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22 juin 2022
Cour d’appel de Reims
RG n°
21/00787
Arrêt n°
du 22/06/2022
N° RG 21/00787
CRW/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 22 juin 2022
APPELANTE :
d’un jugement rendu le 26 mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes de TROYES, section Encadrement (n° F 20/00061)
SAS SAICA PAPER EL
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER, avocats au barreau de LYON et par la SELARL DEGUERRY, PERRIN ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
INTIMÉ :
Monsieur [R] [N]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Elif ERDOGAN, avocat au barreau de TOURS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 mai 2022, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 22 juin 2022.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
[R] [N] a été embauché du 1er novembre 2016 au 31 août 2017, en qualité d’acheteur technique par la société Emin Leydier, aux droits de laquelle se trouve la SASU Saica Paper El. À l’issue, les parties ont conclu un contrat à durée indéterminée, pour [R] [N] occuper les fonctions d’acheteur technique.
Dans le dernier état de la relation salariale, [R] [N] occupait, selon avenant du 1er août 2018, le poste de responsable achats techniques et en production des établissements de [Localité 6] (10) et de [Localité 5] (26), pour la relation salariale être soumise à la convention collective des ingénieurs et cadres de la production de papiers.
Sur la base de dénonciations de faits qui lui seraient imputables, [R] [N] a été entendu sur ces faits, susceptibles de caractériser des faits de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, par la responsable des ressources humaines de l’entreprise, en présence d’un délégué syndical, membre titulaire du CSE, le 4 juillet 2019.
Par courrier remis en main propre du 5 juillet 2019, [R] [N] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour celui-ci se tenir le 15 juillet 2019.
Ce courrier lui notifiait sa mise à pied conservatoire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 juillet 2019, la SASU Saica Paper El a notifié à [R] [N] son licenciement, au motif d’une faute grave.
Contestant notamment le bien-fondé du licenciement dont il a fait l’objet, [R] [N] a saisi, par requête enregistrée au greffe le 27 avril 2020, le conseil de prud’hommes de Troyes.
Se prévalant de la procédure pénale qu’il avait engagée à l’encontre de la salariée à l’origine des accusations proférées à son encontre, pour dénonciation calomnieuse, il prétendait, aux termes de ses dernières conclusions,
– au sursis à statuer dans l’attente de la décision pénale à intervenir,
– à la condamnation, sous exécution provisoire, de la SASU Saica Paper El au paiement des sommes suivantes :
– 8 712 euros au titre de la prime sur objectifs,
– 2 384,52 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
– 16’213,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 621,35 euros à titre de congés payés afférents,
– 4 878,55 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 48’640,68 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
– 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’affichage de la décision à intervenir dans les locaux des 2 sites de la société, à l’entrée des services achats respectifs, pendant une durée d’un mois à compter de la notification de la décision, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par jugement du 26 mars 2021, le conseil de prud’hommes de Troyes a dit dénué de cause réelle et sérieuse le licenciement dont a fait l’objet [R] [N] et a condamné la SASU Saica Paper El à lui payer :
– 2 384,52 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
– 16’213,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 621,35 euros à titre de congés payés afférents,
– 4 878,55 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 17’000 euros à titre de dommages-intérêts,
– 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
En revanche, le conseil de prud’hommes a débouté [R] [N] en ses autres demandes et la SASU Saica Paper El en sa demande reconventionnelle.
La SASU Saica Paper El a interjeté appel de cette décision le 15 avril 2021.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 6 décembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie appelante par lesquelles la SASU Saica Paper El relève, sur la procédure pénale, que [R] [N] s’est désisté de l’instance qu’il avait engagée à l’encontre de sa collègue qu’il avait citée directement devant le tribunal correctionnel, ceci lors de l’audience du 21 septembre 2021.
Sur le bien-fondé du licenciement de son salarié, elle maintient que la faute grave retenue au soutien de celui-ci, fondée sur des faits de harcèlement moral et/ou sexuel auxquels celui-ci s’est livré à l’encontre d’une collègue, étayés par l’audition de celle-ci et d’autres collègues, est avérée.
Elle prétend donc à l’infirmation du jugement qui a dit dénué de cause réelle et sérieuse le licenciement de son salarié, pour conclure, prétendant à la confirmation du jugement, s’agissant des chefs de demandes dont celui-ci a été débouté, au débouté intégral de [R] [N] en l’ensemble de ses demandes.
En revanche, elle sollicite sa condamnation au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 20 décembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie intimée par lesquelles [R] [N], se prévalant du caractère mensonger des accusations portées à son encontre, (que ne peut remettre en cause son désistement de la procédure pénale qu’il avait engagée à l’encontre de sa collègue), de la carence de l’employeur à procéder à une enquête loyale sur le bien-fondé de ces accusations, sollicite la confirmation du jugement qui a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont il a fait l’objet et fait droit, pour les sommes qu’il réclamait, à ses demandes en paiement afférentes à l’indemnité de préavis, des congés payés afférents et à l’indemnité conventionnelle de licenciement.
En revanche, prétendant voir écarter le barème énoncé par les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail, au regard de son inconventionnalité, pour son préjudice être, concrètement, caractérisé par l’atteinte à son image et à sa réputation qu’ont constitué les motifs de son licenciement, et maintenant qu’il est bien fondé à prétendre au paiement d’une prime d’objectifs, il prétend à l’infirmation du jugement de ces 2 chefs, pour renouveler, à titre principal, s’agissant des dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, ses prétentions initiales en paiement, demandant subsidiairement confirmation du jugement sur ce point.
S’agissant de la prime d’objectifs, il renouvelle sa prétention à paiement pour la somme qu’il avait initialement sollicitée.
Il prétend également voir ordonner l’affichage de la décision, selon les modalités initialement sollicitées et demande condamnation de son employeur au paiement d’une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur ce :
– sur la demande en paiement de la prime d’objectifs
Se prévalant du caractère abusif de la rupture de son contrat de travail, [R] [N] prétend à la condamnation de son employeur au paiement de la somme de 8 712 euros au titre de la prime sur objectifs, au montant identique à celle qu’il avait perçue au titre de l’année précédente en considérant que son licenciement l’a privé de la possibilité d’atteindre les objectifs qui lui avaient été fixés.
Toutefois, dès lors que le contrat avait été rompu en cours d’année, les premiers juges en ont exactement déduit que le salarié n’avait pas rempli ses objectifs, que la rupture soit fondée ou non de sorte qu’il ne pouvait prétendre au paiement de la prime afférente.
La décision déférée mérite d’être confirmée de ce chef.
– sur le bien-fondé du licenciement
La faute grave, dont la charge de la preuve incombe à l’employeur, telle qu’énoncée dans la lettre de licenciement dont les termes fixent le cadre du litige soumis à l’appréciation des juges du fond se définit comme un fait ou un ensemble de faits, imputables au salarié, caractérisant de sa part un manquement tel aux obligations découlant de la relation de travail que son maintien dans l’entreprise, pendant la durée du préavis, s’avère impossible.
En l’espèce, la lettre de licenciement adressée à [R] [N] le 18 juillet 2019 est ainsi libellée :
«’1°/vous occupez au sein de notre entreprise le poste de « Responsable Achats directs et indirects » sur les sites de [Localité 6] et de [Localité 5].
Vous devez, à ce titre, assumer vos fonctions conformément aux règles du code du travail et en adéquation avec l’éthique de l’entreprise.
Ces exigences, au regard notamment de vos fonctions, nécessitent que vous appliquiez avec rigueur ces principes à l’égard de l’ensemble des salariés, de vos collègues de travail et, plus particulièrement, ceux placés sous votre autorité.
2°/A la fin du mois de mai 2019, il a été porté à notre connaissance qu’une salariée de notre entreprise du site de [Localité 6] était l’objet de faits d’une particulière gravité susceptibles de caractériser une situation de harcèlement moral et/ou sexuel dont vous seriez l’auteur.
Saisis de ces faits nous avons, conformément à nos obligations, mis en place une enquête interne menée par le service Ressources humaines de l’entreprise accompagné d’un membre du Comité social et Économique de l’établissement de [Localité 6] aux fins de vérifier la réalité de la situation ainsi décrite.
Au terme de cette enquête, il a été établi que vous vous êtes livré au moins depuis le mois d’août 2018 et jusqu’au mois de juin 2019, à des agissements répétés, soit par parole, soit par geste ou action, à l’endroit d’une salariée notamment placée sous votre autorité mettant en évidence une situation de harcèlement moral et de harcèlement sexuel.
De tels faits ne sont pas acceptables et notamment au sein de notre entreprise.
Entendu au cours de l’enquête, vous les avez niés et avez qualifié vos relations avec les collaboratrices de votre service de «’ cordiales et amicales’ ».
Plus généralement vous ne vous êtes pas senti concerné par la situation.
Il en a été de même au cours de l’entretien préalable puisque vous avez tenté de minimiser la gravité des faits sous couvert de «’ relations amicales’ » et de manière contradictoire vous les avez, dans leur ensemble, contesté.
Vos explications n’ont pas été de nature à modifier notre appréciation de la situation.
Votre attitude, particulièrement grave, justifie un licenciement immédiat pour faute grave puisqu’elle traduit une atteinte à la dignité d’une salariée de notre entreprise’ ».
[R] [N] souligne, à juste titre, que la lettre de licenciement ne mentionne pas le nom de la salariée qui aurait porté plainte à son encontre, sans emport sur la validité des termes de cette lettre de licenciement, dès lors que cette salariée, victime, est identifiable. En effet, la lettre fait état d’une salariée, employée sur le site de [Localité 6], placée sous l’autorité de [R] [N], tandis que cette salariée, [X] [V], était sur ce site, son N-1.
Au soutien de ses griefs, l’employeur verse aux débats les comptes-rendus d’entretien qu’il a menés, suite à la dénonciation de ces faits par un membre du Conseil social et Économique, entendant [R] [N], [X] [V], le stagiaire occupant son bureau et un autre salarié. [R] [N] fait vainement grief à l’employeur d’avoir procédé à une enquête déloyale en n’entendant pas la totalité des salariés du site, alors que s’il a l’obligation de mener une enquête en interne pour lui permettre d’apprécier et de décrire les faits susceptibles de caractériser des faits de harcèlement moral et/ou des faits de harcèlement sexuel, dans le but premier de satisfaire à l’obligation mise à sa charge en termes de prévention de la santé et de la sécurité de ses salariés, il n’est pas imposé à l’employeur d’étendre ses investigations à l’ensemble des salariés, dès lors que ceux-ci n’auraient aucun fait à rapporter.
Au contraire, il ressort de l’entretien de Monsieur [D] et de celui de Monsieur [P] que ceux-ci ont pu constater, que [R] [N] pouvait prendre [X] [V] par la taille, s’asseoir contre elle pour lui montrer quelque chose à l’écran, la bloquant le long de son bureau pour être très proche d’elle physiquement, profiter du départ de l’apprenti vers 15 h 50 pour aller dans le bureau de celle-ci pour lui parler seule, étant précisé qu’elle quitte son poste de travail à 16 heures.
Tandis que Monsieur [D] évoque la peur de sa collègue lorsque [R] revenait sur site, Monsieur [P] mentionne avoir vu [X], les larmes aux yeux, après avoir constaté les gestes et propos de [R] [N] à son encontre.
Aux termes des dispositions de l’article L 1153-1 du code du travail, «aucun salarié ne doit subir des faits :
1° soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant et humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante’ ».
Or, il ressort clairement des déclarations de [X] [V], étayées par les témoignages ci-dessus rappelés, dans le cadre d’un entretien diligenté par l’employeur, mais aussi au travers des attestations que chacun d’eux a pu rédiger, que celle-ci fait état du comportement de [R] [N] à son endroit, particulièrement à compter du moment où il a été promu à la place de [H] [T], devenant alors son N +1.
Elle fait ainsi état de rapprochements physiques de la part de [R] [N], de bisous, évoquant sa proximité devant l’écran informatique, tandis qu’elle ne pouvait se décaler compte tenu de la configuration des lieux, de son attitude, derrière elle, passant ses bras autour d’elle pour l’enlacer et lui montrer quelque chose sur l’ordinateur.
Elle fait aussi état de ses demandes formulées auprès de [R] [N], lui demandant de cesser ce comportement, en vain.
Elle rapporte également les réflexions de celui-ci, lui demandant de décroiser les jambes, ou lorsqu’elle portait un T-shirt blanc qu’il « aimerait bien le voir mouillé », ses consignes pour mentionner dans chaque mail ou conversation téléphonique, notamment, le mot « bisous », ou encore l’insistance de son collègue pour la ramener à son domicile à la sortie du travail.
Mais aussi, elle évoque sa peur quand elle se retrouve seule avec lui, sa sensation de malaise, le stress, l’angoisse découlant de ces comportements, rapportant que plus elle lui demandait d’arrêter, plus il continuait et prenait du plaisir à la voir dans un état de mal-être.
Ces comportements, répétés, en dépit des dénégations de [R] [N] ont pu, objectivement, créer à l’encontre de [X] [V] une situation intimidante, hostile ou offensante, quand bien même d’autres salariées de l’entreprise analyseraient les bisous échangés avec [R] [N] comme étant du paternalisme, dans les termes des dispositions légales ci-dessus rappelées.
En conséquence, et contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, les faits reprochés à [R] [N] aux termes de la lettre de licenciement, dont il conteste le bien-fondé sont établis et caractérisent la faute grave sur le fondement de laquelle son employeur lui a notifié la rupture immédiate du contrat les liant.
Par infirmation du jugement, [R] [N] doit donc être débouté en ses demandes afférentes, conséquences de la rupture qu’il considère, à tort, abusive de son contrat de travail à savoir : l’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, l’indemnité conventionnelle de licenciement, les dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ainsi que le remboursement du salaire retenu durant la mise à pied conservatoire.
– sur les autres demandes
Compte tenu des termes de la présente décision, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a débouté [R] [N] en sa demande d’affichage de la décision à intervenir.
Il y a lieu, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de condamner [R] [N] à payer à la SASU Saica Paper El une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles que celle-ci a pu exposer en première instance et à hauteur d’appel.
En revanche, et par infirmation du jugement, [R] [N] doit être débouté en sa demande formée au titre des frais irrépétibles qu’il a exposés en première instance et à hauteur d’appel.
Par ces motifs :
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Troyes le 26 mars 2021 en ce qu’il déboute [R] [N] en sa demande en paiement d’une prime d’objectifs et en sa demande tendant à l’affichage de la décision à intervenir,
Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et, y ajoutant,
Déboute [R] [N] en l’ensemble de ses demandes découlant de la rupture prétendument abusive de son contrat de travail,
Condamne [R] [N] à payer à la SASU Saica Paper El une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et à hauteur d’appel,
Déboute [R] [N] en sa demande en paiement fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne [R] [N] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT