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Les forums bénéficient du principe de liberté d’expression y compris pour les propos virulents publiés sur une société par les clients / internautes. Il ne peut être exigé des internautes la même modération dans l’expression que celle qui serait attendue d’un concurrent ou d’un organe de presse, soumis à un devoir d’objectivité et de prudence, ce d’autant qu’ils font ici part d’une opinion critique s’appuyant sur une expérience personnelle, nécessairement empreinte de subjectivité.
Une société a poursuivi sans succès l’éditeur du site signal-arnaque en raison du caractère dénigrant des propos dénoncés par les internautes pour en solliciter le retrait.
Ces commentaires évoquent une “arnaque”, mais aussi des “pratiques frauduleuses”, afin de “soutirer de l’argent”, qui devraient être sanctionnées par la loi, et des “méthode déloyale”, l’un d’eux allant jusqu’à la traiter de “gangster”.
Même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de dénigrement.
En effet, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle ou commerciale n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’elles ne concernent pas la personne physique ou morale.
Toutefois, la nécessité d’assurer une concurrence libre et loyale doit se concilier avec le droit de libre critique des produits, qui relève de la liberté d’expression garantie par les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Ainsi, lorsque l’information se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait être regardée comme fautive, sous réserve que soient respectées les limites admissibles de la liberté d’expression.
En l’espèce, les publications dénoncées portent une appréciation très négative sur le produit commercialisé par la société et stigmatisent les pratiques de vente qu’elle met en oeuvre, consistant à s’adresser à des entrepreneurs nouvellement installés pour les inciter à acquérir auprès d’elle une affiche comportant des mentions présentées comme devant obligatoirement être affichées dans les locaux de l’entreprise. En cela, les propos contenus dans les publications incriminées sont de nature à jeter le discrédit sur les produits et services qu’elle commercialise.
Si le sujet traité ne relève pas, en tant que tel, d’un intérêt général, il présente toutefois un intérêt légitime d’information des consommateurs, permettant le partage d’expériences personnelles visant à les éclairer dans le choix de souscrire, ou pas, à des propositions commerciales.
Sur ce document, qui se présente comme un bon de commande de format A4, se trouve en haut à gauche le sigle “APE” et dans un encadré grisé, à droite les termes “AFFICHAGE OBLIGATOIRE”. Un encadré précise les coordonnées de l’expéditeur et du destinataire et en dessous est mentionné “La loi vous impose d’afficher certains documents d’informations dans votre entreprise sous peine de sanctions pénales”, puis, en caractères gras “Le non-respect de ces affichages peut entraîner une amende pouvant aller jusqu’à 1.500 euros.”.
Suit un autre encadré occupant la largeur de la page, recensant les “Informations entreprise” à gauche et comportant à droite un fac-similé de l’affiche proposée, et en dessous des précisions sur le prix (198, 12 euros) et les modalités de paiement. En bas de page, en très petit format il est précisé que le souscripteur reconnaît avoir accepté les conditions générales de vente figurant au verso et qu’il s’agit d’une “offre facultative uniquement à fournir un panneau d’affichage obligatoire, commercialisé par APE SA, société de droit privé”. Enfin, le recto de ce document fait effectivement mention des conditions générales de vente.
Au vu de ces éléments, il peut être considéré que les appréciations exprimées s’appuient sur des éléments tangibles, quand bien même ils ne sont pas détaillés davantage, constitutifs d’une base factuelle suffisante.
Reste à déterminer, pour apprécier si le contenu dénoncé présente un caractère illicite de nature à justifier les mesures sollicitées, si la formulation des critiques émises, par des entrepreneurs qui sont en l’occurrence de simple consommateurs dans leurs relations avec la société A.P.E, faisant état d’expériences personnelles, excède les limites admissibles de la liberté d’expression.
A ce titre, il ne peut être exigé d’eux la même modération dans l’expression que celle qui serait attendue d’un concurrent ou d’un organe de presse, soumis à un devoir d’objectivité et de prudence, ce d’autant qu’ils font ici part d’une opinion critique s’appuyant sur une expérience personnelle, nécessairement empreinte de subjectivité.
Sur ce point, le site signal-arnaque est conçu et utilisé comme un site dédié aux consommateurs, particuliers ou professionnels, qui a vocation à leur permettre de faire part spontanément des pratiques, produits ou services qu’ils estiment les avoir lésés.
Les mentions du site présument du caractère illicite des pratiques dénoncées : le formulaire de “signalement” est intitulé “ARNAQUE SUSPECTEE !!!” et la rubrique “email frauduleux” permet de désigner l’entité concernée tandis que la rubrique “contenu de l’arnaque” est réservée aux détails des pratiques dénoncées.
Pour autant, il importe de déterminer si, au-delà de ces mentions, les commentaires publiés relayent cette notion, dès lors que le terme “arnaque”, largement repris dans les commentaires incriminés, ne peut être considéré à lui seul comme outrepassant la mesure admissible de la critique exprimée, y compris dans ce contexte.
En effet, contrairement à ce qui est affirmé par la demanderesse, ce terme ne renvoie pas unilatéralement à la commission de l’infraction pénale d’escroquerie, puisqu’il est également communément utilisé pour qualifier un engagement qui n’apporte le gain attendu pas à celui qui l’a souscrit, en considération de l’investissement réalisé. Dans cette acception, le terme “ arnaque” exprime alors une déception ou le sentiment d’avoir été floué, qui relève de l’appréciation subjective de celui qui l’exprime.
Or, si certains des commentaires visés comportent des termes qui accréditent l’idée de la mise en oeuvre de procédés frauduleux ou déloyaux visant à conduire les personnes à souscrire à l’offre présentée, d’autres se contentent de décrire la méthode employée sans porter de jugement de cette nature et de livrer leur ressenti sur son bien fondé et son efficacité, tandis que d’autre encore affirment qu’il s’agit de pratiques légales.
Ainsi, il ne peut être considéré de manière globale que les propos manquent de prudence et que la critique exprimée dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression, puisque les deuxièmes et troisièmes propos ainsi décrits ne sont, à l’évidence, pas constitutifs de dénigrement fautif.
Enfin, le retrait de ces commentaires porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Il était également loisible à la société de faire part de ses observations sur le même site et, ce faisant, d’apporter aux auteurs des propos une contradiction qui aurait été, de ce fait, également accessible aux internautes et de nature à leur permettre de se distancer avec les critiques ainsi émises.
Pour rappel, l’article 6, I, 8. de la LCEN dispose que le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.
Le dommage tel que prévu à l’article précité doit être de nature à justifier la mesure de retrait sollicitée auprès de la personne morale offrant un accès à des services de communication au public en ligne.
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
N° RG 22/57280 – N° Portalis 352J-W-B7G-CX255
Assignation du : 04 Octobre 2022
Copies exécutoires délivrées le:
JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND le 02 décembre 2022
par Amicie JULLIAND, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE
Société A.P.E. 5 rue Y Carre 95100 ARGENTEUIL
représentée par Me Anne-sophie LEROI, avocat au barreau de PARIS – #C0415
DEFENDERESSE
S.A.S. HERETIC 53 rue de la paix 10000 FRANCE
représentée par Me Ronan HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS – #R0296
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DÉBATS
A l’audience du 21 Octobre 2022, tenue publiquement, présidée par Amicie JULLIAND, Vice-présidente, assistée de Flore
MARIGNY, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation, selon la procédure accélérée au fond, en date du 4 octobre 2022 délivrée à la société HERETIC, à la requête de la société A.P.E, qui nous demande, au visa notamment des articles 481-1 et 839 du code de procédure civile, 1240 du code civil, de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 dite LCEN :
– d’ordonner à la société HERETIC le retrait immédiat à compter de la signification du jugement à intervenir, des discussions accessibles à quatre adresses URL précisées au dispositif de l’assignation, et de manière générale, toute discussion publiée sur le site internet www.signal-arnaques.com relatives à la société A.P.E, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
– de la condamner à lui verser la somme de 25.000 euros au titre du préjudice subi,
– d’ordonner la publication du jugement à intervenir sur la page d’accueil du site internet www.signal-arnaques.com pendant un délai d’un mois suivant la signification du jugement de manière visible, en lettres de taille suffisante dans un encart prévu à cet effet, aux entiers frais de la société HERETIC,
– de condamner la société HERETIC à lui verser la somme de 7.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
Vu les conclusions récapitulatives de la demanderesse, déposées à l’audience du 21 octobre 2022, qui maintient ses demandes initiales tout en étendant sa demande de suppression à trois autres
“conversations identifiées en cours de procédure” dont les adresses URL sont précisées. Vu les conclusions en réponse de la société défenderesse, déposées à l’audience du 21 octobre 2022 qui nous demande :
– de rejeter l’ensemble des prétentions de la société A.P.E,
– de condamner la société A.P.E à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de prononcer l’exécution provisoire.
Les parties ont oralement soutenu leurs dernières écritures lors de l’audience du 21 octobre 2022.
À l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 2 décembre 2022 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les faits :
La société A.P.E, acronyme de son nom commercial Affichage
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Pour les Entreprises, créée en 2017, a pour activité principale “la création, le développement et la mise en place de solutions de référencement” (extrait du RCS sa pièce n°1). A ce titre, elle
“commercialise auprès des entreprises nouvellement immatriculées, une affiche plastifiée leur permettant de satisfaire à leurs obligations légales d’affichage de certaines informations (horaires de travail, interdiction de fumer, consignes de sécurité incendie…)” (ses conclusions p.2) .
Le site signal.arnaque.com, hébergé par la société HERETIC ,
“accueille les commentaires des internautes s’estimant lésés par les produits et services d’entreprises” (conclusions en défense p.3).
Le 30 août 2021, la société A.P.E a fait constater la présence sur ce site de quatre commentaires suivis de discussions la concernant, dont elle estime les termes dénigrants à l’encontre des produits et services qu’elle commercialise (constat d’huissier pièce n°5 en demande).
Ces discussions se présentent de la même manière : un premier commentaire ciblant la société A.P.E, dont est mis en ligne dans un formulaire dédié sous le titre “ARNAQUE SUSPECTEE !!!” et détaille ce qu’il dénonce dans les rubriques “Contenu de l’arnaque”et “Commentaire / Explication”, puis est suivi de commentaires d’autres internautes, publiés ultérieurement via un encart dédié (“Laisser un avis ou commentaire”).
La première discussion, accessible à l’adresse URL https://swww.signal-arnaques.com/scam/view/176133, commence par un commentaire publié le 1 septembre 2019 indiquant : “J’aier reçu une lettre avec le titre “APE – Affichage obligatoire” c’est une arnaque. Somme demandée 193, 15 € Pas de règlement à faire
! Il ne s’agit pas d’un organisme officiel qui vous demande un paiement obligatoire, mais d’une entreprise privée qui vous propose une “offre” sans intérêt sauf pour eux. De nombreux auto-entrepreneurs ont reçus ce document, une fois de plus des sociétés arnaqueuses utilisent des moyens pour soutirer de l’argent aux entreprises”. Douze commentaires viennent à sa suite, mis en ligne entre le 14 mars 2020 et le 19 février 2021, dans lesquels plusieurs internautes indiquent avoir reçu des courriers similaires et considèrent la proposition comme “une grosse arnaque”, visant à leur “soutirer du pognon” (“Fred” 16/07/2020), l’un d’eux indiquant avoir reçu le “ fameux courrier APE sur l’affichage obligatoire avec un vilain rappel à la loi si je ne paye pas” . Un internaute réagit en conseillant de signaler les faits à la DGCCRF comme il l’a fait et un autre (“Pakonue” 17/07/2021) indique avoir eu connaissance du
“même genre d’arnaque” quelques mois avant, signalée à cette direction qui avait mis en garde les consommateurs. Il précise toutefois que pour cette précédente arnaque “ la DGCCRF ne considère pas ça comme illégal puisqu’il y a les coordonnées de la société et qu’il n’est pas dit qu’il était obligatoire de payer cette société, il n’y a pas le logo de marianne, ce qui fait que c’est trompeur mais pas illégal d’envoyer ce genre de courrier
“publicitaire”. C’est comme les sociétés qui proposent les documents administratifs et les font payer cher… en mettant les mentions légales et CG sur le site… qui précisent qu’elles sont
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indépendantes de l’administration et indiquent le tarif de la
“prestation de service” elles ne sont pas dans l’illégalité.”. Il résulte également de la capture d’écran versée aux débats, dont la valeur probatoire n’est pas contestée, que plusieurs autres commentaires ont été mis en ligne dans ce fil de discussion après l’établissement du constat d’huissier, indiquant notamment
“arnaque reçu le 16/12/2021 (…) cette firme devrait être poursuivie” (“Jpwhirl” le 18/12/2021). Il doit être relevé également qu’un internaute rappelle qu’il s’agit d’une “offre commerciale”,
“ tout à fait légale” (“Max” 11/02/2022) (pièce n°6 en demande)
La deuxième discussion, accessible à l’adresse URL https://swww.signal-arnaques.com/scam/view/201713, s’ouvre sur un avis mis en ligne le 18 octobre 2020, mentionnant au titre du
“contenu de l’arnaque”, “ Affichage obligatoire” et indiquant
“J’ai copié collé ce texte qui est en tout point exact.” suivi de la reprise littérale du commentaire mis en ligne le 1 septembre 2019,er sus cité. Quatre commentaires figurent à sa suite :
– par Eliot le 5 novembre 2020 “Bonjour, merci beaucoup pour votre retour d’expérience, j’ai reçu ce papier alors même que je n’ai pas encore de local attitré car je vais être en pépinière d’entreprise. Incompréhension totale + inquiétude. Jusqu’à ce que je vois votre post. On m’avais prévenu aussi avant de m’immatriculer qu’il était possible que je reçoive des courriers non officiel/d’arnaque.”(sic) ,
– par Noémie le 20 mai 2021 “reçu la même lettre ce matin, je suis scandalisée que ces activités ne soient pas sanctionnées par la loi”,
– par X le 06 juillet 2021 “merci pour vos commentaires j’ai reçus la même lettre alors que je n’ai pas de locale ce post me rasure merci d’être là” (sic),
– par Khadidja le 16 août 2021 “Bonjour vous avez droit à 14 jours de rétractation”. Là encore, d’autres commentaires ont été mis en ligne après les constatations de l’huissier faisant état d’expériences similaires et indiquant “l’activité de cet arnaqueuer (sic) devrait être poursuivi par la loi” (eribel le 27/09/21), ou“c’est moche comme procédé” (nicolas 12/01/2022), “que fait la justice” (Supervisor 9/02/2022), ou parlant “d’arnaques” pour lesquelles il faut “porter plainte” auprès de la DGCCRF (Elodie 15/02/2022). (pièce n°6 en demande).
La troisième discussion, accessible à l’adresse URL https://swww.signal-arnaques.com/scam/view/271119 commence par un commentaire mis en ligne le 08 septembre 2020 ainsi rédigé
“J’ai reçu un courrier me demandant la somme de 198, 12€ à payer sous 8jr sous peine d’une amende de 1500 € , pour une affiche soit disant obligatoire mentionnant numéro d’urgence, conduite à tenir en cas d’incendie… je suis micro entrepreneur travaillant de chez moi et seul. Je n’ai pas besoin de ceci. En plus cette affiche est dite obligatoire mais en tout petit caractère en bas de page il est écrit “offre facultative”. L’expéditeur est une société de droit privé et en aucun cas il ne peut exiger une telle somme pour ce type de matériel”. Là encore plusieurs internautes réagissent en laissant des commentaires indiquant avoir reçu le même courrier (quatre commentaires entre janvier et mai 2021) l’un d’eux disant avoir
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fait un signalement à la DGCCRF “en espérant qu’ils feront cesser les pratiques frauduleuses de ces gens” (“PhilV” 04/05/2021). Un autre note, à propos du “manager” de la société, Y Z,
“ Il nomme sa société aux mêmes initiales qu’un service gratuit du gouvernement pour rappeler un texte de loi et faire peur aux entrepreneurs, et cela en toute impunité” (“Antoine” 8/02/2021), tandis qu’un autre encore relève “Arnaque assurément. Mentions légales du site non à jour et certificat SSL expiré” (“Fab33” 05/08/2021). La capture d’écran versée aux débats (pièce n°6 de la société A.P.E) montre que plusieurs autres commentaires ont été mis en ligne dans ce fil de discussion après l’établissement du constat d’huissier dans lesquelles sont évoqués “je trouve ça dégueulasse de profiter des gens en leurs faisant peur” (“Aurélieb” le 31/08/2021), “méthodes déloyales” (“francis” 16/02/2022 et
“nonpub1” 02/03/2022 ), “arnaqueurs” et “imposteurs à signaler” (“Nad” 15/03/2022)
Enfin, la quatrième publication, accessible à l’URL https://swww.signal-arnaques.com/scam/view/289026, est constituée d’un unique commentaire en date du 5 novembre 2020 indiquant “courrier reçu stipulant Affichage Obligatoire Paiement sous 8 jours de 198,12 €”, “Il s’agit d’une arnaque !”.
Par courrier en date 15 juin 2022, le conseil de la société A.P.E, se référant à ses précédents courriers en date des 16 décembre 2020 et 22 mars 2021 a notifié à la société HERETIC une mise en connaissance au visa de l’article 6-I-5 de la LCEN, portant sur les quatre discussions ci-dessus référencées et, estimant que “ces agissements constituent des actes de dénigrement, susceptibles d’engager la responsabilité civile de la société HERETIC en tant qu’éditeur et hébergeur de ce site internet”, lui intime de
“supprimer immédiatement” des dites publications “toute référence explicite ou implicite à la société APE et aux produits et services qu’elle commercialise ainsi qu’à son dirigeant” et “pour l’avenir, de vous abstenir d’éditer tous propos dénigrants à son encontre et à celle de son activité” (pièce n°7 en demande).
Dans ses conclusions en défense, la société HERETIC indique avoir mis en place, dès le 28 juin 2022, suite à la notification du 15 juin 2022 et dans l’attente de la décision judiciaire à intervenir, des mesures de blocage par géolocalisation ayant pour effet de rendre les publications visées inaccessibles aux internautes depuis le territoire français (ses pièces n°5, 6, 7 et 8).
C’est dans ces conditions qu’a été délivrée la présente assignation.
La demanderesse invoque dans ses dernières conclusions trois autres publications dont elle sollicite additionnellement le retrait, pour lesquelles elle fournit des captures d’écran dont il ressort :
– un commentaire mis en ligne le 20 juillet 2022 mentionnant
“Reçu courrier suite à la création de mon auto entreprise de l’expéditeur “APE” m’indiquant de payer une somme pour l’affichage obligatoire de mon auto entreprise pour finaliser la création de celle-ci”, “Après avoir réglé la somme et n’ayant reçu aucune confirmation j’ai effectué des recherches m’indiquant qu’il s’agissait d’une arnaque” (pièce n°10 en demande),
– un commentaire mis en ligne le 13 septembre 2022 décrivant le
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“contenu de l’arnaque” en indiquant : “Un courrier par voie postale est adressé au créateur d’entreprise pour payer 200 € de frais pour recevoir un document à afficher (obligatoire soit disant) sous peine d’amende (cf courrier reçu)”, et faisant apparaître un document (illisible sur la capture d’écran) en pièce jointe, qu’il commente ainsi : “Tous les renseignements du créateur repris sur l’INSEE. Document qui a l’air officiel. Après recherche il s’agit d’une société créée récemment. À mon avis au moment de la création de l’autoentreprenariat pour arnaquer les jeunes créateurs” (pièce n°9 en demande),
– un commentaire mis en ligne le 12 octobre 2022 indiquant “ Je viens de créer ma micro entreprise. J’ai reçu un courrier postal APE située à Argenteuil me demandant de payer 198,12 euros par CB pour un panneau d’affichage obligatoire. En passant je n’ai pas de salarié étant auto-entrepreneur / je ne vais évidemment pas payer. Ce message pour avertir le plus de monde possible. Soyez prudent” (pièce n°11 en demande).
Sur le dommage et les mesures sollicitées
L’article 6, I, 8. de la LCEN dispose que le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.
Il convient de rappeler que le dommage tel que prévu à l’article précité doit être de nature à justifier la mesure de retrait sollicitée auprès de la personne morale offrant un accès à des services de communication au public en ligne.
En l’espèce, la société A.P.E excipe du dommage causé par le caractère dénigrant des propos dénoncés pour en solliciter le retrait. Elle soutient en effet que les termes employés dans les commentaires des internautes manquent de mesure et de prudence en ce qu’ils évoquent tous une “arnaque”, mais aussi des
“pratiques frauduleuses”, afin de “soutirer de l’argent”, qui devraient être sanctionnées par la loi, et des “méthode déloyale”, l’un d’eux allant jusqu’à la traiter de “gangster”, ce qui laisse
“injustement croire qu’elle commet des actes assimilables à une tromperie voire à une escroquerie ” au sens de l’article 313-1 du code pénal. Constatant également que les propos ne reposent sur aucun élément tangible, elle considère qu’ils ont ainsi dépassé le droit de libre critique. Elle affirme subir un préjudice du fait de ces publications qui portent atteinte à son image, auprès de ses clients et de ses partenaires financiers, qui persiste dès lors que les propos sont toujours accessibles en ligne.
La société HERETIC considère ne pas avoir les compétences et l’intérêt à agir pour se prononcer sur le caractère licite ou illicite des propos dont le retrait est demandé et s’en rapporte à l’appréciation du tribunal sur ce point.
Sur ce, il convient de rappeler que même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de dénigrement.
En effet, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle ou commerciale n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’elles ne concernent pas la personne physique ou morale.
Toutefois, la nécessité d’assurer une concurrence libre et loyale doit se concilier avec le droit de libre critique des produits, qui relève de la liberté d’expression garantie par les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Ainsi, lorsque l’information se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait être regardée comme fautive, sous réserve que soient respectées les limites admissibles de la liberté d’expression.
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Il est manifeste en l’espèce que l’ensemble des publications dénoncées par la demanderesse portent une appréciation très négative sur le produit qu’elle commercialise et stigmatisent les pratiques de vente qu’elle met en oeuvre, consistant à s’adresser à des entrepreneurs nouvellement installés pour les inciter à acquérir auprès d’elle une affiche comportant des mentions présentées comme devant obligatoirement être affichées dans les locaux de l’entreprise. En cela, les propos contenus dans les publications incriminées sont de nature à jeter le discrédit sur les produits et services qu’elle commercialise.
Si le sujet traité ne relève pas, en tant que tel, d’un intérêt général, il présente toutefois un intérêt légitime d’information des consommateurs, permettant le partage d’expériences personnelles visant à les éclairer dans le choix de souscrire, ou pas, à des propositions commerciales.
Il convient d’observer que la plupart de ces commentaires font état d’éléments suffisamment précis pour comprendre que leurs auteurs ont personnellement fait l’expérience des pratiques qu’ils critiquent, certains publiant la lettre qui leur a été adressée par l’A.P.E et d’autres en reprenant les termes, ce qui permet de constater que tous ont été sollicités dans les mêmes circonstances par la dite société. Les indications mentionnées dans ces commentaires correspondent au document produit par la demanderesse comme étant celui adressé aux sociétés nouvellement immatriculées (sa pièce n°2). Sur ce document, qui se présente comme un bon de commande de format A4, se trouve en haut à gauche le sigle “APE” et dans un encadré grisé, à droite les termes “AFFICHAGE OBLIGATOIRE”. Un encadré précise les coordonnées de l’expéditeur et du destinataire et en dessous est mentionné “La loi vous impose d’afficher certains documents d’informations dans votre entreprise sous peine de sanctions pénales”, puis, en caractères gras “Le non-respect de ces
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affichages peut entraîner une amende pouvant aller jusqu’à 1.500 euros.”. Suit un autre encadré occupant la largeur de la page, recensant les “Informations entreprise” à gauche et comportant à droite un fac-similé de l’affiche proposée, et en dessous des précisions sur le prix (198, 12 euros) et les modalités de paiement. En bas de page, en très petit format il est précisé que le souscripteur reconnaît avoir accepté les conditions générales de vente figurant au verso et qu’il s’agit d’une “offre facultative uniquement à fournir un panneau d’affichage obligatoire, commercialisé par APE SA, société de droit privé”. Enfin, le recto de ce document fait effectivement mention des conditions générales de vente.
Au vu de ces éléments, il peut être considéré que les appréciations exprimées s’appuient sur des éléments tangibles, quand bien même ils ne sont pas détaillés davantage, constitutifs d’une base factuelle suffisante.
Reste à déterminer, pour apprécier si le contenu dénoncé présente un caractère illicite de nature à justifier les mesures sollicitées, si la formulation des critiques émises, par des entrepreneurs qui sont en l’occurrence de simple consommateurs dans leurs relations avec la société A.P.E, faisant état d’expériences personnelles, excède les limites admissibles de la liberté d’expression. A ce titre, il ne peut être exigé d’eux la même modération dans l’expression que celle qui serait attendue d’un concurrent ou d’un organe de presse, soumis à un devoir d’objectivité et de prudence, ce d’autant qu’ils font ici part d’une opinion critique s’appuyant sur une expérience personnelle, nécessairement empreinte de subjectivité.
Sur ce point il sera relevé que le site signal-arnaque .com est conçu et utilisé comme un site dédié aux consommateurs, particuliers ou professionnels, qui a vocation à leur permettre de faire part spontanément des pratiques, produits ou services qu’ils estiment les avoir lésés. Les mentions du site présument du caractère illicite des pratiques dénoncées : le formulaire de
“signalement” est intitulé “ARNAQUE SUSPECTEE !!!” et la rubrique “email frauduleux” permet de désigner l’entité concernée tandis que la rubrique “contenu de l’arnaque” est réservée aux détails des pratiques dénoncées.
Pour autant, il importe de déterminer si, au-delà de ces mentions, les commentaires publiés relayent cette notion, dès lors que le terme “arnaque”, largement repris dans les commentaires incriminés, ne peut être considéré à lui seul comme outrepassant la mesure admissible de la critique exprimée, y compris dans ce contexte. En effet, contrairement à ce qui est affirmé par la demanderesse, ce terme ne renvoie pas unilatéralement à la commission de l’infraction pénale d’escroquerie, puisqu’il est également communément utilisé pour qualifier un engagement qui n’apporte le gain attendu pas à celui qui l’a souscrit, en considération de l’investissement réalisé. Dans cette acception, le terme “ arnaque” exprime alors une déception ou le sentiment d’avoir été floué, qui relève de l’appréciation subjective de celui qui l’exprime.
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Or, si certains des commentaires visés comportent des termes qui accréditent l’idée de la mise en oeuvre de procédés frauduleux ou déloyaux visant à conduire les personnes à souscrire à l’offre présentée, d’autres se contentent de décrire la méthode employée sans porter de jugement de cette nature et de livrer leur ressenti sur son bien fondé et son efficacité, tandis que d’autre encore affirment qu’il s’agit de pratiques légales. Ainsi, il ne peut être considéré de manière globale que les propos manquent de prudence et que la critique exprimée dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression, puisque les deuxièmes et troisièmes propos ainsi décrits ne sont, à l’évidence, pas constitutifs de dénigrement fautif.
En revanche la première catégorie de propos sont susceptibles de constituer un dénigrement fautif dès lors que les termes utilisés relayent l’idée de comportements illégaux ou illicites, et vont ainsi au-delà de la simple critique de produits, services, ou procédés commerciaux. Il est en effet fait état de pratiques “déloyales” (commentaire de “nonpub1″ du 02/03/2022), ou “frauduleuses” (“PhilV” 04/05/2021), de “faux documents” (commentaire de
“Manu68” du 19/02/2021), visant à leur “soutirer” de l’argent (message publié le le 01/09/19 et commentaire de “Fred” du 16/07/2020), tandis que d’autres incitent à signaler les pratiques à la DGCCRF (commentaires de “christophe95” du 17/07/2020,
“Elodie” du 15/02/2021, “PhilV” 04/05/2021), ou regrettent que ces pratiques ne soient pas réprimées par la loi ou poursuivies (commentaires de “Jpwhirl” le 18/12/2021, “Noémie” du 20/05/2021, “eribel” du 27/09/2021, ““Lilian” du 12/01/2021,
“Supervisor” du 09/02/2021, “Emorje” le 18/02/2022).
Ces propos, du fait de leur caractère dénigrant et de leur mise en ligne sur un site interne facile d’accès pour tout internaute, suffisent à caractériser le dommage visé par l’article 6, I. 8 ci-avant mentionné.
Il y a, dès lors, lieu d’examiner si le dommage ainsi caractérisé est de nature à justifier les mesures sollicitées, lesquelles doivent être proportionnées au regard de l’atteinte portée à la liberté d’expression.
Il sera relevé en premier lieu que la société demanderesse sollicite le retrait de l’ensemble des discussions, alors que, comme il a été vu ci-dessus, celles-ci comportent des propos qui ne contribuent pas au dommage mais expriment des avis de consommateurs formulés dans le respect des principes applicables.
Ensuite, s’agissant des propos générateurs du dommage, il sera relevé que s’ils ont excédés les limites autorisées par la libre critique des produits, ils n’en demeurent pas moins évocateurs d’expériences personnelles et poursuivent un but légitime d’information.
A cela s’ajoute le fait que la portée de ces propos peut être relativisée par la lecture des autres commentaires, et qu’il était loisible à la société A.P.E de faire part de ses observations sur le même site et, ce faisant, d’apporter aux auteurs des propos une
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contradiction qui aurait été, de ce fait, également accessible aux internautes et de nature à leur permettre de se distancer avec les critiques ainsi émises.
Dès lors au vu de ces éléments, il ne peut être envisagé, sous la forme souhaitée, de procéder au retrait pur et simple des propos incriminés par la demanderesse, cette mesure n’étant pas proportionnée à l’atteinte ainsi envisagée à la liberté d’expression.
La société A.P.E sera dès lors déboutée de sa demande de retrait.
Sur la demande de dommages et intérêts formée contre la société HERETIC
La demande formée par la société A.P.E pour solliciter la condamnation de la société HERETIC à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du faits des propos dénigrants est fondée sur l’article 6, I. 8, qui comme il a été rappelé ci-dessus, tend à voir prescrire aux personnes y ayant contribué, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.
Or cette demande vise en réalité à engager la responsabilité de la société HERETIC, en sa qualité d’hébergeur, à raison de son refus de retirer les propos dommageables, laquelle est régie par les articles 6, I. 2 et 6, I. 5 de la LCEN., et non à voir ordonner une mesure propre à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne au sens de l’article 6, I. 8, l’octroi de dommages et intérêts ne pouvant être considéré comme en relevant, de sorte qu’étant mal fondée, elle doit être rejetée.
Sur les autres demandes
L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a lieu en conséquence de condamner la société A.P.E, qui succombe à l’instance, aux dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.
Il serait inéquitable de laisser à la société HERETIC la charge des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour la défense de ses intérêts et il y a lieu de condamner la société A. P.E à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision est de droit exécutoire par provision.
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PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, selon la procédure accélérée au fond, contradictoirement et en premier ressort,
Déboutons la société A.P.E de l’ensemble de ses demandes,
Condamnons la société A.P.E à payer à la société HERETIC la somme de deux mille euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamnons la société A.P.E aux dépens
Rappelons que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.
Fait à Paris le 02 décembre 2022
Le Greffier, Le Président,