Sommaire Commandement de quitter les lieuxLa société CDC HABITAT SOCIAL a délivré un commandement à Madame [J] [M] le 2 août 2024, lui ordonnant de quitter son logement dans un délai de deux mois, conformément à un jugement du tribunal judiciaire de Caen du 10 juillet 2024. Demande de délai supplémentaireLe 23 août 2024, Madame [J] [M] a demandé un délai supplémentaire de 12 mois pour quitter son logement. Lors de l’audience du 8 octobre 2024, elle a sollicité un an pour quitter les lieux, ainsi que des indemnités en cas d’expulsion avant le délibéré. Arguments de Madame [J] [M]Madame [J] [M] a fait valoir que la jurisprudence citée par le bailleur ne s’appliquait pas à son cas, soulignant son état de santé qui l’empêche d’organiser son relogement. Elle a également mentionné l’absence de soutien familial et ses démarches pour trouver un logement social. Position de CDC HABITAT SOCIALLa société CDC HABITAT SOCIAL a demandé le rejet de la demande de délai de Madame [J] [M], arguant que son comportement nuisible justifiait l’expulsion. Elle a également contesté la légitimité des démarches de relogement de la requérante. Jugement et motifsLe juge a accordé à Madame [J] [M] un délai de trois mois pour quitter les lieux, tenant compte de sa situation sanitaire et sociale. Cependant, il a noté que le comportement problématique de la requérante avait été documenté et que l’expulsion était justifiée. Demande indemnitaireLa demande d’indemnité de Madame [J] [M] en cas d’expulsion avant le délibéré a été rejetée, le juge considérant que le préjudice allégué n’était pas certain ni actuel. Dépens et exécution provisoireLes dépens ont été laissés à la charge de Madame [J] [M], tandis que la demande de la société CDC HABITAT SOCIAL au titre de l’article 700 du code de procédure civile a été rejetée. La décision a été notifiée avec exécution provisoire de droit. |
Questions / Réponses juridiques :
Quel est le cadre légal pour accorder un délai de départ aux occupants d’un logement ?Le cadre légal pour accorder un délai de départ aux occupants d’un logement est principalement défini par l’article L. 412-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Cet article stipule que le juge de l’exécution peut accorder des délais aux occupants de lieux habités dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales. L’article L. 412-4 précise que la durée de ces délais ne peut être inférieure à un mois ni supérieure à un an. Pour déterminer la durée de ces délais, le juge doit prendre en compte plusieurs facteurs, notamment la bonne ou mauvaise volonté de l’occupant à exécuter ses obligations, la situation respective du propriétaire et de l’occupant, ainsi que des éléments tels que l’âge, l’état de santé, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, ainsi que des délais liés aux recours engagés. Quels sont les critères pris en compte par le juge pour accorder un délai de départ ?Le juge de l’exécution doit prendre en compte plusieurs critères pour accorder un délai de départ. Selon l’article L. 412-3 et L. 412-4 du Code des procédures civiles d’exécution, il doit évaluer la bonne ou mauvaise volonté de l’occupant dans l’exécution de ses obligations. Les situations respectives du propriétaire et de l’occupant sont également considérées, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux. D’autres éléments, tels que les circonstances atmosphériques et les diligences que l’occupant a justifiées en vue de son relogement, sont également pris en compte. Le juge doit donc respecter un juste équilibre entre les droits du propriétaire et ceux du locataire, en veillant à ce que l’atteinte au droit du propriétaire soit proportionnée et justifiée. Quelles sont les conditions pour qu’une demande d’indemnisation soit recevable ?Pour qu’une demande d’indemnisation soit recevable, elle doit répondre à certaines conditions. Selon l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution connaît des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageable des mesures d’exécution forcée. L’indemnisation du préjudice résultant d’une mesure d’expulsion nécessite que ce préjudice soit actuel, direct et certain. Dans le cas présent, la demande de délai présentée au juge de l’exécution pour quitter les lieux n’a pas d’effet suspensif sur la poursuite de la mesure d’exécution. Ainsi, la faute de la société CDC HABITAT SOCIAL ne peut pas être déduite de la mise en œuvre de l’expulsion dans le temps du délibéré. De plus, le préjudice invoqué par Madame [J] [M] ne remplit pas les conditions d’actualité et de certitude, car il s’agit d’une éventualité. Quelles sont les conséquences de la décision du juge concernant les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile ?La décision du juge concernant les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile a des conséquences précises. En l’espèce, les dépens sont laissés à la charge de Madame [J] [M], qui bénéficie d’une mesure de faveur, et seront recouvrés conformément aux règles de l’aide juridictionnelle. Concernant l’article 700, aucune circonstance tirée de l’équité ou de la situation économique des parties ne justifie son application. Cela signifie que Madame [J] [M] ne recevra pas d’indemnité pour couvrir ses frais de justice, ce qui est souvent accordé dans des situations où une partie a été contrainte de défendre ses droits. Enfin, il est rappelé que, selon l’article R. 121-21 du Code des procédures civiles d’exécution, les décisions du juge de l’exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUGE DE L’EXECUTION
MINUTE N° : 24/
AFFAIRE N° RG 24/03280 – N° Portalis DBW5-W-B7I-I6SY
Code NAC 5AD Baux d’habitation – Demande du locataire ou de l’ancien locataire tendant au maintien dans les lieux
JUGEMENT DU 10 Décembre 2024
Laurène POTERLOT, Juge de l’Exécution au Tribunal judiciaire de CAEN,
Assistée lors des débats de Séverine HOURNON, Greffière ;
DANS L’INSTANCE
ENTRE
Madame [J] [M]
née le 30 Septembre 1971 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 2]
EN DEMANDE
représenté par Me Vanessa HAMEL, avocat au Barreau de CAEN, Case 33
(Aide juridictionnelle totale n° 2024/004966 en date du 09/09/2024)
ET
S.A. CDC HABITAT SOCIAL
dont le siège social est sis [Adresse 1]
EN DEFENSE
représenté par Me Florian LEVIONNAIS, avocat au Barreau de CAEN, Case 93, substitué par Me LAIR
Après débats à l’audience publique du 08 Octobre 2024, le jugement a été prononcé le 10 Décembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 10 Décembre 2024.
Par acte de commissaire de justice du 2 août 2024, la société CDC HABITAT SOCIAL a fait délivrer à Madame [J] [M] un commandement de quitter les lieux habités dans un délai de deux mois, en exécution du jugement rendu par le juge des contentieux et de la protection du tribunal judiciaire de Caen 10 juillet 2024.
Par requête enregistrée le 23 août 2024, Madame [J] [M] a sollicité un délai supplémentaire de 12 mois pour quitter le logement.
A l’audience du 8 octobre 2024, les parties sont représentées par leurs conseils.
Madame [J] [M] sollicite du juge de l’exécution de :
– Lui accorder un délai d’un an pour quitter le logement qu’elle occupe au [Adresse 2] ;
– Condamner la société CDC HABITAT SOCIAL à lui payer la somme de 1.500 euros en cas d’expulsion effectuée avant le délibéré ;
– Débouter la société CDC HABITAT SOCIAL de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– Condamner la société CDC HABITAT SOCIAL à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’instance.
Elle fait valoir que la jurisprudence de première instance invoquée par le bailleur n’est pas transposable au cas d’espèce en ce qu’une seule occupante se plaint de son comportement et qu’il n’est pas justifié que celui-ci perdurerait depuis le jugement intervenu.
Elle invoque son état de santé ne lui permettant pas d’organiser son relogement dans des conditions normales. Elle ajoute qu’il a été précisé par l’assistante sociale de l’hôpital de [Localité 4] qui l’a suivie pendant son hospitalisation qu’elle n’était pas en état physique et psychique pour faire des démarches et qu’il était déconseillé qu’elle intègre un hébergement collectif en raison de la nécessité de bénéficier d’un environnement avec hygiène stricte. Cette incompatibilité avec un logement d’urgence ou une absence de domicile était reprise par l’assistante sociale de la Direction Générale Ajointe Solidarité du Département du Calvados.
S’agissant de sa situation financière et de ses démarches de relogement, elle soulignait être sans emploi et ne percevoir que l’allocation adulte handicapé la contraignant à ne rechercher un logement que dans le parc locatif social, ce qu’elle a entrepris dès le 6 avril 2023 et renouvelé le 16 février 2024. Elle ajoute qu’elle ne bénéficie d’aucun soutien familial depuis son changement d’orientation sexuelle et sa transformation physique.
Si son expulsion devait intervenir dans le temps du délibéré, elle sollicite une somme de 1.500 euros considérant que cela serait constitutif d’une faute de la part du bailleur.
La société CDC HABITAT SOCIAL se réfère oralement à ses écritures aux termes desquelles elle sollicite du juge de l’exécution de :
– Débouter Madame [J] [M] de sa demande de délai,
– La condamner à lui verser la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– La condamner aux entiers dépens.
Elle fait valoir que l’expulsion a été ordonnée en raison du comportement violent, menaçant et nuisible de la requérante à l’égard des autres occupants de l’immeuble et que ce comportement perdure de sorte qu’il est urgent qu’elle quitte le logement.
Elle ajoute qu’il n’est pas justifié de démarches en vue du relogement en ce que sa demande est antérieure au jugement d’expulsion.
Elle estime que l’état de santé de Madame [J] [M] n’est pas suffisant pour justifier l’octroi d’un délai pour quitter les lieux.
S’agissant de l’indemnité sollicitée en cas d’expulsion intervenue avant le délibéré, elle relève l’impossibilité pour le juge de l’exécution de la condamner pour une expulsion hypothétique et un manquement qui en résulterait.
Le jugement a été mis en délibéré au 10 décembre 2024.
Sur la demande de délais pour quitter les lieux
Aux termes de l’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution, dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2023, le juge de l’exécution peut accorder des délais aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales. L’article L. 412-4 du même code, tel qu’issu de la même loi, précise que la durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut être inférieure à un mois ni supérieure à un an.
Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.
Il appartient donc au juge de respecter un juste équilibre entre deux revendications contraires en veillant à ce que l’atteinte au droit du propriétaire soit proportionnée et justifiée par la sauvegarde des droits du locataire, dès lors que ces derniers apparaissent légitimes.
En l’espèce, il ressort des justificatifs produits par Madame [J] [M] que sa situation sanitaire et sociale ne permet pas un relogement dans le parc privé, la rendant ainsi tributaire des importants délais d’attente dans le parc public, une demande de logement ayant été formalisée dès le 6 avril 2023 et renouvelée le 16 février 2024.
En ce sens, son relogement dans des conditions normales est actuellement impossible.
Il convient toutefois de tenir compte du motif de résiliation du bail en ce que le jugement du 10 juillet 2024 souligne les « nombreux témoignages de voisins de (cette dernière et leur caractère) précis et concordants tant dans leur relation des incivilités qu’ils subissent que dans la désignation de leur auteur ». Le juge des contentieux de la protection ajoute, « Il est également avéré que ces faits existent depuis l’emménagement de Mme [J] [M] dans l’immeuble, soit en 2022 et ont encore été observés en mars 2024, le commandement de cesser les troubles en date du 14 mars 2023 n’ayant été suivi d’aucun effet ».
Il n’appartient pas au juge de l’exécution de remettre en cause ces éléments mais il doit être tenu compte de la situation des autres locataires et des obligations du bailleur à leur égard.
Il n’est pas fait mention par le bailleur de nouveaux incidents intervenus postérieurement au jugement du 10 juillet 2024 et il a été confirmé à l’audience que Madame [J] [M] est à jour du paiement de l’indemnité d’occupation.
Dans ces conditions et considérant qu’elle a déjà bénéficié d’un délai depuis sa requête datée d’août 2023, il sera fait droit à la demande de Madame [J] [M], dans la limite de 3 mois.
Sur la demande indemnitaire
Conformément aux dispositions de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution connaît « des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageable des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires ».
Si la mesure d’expulsion constitue une mesure d’exécution ouvrant droit à réparation en cas de mise en œuvre fautive, l’indemnisation du préjudice qui en résulterait nécessite que ce dernier soit actuel, direct et certain.
Dès lors que la demande de délai présentée au juge de l’exécution pour quitter les lieux dont l’expulsion a été ordonnée est sans effet suspensif sur la poursuite de la mesure d’exécution, la faute de la société CDC HABITAT SOCIAL ne saurait se déduire de la mise en œuvre de l’expulsion dans le temps du délibéré.
En outre, le préjudice qu’invoque Madame [J] [M] ne remplit pas les conditions d’actualité et de certitude s’agissant d’une éventualité.
Sa demande indemnitaire sera donc rejetée.
Sur les dépens, les frais irrépétibles et l’exécution provisoire
Les dépens seront laissés à la charge de Madame [J] [M], qui bénéficie d’une mesure de faveur, et seront recouvrés conformément aux règles de l’aide juridictionnelle.
En revanche, aucune circonstance tirée de l’équité ou de la situation économique des parties ne justifie qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, il est rappelé qu’en vertu de l’article R. 121-21 du code des procédures civiles d’exécution, les décisions du juge de l’exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit.
Le juge de l’exécution, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort et mis à disposition au greffe de la juridiction,
Accorde à Madame [J] [M] un délai jusqu’au 10 mars 2024 inclus pour libérer les lieux situés [Adresse 2] ;
Rejette la demande indemnitaire de Madame [J] [M] en cas d’expulsion intervenue avant le délibéré ;
Rejette la demande de la société CDC HABITAT SOCIAL au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Laisse les dépens à la charge de Madame [J] [M], lesquels seront recouvrés conformément aux règles de l’aide juridictionnelle ;
Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit dès sa notification.
La présente décision a été signée par Laurène POTERLOT, et par Séverine HOURNON, Greffière, présente lors du prononcé.
LE GREFFIER LE JUGE DE L’EXECUTION
S. HOURNON L. POTERLOT