ou encore l’activité exercée par le salarié au bénéfice de la société ERDE expert selon les attestations produites.

La notion de co-emploi ne sera pas retenue et le jugement sera confirmé sur ce point.

2°) En application de l’article L. 8221-5 du code du travail, il incombe au salarié qui demande l’application des dispositions de l’article L. 8223-1 du même code, de démontrer que l’employeur s’est intentionnellement soustrait aux obligations rappelées à l’article L. 8221-5.

Le salarié déduit du co-emploi qu’il invoque, un travail dissimulé permettant d’obtenir une indemnisation.

Toutefois, dès lors que la notion de co-emploi n’a pas été retenue et en l’absence d’élément intentionnel démontré, cette demande ne peut prospérer, ce qui implique la confirmation du jugement à ce titre.

Sur les rappels de rémunération :

1°) Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, le salarié soutient que des heures supplémentaires ne lui ont pas été réglées. Il produit comme éléments un planning et des fiches kilométrage par semaine pour l’année 2018, d’où un calcul établi à hauteur de 8 heures supplémentaires les semaines 26, 27 et 28 et 1,5 heures la semaine 29, soit une somme de 842,38 euros.

L’employeur rappelle qu’il avait été demandé au salarié sur la période du 26 juin au 31 juillet de visiter les magasins Feu vert et qu’il lui appartenait d’effectuer ses déplacements de façon rationnelle, qu’il ne lui a pas demandé de réaliser de telles heures et que la nature de la tâche impliquait une auto-déclaration des heures supplémentaires.

Il sera relevé que le salarié présente des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre, alors qu’il lui incombe de comptabiliser les heures de travail effectuées par le salarié et au besoin de vérifier les déclarations faites à ce titre.

Par ailleurs, si le salarié était libre d’organiser son travail faut-il encore que la tâche à accomplir dans le délai fixé lui permette de réaliser les visites des magasins concernés.

De plus, l’accomplissement de cette tâche impliquait de parcourir de nombreux kilomètres ce qui justifie la réalisation des heures supplémentaires.

La demande de rappel de rémunération sera donc accueillie à hauteur du montant réclamé, outre les congés payés afférents, ce qui entraîne l’infirmation du jugement.

2°) Le salarié demande des rappels de rémunération variable sur les quatre exercices de 2016 à 2020.

Il rappelle qu’en plus d’une rémunération fixe, il devait percevoir une rémunération variable brute annuelle calculée sur le chiffre d’affaires des ventes de remorques, soit 5 000 euros si le chiffre d’affaires atteint 10 500 K€, 10 000 euros s’il atteint 11 900 K€.

Si ce chiffre d’affaires se situe entre 10 500 et 11 900 K€, il est prévu une somme de 5 000 euros augmentée de 2 % de la différence entre le CA réalisé et le montant de 10 500 K€.

Si le CA dépasse 11 900 K€, la somme de 10 000 euro sera augmentée de 3 % de l’excédent du montant du CA sur la somme de 11 900 K€.

L’avenant du 2 février 2015 prévoit que cette rémunération varie chaque année en fonction des objectifs et, à défaut, un maintien de celle-ci.

Il indique avoir demandé à plusieurs reprises le paiement dû et que l’employeur a procédé à une fraude de ses droits en transférant l’activité de la société DMP, qui avait ajouté en 2014 à son activité de holding une activité de vente de remorques, à la société ERDE expert créée le 1er novembre 2016 et qui a repris cette activité de vente, d’où une baisse du CA qui est passé de 3 418 376 euros en 2016 à 243 400 euros en 2018.

Il ajoute que la société DMP est l’unique actionnaire de la société ERDE expert et que le constat d’huissier du 24 janvier 2020 permet de constater que l’on retrouve les mêmes photos sur le site des deux sociétés et que le propriétaire du site de ERDE expert est la société ERDE.

Enfin, il se reporte aux attestations précitées pour établir que les salariés de la société ERDE travaillait pour ERDE expert qui s’est substituée à DMP pour l’activité de vente de remorques.

L’employeur indique que l’avenant du 28 avril 2016 a modifié la rémunération variable qui est revue chaque année en fonction des objectifs et, à défaut, est maintenue.

Il précise que les seuils d’obtention de rémunération sont assis sur les chiffres d’affaires des sociétés ERDE et DMP.

Il rappelle que l’activité de vente de remorques effectuée par la société DMP était en phase de développement et que la société ERDE expert a été créée fin 2016 et que son activité était, à son tour, en plein développement.

Il souligne que les objectifs 2017/2018 ont été discutés et fixés mais sans signer d’avenant, d’où un maintien de la rémunération par rapport à l’exercice précédent.

Enfin, l’employeur affirme que cette rémunération ne peut avoir pour assiette les CA de la société ERDE expert et que les sommes demandées sont excessives au regard des données comptables fournies qui permettent, selon lui, de retenir un paiement de 23 023 euros sur l’exercice 2016/2017, 0 euros en 2017/2018, alors qu’il a perçu les sommes de 11 393 euros et 10 099 euros au titre de la rémunération sur les marges brutes, d’où un indu de 1 531 euros.

Pour l’exercice 2018/2019, il est noté que le salarié a été absent pour congé parental pendant 10 mois et demi de l’exercice et que la rémunération variable s’acquiert au prorata du temps de présence dans l’entreprise.

Pour l’exercice 2019/2020, il est rappelé que le salarié a été licencié le 17 septembre 2019, soit au début de l’exercice, et qu’à cette date aucun objectif n’avait été défini ni atteint par référence aux objectifs antérieurs.

Il convient de relever que les parties s’accordent sur les conditions de cette rémunération et qu’elle était calculée en fonction des chiffres d’affaires des sociétés ERDE et DMP.

La société ERDE expert a été créée en cours d’exercice 2016/2017 et a repris l’activité de vente des remorques de la société DMP au regard des attestations produites et des chiffres d’affaires corrélatifs de ces deux sociétés, la société holding souhaitant se séparer de cette activité, qu’elle avait initiée, au profit de la société ERDE expert.

Si le contrat de travail du salarié n’a pas été modifié sur ce point, force est de constater qu’il continuait à travailler pour développer cette activité et le simple transfert à une autre société ne peut avoir pour effet, sauf fraude, de le priver d’une partie de sa rémunération calculée sur l’activité de la société DMP, qui n’était pas son employeur.

Il en résulte que nonobstant l’absence d’avenant ou de fixation d’objectifs pour certains exercices, une rémunération est due.

Toutefois, dans son calcul, le salarié se borne à additionner les chiffres d’affaires des trois sociétés sur les quatre exercices ce qui est erroné puisque l’activité de la société DMP qui servait d’assiette a été transférée à la société ERDE expert, de sorte que le chiffre d’affaires de la société DMP n’a plus à être pris en compte après l’exercice 2016/2017.

Pour l’exercice 2016/2017, le salarié ne peut pas tenir compte des chiffres d’affaires des trois sociétés, puisque la société ERDE expert s’est substituée, à compter de novembre 2016, à la société DMP.

Le montant sera donc évalué en tenant compte du chiffre d’affaires de DMP sur deux mois puis celui de ERDE expert sur 10 mois, d’où un rappel de rémunération de 10 328,58 euros et 1 032,85 euros de congés payés, au regard de la somme de 23 023 euros déjà payée.

Pour l’exercice 2017/2018, il convient de rappeler que lorsqu’une prime constitue la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité, elle s’acquiert au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise au cours de l’exercice, peu important l’absence d’usage ou de convention spécifique.

Ici, le salarié a été absent pour congé parental pendant 10,5 mois, ce qui implique qu’il a acquis un rappel à ce titre pour 1,5 mois.

Au regard des chiffres d’affaires des sociétés ERDE et ERDE expert, la rémunération sera évaluée à 11 147,04 euros et 1 114,70 euros de congés payés afférents.

Pour l’exercice 2018/2019 et en suivant le même raisonnement, le rappel sera évalué à 113 806,27 euros et 11 380,62 euros de congés payés.

Pour l’exercice 2019/2020, et au regard du licenciement prononcé le 17 septembre mais avec un effet de la rupture à l’expiration du préavis de trois mois, soit le 17 décembre 2019, le rappel sera évalué à 28 334,99 euros et 2 833,50 euros de congés payés afférents.

3°) Le salarié demande des rappels de rémunération variable brute annuelle sur les trois exercices de 2017 à 2020.

Il rappelle qu’en plus d’une rémunération fixe, il devait percevoir une rémunération variable brute annuelle chiffrée à 10 000 euros si le total des marges brutes atteint 4 000 000 euros, 20 000 euros s’il atteint 4 500 000 K€.

Si ce total se situe entre 4 000 000 et 4 500 000 euros, il est prévu une somme de 10 000 euros augmentée de 1 % de la différence entre des marges réalisées et le montant de 4 000 000 euros.

Si le total dépasse 4 500 000 euros, la somme de 20 000 euros sera augmentée de 2 % de l’excédent du total des marges réalisées et le montant de 4 500 000 euros.

Le salarié reprend les mêmes moyens que pour la rémunération visée au 2°).

Au regard de la motivation qui précède, le montant des rappels sera évalué au prorata du temps de présence dans l’entreprise et en tenant compte des seuls chiffres d’affaires des sociétés ERDE et ERDE expert après transfert de l’activité de vente des remorques de DMP à ERDE expert.

Pour l’exercice 2017/2018 : 7 250 euros et 725 euros de congés payés afférents,

pour l’exercice 2018/2019 : 65 000 euros et 6 500 euros de congés payés afférents,

Pour l’exercice 2019/2020 : 18 958,32 euros et 1 895,83 euros de congés payés afférents.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a rejeté ces demandes.

Sur le licenciement :

En l’espèce, le salarié demande la nullité du licenciement en raison d’un harcèlement moral et d’une atteinte à une liberté fondamentale, soit la liberté d’expression.

A titre subsidiaire, il conteste la faute grave reprochée.

1°) En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Ici, le salarié indique que dès sa demande à bénéficier d’un congé parental, ses conditions de travail se sont dégradées.

Il se reporte à quatre mails, à une main courante et à une attestation d’un médecin généraliste, outre d’autres éléments qui émanent de lui-même.

Il sera relevé que le mail de Mme [C] ne permet pas de relever que celle-ci constate que le salarié est choqué.

De même, il n’est pas établi que M. [H] s’est rendu aux abords du domicile du salarié pour le surveiller ou le poursuivre mais seulement en raison de ses déplacements professionnels.

Le fait de recevoir le salarié à son retour de congé parental n’est pas pertinent alors que les parties s’opposent sur le compte-rendu de cet entretien.

La reprise du véhicule de fonction le 6 septembre 2019 est concomitante à la fin de mission de déplacement chez certains clients, alors que ce véhicule lui a été confié en juin 2019, à son retour de congé parental et afin de préparer ce retour consistant à examiner sur le terrain les points de vente du réseau Feu vert.

Par ailleurs, les mails des 26 août et 3 septembre émanant de M. [H] ne traduisent pas de pression mais s’inscrivent dans une démarche de rupture conventionnelle à laquelle le salarié n’était pas opposé.

Enfin, le certificat médical ne repose que sur les déclarations du patient et non sur des constatations du médecin.

Il résulte que ces éléments, pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l’existence d’un harcèlement moral.

La demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral sera donc rejetée.

2°) Le salarié avance également une violation de la liberté d’expression en ce que son conseil a dénoncé des faits délictueux au regard du comportement allégué de M. [H] à son encontre.

Le salarié se reporte aux mêmes éléments que ceux produits à l’appui de sa demande pour nullité du licenciement en raison d’un harcèlement moral mais aussi aux attestations de Mme [A] et MM. [Y] et [V] qui font état du caractère sanguin de M. [H].

Ces éléments ne traduisent aucunement une atteinte à la liberté d’expression du salarié dans et en dehors de l’entreprise, dès lors que celui-ci, par l’intermédiaire de son conseil, a exprimé son opinion sur la situation et que l’employeur est libre d’y répondre ou non.

3°) Il appartient à l’employeur qui s’en prévaut à l’appui du licenciement de démontrer la faute grave alléguée.

La lettre de licenciement reproche au salarié une faute grave.

Il est reproché au salarié d’avoir prêté, de façon mensongère, des propos grossiers et insultants de M. [H] au salarié, l’insultant et le dénigrant par des imputations diffamatoires dans un contexte où le salarié souhaitait quitter la société.

Il lui est, également reproché, d’avoir menti en disant qu’il occupait les fonctions de directeur commercial.

Plus précisément, il est fait grief au salarié d’avoir soutenu que M. [H] lui aurait dit : « Je vous demande ce que cela fait quand vous vous regardez dans le miroir. Voir un trou du cul ou un connard ! ».

Le salarié répond qu’il s’est contenté de relater, à son conseil, les propos que M. [H] avait tenus à son encontre et que ce dernier lui a aussi dit : « prenez en mains vos couilles et quittez la société » et encore : « Si vous ne voulez pas partir, on va vous faire faire le tour de France, deux fois, trois fois et plus pour faire les questionnaires de satisfaction ».

Il en résulte qu’aucun témoin extérieur à l’entretien ne peut rapporter ce qui a été dit entre les deux hommes et que le doute doit profiter au salarié.

Sur le mensonge reproché au salarié quant à sa qualité de directeur commercial, le salarié soulève la prescription en indiquant que les faits ne peuvent que remonter à 2018, antérieurs à son congé parental et alors qu’à son retour en juin 2019, il n’a été affecté qu’à la mission concernant le client Feu vert.

L’article L. 1332-4 du code du travail dispose que : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales ».

Ce délai commence à courir dès lors que l’employeur a eu connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits.

L’employeur peut prendre en compte de faits antérieurs de deux mois à la sanction, s’il s’agit de comportement se poursuivant dans ce délai.

Ici, l’employeur ne précise pas de date mais se contente de rappeler que le salarié connaissait ses fonctions et que le poste de directeur commercial a été occupé successivement par MM. [K], [R] et [H].

De même, il n’est pas établi que ce grief a perduré entre la période de juin à septembre 2019, de sorte qu’il est prescrit.

Au surplus, ce grief ne permet pas de caractériser une faute grave ni une cause réelle et sérieuse de licenciement au regard des circonstances du retour du salarié après son congé parental et des démarches commerciales qu’il effectuait.

En conséquence, le licenciement ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

4°) Le salarié est fondé à obtenir le remboursement du salaire retenu pendant la période de mise à pied, sans qu’il y ait lieu à reconstitution du salaire, soit les sommes de 3 125 euros et 312,50 euros de congés payés.

5°) Au regard des rappels de rémunération accordés, l’indemnité compensatrice de préavis, équivalente à trois mois de salaire, sera évaluée à 30 600 euros et 3 060 euros de congés payés afférents.

En application du barème prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail, d’une ancienneté de quatre années entières et d’un salaire mensuel moyen de 7 095 euros (au regard des bulletins de salaire produits et des rappels de salaire accordés), le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera évalué à 22 000 euros.

Sur les autres demandes :

1°) Les sommes accordées au salarié produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire.

2°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’employeur et le condamne à payer au salarié la somme de 1 500 euros.

Les demandes des sociétés ERDE expert et DMP, en application de l’article 700 précité, seront rejetées.

L’employeur supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :

– Déclare irrecevables, devant la cour d’appel, les demandes nouvelles de M. [U] en paiement de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et de prévention et pour discrimination et non-respect des règles relatives au congé parental ;

– Déclare recevables, devant la cour d’appel, les demandes de M. [U] portant sur le paiement d’un rappel de rémunération variable pour l’exercice 2019/2020 et en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

– Infirme le jugement du 7 février 2022 sauf en ce qu’il rejette les demandes de M. [U] en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé et tendant à voir établir une situation de co-emploi entre les sociétés ERDE, ERDE expert et DMP ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

– Dit que le licenciement de M. [U] est sans cause réelle et sérieuse ;

– Condamne la société ERDE à payer à M. [U] les sommes de :

* 10 328,58 euros de rappel de rémunération variable sur l’exercice 2016/2017,

* 1 032,85 euros de congés payés afférents,

* 11 147,04 euros de rappel de rémunération variable sur l’exercice 2017/2018,

* 1 114,70 euros de congés payés afférents,

* 113 806,27 euros de rappel de rémunération variable sur l’exercice 2018/2019,

* 11 380,62 euros de congés payés afférents,

* 28 334,99 euros de rappel de rémunération variable sur l’exercice 2019/2020,

* 2 833,50 euros de congés payés afférents,

* 7 250 euros de rappel de rémunération variable au titre des marges sur l’exercice 2017/2018,

* 725 euros de congés payés afférents,

* 65 000 euros de rappel de rémunération variable au titre des marges sur l’exercice 2018/2019,

* 6 500 euros de congés payés afférents,

* 18 958,32 euros de rappel de rémunération variable au titre des marges sur l’exercice 2019/2020,

* 1 895,83 euros de congés payés afférents,

* 842,38 euros de rappel d’heures supplémentaires,

* 84,23 euros de congés payés afférents,

* 3 125 euros de rappel de salaire pour la période de mise à pied,

* 312,50 euros de congés payés afférents,

* 30 600 euros d’indemnité de préavis,

* 3 060 euros de congés payés afférents,

* 22 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la société ERDE devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire ;

Y ajoutant :

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société ERDE et la condamne à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros ;

– Rejette les autres demandes des sociétés ERDE expert et DMP et de M. [U] ;

– Condamne la société ERDE aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION

 


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