Défaut de reddition des comptes dans l’édition musicale : la résiliation judiciaire

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Défaut de reddition des comptes dans l’édition musicale : la résiliation judiciaire
Ce point juridique est utile ?

Le défaut de reddition des comptes emporte résiliation judiciaire du contrat d’édition musicale.

Selon son article L132-13, ” l’éditeur est tenu de rendre compte. L’auteur pourra, à défaut de modalités spéciales prévues au contrat, exiger au moins une fois l’an la production par l’éditeur d’un état mentionnant le nombre d’exemplaires fabriqués en cours d’exercice et précisant la date et l’importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock.

Sauf usage ou conventions contraires, cet état mentionnera également le nombre des exemplaires vendus par l’éditeur, celui des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure, ainsi que le montant des redevances dues ou versées à l’auteur “.

En l’espèce, l’obligation de reddition de comptes annuelle figure à l’article XVII des contrats de cession et d’édition musicale des œuvres. Les contrats ne prévoient pas cependant les conséquences d’une absence de reddition des comptes. Pour autant, GETEVE PRODUCTIONS n’a produit aucune reddition de comptes

L’éditeur a ainsi manqué à son obligation de rendre compte annuellement.

Néanmoins, la reconstitution des comptes a postériori sur interpellation des ayants droit reflète la réalité d’une exploitation ayant généré des revenus conformes aux droits versés, de sorte que ce seul manquement ne saurait suffire à entraîner la résiliation des contrats de cession et d’édition des contrats de cession.

Au surplus, une telle résiliation et les restitutions en découlant serait de nature à remettre en cause les droits d’exploitation des autres titulaires de droits sur les films documentaires pour lesquels ces œuvres ont été composées, et qui ne sont pas à la cause.

En conséquence, il convient de prononcer la résiliation judiciaire des seuls contrats afférents à l’œuvre audiovisuelle ” les merveilles de la vie ” pour manquement de l’éditeur à son obligation d’exploitation suivie et permanente.

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne la succession de l’auteur-compositeur [C] [T], qui a cédé ses droits éditoriaux sur certaines de ses œuvres à la société TELE IMAGES EDITIONS, qui a ensuite été dissoute et a transmis son patrimoine à la société GETEVE PRODUCTIONS. La succession de [C] [T] a estimé que les œuvres n’étaient pas exploitées conformément aux contrats de cession et d’édition, et a demandé des justifications à GETEVE PRODUCTIONS. Après plusieurs mises en demeure restées sans réponse satisfaisante, la succession a assigné GETEVE PRODUCTIONS en justice pour inexécution contractuelle et résolution des contrats. Les parties ont des positions divergentes sur la prescription des demandes et sur le fond du litige, notamment en ce qui concerne les obligations d’exploitation des œuvres musicales de [C] [T]. La succession demande la résolution des contrats, des dommages et intérêts, ainsi que des frais de justice, tandis que GETEVE PRODUCTIONS conteste les accusations de manquements graves et soutient avoir assuré une exploitation conforme des œuvres.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 mai 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 21/11783
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 21/11783
N° Portalis 352J-W-B7F-CVE6I

N° MINUTE :

Assignation du :
16 Septembre 2021

JUGEMENT
rendu le 17 Mai 2024
DEMANDEURS

Monsieur [R] [T] dit [T]-[L]
[Adresse 6]
[Localité 2]

Monsieur [O] [T]
[Adresse 7]
[Localité 8]

Madame [N] [F] née [T]
Puymule
[Localité 4]

Monsieur [I] [T]
[Adresse 9]
[Localité 3]

représentés par Maître Jean-marie GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0818

DÉFENDERESSE

S.A.S.U. GETEVE PRODUCTIONS
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Armelle FOURLON de la SELARL FOURLON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0277

Copies délivrées le :
– Maître GUILLLOUX #G818 (exécutoire)
– Maître FOURLON #C277 (exécutoire)

Décision du 17 Mai 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 21/11783 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVE6I

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistée de Madame Caroline REBOUL, greffière lors des débats et de Monsieur Quentin CURABET, Greffier lors de la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 08 Mars 2024 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 26 Avril 2024, puis prorogé au 17 Mai 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

1.[S] [T] dit [C] [T], auteur-compositeur de musique, a cédé ses droits éditoriaux sur certaines de ses œuvres à la société TELE IMAGES EDITIONS. La société TELE IMAGES EDITIONS a fait l’objet d’une dissolution anticipée avec transmission universelle de son patrimoine à la société GETEVE PRODUCTIONS le 29 mai 2015. [C] [T] est décédé le 17 avril 2016.

2.M. [R] [T] dit [T]-[L], M. [I] [T], Mme [N] [T] épouse [F] et M. [O] [T] sont les ayants droit de [C] [T]. La succession de [C] [T] a estimé que les œuvres dont les droits éditoriaux ont été cédés à GETEVE PRODUCTIONS, n’étaient pas exploitées et a demandé à celle-ci de justifier de l’exécution de bonne foi des contrats de cession et d’édition musicale.

3.Plusieurs mises en demeure ont été adressées à TELE IMAGES EDITIONS puis à GETEVE PRODUCTIONS les 1er août 2019, 21 février et 13 octobre 2020, afin ” de justifier de ses diligences en qualité d’éditeur des oeuvres musicales de (…) [C] [T] ” et de produire des ” redditions de compte de l’origine des oeuvres musicales jusqu’à 2019 dans un délai de 15 jours “, mais ses réponses ont été considérées comme incomplètes ou insatisfaisantes par la succession [T].

4.Aux termes de sa dernière mise en demeure du 6 janvier 2021, la succession [T] a notifié à GETEVE PRODUCTIONS la résiliation de plein droit des contrats de cession et d’édition musicale des oeuvres musicales reproduites dans plusieurs œuvres audiovisuelles.

5.En l’absence de réponse à sa mise en demeure et par exploit d’huissier du 16 septembre 2021, la succession [T] a assigné la société GETEVE PRODUCTIONS devant le tribunal judiciaire de Paris, notamment pour inexécution contractuelle et résolution judiciaire des contrats de cession et d’édition musicale des œuvres de [C] [T], reproduites dans les œuvres audiovisuelles : ” l’Odyssée Bleue “, ” les Chroniques de l’Asie sauvage “, ” les Chroniques de l’Amérique sauvage “, ” les Chroniques de L’Amazonie sauvage “, ” Genesis II et l’homme créa la nature “, ” Super plantes “, ” La Reine et le Cardinal “, ” Animaux Médecins “, ” Cités sauvages “, ” Les Créatures de la pleine lune “, ” Les Merveilles de la vie “, ” Ile miracle “, ” Le Cavalier des eaux “, ” Les Intrus “, ” Les mensonges “, ” Mae-Sa le Royaume de l’Eléphant “, ” Nouveaux Sanctuaires “, Chroniques du premier jour “, ” Les Nuits Sauvages “, ” Ondes de Choc “, ” Prince des dromadaires “, ” John et les Singes “, et ” La nature des champions “.

6.Durant la procédure, les parties se sont désistées de leurs demandes incidentes de communication de pièces et la fin de non-recevoir de GETEVE PRODUCTIONS tirée de la prescription des demandes adverses a été renvoyée au fond, par le juge de la mise en état.

7.Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 mai 2023, la succession [T] a demandé :
– de rejeter la fin de non-recevoir,
– de prononcer la résolution judiciaire à effet au 6 janvier 2021 des contrats de cession et d’édition des œuvres de [C] [T], reproduites dans les œuvres audiovisuelles visées par l’assignation pour manquement à ses obligations de l’éditeur,
– de condamner GETEVE PRODUCTIONS au paiement des sommes provisionnelles de 50 00 euros au titre de la restitution des droits éditoriaux à compter de la résolution de plein droit des contrats de cession et d’édition relatifs à l’exploitation des œuvres de [C] [T] et de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des préjudices patrimoniaux subis,
– de la condamner à lui payer la somme de 35000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

8.S’agissant de la prescription, la succession [T] conteste l’existence d’un aveu judiciaire dans ses écritures quant à la date à laquelle elle a eu connaissance d’éventuels manquements de l’éditeur à ses obligations contractuelles. Afin de répondre à l’irrecevabilité alléguée en application du principe de l’estoppel, elle soutient ne pas avoir modifié l’objet de ses demandes en cours de procédure ni leur étendue.

9.Sur le fond, elle a fait valoir que l’éditeur n’assure plus l’exploitation de la plupart des œuvres ; qu’il n’a pas respecté son obligation de reddition de comptes, ni son obligation d’édition d’une collection graphique fournie et complète des œuvres de [C] [T], telle que prévue aux contrats en cause.

10.En réponse GETEVE PRODUCTIONS a sollicité aux termes de ses conclusions du 10 mai 2023 :
-de juger prescrite la demande adverse en résolution judiciaire des contrats conclus entre [C] [T] et GETEVE PRODUCTIONS et celles fondées sur des défauts d’exploitation des œuvres musicales antérieurs au 16 septembre 2016,
– de les juger irrecevables, en application du principe de l’estoppel ;
– de rejeter ses demandes de résolution des contrats conclus avec [C] [T] ;
– de condamner la demanderesse à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL FOURLON AVOCATS

11.GETEVE PRODUCTIONS soutient que les demandes de la succession [T] sont prescrites, en raison de son aveu judiciaire dès lors qu’elle a reconnu être informée du défaut allégué d’exploitation depuis le décès de [C] [T]. Elle fait valoir que le principe de l’estoppel s’applique, la succession [T] ayant modifié sa demande principale de résolution judiciaire des contrats, pour solliciter en dernier lieu leur résiliation.

12.Sur le fond, GETEVE PRODUCTIONS soutient que des manquements graves ne sont pas constitués pour justifier la résolution des contrats ; que [C] [T] a principalement illustré musicalement des œuvres audiovisuelles documentaires produites entre 1994 et 2009 ; que son œuvre de fiction demeure marginale et que ses œuvres relèvent du genre ” musique pour l’image “. Elle fait valoir que les contrats de cession et d’édition musicale prévoient que l’exploitation permanente et suivie sera effectuée ” conformément aux usages “, qu’elle assure une exploitation permanente et suivie des œuvres musicales de [C] [T], par la commercialisation des œuvres audiovisuelles qu’il a illustrées musicalement et fait valoir que ses œuvres musicales bénéficient également d’une exploitation en streaming. Elle soutient également que les comptes sont établis par les relevés de la SACEM et que la demanderesse ne démontre pas l’existence d’un quelconque préjudice.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la prescription de la demande de résiliation des contrats de cession et d’édition musicale

13.Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Le délai de prescription court en conséquence à compter de la date à laquelle les inexécutions reprochées ont pu être constatées.

14.Aux termes de l’article 2233 du même code, ” la prescription ne court pas :
– à l’égard d’une créance qui dépend d’une condition, jusqu’à ce que la condition arrive
– à l’égard d’une action en garantie, jusqu’à ce que l’éviction ait lieu ;
– à l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé “.

15.Il sera rappelé que la prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire (cf Ccas, ch.soc, 1er février 2011, pourvoi n°10-30.160).

16.Selon l’article 1383 du code civil, ” l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques (…) “.

17.En l’espèce GETEVE PRODUCTIONS soutient que la succession [T] avait connaissance des manquements qu’elle lui a reprochés par la suite, au moment du décès de [C] [T] et l’a expressément reconnu.

18.Notamment, elle fait valoir qu’aux termes de ses écritures, la succession [T] déclare avoir constaté les manquements allégués ” à la suite ” du décès de [C] [T], survenu le 17 avril 2016, donc à cette date. Or le seul emploi de cette expression ne signifie pas que la succession [T] en aurait eu connaissance depuis le jour du décès de [C] [T], mais seulement après celui-ci. En conséquence, elle n’a pas admis avoir connaissance des manquements allégués au jour du décès et l’aveu judiciaire allégué n’est pas constitué.

19.La succession [T] a demandé à GETEVE PRODUCTIONS de justifier de ses diligences en tant qu’éditeur des œuvres musicales de [C] [T] par l’envoi de plusieurs courriers recommandés à partir du 1er août 2019 (d’abord adressés à TELE IMAGES EDITION). GETEVE PRODUCTIONS lui a répondu par courrier du 15 novembre 2019 (pièce 4-1) en lui adressant un état des ventes des programmes 2010-2018 que la demanderesse estimera insuffisant. A cette date, la succession [T] doit être regardée comme ayant pris connaissance des manquements éventuels de l’éditeur. La succession [T] a assigné la défenderesse devant le tribunal judiciaire de Paris le 16 septembre 2021. Sa demande de résolution ou de résiliation judiciaire des contrats de cession et d’édition musicale n’est donc pas prescrite.

Sur l’application du principe de l’estoppel

20.Selon une jurisprudence constante, le principe de l’estoppel se définit un comportement procédural constitutif d’un changement de position de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions.

21.Aux termes de l’article 4 du code de procédure civile : ” l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant “.

22.Selon l’article 1229 du code civil, ” La résolution met fin au contrat / La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice.

Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation “.

23.Aux termes de son assignation du 16 septembre 2021, la demanderesse sollicite la résolution judiciaire des contrats de cession et d’édition musicale des œuvres de [C] [T] reproduites dans les œuvres audiovisuelles figurant aux ” par ces motifs ” de l’assignation.

24.Aux termes de ses dernières conclusions, elle sollicite la résolution avec effet pour l’avenir à compter du 6 janvier 2021 de ces mêmes contrats.

25.La modification alléguée et présentée comme étant de nature à induire en erreur la défenderesse, porte sur la demande de résolution ou de résiliation de contrats par la succession [T] dans ses écritures.

26.Ces demandes ont pour même objet de mettre fin au contrat, mais ne produisent pas les mêmes effets dans le temps, la résolution du contrat ayant un effet rétroactif et la résiliation ne portant effet que pour l’avenir.

27.L’assignation du 16 septembre 2021, visait déjà dans ses motifs la résiliation des contrats de cession et d’édition musicale (points 26 et 28 de l’assignation).

28.Dès lors, le moyen manque en fait et GETEVE PRODUCTIONS n’a pu être induite en erreur sur les intentions de la succession [T].

29.GETEVE PRODUCTIONS n’est pas fondée à solliciter l’irrecevabilité de sa demande de résiliation ou de résolution judiciaire des contrats en application du principe de l’estoppel.

Sur la résiliation judiciaire des contrats

30.A titre liminaire, il sera précisé que si les contrats de cession et d’édition musicale des œuvres afférentes aux œuvres audiovisuelles ” les chroniques de l’Asie sauvage ” et les chroniques de l’Amazonie sauvage ” ne sont pas produits au dossier mais ne sont pas contestés par la défenderesse.

Sur l’exploitation des œuvres musicales

31.L’article L132-1 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable au litige, définit le contrat d’édition comme ” le contrat par lequel l’auteur d’une oeuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’oeuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion “.

32.Selon son article L132-12 ” l’éditeur est tenu d’assurer à l’oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession “.

33.En l’espèce, les contrats de cession et d’édition musicale comportent une clause de cession du droit exclusif d’exploitation de l’œuvre musicale et de reproduction sous quelque forme que ce soit, ainsi qu’un droit de reproduction exclusif sur tous supports matériels connus et non encore connus.

34.Les contrats ont rappelé l’obligation d’exploitation permanente et suivie de l’œuvre musicale de [C] [T], et son exploitation commerciale conforme aux usages de la profession (article X des contrats).

35.Il est prévu à l’article XVIII des contrats qu’en ce qui concerne les musiques d’œuvres audiovisuelles, ” l’auteur dispense l’éditeur de procéder à la reproduction graphique de l’œuvre, l’auteur reconnaissant expressément que l’inclusion de l’œuvre musicale dans l’œuvre audiovisuelle constitue l’exploitation conforme aux usages de la profession telle que prévue par la loi “.

36.Le code des usages et bonnes pratiques de la profession (pièce 12 de la défenderesse) précise que ” l’exploitation permanente et suivie et la diffusion commerciale ne sont pas considérées comme assurées si la seule exploitation réalisée est celle de la diffusion musicale de l’œuvre audiovisuelle pour laquelle elle a été spécialement créée “, Il prévoit notamment que les œuvres relevant de la librairie musicale doivent être présentes sur le site de l’éditeur ou tout autre site présentant des catalogues thématiques, leur présence sur des supports physiques. Leur exploitation permanente et suivie est assurée par ” la production ou l’acquisition de leurs enregistrements radiophoniques, par la fixation de ces œuvres sur un support physique ou numérique, la recherche de leur placement dans des œuvres audiovisuelles, publicitaires ou multimédia “.

37. Il est toutefois paru le 4 octobre 2017, soit postérieurement au décès de [C] [T], et s’applique aux contrats conclus après le 1er juillet 2018. A cet égard, la succession [T] ne démontre pas que l’exploitation conforme aux usages de musiques pour l’image allait au-delà de l’exploitation de l’œuvre audiovisuelle elle-même, à l’époque des contrats en cause.

38.L’exploitation permanente et suivie de l’œuvre constitue pour l’éditeur une obligation de moyens renforcée.

Il convient pour apprécier en l’espèce l’étendue de son obligation de déterminer d’une part, si l’œuvre audiovisuelle a été exploitée, et d’autre part, si d’autres moyens de diffusion de l’œuvre musicale ont été envisagés par l’éditeur.

39.Sur injonction du juge de la mise en état, les ayants droit de [C] [T] ont dû produire leurs relevés de compte SACEM qui concernent leurs droits au titre de l’exploitation des œuvres de [C] [T], dont certains relatifs aux contrats litigieux (pièces 11-1 à 11-8) entre 2019 et 2022.

40.GETEVE PRODUCTIONS a produit un tableau des œuvres exploitées entre janvier 2019 et juillet 2022, sur la base des données transmises aux parties par la SACEM, au terme duquel le montant des droits perçus par les ayants droit selon GETEVE PRODUCTIONS est de 2944 euros et de 1596 euros selon la succession [T], ce qui confirme une exploitation de l’œuvre musicale de [C] [T] sur cette période.

41.De fait, l’éditeur justifie avoir recouru à plusieurs modes d’exploitation des œuvres audiovisuelles pour lesquelles les oeuvres musicales de [C] [T] ont été créées et des œuvres musicales elles-mêmes.

42.GETEVE PRODUCTIONS a produit des états des ventes des œuvres audiovisuelles auxquelles sont intégrées les œuvres musicales de [C] [T] de 2010 à 2023 (pièces 91 et 125) en France et à l’étranger, et notamment pour ” Genesis 2 “, ” L’Odyssée Bleue “, ” Super Plantes “, ” La Reine et le Cardinal, ” L’ile miracle “, ” Les intrus “, ” John et les singes “, ” Mae- Sa et les éléphants ” , ” Les mensonges “, ” La nature des champions “, ” Les nuits sauvages “, ” Le prince des dromadaires “, ” Cités sauvages ” et le ” cavalier des eaux “.
43.Les ” Chroniques de l’Amazonie sauvage ” et les ” Chroniques de l’Afrique sauvage ” ” Super Plantes “, ” Genesis II ” sont en vente sur Amazon. Les ” Chroniques de l’Asie sauvage “, les ” animaux médecins ” sont sortis en DVD.

44.Certains de ces films ont fait l’objet d’une diffusion télévisuelle : ” Les intrus “, ” les nuits sauvages “, ” l’ile miracle “, ” les merveilles de la vie “, ” Chroniques du premier jour “, ” Mae-Sa et le Royaume de l’Eléphant ” (pièces 32,53, 69, 35,63, 50.1).

45.Le film ” les mensonges ” est sorti en salle en 2010 (pièce 82).

46.Certaines œuvres musicales de [C] [T] afférentes à ces œuvres audiovisuelles ont donné lieu à la publication d’un album : les chroniques précitées, ainsi que ” Genesis II ” et ” Super Plantes “.

47.Les œuvres musicales ” ondes de choc “, ” les créatures de la pleine lune ” et les œuvres musicales afférentes aux ” chroniques de l’Australie sauvage “, à ” l’Odyssée Bleue “, à ” Genesis II ” et aux ” chroniques de l’Amérique sauvage ” sont disponibles en streaming sur Deezer (pièces 127.1, 127.2).

48.” La nature des champions ” est disponible sur Youtube (pièce 45).

49.Certaines des partitions musicales de [C] [T] des œuvres audiovisuelles visées par la demanderesse, ont été mises en ligne sur ” Planète Music “, dont des partitions issues de ” l’Odyssée Bleue “, ; de ” Genesis II ” (” Promised Land “, ” arriving in Meru “), et le générique de ” Super Plantes ” (pièces 94.1 et 2 de la défenderesse).

50.L’exploitation des œuvres précitées a eu lieu la plupart du temps du vivant de l’artiste et en lien avec la diffusion de l’œuvre audiovisuelle.

51.Toutefois, l’obligation d’exploitation suivie et permanente de l’œuvre doit être appréciée selon sa nature, s’agissant dans le cas présent de ” musique pour l’image ” dont elle est difficilement dissociable.

52.A titre d’exemple, [C] [T] avait créé 40 œuvres d’une durée totale de 37 minutes, pour ” La Reine et le Cardinal “, lesquelles sont difficilement exploitables en dehors de l’œuvre audiovisuelle pour lesquelles elles ont été créées, notamment en raison de leur très faible durée (de quelques secondes à deux minutes – pièces 86-1 et s.).

53.En outre lors de la signature des contrats (entre 1998 et 2012), il n’est pas démontré qu’une exploitation conforme aux usages allait au-delà de l’exploitation de l’œuvre audiovisuelle.

54.Toutefois, il n’est pas justifié de l’exploitation des œuvres musicales, créées par [C] [T] pour l’oeuvre audiovisuelle ” les merveilles de la vie “, ni de l’exploitation de cette œuvre elle-même.

55.En revanche, il doit être considéré que les autres œuvres musicales afférentes aux œuvres audiovisuelles visées par la demanderesse, ont fait l’objet d’une exploitation suivie et permanente conforme aux usages.

Sur les redditions de comptes

56.Selon son article L132-13, ” l’éditeur est tenu de rendre compte. L’auteur pourra, à défaut de modalités spéciales prévues au contrat, exiger au moins une fois l’an la production par l’éditeur d’un état mentionnant le nombre d’exemplaires fabriqués en cours d’exercice et précisant la date et l’importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock.
Sauf usage ou conventions contraires, cet état mentionnera également le nombre des exemplaires vendus par l’éditeur, celui des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure, ainsi que le montant des redevances dues ou versées à l’auteur “.

57.L’obligation de reddition de comptes annuelle figure à l’article XVII des contrats de cession et d’édition musicale des œuvres de [C] [T]. Les contrats ne prévoient pas cependant les conséquences d’une absence de reddition des comptes. Pour autant, GETEVE PRODUCTIONS n’a produit aucune reddition de comptes

58.L’éditeur a ainsi manqué à son obligation de rendre compte annuellement. Néanmoins, la reconstitution des comptes a postériori sur interpellation des ayants droit [T] reflète la réalité d’une exploitation ayant généré des revenus conformes aux droits versés, de sorte que ce seul manquement ne saurait suffire à entraîner la résiliation des contrats de cession et d’édition des contrats de cession.
Au surplus, une telle résiliation et les restitutions en découlant serait de nature à remettre en cause les droits d’exploitation des autres titulaires de droits sur les films documentaires pour lesquels ces œuvres ont été composées, et qui ne sont pas à la cause.

59.En conséquence, il convient de prononcer la résiliation judiciaire des seuls contrats afférents à l’œuvre audiovisuelle ” les merveilles de la vie ” pour manquement de l’éditeur à son obligation d’exploitation suivie et permanente.

Sur les demandes subséquentes

60.En application de l’article 1240 du code civil, ” tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé à la réparer “.

61.En l’espèce, la succession [T] se prévaut exclusivement d’un préjudice patrimonial et notamment d’une perte de chance d’édition phonographique des œuvres, sans autre précision. Or, le paiement des droits patrimoniaux a été assuré par la SACEM. Il n’est justifié d’aucun autre préjudice. En outre, s’agissant des œuvres incluses dans ” les merveilles de la vie “, dont l’exploitation n’est pas démontrée, elles datent de 1999 et les consorts [T] ne démontrent pas qu’ils étaient en mesure d’en tirer des revenus que ni leur auteur, ni son éditeur n’ont pu obtenir pendant vingt ans.
En conséquence, la demande de dommages et intérêts formée par la demanderesse sera rejetée.

Sur les demandes annexes

62.L’article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.

63.La plupart des demandes des consorts [T] sont rejetées mais il est néanmoins apparu que la preuve d’une exploitation n’est pas démontrée pour 4 œuvres de 1999 et que l’obligation de reddition de comptes n’avait pas été suffisamment exécutée, ce qui justifie de mettre les dépens pour moitié à la charge de chacune des parties et de rejeter leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal

PRONONCE la résiliation judiciaire des contrats suivants conclus entre [S] dit [C] [T] et TELE IMAGES EDITIONS aux droits de laquelle est venue la société GETEVE PRODUCTIONS :
– contrat de cession et d’édition de l’œuvre musicale ” Canaima Venezuela ” pour l’œuvre audiovisuelle ” les merveilles de la vie ” en date du 4 juin 1999 ;
– contrat de cession et d’édition de l’œuvre musicale ” Great smoky mountains Etats-Unis ” pour l’œuvre audiovisuelle ” les merveilles de la vie ” en date du 4 juin 1999 ;
– contrat de cession et d’édition de l’œuvre musicale ” Royal Chirwan Nepal ” pour l’œuvre audiovisuelle ” les merveilles de la vie ” en date du 4 juin 1999 ;
– contrat de cession et d’édition de l’œuvre musicale ” El Vizcaino Mexique ” pour l’œuvre audiovisuelle ” les merveilles de la vie ” en date du 4 juin 1999 ;

DEBOUTE M. [R] [T] dit [T]-[L], M. [I] [T], Mme [N] [T] épouse [F] et M. [O] [T] du surplus de leurs demandes ;

DIT que les dépens seront pris en charge par moitié par chacune des parties ;

DIT n’y avoir lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 17 Mai 2024

Le GreffierLa Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


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