Dénoncer des faits de harcèlement : quid de la diffamation ?

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Dénoncer des faits de harcèlement : quid de la diffamation ?

Dénonciation d’un harcèlement

Il est parfois difficile de concilier les concepts juridiques de droit de critique, dénonciation légitime et de diffamation. Dans l’affaire soumise, une actrice de théâtre a adressé à son équipe un email expliquant que son départ était lié à des faits de harcèlement sexuel commis par le metteur en scène. L’imputation de faits de harcèlement sexuel est un fait précis, qui peut faire l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité et à l’évidence attentatoire à l’honneur et de la considération s’agissant de faits susceptibles de recevoir la qualification pénale (article 222-33 du code pénal). L’email en cause présentait donc bien un caractère diffamatoire (diffamation non publique).

Critères de la diffamation

L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. Il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure – toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait – et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée.

L’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises.

La diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

Dénonciation non légitime du harcèlement supposé

La comédienne a néanmoins bénéficié de l’excuse de bonne foi qui paralyse la diffamation mais, subtilité juridique, n’était pas en droit de dénoncer les faits de harcèlement au sens du Code du travail.

L’article L. 1153-2 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel ou assimilés au sens du code du travail.  Le travailleur peut alerter immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection (article L. 4131-1 du code du travail).

N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par les dispositions législatives ou réglementaires (article 122-4 du code pénal).

Il résulte de la combinaison de ces textes que les salariés sont autorisés par la loi à dénoncer, auprès de leur employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement sexuel dont ils estiment être victimes, la relation de tels agissements, auprès des personnes précitées, ne pouvant être poursuivie pour diffamation sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.

Les dispositions protectrices du salarié en matière de harcèlement sexuel sont en substance les mêmes que celles prévues en matière de harcèlement moral, de sorte que les principes ainsi définis trouvent application dans les deux cas.

En l’espèce, la dénonciation des faits de harcèlement sexuel ne peut, sans contradiction logique, se faire auprès de la personne elle-même mise en cause, une dénonciation supposant, par définition, de porter à la connaissance d’un tiers le comportement d’une personne. En toute hypothèse, l’email a été aussi adressé aux membres du projet théâtral, une telle diffusion excluant l’application des dispositions protectrices du code du travail, qui sont limitées à la relation des agissements allégués soit à l’employeur, soit aux organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail.

La comédienne ne pouvait donc se prévaloir des dispositions du code du travail relatives à la dénonciation de faits de harcèlement sexuel.

L’excuse de bonne foi

La bonne foi, au sens du droit de la presse, a tout de même bénéficié à la comédienne. Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos.

S’agissant d’un sujet d’intérêt général, l’auteur des propos peut également établir sa bonne foi en établissant qu’il disposait d’une base factuelle suffisante et que les propos n’ont pas dégénéré en des attaques personnelles excédant les limites de la liberté d’expression.

Ces critères s’apprécient différemment selon la qualité de la personne qui s’y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur, lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer, et, avec plus de tolérance encore, quand il se trouve lui-même mêlé à une controverse dont il est l’un des protagonistes.

En l’espèce, l’objet du courriel, dont la diffusion a été limitée aux participants au spectacle, représentait un but légitime d’expression, son auteur souhaitant expliquer les raisons de son départ.  En outre, l’animosité personnelle envers le metteur en scène n’a pas été retenue. L’animosité personnelle s’entend d’un mobile dissimulé et de considérations extérieures au sujet traité, non établis dans la procédure et ne pouvant résulter des seules accusations, publiquement portées. Concernant la prudence dans l’expression, le ton de l’email n’était pas particulièrement excessif, pour une personne directement concernée par les faits décrits. Enfin, le critère de l’enquête sérieuse a été apprécié avec souplesse dans le cadre d’une personne qui non seulement n’était pas journaliste mais aussi directement impliquée dans les faits.

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