Dénonciation calomnieuse : 14 juin 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/00438

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Dénonciation calomnieuse : 14 juin 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/00438
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14 juin 2022
Cour d’appel de Riom
RG n°
20/00438

14 JUIN 20222

Arrêt n°

CV/SB/NS

Dossier N° RG 20/00438 – N° Portalis

DBVU-V-B7E-FMEN

S.A.R.L. TOUTE LA PROTECTION DU MASSIF CENTRAL

/

[L] [F]

Arrêt rendu ce QUATORZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

Mme Karine VALLEE, Président

Mme Claude VICARD, Conseiller

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

S.A.R.L. TOUTE LA PROTECTION DU MASSIF CENTRAL prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Franck BURRI de la SELARL FRB AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTE

ET :

M. [L] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Henri ARSAC de la SCP ARSAC, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIME

Après avoir entendu Mme VICARD, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 28 mars 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Madame le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé le 31 mai 2022, par mise à disposition au greffe, date à laquelle les parties ont été informée que la date de ce prononcé était prorogée au 14 juin 2022 conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE :

La SARL Toute La Protection Du Massif Central (ci- après dénommée la société TPMC) est une société spécialisée dans la sécurité des biens et des personnes et bénéficie de la certification APSAD attestant de la qualité d’un système de protection ou de surveillance.

Suivant un contrat de travail à durée indéterminée en date du 26 novembre 2014, M. [L] [F] a été engagé en qualité de Voyageur Représentant Placier (VRP) exclusif, à l’issue d’une formation préalable au recrutement réalisée par l’intermédiaire de Pôle Emploi. Il était chargé de commercialiser, installer et entretenir les produits vendus par la société TPMC (extincteurs, alarmes, matériels de vidéo protection et produits de sécurité).

Par courrier du 22 octobre 2015, la SARL TPMC a convoqué M. [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 10 novembre 2015, la SARL TPMC, reprochant essentiellement à M. [F] un non- respect des procédures de maintenance, a notifié au salarié son licenciement pour faute grave.

Le 02 mars 2016, M. [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Clermont- Ferrand en contestation de son licenciement et paiement de diverses sommes tant au titre de l’exécution que de la rupture du contrat de travail.

Le 21 juillet 2016, la SARL TPMC a déposé plainte à l’encontre de M. [F] pour mise en danger d’autrui, laquelle a donné lieu à un classement sans suite le 30 juillet 2018.

Par jugement du 20 novembre 2017, le conseil de prud’hommes de Clermont- Ferrand a :

– dit et jugé que le licenciement de M. [F] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;

– dit et jugé recevables mais partiellement fondées les réclamations présentées par M. [F];

– condamné la société TPMC à payer à M. [F] les sommes suivantes :

* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 1.175,37 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied ;

* 117,53 euros au titre des congés payés afférents ;

* 3.358,24 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

* 335,82 euros à titre d’indemnités de congés payés sur préavis ;

* 1.175,38 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

* 24.081,29 euros à titre de contrepartie de la clause de non concurrence et des congés payés afférents ;

* 250 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut d’information du système de géolocalisation ;

* 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation en justice de l’employeur, soit le 7 mars 2016, et que celles accordées à titre d’indemnités produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et ce, avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales;

– condamné la SARL TPMC à remettre à M. [F] les documents Pôle Emploi, le bulletin de paie et le certificat de travail conformes à la décision, sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours suivant la notification du jugement et ce, pendant un mois, le conseil se réservant le droit de liquider cette astreinte;

– dit sans objet la demande au titre de l’article 10 du décret n° 2001-212 du 08 mars 2001;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire autre que celle de droit ;

– débouté M. [F] du surplus de ses demandes ;

– débouté la SARL TPMC de ses demandes reconventionnelles et condamné cette dernière aux frais et dépens.

Le 21 décembre 2017, la SARL TPMC a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 22 novembre 2017.

La procédure d’appel a été clôturée le 27 janvier 2020 et l’affaire appelée à l’audience de la chambre sociale du 17 février 2020.

Par arrêt du 3 mars 2020, la cour d’appel a ordonné la radiation de l’instance.

L’affaire, réenrôlée le 5 mars 2020 sur demande de M. [F], a été clôturée le 28 mars 2022 et appelée à l’audience de la chambre sociale du même jour.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 23 mars 2022, la SARL TPMC conclut à l’infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [F] les sommes de 24.081,49 euros en contrepartie de la clause de non- concurrence et 250 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut d’information du système de géolocalisation.

L’appelante demande à la cour, statuant à nouveau, de :

– juger que le licenciement de M. [F] est justifié par une faute grave;

– condamner M. [F] à lui payer la somme de 3.641,54 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécution déloyale du contrat,

– condamner M. [F] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens de première instance et d’appel.

La SARL TPMC fait tout d’abord valoir que contrairement à ce qu’a retenu la juridiction prud’homale, le contrat de travail de M. [F] prévoyait, outre des fonctions commerciales, une mission d’entretien des extincteurs pour laquelle il avait été préalablement formé avant son recrutement; que la matérialité des écarts de maintenance et leur imputabilité à M. [F] sont établies, notamment par un rapport d’expertise du CNPP; que le non- respect des procédures de maintenance aboutit à mettre entre les mains de l’utilisateur un extincteur inutilisable, alors que la société, intervenant dans le domaine de la sécurité des biens et des personnes, est soumise à une obligation de résultat à l’égard de ses clients; qu’en conséquence, les manquements professionnels reprochés à M. [F], exposant indirectement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures, sont constitutifs d’une faute grave ayant justifié son licenciement.

A l’appui de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts, elle soutient que M. [F] a fait preuve d’une particulière déloyauté dans l’exécution de son contrat de travail; qu’il a privilégié les interventions commerciales, plus rémunératrices, aux dépens des missions de vérification et de maintenance, service pourtant dû au client une fois l’installation vendue; que le comportement de M. [F] l’a contrainte à vérifier tous les sites sur lesquels il était intervenu afin de sécuriser la prestation rendue; que le préjudice dont l’indemnisation est réclamée correspond à deux mois de travail d’un salarié à temps plein rémunéré comme l’intimé.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 14 mars 2022, M. [F] conclut à la confirmation du jugement déféré, sauf en ce qu’il a limité le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 5.000 euros et pour la géolocalisation illégale à la somme de 250 euros.

Il demande à la cour, statuant à nouveau sur ces chefs, de:

– condamner la SARL TPMC à lui payer les sommes suivantes:

* 10.074,72 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

* 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour l’illicéité de la géolocalisation;

* 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive dans le paiement de la contrepartie de la clause de non concurrence;

* 8.000 euros à titre de dommages et intérêts pour dénonciation calomnieuse;

* 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens de l’instance;

– débouter l’appelante de toutes ses demandes.

M. [F], contestant le bien- fondé de son licenciement, souligne l’imprécision des griefs formulés à son encontre. Il soutient que le non-respect des procédures de maintenance constitue un reproche vague, dont la matérialité n’est pas établie par les constat d’huissier et rapport dressés plus de quatre mois après son licenciement; que son licenciement, intervenu dans des conditions vexatoires, est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

M. [F] sollicite ensuite, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, la condamnation de la SARL TPMC à lui payer des dommages et intérêts pour dénonciation calomnieuse. Il indique que la plainte, déposée par l’employeur et basée sur des faits imaginaires et faux, lui a causé un stress considérable. Il soutient que la société TPMC a ainsi commis une faute civile qui engage sa responsabilité délictuelle et est exclusive de l’obligation de bonne foi qui perdure à l’issue du contrat de travail.

M. [F] soutient enfin que le système de géolocalisation utilisé par la société TPMC est illégal en ce qu’il n’a jamais été avisé de l’utilisation qui en était faite, ni du traitement des données collectées; qu’en outre, il n’était pas en mesure de désactiver la fonction; que l’atteinte ainsi portée à sa vie privée pendant près d’un an justifie l’octroi de dommages et intérêts supérieurs à ceux octroyés par la juridiction prud’homale.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°- Sur la rupture du contrat de travail :

Aux termes des dispositions combinées des articles L. 1232-1 et L. 1235- 1 du code du travail, l’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité.

La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire.

L’insuffisance professionnelle ne peut en principe caractériser une faute à moins qu’elle ne procède d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibérée. L’insuffisance professionnelle se caractérise par l’inaptitude du salarié à exécuter son travail de façon satisfaisante. La faute, par hypothèse évitable, implique un manquement à une obligation professionnelle. Est fautif, le salarié dont le comportement ne correspond pas à l’accomplissement des obligations qui découlent objectivement de son contrat de travail.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis.

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la pertinence des griefs invoqués au soutien du licenciement prononcé pour faute grave. En application de l’article L.1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.

Lorsque que les faits sont établis mais qu’aucune faute grave n’est caractérisée, le juge du fond doit vérifier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l’employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire.

En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave, notifiée à M. [F] le 10 novembre 2015, est libellée comme suit :

‘ Monsieur,

Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d’une faute grave ce dont nous vous avons fait part lors de l’entretien préalable du 04 novembre dernier.

En effet :

Suite à un contrôle effectué par [V] [G] (Responsable technique incendie de notre société) chez deux clients où vous êtes intervenus, il s’avère que des manquements importants aient été décelés sur la qualité de votre travail. Non-respect des procédures de maintenance qui pourrait entraîner une perte de certification de notre société.

Malgré les nombreuses remarques verbales faites par [V] [G] ou moi-même depuis plusieurs mois dans votre organisation, (Ex : horaire de travail adapté à la clientèle, optimisation des tournées de visite clientèle, chiffre d’affaire en baisse constant, utilisation du véhicule de service à usage personnel etc.) vous avez persévéré dans votre comportement en déclarant que vous n’aviez pas de motivation et que ‘notre discussion ne mène à rien’.

Lors de notre entretien du 04 novembre 2015 vous m’avez déclaré que vous preniez des rendez- vous par téléphone le matin et que c’est pour cela que vous partiez assez tard. Or, l’examen de l’historique de vos appels de votre ligne téléphonique montre qu’il n’en est rien.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.

Aussi notre société se voit contrainte de vous notifier par la présente votre licenciement pour fautes graves, licenciement qui prendra effet dès réception de la présente sans indemnités de préavis ni de licenciement.(…)’

Il ressort ainsi des énonciations de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que M. [F] a été congédié pour :

– un non respect des procédures de maintenance;

– une organisation défectueuse de son travail.

La cour constate que dans ses écritures, l’employeur a focalisé son argumentation sur le premier grief, en se bornant simplement à rappeler le ‘comportement désinvolte’ du salarié s’agissant du second motif de licenciement invoqué.

La seule attestation de M. [V] [G], responsable technique incendie au sein de la SARL TPMC, relatant que lors d’un entretien avec le gérant de l’entreprise, M. [F] ‘a coupé court à la discussion en rétorquant que cette discussion ne menait à rien car les patrons ont toujours raison’ ne saurait suffire à établir la matérialité du second grief évoqué dans la lettre de licenciement, à savoir une organisation défectueuse et/ ou désinvolte de son travail. Ce grief sera donc d’ores et déjà écarté.

S’agissant du premier grief, la cour relève, à l’inverse des premiers juges, que M. [F] était bien chargé, aux termes de son contrat de travail, de commercialiser et d’installer mais aussi d’entretenir les produits vendus par la société TPMC.

L’employeur établit en outre que M. [F] a bénéficié, préalablement à son recrutement au sein de la société TPMC, d’une action de formation à la procédure de maintenance des extincteurs.

C’est donc par une motivation inexacte que les premiers juges ont considéré que l’employeur ne pouvait ‘justifier un licenciement en évoquant des manquements graves à des fonctions qui n’étaient pas dévolues à son salarié et pour lesquelles ce dernier n’avait pas la compétence’.

Pour autant, la cour relève que la lettre de licenciement ne contient aucune date ni faits précis, se bornant à évoquer des ‘manquements importants décelés sur la qualité du travail’ de M. [F] suite à un contrôle effectué chez deux clients par [V] [G] (Responsable technique incendie de la société) ainsi ‘qu’un non respect des procédures de maintenance qui pourrait entraîner une perte de certification de notre société.’

Pour étayer ce grief assez peu circonstancié et énoncé en des termes généraux, l’employeur produit aux débats deux fiches de visites de vérification d’extincteurs réalisées par M. [G] les 14 et 19 octobre 2015 au sein des sociétés INTERFLEX et DE LA ROSA ET FILS.

Ces fiches font apparaître que la dernière intervention de maintenance dans ces deux sociétés a été réalisée par M. [F] et que sur 21 extincteurs vérifiés, cinq d’entre eux présentent des défectuosités et non conformités aux procédures de maintenance, tels que des têtes de joints d’étanchéité déformées et des absences de graissage de gougeons et de tiges percuteurs.

Est également versé aux débats un rapport d’expertise établi le 1er juin 2016, soit plus de six mois après le licenciement de M. [F], portant sur huit autres extincteurs censés avoir été vérifiés par lui au cours du premier semestre de l’année 2015.

Il ressort de ce rapport que :

– deux extincteurs ne présentaient aucun défaut (pages 3 et 8 du rapport)

– un extincteur présentait un filetage du flacon d’additif endommagé (page 4 du rapport);

– un extincteur présentait un flacon d’additif dont la date limite de conservation était antérieure à la prochaine date de vérification prévue de l’appareil (page 5 du rapport);

– un extincteur contenait une masse d’eau légèrement supérieure aux tolérances indiquées dans la procédure de maintenance (page 6 du rapport);

– un extincteur présentait une absence de graisse sur le filetage de la cartouche CO² (page 7 du rapport);

– un extincteur contenait une masse d’eau inférieure aux tolérances indiquées dans la procédure de maintenance ainsi qu’un piston oublié de flacon d’additif (page 9 du rapport);

– un extincteur contenait une masse d’eau supérieure aux tolérances indiquées dans la procédure de maintenance et une absence de graisse sur le filetage de la cartouche CO².

L’avis d’un technicien de la société EUROFEU, expliquant que les désordres précités sont susceptibles d’amoindrir l’efficacité de l’extinction, doit tout d’abord être considéré avec circonspection pour émaner d’un partenaire commercial de la SARL TPMC et ne saurait en tout état de cause suffire, en l’absence d’autre avis techniques plus probants, à établir le risque réel d’une perte de certification de la société d’une part, d’une mise en danger certaine d’autrui, de nature à caractériser une faute d’une exceptionnelle gravité d’autre part.

Aussi, même à supposer établie l’imputabilité des désordres constatés sur les extincteurs à M. [F], ceux- ci permettent tout au plus de démontrer une exécution défectueuse par l’intéressé de sa prestation de travail, mais nullement de caractériser une abstention volontaire ou une mauvaise volonté délibérée de sa part, d’autant qu’aucune remarque sur la qualité de son travail ne lui a jamais été faite ni de sanction prononcée contre lui avant l’initiation de la procédure de licenciement pour faute grave.

Les manquements reprochés au salarié dans l’exécution de sa prestation de travail, moins d’un an après son embauche, caractérisent une insuffisance professionnelle qui, à défaut de résulter d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibérée démontrée, ne peut constituer une faute disciplinaire de nature à être d’emblée sanctionnée par un licenciement, de surcroît pour faute grave avec éviction immédiate de l’entreprise.

La cour confirme en conséquence, par substitution de motifs, le jugement déféré en ce qu’il a jugé le licenciement de M. [F] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

2°- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail:

* Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied

conservatoire et des congés payés afférents:

L’existence d’une faute grave n’ayant pas été retenue, la mise à pied conservatoire de M. [F], entre les 22 octobre et 10 novembre 2015, doit être rémunérée.

Le salarié réclame la somme de 1.175,37 euros bruts en paiement du rappel de salaire, outre celle de 117,53 euros bruts au titre des congés payés afférents.

La cour confirme le jugement déféré qui a fait droit à ces chefs de demande.

* Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents:

L’article L. 1234-1 du code du travail prévoit que ‘lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois ;

3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l’accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d’ancienneté de services plus favorable pour le salarié.’

L’Accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 prévoit en son article 12 ‘qu’en cas de rupture du contrat à durée indéterminée à l’initiative de l’une ou l’autre des parties, la durée du préavis réciproque, sauf cas de force majeure ou de faute grave, sera, au minimum de :

– 1 mois durant la première année ;

– 2 mois durant la deuxième année ;

– 3 mois au-delà de la deuxième année.’

L’article L. 1234-5 du même code précise que ‘lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L.1235-2.’

M. [F], comptant une ancienneté inférieure à un an, est fondé, en application de ces textes, à réclamer la somme de 1.679,12 euros bruts correspondant à un mois de préavis, outre 167,91 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Ce chef de jugement sera infirmé dans son quantum en ce qu’il a alloué deux mois de préavis.

* Sur l’indemnité de licenciement et/ ou indemnité spéciale de rupture:

L’Accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 prévoit en son article 14 que ‘lorsque le représentant de commerce se trouve dans l’un des cas de cessation du contrat prévus à l’article L. 751-9, alinéas 1er et 2, du code du travail (1) alors qu’il est âgé de moins de 65 ans et qu’il ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 16 du présent accord, et sauf opposition de l’employeur exprimée par écrit et au plus tard dans les 15 jours de la notification de la rupture (2) ou de la date d’expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable, ce représentant, à la condition d’avoir renoncé au plus tard dans les 30 jours suivant l’expiration du contrat de travail à l’indemnité de clientèle à laquelle il pourrait avoir droit en vertu de l’article L. 751-9 précité, bénéficiera d’une indemnité spéciale de rupture fixée comme suit, dans la limite d’un maximum de 10 mois ;

Pour les années comprises entre 0 et 3 ans d’ancienneté :

0,70 mois par année entière (…)’

En application de ces dispositions conventionnelles, la juridiction prud’homale a alloué au salarié la somme de 1.175,38 euros (1.679,12 X 0,7) au titre de l’indemnité de licenciement.

La cour confirme en conséquence ce chef de jugement, dont le fondement et le quantum n’ont pas été critiqués.

* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Pour les licenciements notifiés avant le 24 septembre 2017, l’article L. 1235- 5 du code du travail, dans sa version applicable au litige, prévoyait que :

‘Ne sont pas applicables au licenciement d’un salarié de moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les dispositions relatives :

2° A l’absence de cause réelle et sérieuse, prévues à l’article L. 1235-3 [mettant à la charge de l’employeur une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois].

Le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.’

M. [F], comptant moins de deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant moins de onze salariés, n’est donc pas fondé à réclamer une indemnité au moins égale à six mois de salaire mais seulement une indemnité correspondant au préjudice subi.

En l’espèce, compte tenu du montant de sa rémunération mensuelle brute (1.679,12 euros), de son âge au jour de son licenciement (23 ans), de son ancienneté à cette même date (11 mois et 15 jours), d’un retour relativement rapide à l’emploi dès le mois de septembre 2016 en qualité d’agent commercial, la cour, estimant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi, confirme le jugement déféré en ce qu’il a alloué au salarié la somme de 5.000 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3°- Sur les autres demandes en paiement du salarié:

* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour illicéité de la géolocalisation:

L’article L.1121- 1 du code du travail énonce que ‘nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.’

L’article L.1222-4 du code du travail prévoit en outre ‘qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance’.

L’appréciation de la licéité d’un système de surveillance des salariés par leur employeur procède ainsi d’une recherche d’équilibre entre pouvoir de direction de ce dernier et respect de la vie privée du salarié.

Comme tout système de traitement automatisé, la géolocalisation doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (art. 22 de la loi du 6 janvier 1978), précisant les finalités (art. 23 et 30) ainsi que d’une information auprès des personnes concernées à savoir les salariés (art. 32).

Dans sa délibération n° 2015- 165 du 4 juin 2015, portant adoption d’une norme simplifiée concernant les traitements automatisés de données à caractère personnel mis en ‘uvre par les organismes publics ou privés destinés à géolocaliser les véhicules utilisés par leurs employés, la CNIL a prévu à l’article 2 que la géolocalisation ne pouvait être mise en oeuvre que pour tout ou partie des finalités suivantes:

a) Le respect d’une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en oeuvre d’un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport ou de la nature des biens transportés;

b) Le suivi et la facturation d’une prestation de transport de personnes ou de marchandises ou d’une prestation de services directement liée à l’utilisation du véhicule, ainsi que la justification d’une prestation auprès d’un client ou d’un donneur d’ordre ;

c) La sûreté ou la sécurité de l’employé lui- même ou des marchandises ou véhicules dont il a la charge, en particulier la lutte contre le vol du véhicule;

d) Une meilleure allocation des moyens pour des prestations à accomplir en des lieux dispersés, notamment pour des interventions d’urgence;

e) Le contrôle du respect des règles d’utilisation du véhicule définies par le responsable de traitement, sous réserve de ne pas collecter une donnée de localisation en dehors du temps de travail du conducteur;

Le traitement peut avoir pour finalité accessoire le suivi du temps de travail, lorsque ce suivi ne peut être réalisé par un autre moyen, sous réserve notamment de ne pas collecter ou traiter de données de localisation en dehors du temps de travail des employés concernés.’

C’est au regard des finalités déclarées que s’apprécie le respect du principe de proportionnalité. Un système de géolocalisation ne peut être utilisé par l’employeur pour d’autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la CNIL et portées à la connaissance des salariés.

L’article 6 de la délibération précitée énonce par ailleurs que ‘conformément à l’article 32 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, les employés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en oeuvre du traitement, de l’identité du responsable de traitement ou de son représentant, de la finalité poursuivie par le traitement, des destinataires ou catégories de destinataires des données, de l’existence d’un droit d’accès aux données les concernant, d’un droit de rectification et d’un droit d’opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d’exercice de ces droits tel que prévu par l’article 90 du décret du 20 octobre 2005. Les employés doivent avoir la possibilité de désactiver la fonction de géolocalisation des véhicules, en particulier à l’issue de leur temps de travail ou pendant leur temps de pause, le responsable du traitement pouvant, le cas échéant, demander des explications en cas de désactivations trop fréquentes ou trop longues du dispositif’.

De qui précède, les juridictions nationales et supranationales en ont tiré les principes suivants :

1°- les salariés doivent être informés de la mise en oeuvre d’un dispositif de géolocalisation, préalablement et tout au long de son utilisation;

2°- la finalité de la géolocalisation doit être définie et justifiée au regard de l’objectif poursuivi;

3°- la mise en oeuvre d’un dispositif de géolocalisation, considéré comme hautement intrusif, doit être subsidiaire;

4°- un tel dispositif est incompatible avec une autonomie contractuelle du salarié;

5°- les salariés doivent avoir la possibilité de désactiver la fonction de géolocalisation des véhicules à l’issue de leur temps de travail, notamment lorsque ces véhicules peuvent être utilisés à des fins privées.

En l’espèce, la juridiction prud’homale a retenu l’incompatibilité du dispositif de géolocalisation installé dans les véhicules de fonction avec l’autonomie contractuelle du salarié ainsi qu’un manquement de l’employeur à son obligation d’information individuelle des salariés. Elle l’a en conséquence condamné à payer à M. [F] la somme de 250 euros à titre de dommages et intérêts.

En cause d’appel, M. [F] sollicite la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts.

La SARL TPMC ne contestant pas le caractère illicite du dispositif de géolocalisation dont est pourvue sa flotte automobile, la cour ne se prononcera que sur l’étendue du préjudice occasionné au salarié.

Or, celui- ci n’explicite pas la nature du préjudice subi ni ne produit aucun élément justifiant du bien- fondé du quantum de la demande.

Aussi, la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a alloué à l’intéressé la somme de 250 euros à titre de dommages et intérêts.

* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive dans le paiement de la contrepartie à la clause de non- concurrence:

L’article 1231-6 du code civil prévoit que ‘les dommages- intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier ne soit tenu de justifier d’aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages- intérêts distincts de l’intérêt moratoire.’

En l’espèce, M. [F], qui ne démontre ni même n’allègue un préjudice autre que celui d’ores et déjà indemnisé par les intérêts moratoires de sa créance, sera débouté de ce chef de demande.

* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour dénonciation calomnieuse:

L’article 564 du code de procédure civile prévoit qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait’.

L’article 565 énonce que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

L’article 566 précise enfin que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l’espèce, M. [F] reproche à l’employeur d’avoir déposé une plainte pénale abusive le 21 juillet 2016, au cours de la procédure prud’homale et ce faisant, d’avoir commis des faits de dénonciation calomnieuse.

Il fait valoir que de tels agissements constituent non seulement une infraction pénale mais aussi une faute civile engageant la responsabilité de son auteur sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Il réclame la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Toutefois, cette demande indemnitaire, formulée pour la première fois en cause d’appel, ne tend pas aux mêmes fins que les prétentions soumises au premier juge ni ne peut être considérée comme l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de celles- ci.

Il s’ensuit que ce chef de demande, présentant un caractère nouveau, doit être déclaré irrecevable.

4°- Sur la demande reconventionnelle de l’employeur en paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

A l’appui de cette demande, la SARL TPMC soutient que M. [F] a fait preuve d’une particulière déloyauté dans l’exécution de son contrat de travail, en privilégiant les interventions commerciales, plus rémunératrices, aux dépens des missions de vérification et de maintenance.

Elle ajoute que le comportement du salarié l’a contrainte à vérifier tous les sites sur lesquels il était intervenu afin de sécuriser la prestation vendue.

Elle ne produit toutefois aucun élément de nature à démontrer la réalité de ces assertions, le témoignage de M. [Y] [H], technico- commercial ayant pris la suite de M. [F], listant simplement les défauts de maintenance relevés dans le rapport d’expertise CNPP.

La cour, par confirmation du jugement entrepris, déboute en conséquence l’appelante de sa demande reconventionnelle.

5°- Sur les frais irrépétibles et dépens :

Les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et dépens seront confirmées.

La SARL TPMC, partie qui succombe au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamnée à payer à M. [L] [F] la somme de 1.200 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code précité et ce, en sus des entiers dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a condamné la SARL TPMC à payer à M. [L] [F] la somme de 3.358,24 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 335,82 euros au titre des congés payés afférents;

Statuant à nouveau sur ce chef,

Condamne la SARL TPMC à payer à M. [L] [F] la somme de 1.679,12 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 167,91 euros bruts au titre des congés payés afférents;

Y ajoutant,

Déboute M. [F] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive dans le paiement de la contrepartie à la clause de non- concurrence;

Déclare M. [F] irrecevable en sa demande en paiement de dommages et intérêts pour dénonciation calomnieuse;

Déboute la SARL TPMC de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles;

Condamne la SARL TPMC à payer à M. [L] [F] la somme de 1.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamne la SARL TPMC aux entiers dépens d’appel;

Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le Greffier, Le Président,

S. BOUDRY K. VALLEE

 


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