Dépendance économique : 14 février 2019 Cour d’appel de Pau RG n° 18/03012

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Dépendance économique : 14 février 2019 Cour d’appel de Pau RG n° 18/03012

DT/CD

Numéro 19/0649

COUR D’APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 14/02/2019

Dossier : N° RG 18/03012 –

N° Portalis DBVV-V-B7C-

HAYV

Nature affaire :

Demande de requalification du contrat de travail

Affaire :

[V] [F]

C/

SARL BORDEAUX AND BEYOND

Grosse délivrée le

à

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 14 Février 2019, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 21 Novembre 2018, devant :

Madame THEATE, Président

Madame NICOLAS, Conseiller

Madame DIXIMIER, Conseiller

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [V] [F]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

Représentée par Maître DUALE de la SCP DUALE-LIGNEY-MADAR-DANGUY, avocat au barreau de PAU et de la SELARL DARMENDRAIL/SANTI, avocats au barreau de PAU

INTIMÉE :

SARL BORDEAUX AND BEYOND

prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 3]

[Adresse 4]

Représentée par la SCP LONGIN/MARIOL, avocats au barreau de PAU et la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocats au barreau de PAU

sur appel de la décision

en date du 10 SEPTEMBRE 2018

rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE PAU

RG numéro : F 17/00148

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SARL BORDEAUX and BEYOND est une agence immobilière spécialisée dans la recherche et la vente de propriétés d’exception en France pour une clientèle d’origine anglo-saxonne. Elle a conclu avec Madame [V] [F] un contrat d’agent commercial, qualifié de mandat d’intérêt commun, à une date indéterminée mais prenant effet au 10 novembre 2010.

Madame [V] [F] exerçait son activité au sein d’une agence implantée à [Localité 1] de Béarn dont elle a assuré les fonctions d”office manager’ à compter de 2014.

Ce contrat a été résilié par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 24 janvier 2017, par la SARL BORDEAUX and BEYOND, pour faute grave de Madame [V] [F].

Le 24 mai 2017, Madame [V] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Pau, section encadrement, pour faire juger que la convention qui la liait à la SARL BORDEAUX and BEYOND était un contrat de travail et obtenir la condamnation de la défenderesse au paiement des créances salariales et indemnitaires découlant de cette qualification.

La tentative de conciliation ayant échoué l’affaire a été renvoyée devant la formation de jugement. Madame [V] [F] a maintenu ses demandes initiales.

La SARL BORDEAUX and BEYOND a conclu à l’incompétence de la juridiction saisie, au rejet des prétentions de la demanderesse et subsidiairement, au débouté de Madame [V] [F] de l’intégralité de ses prétentions.

Par jugement du 10 septembre 2018, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, le conseil de prud’hommes de Pau, section encadrement, statuant en formation paritaire, s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes dont il avait été saisi et a renvoyé l’affaire et les parties devant le tribunal de commerce de Pau, en laissant les dépens à la charge de Madame [V] [F].

**************

Conformément aux dispositions de l’article 84 du code de procédure civile, l’avocat de cette dernière a, par requête du 20 septembre 2018, saisi le premier président ou son délégataire pour être autorisé à assigner la partie adverse à une audience déterminée afin qu’il soit débattu de la compétence.

Par ordonnance du 1er octobre 2018, cette audience a été fixée au 21 novembre 2018.

**************

Par conclusions transmises par voie dématérialisée le 21 septembre 2018, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [V] [F] demande à la cour d’infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau :

* de dire le conseil de prud’hommes, matériellement et territorialement compétent ;

* d’évoquer et de statuer au fond sur la totalité des demandes ;

* de rejeter tout éventuel appel incident et toute demande reconventionnelle ;

* de juger que Madame [V] [F] a la qualité de salariée ;

* de requalifier en conséquence, le contrat d’agent commercial en contrat à durée indéterminée ;

* d’ordonner sous astreinte de 100 € par jour, l’émission des fiches de paie de novembre 2010 à janvier 2017 ;

* de se réserver la faculté de liquider l’astreinte ;

* de condamner la SARL BORDEAUX and BEYOND à lui payer les sommes suivantes :

33.622,99 € d’indemnité spéciale pour travail dissimulé ;

122.464,80 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de cotisation chômage ;

25.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de cotisation retraite de base et complémentaire ;

* de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* de condamner en conséquence la SARL BORDEAUX and BEYOND à lui verser les sommes suivantes :

75.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

6.730,59 € d’indemnité légale de licenciement ;

16.811,49 € d’indemnité compensatrice de préavis ;

1.681,14 € de congés payés sur préavis ;

23.055,56 € de commissions impayées ;

2.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

* de juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal depuis la date de la saisine du conseil de prud’hommes outre la capitalisation des intérêts ;

* de condamner l’intimée aux frais d’exécution forcée et aux entiers dépens.

**************

Par conclusions transmises par voie dématérialisée le 13 novembre 2018, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SARL BORDEAUX and BEYOND demande à la cour de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions.

Subsidiairement :

* de constater l’absence de lien de subordination juridique caractéristique d’un contrat de travail ;

* de juger que la SARL BORDEAUX and BEYOND et Madame [V] [F] n’étaient pas liées par un contrat de travail mais par un contrat d’agence commerciale ;

* de débouter en conséquence Madame [V] [F] de sa demande de requalification de contrat d’agent commercial en contrat de travail à durée indéterminée et de l’ensemble de ses prétentions ;

A titre infiniment subsidiaire :

* de ne pas évoquer le litige s’agissant des demandes financières de Madame [V] [F] et de renvoyer les parties devant le conseil de prud’hommes de Pau pour préserver un accès au double degré de juridiction ;

A titre infiniment subsidiaire :

* de ramener à de plus justes proportions le montant de l’ensemble des dommages et intérêts réclamés ainsi que le montant de l’astreinte sollicitée ;

A titre reconventionnel :

* de condamner Madame [V] [F] au paiement d’une somme de 2.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

* de la condamner aux dépens.

MOTIFS

Sur la qualification de la relation contractuelle

La qualification de la relation contractuelle est déterminante de la solution du litige dès lors que selon l’article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes a une compétence d’attribution exclusive mais limitée aux litiges relatifs à la conclusion, l’exécution ou la rupture d’un contrat de travail. Il en découle que ceux qui ne trouvent pas leur source dans un contrat de travail ne relèvent pas de sa compétence.

Le contrat de travail, dont la qualification ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité, est la convention par laquelle une personne physique s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération.

Le lien de subordination, élément essentiel du contrat de travail, est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l’absence d’écrit et conformément aux dispositions de l’article 1353 du code civil (anciennement article 1315 du même code), il incombe, à celui qui invoque le bénéfice d’une obligation dont il se prévaut d’en rapporter la preuve.

De plus, l’article L. 8221-6 1° du code du travail instaure une présomption de ‘non salariat’ à l’égard, notamment, des ‘personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales’, ce qui était le cas de Madame [V] [F] à qui il incombe en conséquence de renverser cette présomption par des pièces probantes.

Or, si l’on se réfère en premier lieu au contrat qui lie les parties, il pose comme principe que ‘le Mandataire agissant au mieux des intérêts de la société Bordeaux and Beyond son mandant, demeure libre d’organiser son activité comme il l’entend et d’exercer une autre profession. La qualité de Mandataire indépendant étant bien distincte de celle de salarié, il n’existe aucun lieu de subordination juridique entre le Mandataire et la société mandante qui n’est pas son employeur et n’en assumera pas les obligations’.

‘Le présent mandat est un mandat d’intérêt commun régi par les principes généraux applicables au mandat (…)’.

Cette convention rappelle les dispositions légales régissant les relations des parties et stipule ‘qu’il ne peut être considéré comme un contrat de travail ni être soumis en particulier aux dispositions des articles L. 751-1 du code du travail’, et impose au mandataire de souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle et de supporter l’ensemble des charges sociales et fiscales lui incombant dans l’exercice de son activité de mandataire indépendant.

L’article V-1 rappelle que ‘(…) le Mandataire organise librement et en toute indépendance son activité (…)’ qu’il ‘(…) peut effectuer des opérations pour son compte personnel, ou le compte d’autres entreprises, sans avoir à en demander l’autorisation au mandant (…)’.

‘Peut se faire seconder par des sous-agents de son choix qui seront rémunérés par ses soins et agiront sous son entière responsabilité sans que la société mandante ait à en connaître et sans que se crée entre elle et ces sous agents un lien quelconque de fait ou de droit (…)’.

Les articles V-2 et V-3 confortent les stipulations de l’article V-1 relatives à la totale autonomie accordée à l’agent commercial et à la liberté dont il jouit pour l’organisation de son activité (‘D’une manière générale, il organise son activité comme il l’entend, il n’a pas à informer l’agence de ses absences et n’est pas tenu à une obligation de présence’ (…) ; ‘peut localiser le centre de ses activités au lieu qu’il lui conviendra de choisir (…)’.

L’article 6 relatif aux ‘honoraires du mandataire’ précise enfin, qu’ils sont calculés sur les honoraires TTC de l’agence et qu’ils ne sont acquis qu’après conclusion définitive de l’affaire, après chaque affaire et sur présentation d’une facture faisant apparaître le montant de la TVA.

L’ensemble des ces clauses est irréductible d’un contrat de travail en ce qu’elles stipulent l’autonomie totale du mandataire dans l’exercice de son activité, la faculté de s’adjoindre des ‘sous-agents’ et le paiement par le mandant d’une contrepartie fondée non pas sur la seule exécution d’une prestation de travail mais sur les résultats commerciaux de l’activité de l’agent.

Madame [V] [F] soutient cependant, qu’en fait, l’autonomie prônée par le contrat de mandat était inexistante et que dès le début de la relation de travail elle a été placée dans un rapport de dépendance juridique et de subordination dans l’exercice de son activité qu’elle déclare établir par :

* les objectifs assignés en début d’année par la SARL BORDEAUX and BEYOND aux ‘salariés’ de l’agence, les fiches de postes de ‘responsable d’agence et agent commercial’ qui lui ont été remises par les cogérantes ;

* les instructions précises données sur l’organisation de l’agence, du travail commercial et administratif, sur le recrutement et le management de l’équipe, ne laissant que peu de place aux initiatives et expressément formulées dans un but de ‘meilleur contrôle’…

* l’intégration dans un service organisé par la société ;

* la répartition des commissions ;

* la demande de ‘démission’ (et non de résiliation du contrat) à plusieurs reprises réclamée à Madame [V] [F] par les cogérantes ;

* les termes mêmes de la lettre de rupture.

Il convient de reprendre chacun de ces éléments.

S’agissant tout d’abord des objectifs et des fiches de postes, il importe de constater que ‘les plans et objectifs’ communiqués par la direction de la SARL BORDEAUX and BEYOND à l’équipe d’agents commerciaux de [Localité 1] de Béarn dont Madame [V] [F] faisait partie (pièce n° 15 de l’appelante) n’assignent aucun objectif chiffré à ces agents et s’analysent plutôt comme la déclinaison des moyens nouveaux mis en place par la SARL BORDEAUX and BEYOND pour favoriser leur activité et leurs résultats : création d’un site web, recrutement d’une assistante marketing, développement de la publicité, mise à disposition d’un ‘module de formation’ à l’intention des nouveaux membres…

Quant aux fiches de postes d’agent commercial et de responsable d’agence qui récapitulent les missions et compétences attendues de ces derniers dans l’exercice de leur activité, elles ne révèlent ni lien de subordination vis-à-vis de la SARL BORDEAUX and BEYOND ni entrave à l’exercice de leur activité en toute autonomie.

Madame [V] [F] invoque ensuite les directives prétendument données par la SARL BORDEAUX and BEYOND quant à l’organisation de l’agence et sur la mise en place de réunions.

Cependant, cette organisation et ces réunions sont inhérentes au choix de travailler au sein d’une agence et à la nécessité qui en découle d’organiser son fonctionnement. Il importe d’ailleurs d’observer, que tant les réunions que les permanences étaient fixées non par l’intimée mais par les agents eux-mêmes, sous la responsabilité de Madame [V] [F] assurant la fonction de ‘line manager’. L’appelante traduit ces termes par ‘supérieur hiérarchique’, alors qu’au cas présent c’est plutôt l’acception de ‘superviseur’ (‘Office Manager’) voire d’interface entre les autres agents et la mandante, qu’il convient de retenir sous ce vocable, dès lors que l’appelante n’exerçait pas de pouvoir hiérarchique sur les autres agents commerciaux de l’agence de [Localité 1] de Béarn.

La fonction de ‘recruteur’ qu’elle déclare avoir exercée pour le compte de la SARL BORDEAUX and BEYOND n’est pas établie par le message du 18 juillet 2016 (pièce n° 21) relatif à un entretien passé avec Madame [Z] [U] qui est équivoque, aucun pièce ne démontrant en outre qu’elle a recruté Mesdames [O] et [P] qu’elle cite dans ses écritures.

Quant à la lettre ‘d’avertissement’ que Madame [V] [F] a pris l’initiative d’envoyer le 19 juillet 2015 à Monsieur [I] [W] (pièce n° 25) ce document n’est pas plus probant d’une telle relation. Cette lettre est en effet indissociable de la réponse que lui en a donnée l’intéressé, pour rappeler à Madame [V] [F] qu’en sa qualité d’agent commercial de la SARL BORDEAUX and BEYOND elle n’avait aucune légitimité à lui adresser un tel courrier, pas plus que lui n’en avait à en recevoir d’elle (pièce n° 10 de la SARL BORDEAUX and BEYOND). S’agissant au surplus d’un document établi par Madame [V] [F] elle-même il est dépourvu de force probante et ne dit rien du lien de subordination allégué avec l’intimée.

Au demeurant, les échanges de courriers, comme le litige qui a opposé l’appelante aux autres membres de l’agence de [Localité 1] de Béarn, démontrent que les relations qu’elles entretenaient, ne s’inscrivaient pas dans une relation hiérarchique mais égalitaire.

C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’attestation de Madame [H] [O] :

‘L’équipe de Salies s’est composée pour la plupart de moi-même, [K] [O] et [V] [F] ; nous avions toutes le même rôle au sein de l’entreprise. [V] a ensuite été chargée de collecter les informations à transmettre au bureau de [Localité 2], de la gestion des fournitures de bureau, que le bureau soit nettoyé et que s’il y avait des ampoules à changer, etc, elle le faisait. Son rôle était de coordonner…’.

C’est au regard de la fonction de coordonnatrice d’agence qui avait été confiée à Madame [V] [F] qu’il convient d’analyser ensuite les messages envoyés par la direction de la SARL BORDEAUX and BEYOND les 7 et 12 octobre 2016. Si ces notes détaillées peuvent apparaître en effet quelque peu directives, il importe de relever qu’elles concernent principalement l’organisation de l’agence et la gestion des outils mis à disposition par la SARL BORDEAUX and BEYOND, et non l’organisation du travail propre à chaque agent. Au demeurant, il n’est pas démontré que la mandante avait les moyens de sanctionner le défaut de mise en oeuvre de ces directives.

Madame [V] [F] ne conteste pas qu’elle n’était soumise à aucun horaire, ou contrôle de son activité, et qu’elle disposait d’une totale autonomie dans la gestion de sa clientèle, et dans l’organisation de son travail. A cet égard, le message du 17 avril 2016 de la représentante de la SARL BORDEAUX and BEYOND démontre qu’il s’agissait bien de propositions d’organisation et non d’ordres ou de directives donnés aux agents :

‘[X] et moi faisons le point (…) pour résoudre le traditionnel problème des permanences durant la saison des vacances. S’il vous plaît pouvez-vous nous confirmer quand vous seriez disponible et quand vous ne serez pas là cet été’.

Ce message atteste que ce n’était pas la mandante mais bien les mandataires qui décidaient de leur période de congé et de leur durée. Il en va de même du message de Madame [V] [F] à Madame [X] [J] du 24 novembre 2016 qui illustre parfaitement le rôle de coordonnatrice de l’appelante.

Enfin, les rapports périodiques auquel Madame [V] [F] était astreinte n’excèdent pas l’obligation d’information incombant au mandataire vis-à-vis de son mandant dès lors que l’appelante ne démontre pas que ces rapports avaient pour objet de rendre compte d’objectifs ou quotas déterminés par la SARL BORDEAUX and BEYOND.

L’appelante fait également valoir qu’elle était intégrée dans un service organisé par la société : remise de cartes de visite comportant le logo BORDEAUX and BEYOND, un numéro de téléphone (fixe) de l’agence, la mise à disposition de locaux de logiciels spécifiques, ce qui est effectivement établi par les pièces du dossier et qui est en partie lié à l’exercice de l’activité sous forme d’agence qui impose, comme il a été vu précédemment, un certain nombre de contraintes. Cependant, cette ‘intégration’ n’est pas en elle-même suffisante pour établir la preuve d’un lien de subordination dès lors :

* qu’elle n’était pas totale puisque, comme l’a relevé le conseil de prud’hommes, Madame [V] [F] disposait de ses propres outils de travail : véhicule, téléphone portable, appareil photo…

* que le contrat liant les parties laissait ‘le mandataire (…) libre d’organiser son activité comme il l’entend et d’exercer une autre profession’ la SARL BORDEAUX and BEYOND établissant que Madame [V] [F] avait créé en parallèle sa propre société immobilière ;

et que l’existence d’un tel lien est contredit par des éléments plus pertinents.

Madame [V] [F] invoque en effet la répartition des commissions qui aurait été unilatéralement décidée par la SARL BORDEAUX and BEYOND, au demeurant à son détriment, ce qui aurait entraîné le différend à l’origine de la rupture des relations contractuelles. Cependant, l’ensemble des pièces et plus particulièrement les courriels de Mme [H] [O] à Madame [V] [F] des 11 et 18 août 2016 (pièce n° 11 et 12 de la SARL BORDEAUX and BEYOND) prouvent que :

* cette répartition ‘égalitaire’, propre à l’agence de [Localité 1] de Béarn, avait été convenue à l’initiative et conformément à l’accord conclu entre les membres de cette agence – et d’ailleurs, plutôt contre l’avis de la SARL BORDEAUX and BEYOND (voir attestation de Madame [H] [O] pièce n° 18 de l’intimée) –

* les modalités de résiliation de l’accord de répartition ont également été déterminées entre les trois membres de l’agence, la SARL BORDEAUX and BEYOND ayant seulement entériné l’accord intervenu, une fois conclu.

Or, l’existence d’un tel accord et de telles facultés de négociations sont irréductibles du contrat de travail revendiqué par Madame [V] [F] car incompatibles avec les conditions de détermination et de versement du salaire fixé entre l’employeur et le salarié.

Madame [V] [F] insiste aussi sur la demande de ‘démission’ (et non de résiliation du contrat) à plusieurs reprises réclamée à Madame [V] [F] par les cogérantes qu’elle considère comme spécifique d’un contrat de travail alors qu’il n’en est rien et que ce vocable est tout aussi couramment utilisé dans le langage courant pour désigner l’initiative prise par un mandataire de mettre fin au mandat qui lui a été confié.

Enfin et contrairement à ce que soutient l’appelante, les griefs énoncés dans la lettre de rupture (pour faute grave) du contrat, rédigée par les responsables de la SARL BORDEAUX and BEYOND ne caractérisent pas l’exercice du pouvoir de sanction de l’employeur vis-à-vis de son salarié.

En effet et par exception au mandat de droit commun, le mandat d’intérêt commun ne peut être révoqué de la volonté du seul mandant mais uniquement par le consentement mutuel des parties ou pour une cause légitime reconnue en justice. La faute grave constitue l’une de ces causes et c’est donc à bon escient et de manière juridiquement fondée que la SARL BORDEAUX and BEYOND a invoqué la ‘faute grave’ reprochée à Madame [V] [F] pour pouvoir mettre fin au mandat qui les liaient.

Madame [V] [F] ne peut, à ce stade, tirer profit des griefs énoncés par le mandant sur lesquels il n’appartient pas à la juridiction sociale de se prononcer, et dont elle modifie d’ailleurs sinon les termes, du moins la signification. Ainsi notamment du grief concernant le choix des établissements proposant des prêts bancaires qu’elle présente comme une preuve de dépendance économique, alors que ce qui lui est reproché n’est pas d’avoir orienté ses clients vers d’autres établissements que ceux recommandés par le mandant, mais une manoeuvre destinée à lui permettre d’accroître irrégulièrement le montant de ses commissions.

De même Madame [V] [F] voit dans la dernière phrase qu’elle cite :

‘Depuis ce jour, nous n’avons cessé d’essayer de trouver une issue amiable en vous proposant même de poursuivre votre mandat tout en vous retirant la mission, d’Office manager, ce que vous avez refusé’, la preuve d’un lien de subordination alors que d’une part, cette phrase est sortie du contexte de volonté d’apaisement que tentait de démontrer le mandant, que surtout, elle fait la démonstration inverse. En effet, si véritablement Madame [V] [F] avait été placée dans un rapport de subordination vis-à-vis de la SARL BORDEAUX and BEYOND l’employeur ne lui aurait pas ‘proposé’ de lui retirer cette mission pas plus qu’il n’aurait toléré son ‘refus’, mais le lui aurait retiré d’initiative ce qui aurait été la manifestation du pouvoir de sanction qui caractérise cette qualité.

C’est donc à bon droit que le conseil de prud’hommes a jugé que Madame [V] [F] n’était pas liée à la SARL BORDEAUX and BEYOND par un contrat de travail.

Sur la compétence du conseil de prud’hommes

Le conseil de prud’hommes étant compétent pour statuer sur les litiges relatifs à la conclusion, l’exécution ou la rupture d’un contrat de travail, il lui appartient de tirer les conséquences de l’absence de contrat de travail qu’il constate, à l’égard des demandes indissociables d’une telle convention. Ayant à juste titre jugé que Madame [V] [F] n’était pas liée à la SARL BORDEAUX and BEYOND par un contrat de travail, il lui appartenait en conséquence de débouter Madame [V] [F] des prétentions relatives à :

* la qualité de salariée ;

* la requalification du contrat d’agent commercial en contrat de travail à durée indéterminée ;

* la remise sous astreinte de 100 € par jour, l’émission des fiches de paie de novembre 2010 à janvier 2017 ;

* la condamnation de la SARL BORDEAUX and BEYOND à lui payer une indemnité spéciale pour travail dissimulé, des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de cotisation chômage et de cotisation retraite de base et complémentaire ;

* la qualification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et à la condamnation consécutive de la SARL BORDEAUX and BEYOND à lui verser les sommes :

– des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– une indemnité légale de licenciement ;

– une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents.

Le jugement est en conséquence partiellement infirmé de ce chef.

C’est en revanche à bon droit que les premiers juges se sont déclarés incompétents pour statuer sur la demande en paiement de commissions qui relève de la compétence du tribunal de commerce.

Sur les demandes annexes

Il appartient à Madame [V] [F] qui succombe de supporter la charge des dépens de l’instance d’appel et de verser à la SARL BORDEAUX and BEYOND une somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement dont appel en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de Madame [V] [F] relative au paiement de commissions, a renvoyé la procédure et les parties devant le tribunal de commerce de Pau pour statuer de ce chef et condamné Madame [V] [F] aux dépens de l’instance.

L’INFIRME pour le surplus ;

ET STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS :

JUGE que le contrat liant Madame [V] [F] à la SARL BORDEAUX and BEYOND n’est pas un contrat de travail ;

DÉBOUTE en conséquence Madame [V] [F] de ses demandes fondées sur cette requalification à savoir : la remise sous astreinte de fiches de paie, la condamnation de la SARL BORDEAUX and BEYOND à lui payer une indemnité spéciale pour travail dissimulé, des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de cotisation chômage et de cotisation retraite de base et complémentaire, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité légale de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents ;

CONDAMNE Madame [V] [F] à payer à la SARL BORDEAUX and BEYOND la somme de 1.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

LA CONDAMNE en outre aux dépens de l’appel.

Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,

 


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