Dégradation des rapports Presse / Police

·

·

Dégradation des rapports Presse / Police

Le rapport de la Commission sur les rapports Presse / Police établit que les relations entre la presse et les forces de l’ordre ont subi, depuis une dizaine d’années, une forte dégradation. Cette dégradation se constate lors de manifestations, soumises à de fortes tensions, mais aussi à l’occasion des rapports quotidiens qu’entretiennent la presse et les services de police et de gendarmerie. Pour remédier à cette situation, la commission propose des mesures concrètes dans plusieurs domaines. Elle formule ainsi les 32 propositions opérationnelles suivantes :

Recommandation n° 1 : garantir la sécurité physique des journalistes dans les manifestations en toutes circonstances, en leur permettant s’ils le souhaitent de se placer derrière les cordons des forces de l’ordre.

Recommandation n°2 : permettre aux journalistes qui le souhaitent de porter des équipements de protection, y compris lorsque ceux-ci dissimulent tout ou partie de leur visage, indépendamment de toute forme d’accréditation préalable et sur la seule présentation, en cas de contrôle, d’un document attestant de leur qualité.

Recommandation n° 3 : rappeler clairement aux forces de l’ordre qu’elles ne peuvent en principe s’opposer à la captation d’images ou de sons des opérations qu’ils mènent dans les lieux publics, que celle-ci soit le fait de journalistes ou de toute autre personne, ni a fortiori demander la suppression de tels enregistrements. Préciser que ces consignent valent y compris pour le film ou la photographie de leur visage, en dehors des personnels affectés dans des services dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, le respect de l’anonymat.

Recommandation n° 4 : intégrer la possibilité permanente d’enregistrement de l’action des forces de l’ordre sur la voie publique comme un paramètre nouveau mais durable de leur travail, et y adapter tant les manoeuvres que l’état d’esprit des personnels, dans une perspective d’exemplarité.

Recommandation n° 5 : systématiser l’enregistrement, par les forces de l’ordre, de leurs propres opérations, afin de limiter leur appréhension quant à la prise d’images d’observateurs extérieurs et d’assurer leur sécurité juridique en cas de mise en cause.

Recommandation n° 6 : harmoniser les finalités et conditions dans lesquelles les images enregistrées par les forces de l’ordre lors d’opérations menées sur la voie publique, quel que soit le support de leur enregistrement, peuvent être diffusées au public ou mises à la disposition de la presse. Renoncer, dans ce cadre, à toute tentation d’alimenter une « guerre de l’image ».

Recommandation n° 7 : assurer, dans le cadre législatif et réglementaire existant, une protection effective des membres des forces de l’ordre.  Privilégier une approche globale des risques liés à la mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion d’informations personnelles, qui concernent l’ensemble des citoyens.

Recommandation n° 8 : garantir la possibilité pour les journalistes, sur la seule présentation d’un document attestant de leur qualité, d’entrer et sortir librement des dispositifs de sécurité encadrant des manifestations de voie publique.

Recommandation n° 9 : ne restreindre l’accès des journalistes aux périmètres de sécurité mis en place à l’occasion d’opérations de police administrative, et notamment d’évacuation ou de mise à l’abri de personnes, qu’en cas de circonstances exceptionnelles. Dans ces rares cas, assurer néanmoins la visibilité, par la presse, du déroulement de l’ensemble des opérations.

Recommandation n° 10 : garantir la possibilité pour les journalistes de couvrir des manifestations qui ont été interdites ou n’ont pas été préalablement déclarées.

Recommandation n° 11 : assurer aux journalistes, sauf circonstances exceptionnelles, la possibilité de couvrir l’ensemble de la durée d’une manifestation, y compris lorsque celle-ci s’est transformée en un attroupement dont l’autorité civile a décidé la dispersion et que les sommations ont été effectuées, dès lors qu’ils se désolidarisent physiquement des personnes appelées à se disperser.

Recommandation n° 12 : créer et garantir, sous l’autorité du préfet ou du ministre de l’intérieur, un espace incontesté de parole propre aux forces de l’ordre en matière de police administrative. Répondre, ce faisant, au besoin de la presse et du public d’informations techniques et factuelles en matière de sécurité, que ne sauraient satisfaire les seuls syndicats de police et « experts » extérieurs.

Recommandation n° 13 : ne pas réserver la parole des forces de l’ordre en matière de police administrative aux seuls services de communication, mais la donner aux services opérationnels concernés, à la fois au niveau central et, surtout, au niveau local. Donner à ces services les ressources et la formation nécessaires à la mise en oeuvre de cette recommandation et reconnaître, sans la démentir en pratique, l’existence d’un « droit à l’erreur » en matière de communication.

Recommandation n° 14 : modifier l’article 11 du code de procédure pénale afin de permettre aux forces de l’ordre de s’exprimer, sous l’autorité du procureur de la République, sur les enquêtes en cours, à la fois par une association plus régulière aux communications de ce dernier et par une possibilité d’expression propre, selon une articulation à définir au niveau local.

Recommandation n° 15 : modifier l’article 11 du code de procédure pénale afin de remplacer les cas limitatifs dans lesquels le procureur de la République peut s’exprimer sur une enquête en cours par un critère d’opportunité, lié à l’existence d’un intérêt public à s’exprimer. Accompagner la mise en oeuvre de cette recommandation de la définition d’une doctrine commune d’expression du parquet.

Recommandation n° 16 : garantir un dialogue des forces de l’ordre avec la presse avant, pendant et après les évènements d’ordre public qui le justifient, afin de lui fournir des informations fiables et impartiales. Prévenir la diffusion d’éléments biaisés ou erronés destinés à se « couvrir » : en cas d’informations insuffisantes et afin d’éviter la circulation de rumeurs ou la pression du temps médiatique, fixer un rendez-vous ultérieur, en veillant à l’annoncer le plus en amont possible.

Recommandation n° 17 : mettre en place, lors de tels évènements, un canal de communication ad hoc des forces de l’ordre avec la presse, sous la forme d’une « boucle » de télécommunication gérée par des « officiers presse » eux-mêmes présents sur le « terrain », formés et dédiés à cette tâche, en mesure de fournir des informations opérationnelles et de régler les difficultés rencontrées. Assurer que ce canal d’échanges ne soit ni à sens unique, ni un canal de « com ». L’ouvrir à tout journaliste qui en ferait la demande, en dehors de toute accréditation ou sélection.

Recommandation n° 18 : répondre plus systématiquement de façon favorable aux demandes de journalistes, notamment de la presse écrite, d’être « embarqués » dans des services de police ou de gendarmerie, y compris lorsque l’objet du reportage en cause ne correspond pas aux priorités politiques du moment. Préciser au journaliste concerné, le cas échéant, le motif du refus qui lui est opposé.

Recommandation n° 19 : renoncer à l’inscription de clauses portant atteinte à la liberté éditoriale dans les conventions ou autorisations de tournage ou de prise de vue des services de police et de gendarmerie et à tout accord préalable à la diffusion des reportages.

Recommandation n° 20 : les journalistes doivent adopter un comportement d’observateurs dans les évènements d’ordre public, permettant aux forces de l’ordre de les identifier – en dehors des cas où des facilités doivent leur être accordées et où la vérification de leur qualité est pour cette raison nécessaire (v. recommandation n° 23) – par cette posture de « tiers » aux évènements.

Recommandation n° 21 : ne pas rendre obligatoire le port de signes extérieurs d’identification des journalistes, mais conférer une présomption d’appartenance à la presse à ceux qui choisiraient d’en porter. Ne remettre en cause cette présomption qu’en cas de rupture avec un comportement d’observateur de l’intéressé (invectives, violences, etc.).

Recommandation n° 22 : renoncer à tout mécanisme d’accréditation des journalistes couvrant des évènements se déroulant sur la voie publique.

Recommandation n° 23 : dans les cas d’exception où l’identification d’un journaliste est nécessaire pour lui accorder certaines facilités, assurer que la carte de presse soit, aux yeux des forces de l’ordre, un document incontestable.  Renoncer cependant à tout mécanisme d’identification reposant sur ce seul document, dont l’ensemble des journalistes ne disposent pas. Engager à cet égard des discussions au sein de la profession afin de choisir entre deux options, consistant à : (i) définir un modèle type d’ « attestation employeur », délivrée par ce dernier au journaliste concerné lorsqu’il ne dispose pas de la carte de presse ; ou (ii) mettre en place, sur un modèle en usage aux Pays-Bas, une carte de presse spéciale « évènement d’ordre public », délivrée par une autorité interne à la profession et désignée par elle, selon les critères qu’elle aura définis.

Recommandation n° 24 : intégrer, selon les modalités propres à chacune, dans les chartes de déontologie et d’éthique journalistiques, des éléments relatifs au comportement à adopter lors d’opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre.

Recommandation n° 25 : rappeler que le Conseil de déontologie journalistique et de médiation peut être saisi par tout citoyen, y compris des policiers et gendarmes, de tout « acte journalistique ».

Recommandation n° 26 : signaler immédiatement et spécialement au procureur de la République compétent l’interpellation d’un journaliste pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions de couverture d’un événement d’ordre public.

Recommandation n° 27 : assurer l’identification des membres des forces de l’ordre par le port systématique du RIO et l’indication claire, lors d’opérations de maintien de l’ordre, de l’unité de rattachement.

Recommandation n° 28 : recenser et publier les données relatives aux signalements et enquêtes administratives et judiciaires ouvertes et clôturées par les inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale relatives au maintien de l’ordre et aux journalistes, ainsi que les suites qui leur sont données. Plus généralement, recenser et publier les données relatives aux journalistes dans l’ensemble des dispositifs de signalement et plainte qui leur sont ouverts, contentieux comme non-contentieux.

Recommandation n° 29 : faire mieux connaître aux journalistes l’existence de la voie de saisine non contentieuse, gratuite et pleinement indépendante qu’est le Défenseur des droits. Proposer un accompagnement, de la part des rédactions et directions des entreprises de presse concernées, de ceux de leurs journalistes qui auraient recours à cette voie.

Recommandation n° 30 : assurer la formation initiale et continue des policiers et gendarmes au droit de la presse et à la prise en compte des journalistes. Ne pas limiter cette formation à des modules de déontologie, mais l’intégrer aux entraînements opérationnels de l’ensemble des forces de l’ordre amenées à intervenir sur la voie publique, et non seulement des unités de forces mobiles.

Recommandation n° 31 : intégrer les questions de sécurité et d’ordre public à la formation des journalistes, à la fois en école et au sein des entreprises et organes de presse.

Recommandation n° 32 : renouer le dialogue entre la presse et les forces de l’ordre, via le développement : (i) de visites et d’échanges réciproques, sur le modèle de ce que pratique la gendarmerie mobile au centre d’entraînement de Saint-Astier ; (ii) au niveau central, de conférences communes régulières ; (iii) au niveau local surtout, de temps de rencontre et de dialogue ad hoc, sous la forme de « regards croisés » sur des thématiques et enjeux locaux, les difficultés rencontrées ou les bonnes pratiques à diffuser.


Chat Icon