Délégation de paiement : 5 octobre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/03542

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Délégation de paiement : 5 octobre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/03542

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 05 OCTOBRE 2022

N° RG 20/03542 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LWRO

S.A.S.U. INBAT

c/

E.U.R.L. TERRASSEMENTS ET GRANULATS TAURIACAIS

SELARL EKIP’

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 septembre 2020 (R.G. 2019F01040) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX / FRANCE suivant déclaration d’appel du 30 septembre 2020

APPELANTE :

S.A.S.U. INBAT, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3] / FRANCE

représentée par Maître Daniel RUMEAU de la SCP RUMEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

E.U.R.L. TERRASSEMENTS ET GRANULATS TAURIACAIS, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]

représentée par Maître Hélène TAINTENIER-MARTIN, avocat au barreau de LIBOURNE

INTERVENANTe :

SELARL EKIP’, ès-qualité de mandataire judiciaire de la société INBAT, domiciliée en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]

représentée par Maître Daniel RUMEAU de la SCP RUMEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 06 juillet 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Nathalie PIGNON, Présidente,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

La société Terrassements et granulats Tauriacais est une société spécialisée dans les travaux de terrassement.

Elle a conclu plusieurs contrats de sous-traitance avec la société Inbat depuis 2016 incluant une clause de retenue de garantie de 5% du coût des travaux.

Le 31 janvier 2018, elle a conclu avec celle-ci un nouveau contrat-cadre de sous-traitance aux termes duquel il était prévu que chaque opération de construction ferait l’objet d’une commande.

Elle a ainsi accepté deux commandes le 19 juin 2018, l’une portant sur le chantier SCI Terre neuve et , l’autre, sur le chantier SCI de la forêt. Elle a également accepté à une date indéterminée une commande portant sur le chantier SCI les petits pins.

Par deux courriers datés du 3 octobre 2018, la société Inbat a résilié les trois contrats de sous-traitance au motif que la société Terrassements et granulats Tauriacais aurait abandonné lesdits chantiers.

Par courrier du 21 novembre 2018, la société Terrassements et granulats Tauriacais a mis en demeure la société Inbat de lui régler la somme de 8086,98 euros au titre de retenues de garantie relatives à de nombreux chantiers réalisés entre 2016 et 2018. Par courrier du 4 décembre 2018, la société Inbat a reconnu devoir la somme de 6427,53 euros au titre des retenues de garantie, les autres sommes réclamées au titre des retenues de garantie n’étant pas arrivées à échéance selon elle, mais a soutenu que sa sous-traitante lui était redevable de la somme de 7686,70 euros au titre de pénalités de retard, soit un solde en sa faveur de 3259,17 euros.

La société Terrassements et granulats Tauriacais a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux afin de voir condamner la société Inbat à lui verser une provision à valoir sur les sommes dues au titre des retenues de garantie. Le juge des référés, par ordonnance du 4 juin 2019, a dit n’y avoir lieu à référé compte tenu de l’existence de contestations sérieuses.

La société Terrassements et granulats Tauriacais, a alors assigné la société Inbat devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d’obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 8 046,98 au titre des retenues de garantie.

Par jugement contradictoire du 7 septembre 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

– condamné la société Inbat à payer à la société Terrassements et Granulats Tauriacais la somme de 8 046,98 euros assortie des intérêts au taux légal augmentés de sept points à compter du 13 juin 2019, au titre de dix-huit retenues de garantie de 2016 à 2018,

– débouté la société Inbat de ses demandes,

– ordonné l’exécution provisoire nonobstant appel et sans caution.

Par déclaration du 30 septembre 2020, la société Inbat a interjeté appel de cette décision énumérant expressément les chefs critiqués et intimant la société Terrassements et Granulats Tauriacais.

Le 6 novembre 2020, une mesure de médiation judiciaire a été proposée aux parties, qui ne se sont pas accordées sur le principe d’une acceptation.

Par jugement du 30 mars 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Inbat et a désigné la Selarl Ekip’ en qualités de mandataire judiciaire.

Par conclusions du 15 juin 2022, la SELARL Ekip’ en qualités de mandataire judiciaire de la société Inbat est intervenue volontairement à l’instance.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 15 juin 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Inbat et la Selarl Ekip’ ès qualités demandent à la cour de :

– recevoir la Selarl Ekip’, ès qualité de mandataire judiciaire de la société Inbat en son intervention volontaire à l’instance,

– réformer intégralement le jugement entrepris,

– déclarer la créance de la société Terrassements et Granulats Tauriacais inopposable à la société Inbat pour défaut de déclaration auprès des organes de la procédure collective par application de l’article L 622 26 du Code de commerce,

– en conséquence, débouter la société Terrassements et Granulats Tauriacais de toutes ses demandes, fin et conclusions et la condamner à restituer à la société Inbat la somme 10 986,21 euros versée dans le cadre de l’exécution du jugement entrepris,

– juger que la société Terrassements et Granulats Tauriacais a engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard de la concluante tant pour le dépassement des délais que pour les malfaçons ou non façons dont elle est responsable conformément à l’article 1231 1 du Code civil,

– en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 38 666 euros au titre des pénalités de retard et de la reprise des malfaçons et non façons,

– condamner la société Terrassements et Granulats Tauriacais à régler à la société Inbat une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La société Inbat et la Selarl Ekip’ ès qualités font notamment valoir que la créance revendiquée par la société Terrassements et granulats Tauriacais au titre des retenues de garantie leur est inopposable à défaut pour celle-ci d’avoir déclaré sa créance à la procédure collective de la société Inbat dans le délai de deux mois suivant la publication du jugement d’ouverture au BODACC.

Elles sollicitent par ailleurs le paiement de :

– la somme de 10 673,20 euros au titre des pénalités de retard contractuelles pour les trois chantiers, la société Terrassements et granulats Tauriacais n’ayant pas respecté les délais d’exécution des chantiers,

– la somme de 27 992,80 euros au titre des travaux de reprise des malfaçons et d’achèvement du chantier de la SCI les petits pins.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 17 mars 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Terrassements et Granulats Tauriacais demande à la cour de :

– rejeter l’ensemble des demandes de la société Inbat et confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 11 septembre 2020 en ce qu’il a :

‘ condamné la société Inbat à verser la somme de 8 046,98 euros au titre des retenues de garantie,

‘ assorti cette somme des intérêts de droit, à compter du 13 juin 2019,

‘ condamné la société Inbat au paiement de la somme de 1 500 euros à la société Terrassements et Granulats Tauriacais au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– et, condamner la société Inbat au paiement de la somme 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La société Terrassements et Granulats Tauriacais expose que la société Inbat ne conteste pas que les retenues de garantie lui sont bien dues; qu’elle s’oppose aux demandes reconventionnelles de celle-ci, non fondées, en paiement de pénalités de retard ou de dommages et intérêts au titre des travaux de reprise; que la société Inbat a résilié unilatéralement lesdits marchés à ses risques et périls.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 juin 2022 puis a été reportée au 29 juin 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du 6 juillet 2022.

La cour a autorisé l’intimée à produire sa déclaration de créance sous 15 jours, accompagnée le cas échéant d’une note en délibéré.

Par note en délibéré en date du 19 juillet 2022, le conseil de l’intimée fait valoir que la demande de l’appelante et du mandataire visant à voir juger que sa créance est inopposable à la procédure collective à défaut de déclaration de créances est une prétention nouvelle invoquée tardivement et par conséquent irrecevable. Elle ajoute qu’elle n’a été informée ni par le débiteur ni par le créancier de l’ouverture d’une procédure collective, de sorte qu’elle a été placée dans l’incapacité de déclarer sa créance dans les délais légaux. Les causes du jugement dont il est fait appel ont été réglées en quatre versements, le dernier versement étant intervenu le 27 avril 2021.

Par note en délibéré du 22 juillet 2022, le conseil de l’appelante expose que la demande d’inopposabilité de la créance à la procédure collective pour défaut de déclaration de la créance ne peut être considérée comme une prétention nouvelle puisque le jugement d’ouverture de la procédure collective n’est intervenu que le 30 mars 2022. Il soutient que l’intimée a été avertie de l’ouverture de la procédure collective.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Il convient à titre liminaire de déclarer recevable l’intervention de la Selarl Ekip en qualité de mandataire judiciaire de la société Inbat.

1) sur la demande formée au titre des retenues de garantie :

La société Inbat soutient que la créance de la société Terrassements et granulats Tauriacais au titre des retenues de garantie est inopposable à la procédure collective car celle-ci n’a pas déclaré sa créance.

La société Inbat a été placée en redressement judiciaire le 30 mars 2022, soit postérieurement au prononcé de la décision de première.

La prétention du débiteur visant à voir déclarer la créance de l’appelante inopposable à la procédure en raison d’un défaut de déclaration de créance est donc recevable, la nécessité alléguée par l’appelante de déclarer la créance résultant de la survenance d’un fait nouveau au sens de l’article 564 du code de procédure civile, à savoir l’ouverture d’une procédure collective à une date postérieure au prononcé de la décision de première instance.

L’appelante ne conteste cependant pas que la créance objet de ce litige a été intégralement réglée par ses soins le 27 avril 2021, soit bien antérieurement au placement en redressement judiciaire de la société Inbat, la décision de première instance bénéficiant de l’exécution provisoire.

Or, le créancier qui a reçu, avant le jugement d’ouverture, paiement à la suite d’une décision statuant sur le fond et exécutoire par provision, décision qui acquiert force de chose jugée immédiatement, n’a pas à déclarer sa créance ( Cass, com, 14 juin 1994).

La société Terrassements et granulats Tauriacais n’est donc pas soumise à la procédure de vérification des créances.

Il n’y a donc lieu ni de déclarer cette créance inopposable à la procédure collective, ni d’ordonner la restitution des sommes déjà réglées de ce chef.

Sur le fond, l’appelante ne conteste pas que les sommes sont dues et ne sollicitait d’ailleurs pas aux termes de ses précédentes conclusions l’infirmation de ce chef de condamnation mais uniquement la compensation avec les sommes qu’elle souhaitait voir mettre à la charge de l’intimée au titre du retard et des malfaçons affectant les chantiers.

La décision de première instance sera ainsi confirmée de ce chef.

2) sur la demande formée au titre des pénalités de retard et des malfaçons :

L’appelante sollicite la condamnation de l’intimée à lui verser la somme de 10 673,20 euros au titre des pénalités de retard décomposée ainsi :

– 7686,70 euros au titre du chantier SCI Terres neuves,

– 2000 euros au titre du chantier SCI les petits pins,

– 986,50 euros au titre du chantier SCI la forêt.

La société Inbat soutient que la société Terrassements et granulats Tauriacais s’est livrée à un chantage à son encontre en exigeant d’elle qu’elle lui règle les factures impayées de la société Midev placée en sauvegarde judiciaire.

La société Terrassements et granulats Tauriacais soutient que :

– les comptes-rendus de chantier non signés par les entreprises concernés n’établissent pas le retard allégué,

– qu’elle a pu à bon droit interrompre les travaux à défaut d’être réglée des différentes retenues de garantie qui lui étaient dues,

– qu’elle n’a pas exigé le règlement des factures de la société Midev.

Contrairement à ce que soutient la société Inbat, la société Terrassements et granulats Tauriacais, dans son courrier du 27 septembre 2018 ( pièce 13 de l’appelante) n’a pas exigé de celle-ci le règlement des factures restées impayées de la société Midev placée en sauvegarde judiciaire mais seulement le règlement des siennes, s’inquiétant, légitimement, du fait que celle-ci ne fasse à son tour l’objet d’une procédure collective. Elle ajoute avec raison que les travaux du chantier Terre neuve ne pouvaient être achevés à la fin de la semaine 28 alors que le maître de l’ouvrage n’avait accepté la délégation de paiement qu’en semaine 29 ( ce dont elle justifie par la production de sa pièce n°2). Elle propose en outre d’achever les travaux dans les temps, si les sommes dues lui sont réglées, sollicitant une réception des travaux à chaque tranche terminée.

Suite à ce courrier, l’entreprise générale a résilié le contrat de sous-traitance, sans régler les retenues de garanties pourtant anciennes ( certaines datant de 2016) dues à sa sous-traitante.

Compte tenu de l’ancienneté ( 2016) et du montant des retenues de garantie non libérées dans le délai contractuel, la société Terrassements et granulats Tauriacais a pu à bon droit mettre en demeure la société Inbat de lui régler les sommes dues avant d’achever les travaux, sans qu’il puisse lui être reproché un abandon de chantier et lui être imputé des pénalités de retard.

S’agissant des malfaçons et non-façons qui affecteraient le chantier de la SCI Les petits pins ( dont la commande valant contrat n’est pas produite aux débats), elles ne sont pas justifiées par la seule production d’un procès-verbal dressé par un huissier de justice et d’un courrier du maître de l’ouvrage, alors qu’elles sont contestées point par point par la sous-traitante.

En effet, la sous-traitante, dans son courrier en date du 27 septembre 2018, fait valoir que :

– ‘les raccordements des réseaux EU sont réalisés et que les réservations sur façade avant du bâtiment ont été oubliés dans le contrat, mais font l’objet d’un avenant,

– les raccordements EP sont faits en partie mais non réglés,

– les plans de recollement des réseaux sont géolocalisés mais ne seront fait qu’à la fin du chantier,

– les postes de relevage sont en place, il ne manque que les pompes d’une valeur de 500 euros,

– la solution compensatoire n’est pas réalisée, les remblais qui ont été amenés sur place sont uniquement pour relever mes niveaux de chaussées sur la route au parking.’

En l’absence d’expertise, au moins amiable, l’existence et l’imputation des malfaçons alléguées ne sont pas établies.

S’agissant des non-façons, les juges de première instance ont relevé avec raison que la résiliation unilatérale du chantier par l’entreprise générale a fait obstacle à la poursuite du chantier par la sous-traitante, comme celle-ci le proposait, et qu’il n’y avait donc pas lieu de mettre à sa charge les travaux d’achèvement du chantier ( dont le coût n’a d’ailleurs pas pu être discuté entre les parties).

La décision de première instance sera en conséquence confirmée sur ce point également.

3) sur les demandes accessoires :

La société Inbat qui succombe sera condamnée aux dépens qui seront pris en frais privilégiés de procédure collective.

Elle sera condamnée à verser la somme de 2000 euros à la société Terrassements et granulats Tauriacais au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort

Déclare recevable l’intervention de la Selarl Ekip en qualité de mandataire judiciaire de la société Inbat,

Confirme la décision rendue par le tribunal de commerce de Bordeaux le 7 septembre 2020,

y ajoutant,

Déboute la société Inbat de sa demande visant à voir déclarer la créance de la société Terrassements et Granulats Tauriacais ‘inopposable à la société Inbat’ pour défaut de déclaration auprès des organes de la procédure collective et à voir condamner celle-ci à lui restituer à la somme 10 986,21 euros versée dans le cadre de l’exécution du jugement entrepris,

Condamne la société Inbat aux dépens qui seront pris en frais privilégiés de procédure collective.

Condamne la société Inbat à verser la somme de 2000 euros à la société Terrassements et granulats Tauriacais au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Nathalie PIGNON , Présidente , et par Monsieur Hervé Goudot, Greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 


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