Défaillance majeure d’un système électrique : la Responsabilité contractuelle d’EDF

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Défaillance majeure d’un système électrique : la Responsabilité contractuelle d’EDF
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Le tribunal de commerce de Bastia a, par jugement du 16 février 2024, débouté la société Ferme Marine de Spano de toutes ses demandes et l’a condamnée à verser 1 000 euros à la société Electricité de France (EDF) ainsi qu’aux dépens. La société Ferme Marine de Spano a interjeté appel de cette décision le 25 mars 2024. Dans ses conclusions du 23 avril 2024, elle a demandé l’infirmation du jugement et la condamnation d’EDF à lui verser des sommes importantes en réparation de son préjudice lié à un sinistre survenu le 14 juillet 2009. EDF, dans ses conclusions du 16 mai 2024, a demandé la confirmation du jugement initial et a sollicité le versement d’une somme à son profit. La cour d’appel a finalement infirmé le jugement du tribunal de commerce, condamnant EDF à verser 282 172,40 euros à la société Ferme Marine de Spano, tout en déboutant EDF de ses demandes et en condamnant EDF aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

9 octobre 2024
Cour d’appel de Bastia
RG n°
24/00186
Chambre civile

Section 2

ARRÊT N°

du

9 OCTOBRE 2024

N° RG 24/186

N° Portalis DBVE-V-B7I-CIJG VL-C

Décision déférée à la cour :

Jugement, origine TC

de BASTIA,

décision attaquée du 16 février 2024, enregistrée sous le n° 2021F2175

S.A.R.L. FERME MARINE DE SPANO

C/

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE EDF

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU

NEUF OCTOBRE DEUX-MILLE-VINGT-QUATRE

APPELANTE :

S.A.R.L. FERME MARINE DE SPANO

au capital de 45 734,71 euros

prise en la peronne de son représentant légal en exercice domicilié

ès qualités audit siège

[Localité 1]

Représentée par Me Claude CRETY, avocate au barreau de BASTIA,

substituée par Me Alexis ORY, avocat au barreau de BASTIA

INTIMÉE :

S.A. ELECTRICITÉ DE FRANCE EDF

au capital de 2 084 365 041 euros,

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Pascale MELONI, avocat au barreau de BASTIA,

substituée par Me Sophie PERREIMOND, avocate au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 juin 2024, devant Valérie LEBRETON, présidente de chambre, chargée du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Valérie LEBRETON, présidente de chambre

Emmanuelle ZAMO, conseillère

Guillaume DESGENS, conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Vykhanda CHENG

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 9 octobre 2024

ARRÊT :

Contradictoire,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Valérie LEBRETON, présidente de chambre, et Vykhanda CHENG, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par jugement du 16 février 2024, le tribunal de commerce de Bastia a débouté la société ferme marine de spano de l’ensemble de ses demandes, l’a condamnée à payer à la société Electricité de france la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens afférents aux frais de jugement liquidés à la somme de 69,59 euros, en ceux non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s’il y a lieu.

Par déclaration au greffe le 25 mars 2024, la société ferme marine de spano a interjeté appel de la décision, en ce qu’elle l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes, l’a condamnée à payer à la société Electricité de France la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA en date du 23 avril 2024 que la cour vise, la société appelante sollicite l’infirmation du jugement du tribunal de commerce de BASTIA du 16 février 2024.

JUGEANT A NOUVEAU : CONDAMNER la société EDF à payer à SARL FERME MARINE DE SPANO, les sommes ci-après, en réparation de son préjudice consécutif au sinistre du 14 juillet 2009 : 707 610,00 euros au titre de la perte de sa marge sur coûts variables ; 80 178,00 euros au titre de la perte du coût de production des alevins engagés avant le sinistre ; 35 000,00 euros au titre des frais et surcoûts générés par le sinistre dont s’agit, tels que détaillés ci-dessus – CONDAMNER la société EDF, aux entiers dépens d’instance, qui comprendront les frais d’expertise judiciaire, ainsi qu’au paiement de la somme de 10 000,00 € par application de l’article 700 du CPC.

Subsidiairement CONDAMNER la société EDF à payer à SARL FERME MARINE DE SPANO, les sommes ci-après, en réparation de son préjudice consécutif au sinistre du 14 juillet 2009 : 707 610,00 euros au titre de la perte de sa marge sur coûts variables ; 80 178,00 euros au titre de la perte du coût de production des alevins engagés avant le sinistre ; 40 000,00 euros au titre des frais et surcoûts générés par le sinistre dont s’agit, tels que détaillés ci-dessus – CONDAMNER la société EDF, aux entiers dépens d’instance, qui comprendront les frais d’expertise judiciaire, ainsi que la somme de 45 000,00 € par application de l’article 700 du CPC incluant notamment les frais de constat et les honoraires d’experts privés.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 mai 2024, la société Electricité de France sollicite à titre principal de confirmer le jugement entrepris, condamner la FERME MARINE DE SPANO à verser à EDF une somme de 15 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.

A TITRE SUBSIDIAIRE : Fixer le préjudice de la FERME MARINE DE SPANO à la somme totale de 47 442 euros Débouter la FERME MARINE DE SPANO du surplus de ses demandes.

SUR CE :

Sur la responsabilité du sinistre :

La société appelante indique qu’Edf a des obligations contractuelles consistant à fournir de manière continue et de qualité l’électricité sauf dans les cas qui relèvent de la force majeure.

Elle indique que la cause directe du sinistre est la succession de chutes de tension, situation reconnue par Edf.

Elle conteste toute faute et notamment celle alléguée de n’avoir pas demandé le renforcement des lignes alors qu’elle savait qu’elles étaient insuffisantes.

Elle conteste également l’argument de non conformité de ses installations à la norme NF 15-100 du décret du 14 novembre 1988.

Elle indique qu’elle a donc droit à réparation et elle détaille ses demandes.

En réponse, la société Edf conteste toute responsabilité, excipant de l’absence de projet d’édification du réseau lors de la délivrance du permis de construire par la ferme marine de spano, mettant en exergue le branchement des installations qu’elle savait insuffisantes et la non-conformité manifeste des installations intérieures privatives.

A titre subsidiaire, elle fixe le montant du préjudice à la somme de 47 442 euros.

En l’espèce, le 14 juillet 2009, il a été constaté la mort de tous les alevins contenus dans les bassins n°2 et n°4.

Il était constaté par huissier les relevés des 35 coupures du secteur le 14 juillet 2009 de 3h10 du matin au 15 juillet à 10h15.

Le constat d’huissier daté du 15 juillet à 9h40 minutes relevait de nombreux alevins morts, pour un poids total de 373,5 kg.

L’huissier constatait également à 12h10 que le groupe électrogène s’enclenchait à 12h10 et qu’à 12h14, il indiquait 602 démarrages réussis, un failli.

Les pièces produites comportaient un procès-verbal de constat du 7 juin 2009, donc antérieur au sinistre fait avec l’huissier de justice en présence du gérant de la ferme marine de spano, et un électricien.

Il était constaté à 12h05 avec un appareil de mesure qui évalue la puissance du courant distribué, une mesure de 326 colts au lieu de 380 et 192 en mono au lieu de 220. A 12h15, il était constaté une coupure réseau, qui entraîne une relève par le groupe électrogène, il a relevé ensuite la mesure de 344.4 v et 349,60, puis une baisse constante de l’intensité du courant depuis 12h30, intensité revenant aux alentours de 326 volts.

Les pièces produites montraient également que le 17 septembre 2007, la société Edf expliquait au gérant de la ferme marine de spano qu’elle ne pouvait pas assurer une qualité de fourniture conforme à la réglementation en vigueur et qu’elle renouvelait sa demande auprès du syndicat intercommunal d’électrification de la Balagne de création d’un réseau de moyenne tension avec mise en place d’un poste HTA/BT.

Une expertise a été ordonnée pour déterminer l’origine du sinistre. L’expert a indiqué que les calculs montrent que l’utilisation maximale de deux puissances de 36 kw triphasé demandées par les deux établissements entraîne de fortes baisses de tension, lorsque le groupe électrogène détecte une tension inférieure à 180 volts, il coupe l’alimentation du réseau et démarre pour fournir sa propre énergie.

Il a ajouté que le nombre de démarrages affiché par le groupe est de 603 à la date du 15 juillet 2009, ce groupe est installé depuis 2006, ce qui donne une quantité de démarrage assez importante, le groupe s’arrêtant de fonctionner s’il détecte une tension de 180 volts sur sa propre alimentation, c’est alors l’arrêt complet sans redémarrage automatique possible.

L’expert a conclu que s’il y a une explication technique au sinistre, la seule hypothèse technique plausible des démarrages du groupe était la baisse de tension sur le réseau de distribution Edf. Il a réfuté l’idée que le sinistre est en lien avec le compteur de chantier.

Le sapiteur n’a pas conclu à une faute des services de l’Etat et de la commune de [Localité 4].

Le sapiteur en matière de préjudice, un commissaire aux comptes a conclu à une perte de marge sur coût variable de 424 636 euros, une économie de charges de 100 000 euros, un coût du stock de 80 178 euros, soit une perte d’exploitation directe de 404 814 euros.

Sur le réseau électrique et le permis de construire :

La cour relève s’agissant du réseau d’électricité qu’il n’est pas contesté que la ferme marine de spano est alimentée par une ligne basse tension (BTA), le réseau de distribution électrique appartenait au Syndicat intercommunal de Balagne, autorité concédante avant 2012, soit au moment du sinistre.

Le cahier des charges de concession pour le service public de la distribution d’énergie électrique produit aux débats montre dans son article 1 que le concessionnaire est responsable du fonctionnement du service et l’exploite à ses risques et périls.

L’article 14 prévoit que le concessionnaire doit assurer aux usagers un service efficace et de qualité concernant la fourniture d’électricité.

L’article 17 indique que l’installation intérieure des clients commence en basse tension immédiatement à l’aval des bornes de sortie du disjoncteur pour les founitures sous faible puissance et aux bornes de sortie du coffret de livraison ou de l’appareil de sectionnement installé chez l’usager pour la moyenne puissance, les installations intérieures étant exécutées et entretenues aux frais du propriétaire ou du client.

L’article 25 précise que le concessionnaire est tenu de prendre les dispositions appropriées pour assurer la fourniture de l’électricité dans les conditions de continuité et de qualité.

L’article 5 du contrat de concession entre le sie de Balagne et Edf Corse signé le 20 juin 1997 prévoit que le renforcement BTA, en ce compris les postes HTA/BTA a comme maître d’ouvrage la collectivité en commune rurale.

Les conditions générales de vente de la société Edf produites aux débats indiquent dans ses articles 2 et 5 que le concessionnaire s’engage à assurer aux clients un service efficace et de qualité, Edf s’engageant à assurer une fourniture continue et de qualité d’électricité sauf dans les cas qui relèvent de la force majeure ou de contraintes insurmontables liées à des phénomènes atmosphériques ou des limites techniques existantes au moment de l’incident.

En l’espèce, le courrier du gérant de la ferme de spano qui demande au président du syndicat d’électrification de la Balagne avant le début de son activité en 2001 une adaptation des lignes de distribution pour satisfaire les besoins energétiques de son exploitation (200 kw), montre qu’il avait conscience de l’inadaptation de la ligne et qu’il a oeuvré pour que des travaux soient faits par l’autorité concédante.

La facture du 31 août 2001 montre qu’effectivement la puissance mise à disposition de la ferme marine est de 18 kw avec un disjoncteur réglé à 030A tension 230/400 volts triphasé.

L’avenant au contrat du 7 septembre 2005 montre que la puissance a été augmentée à 36 kw, disjoncteur réglé à 060A, tension 230/400 volts triphasé.

Cependant, le courrier de la société Edf du 17 septembre 2007 adressé à la ferme marine de spano confirme que le réseau basse tension existant ne permet pas à Edf d’assurer une qualité de founiture conforme à la réglementation en vigueur et qu’elle renouvelle sa demande de travaux au syndicat d’électrification de Balagne.

La ferme marine a donc bien sollicité une modification du réseau électrique au syndicat d’électrification avant son ouverture et a réitéré sa demande ultérieurement, de concert avec la société Edf, ce grief ne peut donc lui être reproché.

Sur le permis de construire, il résulte du rapport du sapiteur en matière d’urbanisme, qu’aucun élément ne permet de mettre en cause les services de l’Etat et la commune de [Localité 4] au sujet de l’obtention du permis de construire accordé à la ferme marine de spano, les services instructeurs n’ayant pas l’obligation à la date des demandes de permis de construire de la ferme marine, l’obligation de consulter la régie distributrice d’électricité, ce dispositif n’est obligatoire que depuis le 1er janvier 2009.

Sur la validité du permis de construire, nonobstant les réserves émises, il a été accordé en toute légalité, les dispositions relatives aux consultations obligatoires du syndicat intercommunal n’étant pas de droit positif lors de l’instruction du dossier et de la délivrance des permis de construire en 1991 et 1998.

S’agissant de la non-conformité des installations intérieures :

Il ressort du décret du 14 novembre 1988 que la norme NF C 15-100 est applicable aux établissements.

La cour relève que le dernier rapport de l’apave produit aux débats date de 2008, soit avant le sinistre de juillet 2009.

Ce rapport apave du 23 octobre 2008, est relatif à une vérification effectuée du 8 au 9 octobre 2008.

Dans ce rapport, qui reprend les préconisations du décret du 14 novembre 1988 relatif à la protection des travailleurs, il est indiqué des anomalies sur l’armoire du groupe électrogène avec des préconisations, une mauvaise pénétration des câbles dans l’armoire électrique à remédier.

Sur l’armoire électrique, il y a des anomalies comme la mise en place d’un répartiteur ou connecteur de terre, capoter les pièces nues, certains dispositifs de différentiels sont défectueux, instaurer un dispositif de coupure général.

Il est manifeste que l’installation comportait des anomalies et que suivant le contenu de l’attestation de conformité du 20 juillet 2010, il a été établi qu’il y a eu une reprise générale de l’installation suite au contrôle Apave.

Toutefois, le lien de causalité entre ces anomalies constatées en 2008, soit avant le sinistre et les causes de ce dernier n’est pas rapporté par la société Edf.

Si le juge apprécie les éléments d’une expertise et qu’il est le seul à dire le droit, il n’en demeure pas moins que l’expert a déterminé que la perte des alevins était la conséquence de la dégradation des paramètres physicochimiques de l’eau et leurs bassins à la suite d’arrêts répétés des machines chargées de les maintenir, arrêts dus aux chutes de tension sur la ligne Edf, chutes de tension conséquences d’une section insuffisante des câbles d’alimentation du réseau de distribution qui ne peuvent supporter la puissance de 36 kva accordée à la ferme par le fournisseur d’énergie.

A aucun moment, l’expert ou les pièces produites aux débats ne viennent faire le lien entre ces anomalies et le sinistre.

Ainsi, nonobstant les anomalies constatées par le rapport de l’apave, la cause du sinistre est la fourniture d’une électricité non conforme, ce d’autant qu’une facture du 8 février 2009, donc antérieure au sinistre et postérieure au contrôle apave du 23 octobre 2008 indique : ‘suite au contrôle apave mise aux normes selon cahier des charges demandé par le contrôleur’.

Le moyen tiré de la non conformité des installations n’est donc pas opérant et aucun lien de causalité entre les quelques anomalies constatées et le sinistre n’a été démontré.

S’agissant du branchement des installations de la ferme marine :

Il a été rappelé que la ferme marine a bien sollicité une modification du réseau électrique au syndicat d’électrification avant son ouverture et a réitéré sa demande ultérieurement, de concert avec la société Edf, ce grief ne peut donc lui être reproché.

La société Edf, concessionnaire a bien eu malgré tout une relation contractuelle avec la ferme marine et lui a fourni de l’électricité.

A aucun moment, la société Edf, avant l’ouverture de la ferme marine n’a informé formellement cette dernière de l’impossibilité de lui fournir une électricité.

L’on ne peut reprocher à la ferme marine d’avoir commencé son activité alors que la société Edf lui a bien fourni de l’électricité.

Les relations contractuelles entre Edf et la ferme marine ont donc commencé dès l’établissement de la première facture.

La société Edf a eu conscience des difficultés car elle a sollicité des travaux de l’autorité concédante et a admis dans un courrier du 17 septembre 2017 adressé à la commune de [Localité 4] l’existence de difficultés sur le réseau.

Ainsi, dans ce courrier, elle a fait état de mesures effectuées du 1er août au 8 août 2017, qui ont confirmé que ‘le réseau basse tension existant ne nous permet pas d’assurer une qualité de la fourniture conforme à la réglementation en vigueur’.

Or, en vertu des conditions générales de vente de la société Edf, dans son article 5, elle s’engage à assurer une fourniture continue et de qualité, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce et c’est ce qui a été à l’origine du sinistre de la ferme marine de spano.

La société ne peut exciper de force majeure, seul cas figurant dans ses conditions générales, où elle n’est pas tenue d’assurer une fourniture continue et de qualité d’électricité.

Selon l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné s’il y a lieu au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée.

La cour relève que l’expert a imputé la perte des alevins aux conséquences de la dégradation des paramètres physicochimiques de l’eau de leurs bassins à la suite d’arrêts répétés des machines chargées de les maintenir, arrêts dus aux chutes de tension Edf, inhérentes à la section insuffisante des câbles d’alimentation du réseau de distribution qui ne peut supporter la puissance de 36 kva accordée à la ferme par le fournisseur d’énergie.

En l’espèce, il n’y a ni force majeure en vertu des conditions générales du contrat de la société Edf, ou des relations contractuelles entre les parties.

La société Edf qui devait fournir une électricité continue et de qualité a commis un manquement contractuel en fournissant une électricité de mauvaise qualité comme elle l’a elle même reconnu dans son courrier adressé à la mairie de [Localité 4] le 17 septembre 2007, soit antérieurement au sinistre.

Cette faute contractuelle inhérente au défaut de qualité de l’électricité a été la cause du sinistre et ainsi, le lien de causalité entre le manquement contractuel et le dommage est avéré.

En conséquence, la société Edf sera déclarée responsable du sinistre et du dommage subséquent et devra réparer le préjudice subi.

La décision des premiers juges sera donc infirmée en ce sens.

Sur le préjudice :

Selon l’article 1149 du code civil, devenu 1231-2, les dommages et intérêts dus au créancier sont en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il est privé.

Il est acquis qu’il y a une double condition à la réparation, une faute contractuelle et un dommage.

En l’espèce, il a été démontré supra l’existence d’une faute contractuelle de la société Edf, d’un dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage.

La ferme marine de spano sollicite au titre de son préjudice économique l’indemnisation des conséquences de la perte des frais engagés pour obtenir les alevins tels qu’ils existaient au jour du sinistre, le gain manqué de commercialisation de la production perdue et des frais annexes.

Sur la demande au titre du coût du stock :

La ferme marine explique qu’il y avait 249 000 alevins d’1,5 g qui ont péri qu’elle estime à 0,322 euros l’unité, soit une somme de 80 178 euros.

La société Edf indique que ce poste de préjudice résulte d’un éventuel rachat d’alevin au même stade, elle ne subit dès lors aucune perte d’exploitation, or elle n’a jamais supporté le coût de rachat, elle ne peut donc se prévaloir que de la perte de bénéfice qui aurait été tiré de la vente des alevins à maturité.

La cour relève que la ferme marine de spano n’a pas démontré avoir racheté des alevins à la suite du sinistre, ne faisant que produire des devis en italien et non traduits, son préjudice consiste donc en la perte d’exploitation consécutive à l’absence de remplacement des alevins, sans intégration possible de la perte de ceux-ci en valeur de rachat.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur la demande au titre de la perte de marge sur coûts variables :

La ferme marine sollicite une somme de 707 610 euros au titre de la perte de marge sur coût variable.

La société edf évalue la somme à 47 442 euros évaluée comme suit :

chiffre d’affaires 413 793 euros, perte de chance de 80 % soit une somme de 330 672 euros, taux de marge de 44,54 %, soit une somme de 147 442,43 euros de laquelle il faut retrancher la somme de 100 000 euros au titre des économies de personne.

Le sapiteur expert comptable a conclu à une perte d’exploitation directe de 404 814 euros.

La cour précise qu’elle s’appuie sur l’ensemble des pièces produites aux débats et notamment les rapports des experts [I], des sapiteurs, des constats d’huissier et des rapports d’expertise privée de la ferme marine et de la société Edf.

Si la société Edf a contesté le mode de calcul Ifremer, la cour considère qu’il est nécessaire de s’appuyer sur ce mode de calcul, consistant à la reconstitution de croissance et de commercialisation des alevins, l’expertise d’Ifremer en matière d’exploitation aquacole étant avérée, mais qu’en revanche, il convient au cas d’espèce de pondérer ce mode de calcul avec les chiffres réels de l’activité économique de la ferme marine postérieurs au sinistre de 2009, ce qui permet de corréler le mode de calcul à la réalité.

Ainsi, en 2009, il n’est pas contesté que le nombre d’alevins morts étaient de 249 000 et que la première production post sinistre en 2011 a compris un stock d’alevins de 75 000, soit 0,7 euros par alevin.

L’expert a considéré qu’il y avait en stock au 31 décembre 2011, 107 000 alevins.

Il a écarté le chiffre d’affaire de 2012 où figurait la production 2011 pour se concentrer sur les années 2013 à 2016, années sans sinistre où l’activité économique a été normale.

Il a constaté que le chiffre d’affaires sur les années 2013 à 2016 ne concernait que les alevins de la production 2011.

Le sapiteur expert comptable a détecté une distorsion entre les prévisions du cabinet [Z] et la réalité comptable.

Il a suivi une méthode consistant à prendre en compte le mode de calcul Ifremer qui serait une activité normale et les chiffres réels de l’activité de la ferme et a fait une moyenne.

Compte tenu de ces éléments, il a déterminé un chiffre d’affaires de 884 659 euros qui diffère du calcul Ifremer.

Sur ce mode de calcul, la cour relève qu’il est acquis qu’on ne peut prendre une méthode de calcul in abstracto pour déterminer un préjudice d’exploitation.

En effet, ce mode de calcul est un outil, mais il doit être mis en corrélation avec la réalité comptable postérieure au sinistre.

Sur la production de la ferme, en 2004, la première production commence conduisant à un début de commercialisation en 2006, la deuxième production en 2005 de 330 000 alevins a été détruite en totalité par un sinistre, idem pour la troisième production en 2006, une petite partie des alevins ayant pu être sauvée suite au sinistre de 2007.

En 2008, la 5ème production d’une quantité normale de 190 000 alevins et la 6ème production de 2009 a été détruite par le sinistre objet de la présente affaire.

La production n’a repris qu’en 2012, après les travaux de renforcement du réseau électrique, à compter de cette date, la production doit être considérée comme normale.

Les éléments comptables produits aux débats montrent que la production qui aurait dû être écoulée qui a été détruite par le sinistre se calcule à partir des conséquences du sinistre.

Ainsi, sur le poids total des alevins morts, soit 373,50 kg au vu du constat d’huissier avec

un poids moyen de 1,5 g, il y a eu 249 000 alevins morts.

Le taux de mortalité étant de 6 à 10 %, ainsi en prenant un taux de mortalité moyen de 8 %, la mise en cage des prégrossis devait être de 230 269.

Le poisson doit atteindre une taille de 300 grammes pour être mis en vente, les prix de vente aux grossistes étant de 8,50 euros le kg pour des portions de 300-400 g.

Sur le tableau Ifremer, les chiffres d’affaires annuels de 2009 à 2012 sont évalués à 1 346 017 euros, en comparaison avec les chiffres d’affaires produits soit 0 euros en 2009, 166 500 euros en 2010, 526 000 euros en 2011 et 653 517 euros en 2012.

Or, ce modèle Ifremer, dont le mode de calcul a été produit aux débats, s’il est intéressant n’est pas totalement pertinent.

En effet, le moyen de la ferme marine qui consiste à dire que dans l’idéal, la production aurait dû être celle modélisée par Ifremer depuis le début de l’activité et sans sinistre, ne correspond pas à la réalité d’un sinistre, celui de 2009, que la cour a à juger, chaque sinistre étant différent.

La cour, peut dans cette affaire, en l’absence de sinistre ultérieur, déterminer le montant du chiffre d’affaires qui diffère d’une modélisation prise in abstracto ou de comparaisons avec d’autres fermes aquacoles qui ont des situations différentes et qui n’ont pas subi quatre sinistres.

En l’espèce, l’expert a à bon droit pris en compte les données prévisionnelles et les données réalisées et a procédé à une moyenne, ce qui a abouti à un chiffre d’affaires de 884 659 euros qui est une approche sérieuse et qui correspond plus à la réalité qu’une approche de mode de calcul in abstracto, sans tenir compte de la réalité de l’exploitation.

Ainsi, le ratio de 5,41 pour les 249 000 alevins retenu par la méthode de données provisionnelles sera ramené à un ratio de 1,70, ce qui correspond à une chiffre d’affaires de 884 659 euros, ce chiffre sera retenu par la cour.

S’agissant du taux de marge sur coût variable, le taux de marge de 48 % proposé par l’expert correspond au taux moyen de la marge sur coût variable des 2007 à 2009, puis de 2014 à 2016.

En effet, la cour considère que ce taux de 48 % correspond au taux de marge sur coût variables compte tenu des éléments comptables produits aux débats de 2007 à 2016, qui correspond à la réalité comptable, qui a pris en compte les charges relatives à l’eau, l’électricité, les charges de petit équipement, l’entretien et la réparation du bateau, charges variables qui sont bien supérieures à celles estimées par le gérant de la ferme qui les avait évaluées à 9% du chiffre d’affaires.

En conséquence, au regard des éléments comptables, le taux de 48 % sera retenu.

Sur l’économie de charges, l’expert a bien évalué compte tenu de l’effectif et du chiffre d’affaires, considérant que le volume d’activité aurait nécessité un effectif de 3 personnes en 2011 et 2012, les deux postes en moins sont estimés à 100 000 euros brut annuels, le rapport de monsieur [Z] indiquant un salaire brut moyen de 50 000 euros brut.

Sur la perte de chance, il est manifeste que l’activité aquacole de la ferme marine est soumise à des aléas liées à l’exploitation, que de surcroît il est compliqué d’avoir une trace comptable précise compte tenu des cycles de production s’agissant d’un stock vivant, la perte des poissons en cours de grossissement s’analyse donc en une perte de chance qui doit être indemnisée à hauteur de 382 172,40 euros, de laquelle il convient de déduire les économies de charge et le coût du stock, soit une somme de 282 172,40 euros au titre du préjudice d’exploitation.

En conséquence, la cour considère que le préjudice de la ferme marine de spano sera évalué à la somme de 282 172,40 euros.

Sur les autres demandes :

La ferme marine de spano sollicite le paiement d’une somme de 358,80 euros au titre du retirement des alevins morts.

La cour relève que la facture du 15 janvier 2007 produite aux débats ne peut pas correspondre au sinistre qui s’est produit dans la nuit du 21 au 22 juillet 2007.

En conséquence, cette demande sera rejetée.

Sur le constat d’huissier, la cour relève que le coût du constat est de 674,75 euros, ces frais relèvent des frais irrépetibles et sera compris dans le montant alloué.

S’agissant des honoraires de monsieur [Z] et des ses sapiteurs, aucune note d’honoraires n’est produite aux débats et les rapports ont été les éléments de preuve produits par la ferme marine.

En conséquence, cette demande sera rejetée.

L’équité commande que la société Edf soit condamnée à payer à la ferme marine de spano la somme de 5 674,75 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Bastia du 16 février 2024 en toutes ses dispositions

STATUANT A NOUVEAU

CONDAMNE la société Edf à payer à la société ferme marine de spano la somme de 282 172,40 euros en réparation de son préjudice

Y AJOUTANT

DÉBOUTE la société Edf de toutes ses demandes

CONDAMNE la société Edf à payer à la société ferme marine de spano la somme de 5 674,75 euros, à la société Edf la somme de 5 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

DÉBOUTE la société ferme marine de spano de toutes ses autres demandes

CONDAMNE la société Edf aux entiers depens

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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