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31 mai 2022
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/03157
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 64B
1re chambre 2e section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 31 MAI 2022
N° RG 21/03157 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UQHN
AFFAIRE :
Mme [N] [A] [R] [H] [D]
C/
M. [J] [X]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Avril 2021 par le Tribunal de proximité de SAINT GERMAIN EN LAYE
N° RG : 11-20-1383
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 31/05/22
à :
Me Philippe CHATEAUNEUF
Me Benjamin LEMOINE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [N] [A] [R] [H] [D]
née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 6],
[Adresse 6] ( ALLEMAGNE)
Représentant : Maître Philippe CHATEAUNEUF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 – N° du dossier 2021068
Représentant : Maître Aurélie MONTEL, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 188 –
APPELANTE
****************
Monsieur [J] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Maître Benjamin LEMOINE de la SELARL RIQUIER – LEMOINE, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 179 – N° du dossier 210604
S.C.I. JURISCAMPAN
Ayant son siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Maître Benjamin LEMOINE de la SELARL RIQUIER – LEMOINE, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 179 – N° du dossier 210604
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 22 Mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Gwenael COUGARD, Conseillère et Monsieur Philippe JAVELAS, président, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe JAVELAS, Président,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
Madame Agnès PACCIONI, Vice-présidente placée,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte notarié du 6 octobre 1989, M. [J] [D] et Mme [N] [D] ont acquis un appartement situé [Adresse 1], dont ils ont fait donation, le 22 décembre 2011, à leur fille [N].
La société civile immobilière Juriscampan a acquis le 14 février 2007 l’appartement situé au- dessous de celui des époux [D], dans lequel réside, à titre gratuit, M. [J] [X], associé de la société Juriscampan.
Par acte d’huissier de justice délivré les 2 et 16 novembre 2020, Mme [D] a assigné M. [X] et la société Juriscampan devant le tribunal de proximité de Saint-Germain-en-Laye aux fins d’obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, leur condamnation solidaire à lui payer :
– la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– une astreinte de 3 200 euros à toute nouvelle infraction constatée réitérée, étant précisé que le constat devra avoir été fait par une main courante déposée au sein du commissariat compétent, en disant que l’astreinte pourra être liquidée par le tribunal,
– la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– les dépens, comprenant notamment les frais des deux sommations d’huissier.
Par jugement contradictoire du 13 avril 2021, le tribunal de proximité de Saint-Germain-en-Laye a :
– débouté Mme [D] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de M. [X] et la société Juriscampan,
– déclaré son incompétence pour connaître des demandes reconventionnelles de M. [X], de la société Juriscampan et de Madame [I] [B] autres que celles portant sur l’allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– renvoyé M. [X], la société Juriscampan et Mme [B] à se pouvoir devant la juridiction compétente s’agissant de leurs demandes reconventionnelles autres que celles portant sur l’allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– condamné Mme [D] à payer à M. [X] et la société Juriscampan la somme de 200 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– condamné Mme [D] aux dépens,
– rappelé que le jugement était exécutoire de plein droit à titre provisoire,
– débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au dispositif.
Par déclaration reçue au greffe le 17 mai 2021, Mme [D] a relevé appel de ce jugement.
M. [J] [X] a quitté l’appartement du [Adresse 1] le 5 octobre 2021.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 19 janvier 2022, Mme [D], appelante, demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
– infirmer le jugement de première instance du 13 avril 2021 en qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de M. [X] et de la société Juriscampan et en ce qu’il l’a condamnée à leur payer la somme de 200 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– confirmer le jugement en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes reconventionnelles de M. [X] et de la société Juriscampan autres que celles portant sur l’allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive, et les a renvoyés à se pourvoir devant la juridiction compétente,
Statuant à nouveau :
– débouter la société Juriscampan de sa demande de mise hors de cause,
– condamner solidairement M. [X] et la société Juriscampan à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamner solidairement M. [X] et la société Juriscampan à lui payer une astreinte de 3 200 euros à toute nouvelle infraction constatée réitérée et constatée par une main courante déposée au sein du commissariat compétent,
– dire que l’astreinte pourra, en application des articles L131-1 et L131-3 du code des procédures civiles d’exécution, être liquidée par la cour,
– débouter les intimés de leur appel incident, la cour n’en étant pas régulièrement saisie dans le délai requis,
– débouter les intimés de leurs nouvelles demandes reconventionnelles,
– condamner solidairement M. [X] et la société Juriscampan à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner solidairement M. [X] et la société Juriscampan aux entiers dépens, comprenant notamment les frais des deux sommations d’huissier et dont distraction, pour ceux le concernant, directement au profit de Maître Philippe Châteauneuf, avocat, sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile,
– débouter les intimés de toutes leurs demandes éventuelles.
Aux termes de leurs conclusions signifiées le 3 janvier 2022, M. [X] et la société Juriscampan, intimés et appelants à titre incident, demandent à la cour de :
– déclarer Mme [D] irrecevable en son action à l’encontre de la société Juriscampan,
– mettre en conséquence la société Juriscampan hors de cause,
– déclarer Mme [D] mal fondée en son appel,
– débouter Mme [D] de l’intégralité de ses demandes mal fondées,
– en tout état de cause, constater qu’elle n’apporte pas la preuve de son préjudice,
– au surplus, constater que la demande d’astreinte est devenue sans objet, M. [X] ne résidant plus au [Adresse 1] depuis 1e 5 octobre 2021,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [D] de l’intégralité de ses demandes et l’a condamnée pour procédure abusive,
– déclarer M. [X] recevable et bien fondé en son appel incident,
– le déclarer recevable et bien fondé en sa demande complémentaire,
– condamner Mme [D] à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du trouble apporté par ses deux dernières locataires, Madame [K] et Madame [T], dans sa vie personnelle et dans sa vie professionnelle,
– condamner Mme [D] à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à la présomption d’innocence,
– condamner Mme [D] à payer à M. [X] la somme de 1 000 euros pour procédure abusive,
– condamner Mme [D] à payer à la société Juriscampan la somme de 1 000 euros pour procédure abusive,
– condamner Mme [D] à leur payer la somme de 2 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [D] aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 20 janvier 2022.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I) Sur la demande de mise hors de cause de la société civile immobilière Juriscampan
Les intimés sollicitent la mise hors de cause de la société Juriscampan en faisant valoir que M. [X] jouissait de l’appartement à titre gratuit en sa qualité d’associé de la société civile immobilière, et qu’il n’a donc pas la qualité de locataire, qu’il est seul responsable de ses actes pénalement et que la responsabilité de la société civile immobilière ne peut, dès lors, être recherchée sur le fondement de l’article 1242 du code civil.
Mme [D] soutient, en réplique, que la demande de mise hors de cause est irrecevable en cause d’appel pour être nouvelle et que son action dirigée contre le propriétaire de l’appartement est elle recevable, peu important en quelle qualité – locataire ou occupant à titre gratuit – M. [X] occupe l’appartement.
Réponse de la cour
La demande de mise hors de cause de la SCI Juriscampan, formulée pour la première fois en appel, n’apparaît pas comme une demande nouvelle au sens de l’article 564 du Code de procédure civile, dans la mesure où elle tend à faire écarter les demandes de condamnation solidaire formées par Mme [D] à son encontre.
Cette demande est donc recevable.
Elle est, au surplus, bien fondée.
En effet, la responsabilité de M. [X], occupant à titre gratuit des lieux en sa qualité d’associé de la société civile immobilière Juriscampan, est recherchée sur le fondement de l’article 1240 du code civil, pour avoir, par son comportement à l’égard des locataires de Mme [D], commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile.
Or, aucun texte législatif ni construction prétorienne ne prévoit de responsabilité du fait d’autrui du propriétaire dans le cas d’un fait commis par un occupant gratuit de l’immeuble.
Par suite, la demande de mise hors de cause de la société Juriscampan sera accueillie.
II) Sur les demandes indemnitaires de Mme [D] (10 000 euros)
Mme [D] fait grief au premier juge de l’avoir déboutée de ses demandes indemnitaires motif pris de ce qu’elle n’établissait ni les faits reprochés à M. [X] ni le lien de causalité entre ces faits et le préjudice qu’elle invoque.
Réitérant en cause d’appel l’argumentation développée en première instance, elle soutient que M. [X] a commis une faute en invectivant de manière véhémente et injurieuse et répétée ses deux derniers locataires, les conduisant ainsi à quitter les lieux, et que pareil comportement lui a occasionné un préjudice – frais d’agence pour relouer l’appartement, frais d’état des lieux d’entrée et de sortie, pertes de loyers entre chaque locataire – dont elle est bien fondée à solliciter réparation sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
M. [X] réplique, en substance, que le jugement querellé doit être confirmé en ce qu’il a débouté Mme [D] de ses demandes, en raison du fait que :
– les demandes de Mme [D], qui tente de se réapproprier un préjudice qu’elle n’a pas subi, les prétendues victimes n’ayant intenté aucune procédure à l’encontre du prétendu harceleur, constituent un détournement de procédure portant atteinte au principe fondamental de la présomption d’innocence,
– il n’existe aucune preuve du harcèlement prêté à M. [X] ni du préjudice subi par Mme [D],
– le lien de causalité entre la faute reprochée à M. [X] et le préjudice invoqué par Mme [D] fait défaut, la rotation importante des locataires s’expliquant par le mauvais état de l’appartement de Mme [D] – logement froid et délabré, développement de moisissures dans la salle de bains -, et aussi par le montant du loyer exigé qui est très au-dessus des prix du marché.
Réponse de la cour
Il incombe à Mme [D], dès lors qu’elle entend engager la responsabilité de M. [X] sur le fondement de l’article 1240 du code civil, de démontrer l’existence d’une faute commise par ce dernier, du préjudice qui en est résulté pour elle, et du lien de causalité entre cette faute et ce préjudice, le fait que les demandes de Mme [D] porterait, selon les intimés, atteinte à la présomption d’innocence de M. [X], étant sans incidence sur le bien-fondé de ces demandes.
Dans cette perspective, Mme [D] verse aux débats :
– une déclaration de main courante de Mme [K], datée du 20 février 2018, dans laquelle elle fait état d’un différend avec son voisin du dessous, qui lui reproche des nuisances sonores, alors que les bruits dont s’agit – chute d’un objet, porte malencontreusement claquée – ne sont que ‘ les bruits de la vie quotidienne’ et qu’elle retrouve souvent des post-its sur la porte de son appartement dénonçant chaque petit bruit qu’elle a pu causer,
– un courrier de Mme [K] à Mme [D], daté du 15 janvier 2019, dans lequel elle réitère en substance ses déclarations faites dans sa main courante et ajoute qu’ayant dit à M. [X] qu’elle en avait marre d’être harcelée et l’invitait à aller ‘porter plainte’ comme elle l’avait fait elle-même, celui-ci lui a rétorqué ‘ Ah ouais, vous avez été chez les flics, mais quelle conne !.. Quelle conne’, et encore qu’à l’occasion de l’anniversaire de sa fille le 27 octobre 2018, M. [X] est venu tambouriner à sa porte à deux heures du matin pour se plaindre du bruit,
– une attestation de Mme [K], coach et sexothérapeute, indiquant que M. [X], pendant un an l’a harcelée en tambourinant à sa porte, en écrivant des mots désagréables sur des post-its et qu’elle a déménagé ‘ afin de se libérer de ce voisin très néfaste voire nuisible pour son équilibre et celui de ses enfants’,
– une déclaration de main courante de Mme [E] [T] du 8 novembre 2019, dans laquelle l’intéressée déclare être importunée depuis son arrivée par M. [X] qui lui reproche de faire du bruit, alors que ce n’est pas le cas et que cet homme lui semble perturbé psychologiquement,
– un courriel de Mme [E] [T] adressé le 3 juillet 2020 à Mme [D], dans lequel elle indique avoir décidé de résilier son contrat de location car ‘ vivre dans cet appartement est devenu insupportable en raison des abus verbaux, mentaux et écrits continus du voisin du bas, M. [X]’. Elle précise que M. [X] vient constamment sonner à sa porte pour se plaindre du bruit, lui interdit de marcher avec des talons hauts et lui a déclaré ‘ je voudrais vous traduire en justice mais je n’ai pas de preuves… Vous devez vous coucher au plus tard à 10 h et vous réveiller à 8 heures, c’est la loi en France … il est interdit de marcher avec des chaussures dans l’appartement en droit français….. l’appartement était très froid malgré les radiateurs allumés pendant les mois d’hiver. La moisissure a commencé à se développer dans la salle de bains ; l’odeur le matin et le soir est insupportable et le mur de la chambre était littéralement humide pendant les jours de pluie… Je me sens humiliée et je suis très fatiguée… Jamais de ma vie je n’ai connu autant de bêtises de la part d’un voisin…’,
– une attestation de Mme [E] [T] dans laquelle cette dernière reprend mot pour mot les termes de son courriel du 3 juillet 2020,
– des photocopies non datées des ‘ mots’, qui auraient été apposés par M. [X] sur la porte des appartements de ses voisines sur lesquelles on peut lire ‘ Si je ne me signale pas, vous oubliez que vous avez un voisin…Pourriez-vous ne pas claquer votre porte à 23 h, 23 h 30, minuit et après… C’est pourtant simple d’accompagner sa porte…je pensais vous avoir expliqué que le bruit se propage dans mon appartement et d’être vigilant le soir et le matin tôt. Les bruits de pas, de portes qui claquent, de vaisselles qui tapent sur l’évier etc. Quand on marche avec le talon, cela résonne, vous devez le sentir non ‘ Pourriez-vous faire attention ‘ Merci’,
– un tableau récapitulant les préjudices matériels estimés par Mme [D] à la somme totale de 20 680 euros au titre notamment des pertes de loyers, frais d’état des lieux entrant et sortant entre deux locataires, honoraires d’agence etc. ,
– trois attestations de l’agent immobilier gérant l’appartement de Mme [D], de l’agence Hélix et de l’agence Royale indiquant que l’appartement est difficile à louer en raison de ‘l’obligation de ne pas retenir les demandes de femmes seules … les deux dernières locataires ayant été embêtées voir harcelées par le propriétaire habitant l’appartement de l’étage en dessous’,
– un courriel de l’agence immobilière Royale indiquant que l’appartement est au bon prix compte tenu de l’équipement fourni, de sa surface au sol : 65 mètres carrés et de sa localisation et que l’agence a eu d’autres appartements qui ont été aussi plus longs à louer qu’à l’habitude compte tenu du ‘contexte Covid’
M. [X] produit pour sa part, essentiellement :
– des procès-verbaux d’assemblée générale de la copropriété,
– une attestation de Mme [Z] indiquant avoir séjourné chez M. [X] à l’occasion de vacances en France et avoir été réveillée par des bruits de pas intenses venant du troisième étage, et des claquements de portes fréquents, témoignant du fait que les occupants du troisième étage ne font pas attention à leur voisins,
– une attestation de Mme [C] résidant dans l’immeuble et indiquant n’avoir jamais eu de problèmes de voisinage avec M. [X],
– une attestation de M. [M] indiquant avoir été locataire de l’appartement de Mme [D] de mars 2012 à juin 2016 et n’avoir jamais essuyé le moindre reproche de la part de M. [X].
Il résulte de ‘ce chamaillis de cent propos croisés’, que l’on se trouve, comme l’a pertinemment relevé le premier juge, en présence d’un conflit de voisinage, dans un immeuble ancien et mal insonorisé, entre des personnes ayant des modes de vie différents : M. [X], hypersensible aux bruits du quotidien qu’il supporte difficilement parce qu’ils provoquent chez lui une irritabilité ou un sentiment d’angoisse, et deux locataires de Mme [D] qui sont demeurées sourdes aux objurgations de leur voisin, qu’elles considéraient comme totalement injustifiées, et qui n’entendaient pas modifier leurs habitudes de vie.
Si M. [X] a pu parfois, et notamment à l’occasion de soirées animées dans l’appartement de ses voisines, exprimer son exaspération en des termes qui excédaient quelque peu les limites de la courtoisie qui doit prévaloir dans les relations de bon voisinage, il y a lieu de prendre également en considération les témoignages en faveur de M. [X] qui confirment l’existence des nuisances sonores ressenties dans l’appartement de l’intimé, et le fait également qu’un ancien locataire de Mme [D] a refusé d’attester contre M. [X] en indiquant n’avoir jamais essuyé la moindre admonestation de la part de ce dernier.
Enfin, le lien de causalité entre la faute reprochée à M. [X], liée à son comportement, et les préjudices matériels invoqués par Mme [D] consécutifs aux vacances répétées du logement , est insuffisamment établi en raison du fait que d’autres motifs sont de nature à justifier la difficulté à louer le logement de l’appelante : l’exiguïté des lieux – 45 mètres carrés au sol – le montant du loyer, qui apparaît, quoi qu’en dise l’appelante, et au vu des données fournies par M. [X], au-dessus des prix pratiqués dans le quartier, ou encore l’état de l’immeuble et de l’appartement que Mme [E] [T] mentionne également parmi les motifs l’ayant amenée à donner congé.
En considération de ce qui précède, la cour considère que le premier juge, au terme d’une analyse exhaustive des faits et documents de la cause et par des motifs pertinents à l’encontre desquels l’appelante n’a formulé aucune critique sérieuse, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en déboutant Mme [D] de ses demandes indemnitaires, ainsi que de sa demande de condamnation à une astreinte, en cas de renouvellement de l’infraction, cette dernière demande étant, au surplus, devenue sans objet depuis le départ des lieux de M. [X], intervenu le 5 octobre 2021.
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
III) Sur l’appel incident de M. [X]
L’appelante fait valoir que les intimés ne sollicitant dans le dispositif de leurs conclusions ni l’infirmation ni l’annulation des chefs du jugement qu’ils critiquent, la cour ne pourra que confirmer le jugement de ces chefs, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Les intimés répliquent que leur appel incident est recevable, au visa de l’article 542 du code de procédure civile, dans la mesure où le dispositif de leurs écritures, en ce qu’il indique ‘ Déclarer [J] [X] recevable et bien fondé en son appel incident’ tend à l’infirmation du jugement entrepris sur le point critiqué.
Réponse de la cour
Il résulte des articles 542 et 954 du Code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement.
L’appel incident n’est pas différent de l’appel principal par sa nature ou son objet ; les conclusions de l’appelant, qu’il soit principal ou incident, doivent déterminer l’objet du litige porté devant la cour d’appel, et l’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du Code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l’article 909 du Code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de cet article 954.
Par suite, les conclusions des intimés ne comportant aucune prétention tendant à l’infirmation ou à la réformation du jugement attaqué, ne constituent pas un appel incident valable, quelle que soit, par ailleurs, la recevabilité en la forme de leurs conclusions d’intimés (Cass. 2e civ., 1er juill. 2021, n° 20-10.694).
En l’espèce et alors que l’appel principal a été interjeté postérieurement au 17 septembre 2020, le dispositif des conclusions d’intimés de M. [X] et de la société Juriscampan est ainsi libellé :
‘ déclarer M. [X] recevable et bien fondé en son appel incident,
– le déclarer recevable et bien fondé en sa demande complémentaire,
– condamner Mme [D] à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du trouble apporté par ses deux dernières locataires, Madame [K] et Madame [T], dans sa vie personnelle et dans sa vie professionnelle,
– condamner Mme [D] à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à la présomption d’innocence,
– condamner Mme [D] à payer à M. [X] la somme de 1 000 euros pour procédure abusive,
– condamner Mme [D] à payer à la société Juriscampan la somme de 1 000 euros pour procédure abusive’
Il s’ensuit que les intimés n’ont pas sollicité l’infirmation du jugement, contrairement à ce qu’ils soutiennent, mais ont seulement demandé, dans le dispositif de leurs conclusions, à la cour de déclarer M. [X] recevable en son appel incident, de condamner Mme [D] à lui payer une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice causé par les deux locataires [K] et [T] à sa vie personnelle et professionnelle et de porter les dommages et intérêts alloués à M. [X] et à la société Juriscampan de 200 euros chacun à 1 000 euros chacun.
Les intimés n’ont donc pas valablement formé appel incident dans le délai qui leur était imparti pour ce faire, et leurs demandes tendant à faire statuer la cour sur des prétentions déjà soumises au premier juge, qui a statué en réponse, et à l’égard desquelles ils n’ont pas formé appel incident, sont irrecevables, peu important que l’appelante ait conclu au débouté de l’appel incident et non à son irrecevabilité, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation à laquelle elle s’est expressément référée.
IV) Sur la demande complémentaire de M. [X] en réparation au préjudice subi du fait de l’atteinte à la présomption d’innocence et pour dénonciation calomnieuse (3 000 euros)
M. [X] invoque, pour justifier sa demande, une atteinte à sa présomption d’innocence, dans la mesure où les locataires de Mme [D] n’ont pas agi à son encontre au pénal pour harcèlement, tout en faisant valoir dans ses écritures que Mme [D], en colportant des rumeurs, s’est exposée aux conséquences d’une dénonciation calomnieuse dont il appartient au juge civil d’apprécier le caractère préjudiciable en application de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 1er civ. 24 mai 2017, n°16-16.773).
Réponse de la cour
Les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par l’article 9-1 du Code civil – atteinte à la présomption d’innocence – ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil.
La demande en paiement de dommages et intérêts pour atteinte à la présomption d’innocence est donc irrecevable.
M. [X] est, en revanche, recevable à solliciter, au visa de l’article 1240 du code civil, une réparation civile en cas de dénonciation calomnieuse.
Tels que prévus et réprimés par l’article226-10 du code pénal, les éléments constitutifs du délit de dénonciation calomnieuse, distinct de la diffamation, consistent à porter en connaissance de cause des allégations mensongères contre une personne auprès de toutes autorités ayant compétence pour y donner suite par une sanction au plan pénal, administratif ou disciplinaire.
En l’espèce, l’élément matériel de l’infraction fait défaut, les faits allégués par Mme [D] n’ayant fait l’objet d’aucune dénonciation à une autorité ayant compétence pour y donner suite par une sanction au plan pénal, administratif, ou disciplinaire.
M. [X] sera, en conséquence, débouté de sa demande de dommages et intérêts pour dénonciation calomnieuse.
V) Sur les dommages et intérêts alloués aux deux intimés pour procédure abusive par le premier juge (200 euros chacun)
Seule l’intention dolosive ou malicieuse est à même de faire dégénérer en abus le droit d’ester en justice.
En l’espèce, une telle intention n’est pas établie à l’encontre de Mme [D], qui a pu se méprendre sur l’étendue de ses droits.
Par suite, le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a condamné Mme [D] à payer la somme de 200 euros à la société Juriscampan et à M. [X].
VI) Sur les demandes accessoires
Mme [D], qui succombe pour l’essentiel, sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel, les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens de première instance étant, par ailleurs, confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe
Met hors de cause la société Juriscampan ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l’exception de celle ayant condamné Mme [N] [D] à payer à M. [J] [X] et à la société Juriscampan, une somme de 200 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Déclare irrecevables les demandes incidentes de M. [J] [X] et de la société Juriscampan visant à obtenir la condamnation de Mme [S] [D] à payer à M. [J] [X] une indemnité de 3 000 euros en réparation du préjudice subi dans sa vie professionnelle et personnelle et à obtenir que le montant des dommages et intérêts qui leur ont été alloués en première instance pour procédure abusive soit portés à la somme de 1 000 euros chacun ;
Déclare M. [J] [X] et la société Juriscampan irrecevables en leur demande en paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’atteinte à la présomption d’innocence et mal fondés en cette même demande pour dénonciation calomnieuse, dont il sont, par suite s’agissant de ce deuxième fondement juridique , déboutés;
Déboute Mme [N] [D] de ses demandes ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [N] [D] à payer une somme de 2 000 euros à la société Juriscampan et une somme de 2 000 euros à M. [J] [X] ;
Condamne Mme [N] [D] aux dépens de la procédure d’appel.
– prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,