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6 octobre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
18/27736
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 10
ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/27736 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B64I6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Septembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de Créteil – RG n° 17/04347
APPELANT
Monsieur [Z] [L] [F]
né le [Date naissance 4] 1971 à [Localité 9] ([Localité 9])
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Vincent RIBAUT de la SCP GALLAND VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
INTIMÉE
Madame [C] [J] [E]
née le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Assistée à l’audience par Me Isabelle DE MELLIS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 131
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été plaidée le 08 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Florence PAPIN, Présidente
Monsieur Laurent NAJEM, Conseiller, chargé du rapport
Madame Valérie MORLET, Conseillère
qui en ont délibéré dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Dorothée RABITA
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence PAPIN, Présidente et par Dorothée RABITA, greffier présent lors de la mise à disposition.
***
Mme [C] [E] et M. [Z] [F] se sont mariés, le [Date mariage 3] 2005, devant l’officier d’état civil de la mairie de [Localité 12] (Val-de-Marne). Ils ont conclu un contrat de mariage reçu le 9 novembre 2005 par Me [V], notaire à [Localité 11] (Val-de-Marne).
De confession juive, ils se sont unis, le 25 décembre 2005, devant le Consistoire de [Localité 10] ; de leur union est né un enfant le [Date naissance 6] 2007.
Les époux se sont séparés au cours de l’année 2009. Par jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil le 22 janvier 2014, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris le 21 janvier 2016, leur divorce a été prononcé et ce, au visa de l’article 238 du code civil.
Reprochant à M. [Z] [F] d’avoir refusé de lui délivrer une lettre de répudiation devant le Consistoire israélite de [Localité 10], autrement appelé « guet » en droit hébraïque, nécessaire selon ce droit pour se libérer du lien matrimonial religieux, et d’avoir ainsi commis un abus de droit, Mme [C] [E] a fait assigner M. [Z] [F] devant le tribunal de grande instance de Créteil par exploit d’huissier en date du 27 avril 2017.
Par jugement du 6 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Créteil a :
– condamné M. [Z] [F] à payer à Mme [C] [E] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamné M. [Z] [F] à payer à Mme [C] [E] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rejeté toutes les autres demandes ;
– condamné M. [Z] [F] aux dépens ; et
– ordonné l’exécution provisoire.
Par déclaration du 10 décembre 2018, M. [Z] [F] a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique (RPVA) le 28 juin 2022, M. [Z] [F], agissant en qualité d’appelant, demande à la cour de :
– faire droit aux écritures de M. [Z] [F] ;
Et, y faisant droit,
– déclarer l’appel de M. [Z] [F] recevable ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* condamné M. [Z] [F] à payer à Mme [C] [E] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
* condamné M. [Z] [F] à payer à Mme [C] [E] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
* condamné M. [Z] [F] aux dépens qui se sont élevés à 440,25 euros ;
– débouter Mme [C] [E] de l’intégralité de ses prétentions ;
– dire, à titre subsidiaire, que le montant des dommages et intérêts fixé par le tribunal était excessif et disproportionné et portait sur une durée exagérée erronée et, à titre subsidiaire, le fixer le cas échéant à un niveau moindre sur une durée commençant au plus tôt à la date où M. [Z] [F] a exprimé son refus de répudier le 7 mars 2017 ;
– dire qu’il n’est pas établi en l’espèce et dans le contexte très spécifique de l’espèce que les conditions religieuses pour que M. [Z] [F] répudie Mme [C] [E] soient remplies ;
– dire que Mme [C] [E] ne rapporte pas la preuve de la règle religieuse dont elle se prévaut selon laquelle le guet devrait être donné dès lors qu’un divorce civil serait intervenu, compte tenu des circonstances de l’espèce ;
– dire qu’en vertu des circonstances de l’espèce, la bonne foi constante de M. [Z] [F] qui souhaite une conciliation et une réconciliation avec Madame [E] dans son propre intérêt spirituel, celui de son fils et selon lui, celui de Mme [C] [E] également, n’a pas lieu d’être contestée ; et
– dire que Mme [C] [E] n’est pas légitime à obtenir une indemnisation dans les circonstances de l’espèce, Mme [C] [E] ayant librement choisi de se marier religieusement et ne pouvant faire fi de la règle religieuse explicite figurant au Guide du mariage juif qu’elle produit elle-même selon laquelle, sans aller jusqu’à l’interdiction totale de divorce prévu au catholicisme, dans un divorce juif, l’accord non contraint des deux époux est absolument nécessaire, Mme [C] [E] restant libre de se marier civilement.
Il rappelle que selon la loi juive, l’accord des deux époux est nécessaire pour permettre un divorce religieux, qu’il n’a jamais en l’espèce, souhaité, ni demandé.
Il fait valoir que le but en l’espèce est pécuniaire ; que le juge de première instance ne retient à aucun moment l’existence d’une intention de nuire, recevant au contraire son espoir de réconciliation qu’il qualifie d’illusoire.
Il souligne que sur le plan de sa conscience religieuse, quand bien même le divorce est autorisé à ceux des conjoints, qui, d’un commun accord ne veulent pas faire l’effort de le surmonter, il est néanmoins fortement réprouvé ; que le premier mariage est particulier à ce titre.
Il indique ressentir qu’ils ont sur le chemin de leur vie de couple, une épreuve, qui les invite au dialogue, en vue de la surmonter vers la réconciliation et l’entente et précise qu’il préfère ne pas faire preuve de désespoir et continuer à ‘uvrer pour la réconciliation.
Il soutient que le divorce religieux lui causerait une atteinte ainsi qu’à son fils, son foyer, sa liberté de conscience.
Il allègue que Mme [E] a exprimé que le mariage religieux n’était qu’un symbole, qui n’impliquait aucun engagement de pratique religieuse.
Il considère que la logique du refus de réconciliation est difficile à comprendre, dans une perspective religieuse.
Il conteste avoir demandé le divorce civil et toute intention de nuire. Il précise qu’il ne disposait d’aucun moyen juridique de contester le fait que les époux étaient séparés depuis plusieurs années.
Il soutient que la jurisprudence plaide en fait en sa faveur et il allègue qu’il a en réalité de nombreuses raisons pour ne pas vouloir répudier Mme [E], d’autant que cette dernière refuse tout dialogue alors que lui souhaite accomplir la chose la plus haute qui existe dans le judaïsme : aller vers la réconciliation.
Il fait valoir que Mme [E] n’a jamais répondu à la proposition de médiation judiciaire.
Il considère que le montant de la condamnation procède d’une erreur, le divorce ayant été prononcé en 2016 et Mme [E] a patienté 10 mois avant de formuler sa demande de guet au consistoire.
Il allègue qu’une condamnation serait une atteinte manifeste à ses droits fondamentaux (notamment au regard de la loi du 1905) ; que la loi juive n’impose pas la répudiation.
Il fait état de violences sur leur fils, en 2020, commises par Mme [E] et son père et considère que ce dernier a une influence néfaste.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique (RPVA) le 13 juin 2022, Mme [C] [E], prise en qualité d’intimée, demande à la cour de :
– déclarer recevable et bien fondée Mme [C] [E] en son appel incident ;
Et, en conséquence,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [Z] [F] à verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens et ordonné l’exécution provisoire ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [Z] [F] à verser à Mme [C] [E] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau,
– condamner M. [Z] [F] à verser à Mme [C] [E] la somme de 80 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil en réparation de son préjudice moral évalué à la date de l’arrêt à intervenir, du fait du refus obstiné de M. [Z] [F] de lui délivrer le guet ; et
– condamner M. [Z] [F] à verser à Mme [C] [E] la somme de 3 500 euros, sauf à parfaire, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel, dont distraction au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Elle rappelle que la jurisprudence consacre l’abus de droit et l’intention de nuire en cas de refus de délivrer le guet.
Elle fait valoir que M. [F] par son refus obstiné et sans raison légitime, commet un abus de droit, et démontre une intention de nuire.
Elle considère que le premier juge a fait une juste appréciation des faits, en retenant le temps de séparation des époux, l’espoir illusoire de l’appelant de reprendre la vie commune et en a déduit l’existence d’un préjudice.
Elle expose qu’elle n’entend en effet pas reprendre la vie commune, alors qu’ils sont séparés depuis 2009, divorcé depuis 2016. Elle fait état d’une condamnation pour violences durant le mariage.
Elle souligne que M. [F] s’est associé à la demande de divorce civil et qu’il n’en a pas remis en question le principe.
Elle allègue que M. [F] explique son refus par des considérations religieuses qui ne se traduisent pas par des actes concrets et ne sont qu’un « habillage » ; que les violences physiques, verbales, le harcèlement démontrent l’absence de considération à son égard ; qu’elle ne peut se remarier et avoir des enfants dans la loi juive.
Elle considère que les violences alléguées par M. [F] sont fallacieuses et hors sujet.
Elle fait état d’un préjudice qu’elle définit comme la privation d’une liberté fondamentale et une perte de chance. Elle indique chiffrer sa demande en tenant compte de la nature évolutive du préjudice subi, du fait de la durée et de son âge.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 31 août 2022.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur la demande principale
Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Comme relevé par les premiers juges, en droit hébraïque, le «guet» est l’acte par lequel la femme reçoit une déclaration écrite et librement consentie de la part de son mari, devant le tribunal rabbinique, faisant état de la volonté de son mari de mettre fin aux liens religieux du mariage. Au regard de la loi juive, la femme qui n’a pas obtenu le « guet » est toujours considérée comme mariée, dès lors toute relation avec un autre homme sera adultère ; elle ne pourra se remarier religieusement.
Une femme peut refuser de recevoir le guet mais dans cette hypothèse l’homme qui a une relation avec une autre femme célibataire ne commet pas l’adultère.
Il résulte par ailleurs du « guide du divorce religieux (guet) en France », préfacé par le Grand Rabbin [Z] [M] que seul le mari peut délivrer le guet à sa femme, en présence de deux témoins accrédités par le tribunal rabbinique. Il doit le donner de son plein gré.
En l’espèce, M. [F] expose qu’il n’existe pas de meilleure voie pour lui, sa famille et leur fils, que celle consistant à renouer le dialogue et à se réconcilier et qu’un divorce lui causerait un préjudice d’ordre spirituel.
Mme [E] et M. [F] vivent séparément depuis 2009, soit depuis plus de 13 années.
Leur divorce, pour altération définitive du lien conjugal a été prononcé par jugement du tribunal de grande d’instance de Créteil le 22 janvier 2014 et confirmé par la présente cour d’appel, par arrêt du 21 janvier 2016, soit depuis plus de 6 ans.
Il résulte par ailleurs d’un échange procédural (RPVA – pièce 25 de l’intimée) que M. [F] s’est opposé à la proposition de médiation judiciaire et ne s’est pas présenté au rendez-vous judiciaire aux fins de débat sur ce point en première instance – 12 octobre 2017 – , soutenant qu’il craignait que cette mesure n’alimente « des tensions et des difficultés supplémentaires », indiquant préférer un dialogue dans un cadre privé, « sans enjeu financier ni judiciaire ».
Ces éléments démentent en tous les cas la volonté pérenne de ne pas divorcer religieusement, dans un objectif de réconciliation, dont l’appelant fait pourtant aujourd’hui état.
Il résulte d’un courrier du tribunal rabbinique du 6 décembre 2016 que Mme [E] a manifesté un refus catégorique d’envisager une tentative de conciliation, distincte d’une médiation judiciaire, en ce qu’elle vise à la réconciliation des époux, ce que l’intimée soutient de manière persistante ne pas souhaiter.
Les pièces et les allégations des parties attestent surtout de l’existence de conflits majeurs depuis plus dix ans, relatifs en premier lieu à leur enfant commun. M. [F] reproche aujourd’hui à Mme [E] l’existence de faits de violences à l’encontre de leur fils et de dénonciation calomnieuse. Cette dernière quant à elle verse un arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 janvier 2011 (pièce 4) confirmant une déclaration de culpabilité de M. [F] des faits de violences sans incapacité sur conjoint.
Ce refus persistant de délivrance du « guet », alors même que les allégations des deux parties démontrent le caractère parfaitement irrémédiable de leur différend – qu’elles placent notamment sur le terrain d’accusations mutuelles de nature pénale et d’une particulière gravité – est constitutif d’un abus de droit puisqu’il restreint la liberté que Mme [E] était en droit d’attendre du divorce civil auquel M. [F] ne s’est pas expressément opposé.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande de dommages et intérêts de Mme [E].
S’agissant du quantum, il convient de retenir que le préjudice a perduré au-delà de la décision de première instance et Mme [E] relève à juste titre que le temps qui passe doit être pris en compte, s’agissant de la possibilité de contracter une nouvelle union.
Dès lors, la somme de 50 000 euros lui sera allouée.
Sur les demandes accessoires
Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées. A hauteur d’appel, il sera alloué la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe ;
Confirme la décision entreprise sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts ;
Statuant de nouveau de ce chef infirmé et y ajoutant,
Condamne M. [F] à payer à Mme [E] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne M. [F] à payer à Mme [E] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [F] aux dépens de l’instance d’appel ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Dit que les dépens pourront être recouvrés par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE