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10 novembre 2022
Cour d’appel de Rennes
RG n°
19/04241
7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°465/2022
N° RG 19/04241 – N° Portalis DBVL-V-B7D-P4FL
M. [N] [I]
C/
Etablissement MONSIEUR [O] [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats, et Madame Françoise DELAUNAY, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 19 Septembre 2022
En présence de Madame DUBUIS médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [N] [I]
né le 19 Juillet 1961 à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Henri GRAIC de la SELARL GRAIC – QUINTARD-PLAYE – JUILLAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
INTIMÉE :
[O] [J] exercant sous l’enseigne Etablissement LE PETIT SAINT MICHEL
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Marie-Armel NICOL de la SELARL DEBREU MILON NICOL PAPION, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [O] [J] exploite un établissement de restauration- hôtellerie- tabac et PMU sous l’enseigne Le Petit Saint Michel situé [Adresse 4] (22).
Le 4 mai 2018, M. [N] [I] a été engagé par M. [J] en qualité de serveur dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée de type saisonnier jusqu’au 30 septembre 2018, moyennant un salaire de 1 027,52 euros brut par mois pour 24 heures hebdomadaires.
La relation de travail est régie par la convention collective nationale des hôtels-cafés-restaurants des Côtes d’Armor.
M. [J], après avoir constaté des anomalies de caisse et visionné des enregistrements des caméras de sécurité, s’est entretenu le 10 juillet 2018 avec M. [I] pour recueillir ses explications sur des vols de numéraires ainsi que d’un paquet de cigarettes non scanné. L’employeur lui a proposé une rupture amiable de son contrat de travail à durée déterminée que le salarié a refusée.
Dans un courrier daté du 12 juillet 2018, M. [I] a écrit à son employeur ‘ Je vous rappelle notre entretien du 10 courant relatif à mon départ souhaité de votre entreprise pour motif de vol enregistré par votre système de vidéo surveillance que vous ne voulez pas me faire visionner, pourquoi ‘ J’ai refusé votre rupture à l’amiable car le motif de vol est faux. En conséquence je vous demande de régulariser cette situation de licenciement au plus vite car je fais toujours partie de votre personnel mais je ne dois plus mettre les pieds dans votre établissement comme vous me l’avez fait comprendre clairement. J’ai notifié ces faits à la gendarmerie de [Localité 5] mercredi 11 juillet. Je vous joins la copie de ma déposition. (..) Ce n’est pas un abandon de poste.’
Le 13 juillet 2018, l’employeur a déposé plainte pour vol à l’encontre de M.[I].
Le salarié entendu le 17 juillet par les services de gendarmerie a contesté les faits de vol provenant des ventes en terrasse entre le 4 et le 7 juillet après avoir admis une simple inattention lorsqu’il a omis de scanner un paquet de cigarettes glissé dans sa poche. Il a déposé plainte pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de M.[J].
Les plaignants ont été avisés le 18 juillet 2018 du classement sans suite de leurs plaintes respectives.
Le 19 juillet 2018, l’employeur a convoqué M. [I] à un entretien préalable à une éventuelle rupture du contrat à durée déterminée pour faute grave, entretien fixé au 31 juillet. Il a notifié au salarié une mise à pied à titre conservatoire dans l’attente de la décision à venir.
Le 23 juillet 2018, M. [I] a notifié à son employeur la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail dans un courrier recommandé ainsi libellé:’ Le fait de me priver de travail , et des accusations de vol, accompagnés d’une plainte classée sans suite, dont la responsabilité vous incombe entièrement, me contraint à vous notifier la présente prise d’acte de la rupture de mon contrat de travail.
Cette rupture vous est entièrement imputable puisque les faits précités constituent un grave manquement aux obligations contractuelles considérant le contenu de mon contrat de travail.
Cette rupture prendra effet à la date de la première présentation du présent recommandé avec AR. L’effet de la rupture sera immédiat et sera suivi d’une assignation devant le conseil de prud’hommes afin d’obtenir le respect de mes droits et la réparation financière du préjudice subi.’
L’employeur a répondu à M.[I] par courrier du 23 juillet 2018, : ‘ Suite à la rupture de votre contrat saisonnier à durée déterminée en date du 23 juillet 2018 par prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié. (…) Vous pouvez conserver, sous réserve de prise en charge par le régime d’assurance chômage, le bénéfice du régime de prévoyance et du régime de frais de santé(…).’
***
M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Guingamp par requête portant la date du 24 juillet 2018 mais reçue au greffe le 14 septembre 2018 afin de voir :
– prononcer la requalification de la prise d’acte de la rupture intervenue le 24 juillet 2018 en un licenciement
– ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail
– obtenir le paiement :
– de dommages et intérêts pour préjudice moral (diffamation) : 3 082,56€
– des salaires (3 mois ) jusqu’à la fin du contrat : 3 082,56 €
– Congés payés afférents :308,25 €
– Article 700 du code de procédure civile : 1 000 €
– Exécution provisoire,
– Intérêt au taux légal,
– Remise de l’attestation Pôle Emploi sous astreinte journalière de 50 €
– Remise du certificat de travail sous astreinte journalière de 50 €
– Remise de bulletins de paye sous astreinte journalière de 50 €
– Remise du solde de tout compte sous astreinte journalière de 50 €.
M.[J] a demandé au conseil de prud’hommes de :
– Dire M. [I] irrecevable en ses demandes
– Subsidiairement, le dire mal fondé
– Débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
– Article 700 du Code de Procédure Civile 1 000 € .
Par jugement en date du 3 juin 2019 le conseil de prud’hommes de Guingamp a :
– Dit que le la rupture du contrat de travail de M.[I] a été rompu à son initiative de façon anticipée ;
– Débouté M.[I] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamné M.[I] à verser à M.[J] la somme de 200€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [I] a interjeté un appel limité du jugement par déclaration au greffe en date du 25 juin 2019, seulement en ce qu’il a dit que la rupture du contrat de travail de M.[I] a été rompu à son initiative de façon anticipée, qu’il a débouté M.[I] de l’intégralité de ses demandes et qu’il a condamné M.[I] à une indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 9 avril 2021, M. [I] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de:
– Dire que la rupture du contrat de travail à durée déterminée en date du 4 mai 2018 conclu avec M.[J] est un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– condamner M.[J] à lui payer une somme de 5.572,32 €, outre les intérêts au taux légal sur cette somme à compter de la décision à intervenir jusqu’à parfait paiement.
– Le condamner au paiement d’une somme de 2.500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, en réparation de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
– Le condamner aux entiers dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 20 mai 2021, M.[J] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
– Débouter M. [I] de toutes ses demandes.
– A tout le moins, réduire à de plus justes proportions les réclamations du salarié.
– Condamner M.[I] à lui régler la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– Le condamner aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 28 juin 2022 avec fixation de l’affaire à l’audience du 19 septembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat de travail à duréé déterminée
Contestant la motivation lapidaire du jugement aux termes duquel le salarié n’a pas démontré l’existence du refus de son employeur de lui fournir du travail et q’uil s’était présenté à son travail, M.[I] maintient la version selon laquelle M.[J] lui a interdit d’accéder au lieu de travail et qu’il l’a privé de son travail sur la base de soupçons de vol n’ayant donné lieu à aucune poursuite. Il en conclut que l’employeur tenu de lui procurer du travail a manqué gravement à ses obligations en lui refusant l’accès à son poste, en portant atteinte à sa dignité du fait des accusations injustifiées de vol et de son éviction devant les autres salariés et les clients; que ces manquements ne permettant plus la poursuite de la relation de travail ont justifié la prise d’acte par le salarié de la rupture aux torts de l’employeur ; que cette rupture doit s’analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M.[J] rétorque qu’après avoir découvert des faits pouvant être reprochés au salarié, il lui a proposé une rupture amiable lors d’un entretien le 10 juillet 2018, ce que ce dernier a refusé ; qu’il lui a alors demandé de quitter l’établissement dans l’attente de la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire ; qu’il a pris conseil avant de lui adresser le 19 juillet une convocation à un entretien préalable à sanction avec mise à pied à titre conservatoire. L’employeur souligne le fait que M.[I], plutôt que d’attendre l’entretien préalable du 31 juillet et de s’expliquer sur les griefs, a décidé de prendre acte de la rupture de son contrat de travail dès le 23 juillet 2018 de sorte que la procédure disciplinaire n’a pas été poursuivie. M.[J] réfute toute notion de ‘ licenciement verbal’évoqué pour la première fois en appel par le salarié, de manière incohérente avec sa prise d’acte intervenue le 23 juillet suivant. Il considère que M.[I] ne peut pas opportunément se plaindre du manquement de son employeur de ne plus lui fournir de travail alors que ce dernier lui a annoncé qu’il envisageait la rupture du contrat de travail dans le cadre disciplinaire, que si la plainte pénale pour vol a été classée sans suite, elle n’a pas autorité de la chose jugée et n’empêche pas l’employeur de maintenir la procédure. Il considère enfin que le salarié qui a pris acte avant l’entretien préalable du 31 juillet n’avait aucune volonté de retourner à son poste.
L’article L 1243-1 du code du travail dispose que sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.
M.[I] se prévalant dans son courrier du 23 juillet 2018, sous le terme impropre d’une prise d’acte, de la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée pour faute grave de l’employeur, il lui appartient d’établir que les faits reprochés sont constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien du lien contractuel.
Dans son courrier recommandé du 23 juillet 2018, M.[I] a fondé la’ prise d’acte ‘de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur par le fait qu’il a été privé de travail et qu’il a fait l’objet d’accusations de vol, accompagnées d’une plainte classée sans suite, ce qui est constitutif d’un grave manquement de son employeur à ses obligations contractuelles.
Il résulte des pièces produites et notamment des procès verbaux d’audition par la gendarmerie que :
– M.[J] a découvert à la fin de la semaine du 4 au 7 juillet 2018 qu’il y avait des ‘trous dans la caisse’ de son établissement représentant environ 300 euros en 3 jours d’activité.
– lors du visionnage des caméras de sécurité correspondant à cette période, il a constaté que son salarié M.[I] avait pris le 4 juillet un paquet de cigarettes sans le scanner ni le payer avant de le mettre dans sa poche,
– les soupçons de M.[J] concernant les ‘trous de caisse’ se sont portés sur M.[I], auteur du vol d’un paquet de cigarette, après avoir entendu et écarté les deux autres employés de l’établissement qui étaient sa compagne et son frère.
– M.[I] accusé par M.[J] de prendre l’argent des tables en terrasse, reconnaît qu’il était seul pour servir durant cette période de 4 jours mais conteste le vol des espèces.
– l’employeur a attendu la reprise du service de M.[I] le mardi 10 juillet 2018 pour entendre ses explications sur les faits reprochés. Faute de trouver un accord sur une rupture amiable, il a demandé verbalement au salarié de quitter les lieux le 10 juillet dans l’attente de la procédure disciplinaire.
– le salarié a perçu son salaire entre le 10 juillet et le 19 juillet 2018, date de l’engagement de la procédure disciplinaire.
La mise à pied prononcée par l’employeur dans l’attente de sa décision en matière disciplinaire a un caractère conservatoire et doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur ait eu connaissance des faits allégués à l’issue des vérifications nécessaires.
Le prononcé d’une mesure conservatoire n’étant soumis à aucune condition de forme, il est constant que M.[J] a notifié verbalement au salarié de quitter son poste de travail le 10 juillet 2018 après l’avoir entendu sur les faits de vol reprochés, ce qui s’analyse comme une mise à pied du salarié à titre conservatoire. Le délai écoulé entre la suspension de l’exécution du contrat de travail et la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire le 19 juillet 2018 doit être considéré comme raisonnable au regard des diligences de l’employeur dont la plainte pour vol a été déposée le 13 juillet 2018 et qui a été avisé le 18 juillet du classement sans suite par la Parquet pour infraction insuffisamment caractérisée ( pièce 9). La décision de classement sans suite de la plainte, dépourvue de l’autorité de la chose jugée, ne permet de ne tirer aucune conséquence sur le bien fondé de la mesure conservatoire et de la procédure disciplinaire.
Alors que M.[I] a reconnu devant les services de gendarmerie ne pas avoir respecté les consignes de son employeur en matière d’encaissement en ce qu’il a omis de scanner et de régler un paquet de cigarettes, glissé dans sa poche, au vu de la séquence video du 4 juillet 2018 transmise à la gendarmerie, il est mal fondé à reprocher à l’employeur d’avoir suspendu l’exécution de son contrat de travail dans l’attente de sa décision sur le plan disciplinaire. Il ne démontre pas le caractère malveillant voire diffamatoire des accusations de vol formulées par M.[J]. Il ne justifie pas davantage les conditions dans lesquelles il aurait été renvoyé le 4 juillet 2018 en présence des autres salariés et des clients. La version des faits du salarié est au demeurant difficilement cohérente avec l’offre faite par M.[J] de rompre le contrat d’un commun accord lorsqu’il a reçu le salarié dans son bureau.
Il s’ensuit que le salarié n’établit pas, à la date du 23 juillet 2018, la réalité des manquements fautifs reprochés à son employeur de nature à rendre impossible le maintien du lien contractuel et à justifier une rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée en raison d’une faute grave de M.[J], étant précisé qu’il avait connaissance de l’engagement de la procédure disciplinaire depuis le 19 juillet 2018 et de sa convocation à un entretien préalable fixé au 31 juillet.
Dans ces conditions, M.[I] sera débouté de sa demande tendant à voir dire que la rupture de son contrat de travail à durée déterminée est un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture fautive du contrat par l’employeur.
Le contrat de travail de M.[I] ayant été rompu de façon anticipée à l’initiative du salarié et en l’absence de faute grave de l’employeur, les demandes financières de M.[I] seront rejetées par voie de confirmation du jugement.
Sur les autres demandes et les dépens
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M.[J] les frais non compris dans les dépens en cause d’appel. M.[I] sera condamné à lui payer la somme de 800 euros au titre des frais irrépétibles d’appel, le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives de l’article 700 du code de procédure civile
M.[I] qui sera débouté de sa demande d’indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
– Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions .
et y Ajoutant :
– Condamne M.[I] à payer à M.[J] la somme de 800 euros en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile .
– Rejette la demande de M.[I] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamne M.[I] aux dépens de l’appel.
Le Greffier Le Président