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22 septembre 2022
Cour d’appel d’Angers
RG n°
20/00288
COUR D’APPEL
d’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00288 – N° Portalis DBVP-V-B7E-EWBX.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAUMUR, décision attaquée en date du 23 Juillet 2020, enregistrée sous le n° F 19/00057
ARRÊT DU 22 Septembre 2022
APPELANT :
Monsieur [A] [I]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Bruno ROPARS de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 30190096
INTIMEE :
S.A. COFIROUTE Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés
en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Nathalie GREFFIER, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 20136 et par Maître ASTRUC, avocat plaidant au barreau de LYON
En présence de Madame [W], responsable des ressources humaines.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Juin 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame DELAUBIER, conseiller chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Madame Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Nathalie BUJACOUX
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 22 Septembre 2022, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame DELAUBIER, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La société Anonyme Cofiroute, dans le cadre d’une délégation de service public, assure l’exploitation et la gestion d’autoroutes dans l’ouest de la France et la région parisienne. Elle a procédé à l’embauche de M. [A] [I], selon contrat de travail à durée indéterminée du 14 mars 2011, en qualité d’agent routier, ‘classification C’ de la convention collective nationale des sociétés concessionnaires ou exploitantes d’autoroutes ou d’ouvrages routiers du 27 juin 2006.
Aux termes de deux lettres remises en main propre le 10 décembre 2018, la société Cofiroute a convoqué M. [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 18 décembre suivant lui notifiant également une mise à pied conservatoire.
Par courrier du 21 décembre 2018, la société Cofiroute a notifié au salarié son licenciement pour faute grave motif pris en substance, de gestes déplacés à connotation sexuelle commis à l’encontre de deux salariées de l’aire de service Shell de [Localité 7] située sur l’autoroute A85 dans le sens [Localité 8]-[Localité 5].
Le 24 décembre 2018, M. [I] a déposé une plainte pour dénonciation calomnieuse à l’encontre des deux salariées de l’aire de service concernées par les faits reprochés.
Par courrier du 4 janvier 2019, M. [I] a contesté les griefs formulés contre lui auprès de son employeur en sollicitant des précisions sur divers points, précisions apportées en réponse par la société Cofiroute dans une lettre du 22 janvier 2019.
Le 12 juillet 2019, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Saumur pour solliciter en dernier lieu, à titre principal et avant-dire-droit, la comparution personnelle de Mmes [M] [X] et [O] [Y] devant le bureau de jugement en vue de recueillir leurs déclarations orales. Subsidiairement, il demandait que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de l’employeur à lui verser une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents, un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 10 au 21 décembre 2018 et les congés payés y afférents, l’indemnité conventionnelle de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ainsi qu’une indemnité de procédure en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 23 juillet 2020, le conseil de prud’hommes a :
– débouté M. [I] de sa demande de renvoi de l’affaire à une nouvelle audience de bureau de jugement afin de permettre la réalisation d’une mesure d’instruction ;
– dit que le licenciement pour faute grave de M. [I] est justifié ;
– débouté M. [I] de l’intégralité de ses demandes ;
– débouté la société Cofiroute de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– laissé à la charge de chacune des parties les dépens exposés par elle.
M. [I] a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 3 août 2020, son appel portant sur l’ensemble des dispositions lui faisant grief, énoncées dans sa déclaration.
La société Cofiroute a constitué avocat le 3 septembre 2020.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 mai 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du conseiller rapporteur du 2 juin 2022.
*
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [I], dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 29 octobre 2020 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
A titre principal, avant-dire droit :
– ordonner à Mme [M] [X], demeurant (…) et à Mme [O] [Y], demeurant (…), de comparaître devant la cour en vue de recueillir leurs déclarations orales sur leur accusation d’agression sexuelle à son encontre ;
A titre subsidiaire :
– juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse ;
– condamner en conséquence la société Cofiroute à lui payer les sommes suivantes :
* 5815,06 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis (2 mois) ;
* 581,50 euros brut au titre des congés payés afférents ;
*1091,22 euros brut à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 10 au 21 décembre 2018 ;
* 109,12 euros brut au titre des congés payés y afférents ;
* 11 266,67 euros net à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
* 23 260,24 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L. 1235-3 du code du travail (8 mois);
* 33 000 euros net au titre des circonstances vexatoires de la rupture, portant injustement atteinte à son image, son honneur et sa réputation ;
– la condamner à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [I] fait valoir en substance qu’il conteste le bien fondé de son licenciement en déniant avoir commis le moindre geste déplacé à l’encontre des salariées avec lesquelles il entretenait uniquement une relation de ‘franche camaraderie’ depuis de nombreuses années. Il souligne qu’en plus de 7 ans de collaboration avec la société Cofiroute, il n’a fait l’objet d’aucun reproche pour des faits similaires. Il critique à de nombreux titres les pièces produites par l’employeur, tout particulièrement les attestations versées qualifiées de ‘mensongères’ ainsi que le constat d’huissier accompagnant les images vidéo qu’il estime ‘partisan’. Il ajoute qu’au contraire, une analyse objective de ce document issu d’une caméra de surveillance révèle qu’il n’a jamais commis les agissements reprochés.
Au regard de la contradiction patente entre ces enregistrements vidéo et les attestations des salariées prétendument victimes, il considère que l’audition de ces dernières doit être ordonnée en application des articles 143, 203 et 223 du code de procédure civile.
Enfin, M. [I] insiste sur les circonstances vexatoires dans lesquelles son licenciement est intervenu, en ce que celui-ci constitue une diffamation, sollicitant en conséquence une indemnisation à la juste mesure du préjudice subi.
*
Par conclusions régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 13 janvier 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la société Cofiroute demande à la cour de :
– déclarer M. [I] non fondé en son appel ainsi qu’en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; l’en débouter ;
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de renvoi afin de permettre la réalisation d’une mesure d’instruction, dit que le licenciement est justifié et débouté M. [I] de toutes ses prétentions ;
– débouter M. [I] de l’intégralité de ses demandes ;
– le condamner à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La société Cofiroute fait valoir que le licenciement prononcé est parfaitement justifié et repose sur une faute grave en ce que M. [I] a adopté un comportement totalement inadmissible à l’égard de deux employées de l’aire de services de [Localité 7], en leur imposant des gestes et propos déplacés et ce, de manière réitérée et insistante.
Elle estime démontrer cette faute par la production devant la cour d’attestations notamment des plaignantes, de vidéos ainsi que du constat d’huissier de ces enregistrements, lesquels confirment au surplus le caractère mensonger des allégations de M. [I].
L’employeur rappelle que dans ces conditions, il n’était pas tenu à une quelconque confrontation entre les victimes et relève que les attestations produites par le salarié visant à démontrer sa moralité irréprochable ne sont pas de nature à remettre en cause la réalité des faits fautifs.
La société Cofiroute indique en outre qu’en application de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 les constatations établies par huissier font foi jusqu’à preuve du contraire, laquelle n’est aucunement rapportée par M. [I].
En définitive, l’employeur fait valoir que le salarié doit être débouté de l’intégralité de ses demandes, en particulier de ses demandes de dommages et intérêts dès lors qu’en tout état de cause, il ne démontre nullement le préjudice qu’il aurait subi ensuite du licenciement qu’il qualifie de vexatoire.
***
MOTIFS DE LA DÉCISION
– Sur le licenciement pour faute grave :
La faute grave privative du droit aux indemnités de rupture, qu’il appartient à l’employeur de démontrer, correspond à un fait ou un ensemble de faits qui, imputables au salarié, constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement du 21 décembre 2018, qui fixe les limites du litige, est ainsi motivée :
‘Par lettre remise en main propre le 10 décembre 2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé au 18 décembre 2018 à 11h dans les locaux du centre d’exploitation de [Localité 9].
L’entretien s’est déroulé en ma présence ainsi que celle de Mme [E] [S], Responsable Ressources Humaines et de Monsieur [P] [R], Délégué Syndical, qui vous accompagnait.
Voici l’énoncé des faits :
Le 3 décembre dernier j’ai été contacté par le responsable de l’aire de service « [Localité 7] » se situant sur l’autoroute A85 dans le sens [Localité 8]-[Localité 5], au sujet d’agissements commis par un agent routier de Cofiroute envers le personnel de l’aire.
[E] [S], responsable ressources humaines, et moi-même avons immédiatement pris rendez-vous avec le responsable du site et le gérant de cette sous-concession autoroutière.
Nous avons également demandé à rencontrer le personnel qui indiquait être victime de tels agissements, pour les entendre et mesurer la gravité des faits. Ce rendez-vous s’est déroulé le vendredi 7 décembre 2018.
Il s’est avéré que le dimanche 25 novembre 2018, alors que vous étiez en « poste de sécurité » de 13h à 21h, vous vous êtes rendu dans les locaux de l’aire de service pré-citée pour y faire une pause. Aux alentours de 15h, vous vous êtes introduit dans l’espace de préparation des repas, local pourtant strictement réservé au personnel de l’aire de service et donc interdit aux visiteurs.
Une hôtesse de l’aire de service, qui travaillait au même instant dans l’espace d’accueil du public, vous a alors demandé, à deux reprises de sortir de ce local. Voyant que vous ne respectiez pas ses consignes et vous mainteniez votre présence dans un local qui vous était interdit, la salariée a été contrainte de venir vous chercher.
C’est alors, qu’en la suivant, vous lui avez mis une « main aux fesses » que l’hôtesse a qualifiée de « violente ». Elle s’en est, d’ailleurs, immédiatement offusquée. Vous avez ensuite fait semblant de lui porter un coup de pied aux fesses.
L’hôtesse a, par la suite, décidé de prévenir sa hiérarchie de votre comportement.
Compte tenu de ces faits, une seconde hôtesse a indiqué, de la même manière, être victime de tels agissements en précisant avoir été touchée par vous « aux fesses » à trois reprises depuis le mois de septembre 2018 et toujours dans le cadre de votre service. La salariée nous a également dit que vous lui avez retiré un poil de chat sur son tee-shirt au niveau de sa poitrine et fait de grandes « caresses » dans le dos.
Cette même hôtesse a précisé se sentir mal après ces actes et avoir peur de vous au point de mettre en place une stratégie d’évitement à votre égard lorsque vous vous rendiez sur cette aire.
Après avoir entendu les témoignages de ces salariées de l’enseigne Shell dont nous sommes partenaires et au regard de la gravité des faits reprochés, nous avons décidé de vous remettre une mise à pied conservatoire dès le lundi suivant, 10 décembre 2018.
Lors de l’entretien du 18 décembre 2018, vous avez expliqué entretenir une relation de complicité et de « franche camaraderie » avec le personnel de l’aire depuis de nombreuses années et nié avoir eu des gestes déplacés.
Concernant l’incident du 25 novembre 2018, vous avez confirmé avoir fait semblant de mettre un coup de pied sans aucune méchanceté mais par «taquinerie ». En revanche, vous avez déclaré n’avoir aucun souvenir d’avoir mis une main aux fesses à cette personne. Vous avez également précisé que vous ne saviez pas pourquoi ces deux salariées avaient fait de telles déclarations.
Les explications recueillies auprès de vous ne sont aucunement de nature à excuser votre comportement. En commettant des gestes à connotation sexuelle, de façon répétée et à l’occasion de votre activité professionnelle, vous avez porté atteinte à la dignité du personnel de l’aire de service, partenaire de notre société, créant, à leur encontre, une situation intimidante, hostile et offensante.
En agissant ainsi, vous avez enfreint les dispositions du règlement intérieur et notamment les articles suivants :
-Article 3.2.3 : ‘Il est interdit d’avoir ‘des attitudes offensantes à l’égard tant des salariés de la société que des tiers’ ;
-Article 3.2.1 : Les salariés doivent :
‘ « s’abstenir de tout comportement ou agissement susceptible de nuire à la bonne harmonie dans l’entreprise ou de porter atteinte au renom et aux intérêts de celle-ci » ;
‘ « se départir de quelque façon que ce soit des dispositions du code anti-corruption et de la charte éthique VINCI » ;
-Article 3.2.5 : Les salariés sont tenus d’ « exécuter les tâches qui leur sont confiées et le travail qui leur est commandé en respectant les directives et consignes données par la hiérarchie.
En conséquence nous avons décidé de vous notifier votre licenciement pour faute grave sans indemnités de licenciement ni préavis. Vous serez pointé en mise à pied conservatoire non payée du 10 décembre au 21 décembre 2018. Vous sortirez des effectifs à la date d’envoi du présent courrier soit le 21 décembre 2018 au soir.[…]’
Il résulte des termes de la lettre de licenciement rappelés ci-dessus que l’employeur reproche à M. [I] d’avoir commis des gestes déplacés -à connotation sexuelle-, de façon répétée et à l’occasion de son activité professionnelle à l’égard de deux hôtesses d’une aire de service ‘de l’enseigne Shell’ dont elle est partenaire, à savoir Mmes [M] [X] et [O] [Y].
Le contrat de travail de M. [I], signé de sa main après avoir apposé la mention ‘lu et approuvé’, stipule en son dernier article que ‘les parties s’engagent à respecter les dispositions légales, réglementaires, conventionnelles en vigueur dans l’entreprise et vous déclarez voir pris connaissance du règlement intérieur (…)’.
L’employeur verse aux débats le dit règlement, lequel prévoit en son article 3.2 ‘Discipline générale’ que les salariés doivent ‘s’abstenir de tout comportement ou agissement susceptible de nuire à la bonne harmonie dans l’entreprise ou de porter atteinte au renom et aux intérêts de celle-ci'(3.2.1) et ne pas ‘tenir des propos injurieux ou d’avoir des attitudes offensantes à l’égard tant des salariés de la société que des tiers particulièrement les clients de l’autoroute’ (3.2.3).
Pour établir la matérialité des faits reprochés à M. [I] et commis en violation du règlement intérieur, la société Cofiroute produit aux débats :
– une attestation de M. [G] [H], supérieur hiérarchique Mmes [X] et [Y] de la station Shell, lequel indique que le lundi 26 novembre 2018 au matin, il a été informé de ce que Mme [X], salariée de son équipe, reprochait à un agent autoroutier prénommé [A], de lui avoir ‘mis une main aux fesses’. Il ajoute que,’en discutant de ces faits dont la victime était choquée et en colère’, il a appris qu’un autre membre de l’équipe, Mme [O] [Y], ‘subissait du harcèlement depuis plusieurs mois de la part de ce même agent’. Enfin, il mentionne que cette dernière ‘était encore choquée et au bord des larmes’ à l’évocation des agissements qu’il lui demandait de relater ;
– une attestation de Mme [Y] narrant différents agissements de M. [I] commis à son encontre à compter de septembre 2018 ; elle relate un premier fait qui se serait produit dans le local de plonge où elle travaillait et où M. [I], qui quelques temps auparavant lui avait fait une remarque concernant son jean à poches arrières assorties de ‘paillettes’, ‘m’a caressé la fesse droite avec sa main gauche pour savoir si aujourd’hui je l’avais porté [son jean]. Sur le coup s’était très gênant mais surtout je fus surprise de son attitude’. Elle précise : ‘je laisse courir ce premier geste pensant à un mauvais geste qui peut être n’avait pas de connotation sexuelle. Peut-être un malentendu. Surtout que c’était une personne que je respectais bien au travail’.
Elle ajoute qu’un autre jour, alors qu’elle mangeait au dehors, il lui avait transmis son numéro de téléphone personnel et avait insisté pour la voir la contraignant ‘voyant cette insistance’ à l’éviter.
Elle mentionne au titre des ‘gestes de trop’ comment une autre fois, alors qu’elle était dehors après son service et que prévenue par ses collègues de l’arrivée de M. [I] (‘mes collègues étaient toutes au courant du coup une forme de protection s’était mise en place’), elle s’était dirigée précipitamment au parking ’employés’, tombant néanmoins nez à nez avec lui, faisant ‘comme si de rien était’ tout en lui disant qu’elle était pressée, le salarié s’était alors adressé à elle : ‘ne bouge pas manu, tu as quelque chose sur toi ; croyant que c’était une bestiole il décide d’enlever un poil de chat sur mon t-shirt au niveau de la poitrine (…) Il refait une inspection du jean à paillettes deux fois en touchant mes fesses. Pour se dire au revoir, il me fait des grandes caresses sur tout le dos’. Mme [Y] indique qu’elle ne savait ‘même pas comment réagir’, cela était ‘de plus en plus tétanisant, surprenant et sale’.
Enfin, la salariée explique le déroulement d’un dernier passage de M. [I] correspondant à la journée du dimanche 25 novembre 2018, comment elle a demandé la fermeture de la porte de la cuisine à l’annonce de son arrivée, les tentatives de celui-ci pour venir la voir tout de même et lui parler, ce malgré les interventions de [M] ([X]) pour l’en dissuader, concluant qu’en voulant la protéger, sa collègue avait aussi subi ‘la main aux fesses, ‘ Heureusement la caméra a tout filmé, tout va cesser’.
– une attestation de Mme [M] [X] qui indique que le ‘ Dimanche 25 novembre 2018, un agent cofiroute «[A]» s’est présenté à notre station Shell [Localité 7]. Ma collègue [O] [Y] présente ce jour là ne voulant pas le voir s’est enfermée dans notre local de préparation. Son comportement m’a quelque peu interloqué car à l’annonce de l’arrivée de [A] elle m’a paru paniquée voire affolée et m’a demandé de fermer immédiatement la porte du local afin qu’il ne la voit pas.’Elle ajoute que ‘Ce jour là comme à son habitude [A] s’est introduit par la porte de la plonge, malgré le fait que je lui ai demandé de ne pas y aller, pour parler à [O]. Sachant qu’elle ne souhaitait pas le voir, je suis allée le chercher une première fois, puis une seconde fois. Lors de cette dernière, lorsque je me suis retournée afin de rejoindre le bar, [A] s’est également retourné, a pris une bonne impulsion pour me mettre une assez violente «main aux fesses». Je lui ai clairement exprimé mon désaccord, tout en restant bien entendu choquée de ce qui venait de se passer.’
– une clef USB comportant les images de vidéo-surveillance du dimanche 25 novembre 2018 entre 14h56 et 15h18 de la salle de restauration comprenant le meuble-bar derrière lequel travaillait Mme [X], ainsi qu’un procès-verbal de constat réalisé par Me [N] le 13 décembre 2018 par lequel l’huissier, transporté sur l’air de service à la
demande de la société Cofiroute, met en mots les images visionnées, en explicitant la disposition des lieux filmés.
Me [N] y mentionne que dans la salle ouverte à la clientèle, à l’arrière du bar, elle constate la présence d’une porte d’accès à la salle de plonge située à l’extrémité, avec un autocollant ‘entrée interdite’, ainsi qu’une autre porte communicante avec la salle de préparation ce jour là ouverte. Il lui est expliqué que les deux portes sont ouvertes en permanence pour des raisons pratiques de travail, et que ce sont des zones privées à usage des salariés. L’huissier précise que sur les vidéos la porte de la salle de préparation est fermée et qu’entre la salle de plonge et celle de préparation, il existe une porte dont l’ouverture est empêchée par un congélateur à l’arrière dans la salle de préparation, la porte ne pouvant que s’entrouvrir, constatation non critiquée sur ce point par M. [I].
Le visionnage de ces images par la cour permet de relever précisément l’arrivée à 14H57 de M. [I] en tenue de travail jaune fluorescente dans la salle de restauration où se trouve Mme [X] derrière le bar. Il y apparaît que celui-ci, prenant appui sur la barre repose-pied, se penche par dessus le bar vers la salariée pour manifestement la saluer comme s’il souhaitait lui faire la bise, que la salariée réagit en tournant la tête et en s’éloignant vers le grill, M. [I] se rendant alors à l’extrémité du bar en faisant mine de donner un coup de pied à Mme [X].
Puis, il est manifeste qu’à trois reprises, M. [I] s’est dirigé vers l’espace réservé au personnel, ombré sur la vidéo, s’avérant être le sas d’entrée vers la salle de plonge où Mme [Y] avait indiqué s’y être retirée, et que Mme [X] s’y est également rendue à deux reprises. Plus particulièrement, à 14H59, alors que Mme [X] ressortait de cette zone, M. [I] a surgi par derrière en effectuant un geste rapide de la main à hauteur des fesses de la salariée. Celle-ci s’en rendant compte, s’est retournée immédiatement, lui adressant un geste réprobateur en pointant son doigt en l’air pour ainsi que l’indique l’huissier lui ‘signifier d’arrêter ce genre de comportement’.
M. [I] invoque pour sa part ‘un léger tirage de tablier amical au niveau de la taille’, ou encore ‘un geste de camaraderie, certes puéril’, qui n’aurait porté que sur ‘le tissu du tablier au niveau du côté gauche de la taille, étant précisé que comme le tissu a été tiré vers le bas, il n’est pas impossible que la fesse de [M] [X] ait été frôlé par inadvertance.’
Cependant, à l’évidence, ces images vidéo confortent les dires de Mme [X] et de Mme [Y] en ce qu’il est établi que M. [I], se comportant ‘en terrain conquis’ sur cette partie de l’aire de service, ne s’est pas contenté de gestes familiers tels que tenter de faire la bise à Mme [X], ou de déplacements en des lieux non autorisés ouverts au seul personnel de l’aire de service dont il ne faisait pas partie, mais a aussi commis des gestes déplacés en perturbant les deux salariées dans l’accomplissement de leurs tâches. Il a manifestement cherché à porter sa main à hauteur des fesses de Mme [X] laquelle a bien été touchée puisqu’elle s’est retournée immédiatement en le vilipendant.
En outre, les déplacements de Mme [X] vers la salle de plonge ou à tout le moins le sas d’entrée de cette salle, visibles sur les enregistrements vidéo confirment ses propos, en ce qu’elle indiquait y être aller pour chercher M. [I] et l’éloigner de Mme [Y] et ce, même si celui-ci ne pouvait que lui parler d’où il se trouvait. La porte fermée de la salle de préparation le jour des faits litigieux tend à établir la crédibilité des propos des salariées affirmant que Mme [Y] avait sollicité la fermeture de cette porte en apprenant la venue de M. [I].
Contrairement à ce que soutient M. [I], la matérialité du grief concernant le geste effectué sur Mme [X] est suffisamment établi par les images de vidéo-surveillance et l’attestation de la salariée.
Même si les autres agissements de M. [I] dénoncés par Mme [Y]- caresses aux fesses et au dos-, lesquels se sont déroulés en extérieur, ne sont pas objectivés par la vidéo-surveillance, il reste que les gestes déplacés reprochés et ce à plusieurs reprises à son encontre doivent également être considérés comme établis compte tenu de l’attestation très circonstanciée de l’employée, et de ses propos rapportés tant à sa collègue qu’à son supérieur hiérarchique qui ont attesté les avoir recueillis. Enfin, il n’est pas contesté que Mme [Y] -comme Mme [X]- ont été entendues une nouvelle fois ce, directement et personnellement le 7 décembre 2018 par deux responsables de la société Cofiroute, laquelle n’avait pas l’obligation d’organiser une quelconque confrontation avec le salarié ainsi désigné.
Par ailleurs, les deux salariées ne remettent pas en cause l’existence de bonnes relations avec M. [I] avant les premiers agissements dénoncés et il n’est allégué aucun motif de nature à expliquer ou justifier le caractère mensonger des dires de Mmes [X] et [Y] tel que prétendu par le salarié, ni les éventuelles raisons pour lesquelles celles-ci lui en voudraient au point de souhaiter qu’une telle sanction disciplinaire lui soit infligée.
En outre, les comptes-rendus d’entretien professionnel annuel dépourvus de toutes appréciations négatives quant aux relations de M. [I] avec ses collègues, ou encore les attestations de la présidente de l’association de football féminin dirigé par celui-ci de 2005 à 2010, comme celle du directeur de la coopérative des producteurs légumiers de [Localité 6] au sein de laquelle M. [I] a travaillé jusqu’en 2004, invoquant le comportement irréprochable du salarié envers les footballeuses puis avec ses collègues ne sont pas de nature à remettre en cause les griefs établis.
Enfin, M. [I] ne dit rien concernant les suites données à sa plainte pour dénonciation calomnieuse déposée le 24 décembre 2018 à l’encontre des deux salariées, soit depuis plus de trois ans et demi.
En définitive, aucun élément objectif ne permet de mettre en doute la version des évènements donnée par Mmes [X] et [Y] de sorte que la matérialité des faits qu’elles dénoncent, dont certains sont objectivés par les images de la caméra de surveillance, est établie.
L’ensemble de ces éléments tels qu’analysés conduit à rejeter la demande de mesure d’instruction aux fins d’entendre Mmes [X] et [Y] dont les attestations ne contredisent en rien les images de vidéo-surveillance.
Ces gestes déplacés effectués sur deux salariées de la station Shell et ce, de manière répétée pour l’une d’entre elles, constituent autant d’attitudes offensantes adoptées en violation du règlement intérieur, et au-delà, des gestes à connotation sexuelle qu’une ‘franche camaraderie’ ne saurait en aucun cas justifier ou excuser.
Ces comportements inadaptés commis par M. [I] à l’occasion de l’exécution de son contrat de travail, et ce même durant ses pauses, caractérisent un manquement à ses obligations suffisamment grave pour rendre impossible son maintien dans l’entreprise et justifier son licenciement pour faute grave.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse constitutive d’une faute grave et a rejeté l’ensemble de ses demandes présentées au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire :
Un salarié peut solliciter des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire lorsqu’il apparaît que son employeur a entouré le licenciement d’un comportement brutal, injurieux ou propre à porter atteinte à sa dignité.
Une telle preuve n’est toutefois pas rapportée, en l’espèce, à l’encontre de la société Cofiroute qui n’a ni dénigré, ni injurié son salarié, ni fait preuve à son égard d’une particulière brutalité, ni entouré la rupture d’aucune circonstance vexatoire.
M. [I] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
– Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement doit être confirmé sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et s’agissant des dépens de première instance.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel en faveur de l’une ou l’autre des parties.
M. [I], partie perdante, doit être condamné aux entiers dépens de la procédure d’appel.
***
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
DIT n’y avoir lieu à ordonner avant-dire droit la mesure d’instruction sollicitée par M. [A] [I] ;
CONFIRME le jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Saumur le 23 juillet 2020 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE la SA Cofiroute et M. [A] [I] de leur demande respective fondée sur l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel;
CONDAMNE M. [A] [I] aux entiers dépens de la procédure.
LE GREFFIER,P/ LE PRÉSIDENT empêché,
Viviane BODIN M-C. DELAUBIER