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6 juillet 2023
Cour d’appel de Bourges
RG n°
22/01039
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
– SELARL ALEXIA AUGEREAU AVOCAT
– SELARL JURICA
NOTIFICATION AUX PARTIES
NOTIFICATION AU MINISTÈRE PUBLIC
LE : 06 JUILLET 2023
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 06 JUILLET 2023
N° 333 – 16 Pages
N° RG 22/01039 – N° Portalis DBVD-V-B7G-DPZX
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de CHATEAUROUX en date du 14 Septembre 2022
PARTIES EN CAUSE :
I – M. [B] [O]
né le [Date naissance 3] 1978 à [Localité 4] (Indre)
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté et plaidant par la SELARL ALEXIA AUGEREAU AVOCAT, avocat au barreau de CHATEAUROUX
timbre fiscal acquitté
APPELANT suivant déclaration du 25/10/2022
II – S.C.P. OLIVIER ZANNI SCP OLIVIER ZANNI, Mandataire judiciaire, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par la SELARL JURICA, avocat au barreau de CHATEAUROUX
timbre fiscal acquitté
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Mai 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. TESSIER-FLOHIC, Président chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. TESSIER-FLOHIC Président de Chambre
M. PERINETTI Conseiller
Mme CIABRINI Conseillère
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
***************
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
**************
EXPOSÉ DU LITIGE
La SARL LA MAISON TRADITIONNELLE ayant pour activité la construction d’immeubles à usage d’habitation, industriel ou commercial a déposé une déclaration de cessation des paiements aboutissant le 11 juillet 2018, à sa liquidation judiciaire directe. Au regard du passif de 2’370’929,16€,le juge commissaire désignait un expert-comptable pour vérifier l’ensemble des exercices financiers pendant la période suspecte.
Il résultait de son rapport que les comptes annuels arrêtés au 31 juillet 2017, n’apparaissaient ni réguliers, ni sincères et que l’actif net de la société avait été artificiellement majoré de 299’545 €.
Dans de telles conditions, la SCP Olivier ZANNI, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société LA MAISON TRADITIONNELLE, a fait assigner [B] [O], gérant et associé unique de ladite société depuis le 14 septembre 2004, en comblement de passif à hauteur de 2’275’818,58 € au regard de ses fautes de gestion.
Par jugement en date du 14 septembre 2022 le tribunal de commerce de Châteauroux recevait l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif engagée par la SCP Olivier ZANNI, déclarait que [B] [O] avait commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la SARL LA MAISON TRADITIONNELLE et le condamnait au paiement d’une somme de 299’545,66 € au titre de l’insuffisance d’actif.
‘
Par déclaration en date du 25 octobre 2022, [B] [O] interjetait appel de cette décision.
Au terme de ses dernières écritures échangées le 20 février 2023, l’appelant conclut à l’infirmation de la décision et à la nullité du rapport établi par Monsieur [S] ; sur le fond il conteste avoir commis une quelconque faute de gestion ayant conduit à l’insuffisance d’actif de la SARL la Maison Traditionnelle. Il réclame en outre le remboursement de ses frais d’avocat à hauteur de 4000 €.
In limine litis, il sollicite la confirmation de la décision de première instance en ce que la pièce n° 17 présentée par la SCP ZANNI a été écartée des débats : celle-ci avait été constituée à la demande de la SCP ZANNI qui avait interrogé l’expert, pour contredire l’argumentation développée en première instance par l’appelant, en rupture avec l’égalité des armes, l’expert intervenant, dès lors, au soutien de l’intérêt du mandataire liquidateur.
Il en résulte que l’expert a pris parti et qu’en conséquence le rapport est entaché de nullité. L’expert a lui-même reconnu qu’il n’avait pas obtenu les documents comptables de [B] [O], mais n’a pas tiré les conséquences des justifications de celui-ci qui exposait avoir été victime d’une cyber attaque ayant détruit tout élément comptable.
Rappelant que la société qu’il dirigeait, assurée auprès de la société SFS avait changé d’assureur au profit de la société CBL, afin d’obtenir un déblocage plus rapide de la garantie livraison, il ajoutait que cette dernière compagnie d’assurances avait été placée en liquidation judiciaire en février 2018 générant pour la SARL la Maison Traditionnelle des conséquences ne lui permettant plus d’ouvrir de nouveaux chantiers, faute d’attestation de garantie livraison.
Ensuite, elle a subi une cyberattaque au cours de l’année 2017, qui a eu pour conséquence de ne pas être en mesure de fournir au comptable ou à l’expert judiciaire l’ensemble des factures clients et fournisseurs non plus que l’encours des chantiers pour la période du 1er août 2017 au 31 juillet 2018. Dès lors, les éléments pris en compte par l’expert judiciaire dans le cadre de ses investigations ne peuvent qu’être contestés, alors qu’elle disposait d’un carnet de commandes de 10 mois d’exercice.
Ainsi son chiffre d’affaires qui variait entre 1’600’000 € et 2’200’000 €, pour les années 2013 à 2017 a brutalement été réduit à 755’000 € pour l’exercice 2017/ 2018 en raison de ces deux éléments conjoncturels qui ont abouti à son placement en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire.
L’argument de la nullité de ce rapport servant de base à la décision du tribunal de commerce, n’est selon lui pas nouveau, car cette demande se rattache à la partialité du rapport de l’expert qui n’a pas tiré les conséquences des explications du chef d’entreprise.
De plus fort, il demande à ce que la pièce n° 17 présentée par la SCP ZANNI soit écartée tout comme le rapport dans son intégralité doit être annulé, car l’expert a pris le parti du mandataire judiciaire en versant un complément non contradictoire.
Sur le fond, il conteste avoir commis quelque faute de gestion que ce soit en lien de causalité avec l’aggravation de l’insuffisance d’actif subi par la SARL LA MAISON TRADITIONNELLE :
L’inertie du dirigeant ou le choix de solutions contraires à l’intérêt social ne sont nullement démontrés. Il n’a pas pris de risque délibéré, puisqu’il ignorait la situation qui n’a été révélée qu’à la lecture du rapport de l’expert, professionnel du chiffre.
Il rappelle qu’au contraire, il a injecté dans la trésorerie de la société une somme de 100.000 € en remboursement d’une dette de celle-ci auprès de la BNP.
Les erreurs comptables alléguées ne sont pas démontrées comme lui étant personnellement imputables.
L’expert procède par affirmations sur l’insuffisance du taux de marge brute utilisant même des précautions, n’en ayant aucune certitude et par suppositions, pour tenter de caractériser les fautes de gestion qui seraient imputables au gérant. Il omet de tenir compte du sinistre informatique et procède dès lors à des supputations ; en outre, ce sinistre informatique constitue manifestement un cas de force majeure exonératoire de la responsabilité de l’appelant ; la cyberattaque ayant fait perdre 80 % des données informatiques et notamment de la comptabilité de la société pour la période du 1er août au 8 décembre 2017, il ne pouvait donc fournir ces données informatiques au comptable et encore moins à l’expert, mais a tenté d’apporter tous les éléments en sa possession ce qui justifiait le report de dépôt du rapport de l’expert [S].
De même, contrairement aux allégations de l’expert, le gérant ne s’est jamais retranché derrière la carence de son expert-comptable mais ne pouvait suppléer celui-ci.
Il n’est pas démontré que la société La Maison Traditionnelle ait réalisé des prestations autres que celles prévues dans le cadre des contrats de construction de maison individuelles.
La cour ne saurait se baser sur l’utilisation de l’actif net comptable comme unique critère pour évaluer les risques encourus, il convenait de prendre en compte la rentabilité future de la société qui avait un carnet de commandes pour un chiffre d’affaires supérieur à 1.000.000 €.
Encore, le recours au sachant CEB Building Surveyor qualifié d’économiste de la construction, ne saurait constituer une démonstration pertinente des désordres ou malfaçons affectant les chantiers, car il n’existe pas de liens entre ceux-ci et une quelconque faute de gestion, et seuls sept chantiers ont été visités sur l’ensemble de ceux en cours au moment de la liquidation judiciaire.
L’expert a pris des précautions en précisant qu’il lui semblait que la société avait encaissé des trop perçus au démarrage des chantiers, mais sans en rapporter la preuve. En effet, des contestations de créances avaient été émises quant aux créances déclarées, mais n’ont pas été prises en compte.
Il conteste encore le rapport en ce que certaines sommes auraient été qualifiées de créances douteuses, alors même que le fonctionnement des contrats de construction amenaient à disposer de créances de 5% notamment dans le cadre de retenues de garanties et ont été systématiquement qualifiées de douteuses, alors qu’elles n’avaient aucun caractère d’irrecouvrabilité ; la liste n’en est pas même annexée au rapport.
Il affirme qu’il n’est pas rapporté la démonstration d’une faute personnelle de sa part : il n’a pas adopté de comportement déloyal de nature à porter atteinte aux droits des créanciers, n’a pas pris de risque délibéré et n’a pas agi dans un intérêt contraire à celui de la société.
En outre sur le montant du préjudice allégué, il conteste :
– premièrement l’absence de prise en compte des créances déclarées de la société ; il n’est pas démontré que les dettes prises en compte pour former la demande en responsabilité aient été bien toutes antérieures au jugement d’ouverture ;
– deuxièmement, les montants réclamés ont varié passant de 2.275.818,58 € à 484.067,66 € au titre de l’insuffisance d’actif, démontrant à l’envie qu’il appartenait au seul liquidateur de contester les créances déclarées. Il ajoute qu’actuellement le montant total exact de ce passif n’est pas certain ni arrêté ; certains comptes avec les clients n’étant toujours pas faits.
– troisièmement, il n’est pas démontré que la faute alléguée ait été la cause de l’aggravation de l’insuffisance d’actif, faute de disposer d’un actif net comptable indiscutable.
– quatrièmement seul le passif au jour de l’ouverture de la procédure collective peut servir de point de référence à l’insuffisance d’actif alors que la SCP ZANNI arrête les créances au 3 février 2021.
L’appelant termine en indiquant qu’il était de la responsabilité du liquidateur de démontrer le montant des créances recevables, admises au passif et de faire le compte pour chaque chantier en cours et pour chaque créance déclarée, et non de procéder à un renversement de la charge de la preuve, contestant les créances présentées par MILLENIUM ancienne Compagnie d’assurances, de CGI BÂTIMENT autre assureur, qui toutes deux n’avaient pas engagé de procédure antérieure en recouvrement, de CORHOFI bailleur de la flotte des véhicules de la société qui s’est vu restituer l’ensemble de celle-ci, d’Escaliers Flin avec lequel la société était en litige et de la société Indre Informatique qui a obtenu la restitution des matériels mais n’en a pas moins déclaré une créance sans en tenir compte.
Au total, les critères posés pour retrouver une faute de gestion imputable à l’appelant n’étant pas rapportés, il conviendra d’infirmer la décision et subsidiairement rappelle que les juges du fond disposent souverainement de la possibilité de prononcer ou non une condamnation et d’en moduler le montant.
Il termine en s’opposant à ce que l’exécution provisoire soit prescrite.
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Au terme de ses dernières conclusions échangées le 18 avril 2023, le liquidateur de la SARL La Maison Traditionnelle conclut à l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel tendant à l’annulation du rapport de l’expert [R] [S], à la réformation du jugement en ce qu’il a écarté la pièce n° 17, et pour le surplus à la confirmation de la décision attaquée, sauf à porter le montant de la condamnation de [B] [O] à la somme de 484’067,66 € au titre de sa responsabilité dans l’insuffisance d’actif de la société.
Après avoir présenté l’état des créances au passif déclaré d’un montant de 2.370.929,16 € au jour de la liquidation judiciaire, et le passif contesté à la somme de 68.489,86 € , le mandataire judiciaire exposait que ces sommes étaient à mettre en regard du dernier bilan de la société qui faisait apparaître un total des dettes de 942.700€.
C’est dans ces conditions que la SCP Olivier ZANNI sollicitait et obtenait du juge commissaire, la désignation d’un expert comptable pour arrêter les comptes. Il en résultait que celui-ci déclarait que les comptes annuels au 31 juillet 2017, n’étaient ni réguliers, ni sincères, l’actif ayant été artificiellement majoré de 299.545 €.
Reprenant les conclusions de ce technicien, qui a relevé d’importantes irrégularités comptables, le mandataire liquidateur considère que le gérant a commis une grave faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société. Cette faute de gestion distincte d’une faute de négligence, est antérieure au jugement d’ouverture de liquidation judiciaire.
Avant tout débat au fond, l’intimé soutient que l’appelant présente des demandes nouvelles dans le cadre de ses dernières écritures, à savoir la nullité du rapport de l’expert pour violation du principe du contradictoire alors même que cette demande ne figurait pas dans ses dernières écritures en première instance; il est donc irrecevable à hauteur d’appel, puisque la contestation portait sur la seule pièce n°17.
En sa qualité de technicien de l’expertise comptable [R] [S] a émis un avis, soumis au principe du contradictoire. Il n’y a pas eu de violation de ce chef, dès lors que l’avis de ce technicien a été soumis aux observations éventuelles de [B] [O].
Il a associé [B] [O] aux opérations, a constaté des incohérences de comptabilité avec des doublons et des copier-coller. À hauteur d’appel, il rappelle que ce dernier n’a pas critiqué le rapport du technicien, ni élevé de contestation.
Il conteste maintenant la teneur du courrier de M. [T] [S] du 13 septembre 2021, bien postérieure au dépôt du rapport et qui ne peut entacher celui-ci d’irrégularité. L’attestation émise par ce professionnel du chiffre confirme ses conclusions et ne remet pas en cause l’impartialité dont il a fait preuve auparavant.
Sur le rejet de la pièce n° 17, constituée par l’attestation de [R] [S], l’appelant n’a pas contesté sur le fond les éléments ainsi développés et, il y aura lieu de rejeter les demandes de Monsieur [B] [O] tendant à l’écarter des débats. Si cette pièce a été écartée en première instance c’est en raison du caractère tardif de cet élément alors que le rapport se suffit à lui même.
Cet élément a été soumis au principe du contradictoire et il n’y a lieu de l’écarter à hauteur d’appel.
Sur le fond, le mandataire liquidateur invoque au titre de la faute de gestion :
1) l’existence depuis de nombreuses années de chantiers délaissés par la SARL LA MAISON TRADITIONNELLE affectés de malfaçons, d’inachèvements ou de réserves non levées. Il en résultait un montant de travaux supérieur aux créances alléguées sur ces clients. Le rapport de CEB Building Surveyor a permis, après visite des chantiers, de constater que le montant des travaux restant à réaliser était supérieur aux créances invoquées par la société.
2 ) Les exonérations invoquées par Monsieur [B] [O] en raison :
– d’une défaillance de sa compagnie d’assurances survenue en 2018,
– de la survenue d’une cyber attaque en 2017,
– de la perte des données comptables alors qu’une reconstitution avait été effectuée par la société d’expertise comptable Michel GUESNARD qui établissait les comptes arrêtés au 31 juillet 2017,
sont sans rapport avec les irrégularités comptables constatées.
3 ) Doit être retenu un défaut de tenue de comptabilité régulière, comme relevé par Monsieur [R] [S] : les comptes annuels étaient insincères et ne donnaient pas une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l’entreprise :
– si l’analyse des charges d’exploitation ne révélait aucune anomalie, le déficit de l’exercice clos le 31 juillet 2018 qui ressortait à 476 229€ ne pouvait être justifié qu’à hauteur de 161 298 €, la différence n’étant pas justifiée.
– l’analyse de la marge brute qui oscillait entre 20,5 et 25,1% (soit faible pour cette activité) puis devenait négative sur l’exercice 2017-2018 (-10,7 %) apparaîssait comme lourdement anormale selon l’expert.
Il résulte de son analyse une très forte présomption de majoration de l’actif du bilan de l’année précédente notamment par l’inscription à l’actif de travaux en cours ou de factures à établir, surévaluées ou sans existence, ou d’une absence de prise en compte de factures de sous-traitance concernant la période.
Il est relevé que plusieurs chantiers comptabilisés comme en cours, soit ont fait l’objet de majoration, soit n’existaient pas. Des incohérences ont été relevées sur la comptabilité par des copier coller de l’année précédente ou des doublons de facturation, éléments confirmés par CEB.
des trop perçus avaient été encaissés sur les démarrages de chantiers ;
le montant de la majoration de l’actif arrêté au 31 juillet 2017 était chiffré par l’expert à 211’585 €, pour les seuls chantiers examinés, ce qui justifie les présomptions émises.
66.780,12 € avaient été comptabilisés en travaux en cours, alors qu’ils étaient fictifs.
Le technicien désigné par le juge commissaire mettait donc en avant des doublons et des incohérences portés en actif comptable, éléments reconnus par [B] [O].
Les postes ‘travaux en cours’ et ‘ clients factures à réaliser’ ne donnent pas une image fidèle de la situation de l’entreprise.
4 ) Encore, ont été relevées des absences de provisions pour ‘créances douteuses’ d’un montant de 87’960€ :
Il s’agissait de créances non recouvrées depuis plus de deux ans, qui auraient dû à minima être dépréciées et placées en provisions comme telles sur les comptes ‘clients douteux’. Ce point ne pouvaient être ignoré du dirige qui devait provisionner ces créances qu’il savait douteuses et transmettre les éléments nécessaires au comptable. Il ne peut aujourd’hui invoquer son ignorance et renvoyer la responsabilité vers le professionnel du chiffre. La cour confirmera donc la décision notamment de ce chef.
5) L’intimée tire, toujours du rapport, une majoration artificielle de l’actif net de 299.545 € au titre des comptes clos au 31 juillet 2018 ;
le bilan d’ouverture au 31 juillet 2017 devait comprendre les capitaux propres pour 403.834€ soit un résultat net déficitaire de 264.644 €,
il en allait de même l’année précédente , aux capitaux propres positifs présentés de 72.394 €, auraient dû figurer un solde négatif de 227.151 €.
L’expert comptable affirme avec certitude que les comptes sociaux arrêtés au 31 juillet 2017, n’étaient donc ni réguliers ni sincères et présentaient un actif net manifestement majoré.
L’actif net permet de caractériser l’ampleur des irrégularités comptables par rapport aux résultats réels de la société, antérieurement à la liquidation judiciaire.
Son ampleur et la répétition des irrégularités démontrent la faute de gestion et ne peuvent être assimilées à de simples négligences. Les man’uvres du gérant ont fait perdre à la comptabilité de la société, tout caractère de crédibilité, de fiabilité, et constituent une faute de gestion imputable à [B] [O] et ce dès juillet 2016, sans que le montant ait à en être calculé.
6) Le mandataire judiciaire retient que la poursuite abusive d’exploitation déficitaire justifie l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif dans la mesure où :
– [B] [O] a tenu une comptabilité irrégulière pour masquer à ses fournisseurs, à ses banquiers et autres partenaires l’état réel de la SARL LA MAISON TRADITIONNELLE et
– a poursuivi une exploitation déficitaire sachant que ses capitaux propres étaient inférieurs à la moitié du capital social.
7) Il est rappelé que les actifs à la liquidation s’élevaient à la somme de 35’120,72 €, alors même que le passif définitivement admis (après les rejets des créances contestées, sur état des créances du juge commissaire, antérieures à la date du jugement d’ouverture) était de 2’309’838,28 €.
Contrairement aux allégations de l’appelant, il n’est pas tenu compte des créances contestées. En outre certaines ne l’ont plus été par [B] [O], alors même qu’il était en désaccord avec certains créanciers sur les montants exigibles. A la suite de la visite des différents chantiers, la CEB Building Surveyor relevait des malfaçons et inexécutions qui concordaient avec les déclarations de créances des différents clients.
L’insuffisance d’actif s’élève de manière définitive à la somme de 2.274.717,56 €.
8) La SCP ZANNI soutient qu’est caractérisée à l’encontre du dirigeant, une faute de gestion ayant indéniablement contribué à l’insuffisance d’actif :
par surévaluation de l’actif, en comptabilisant des travaux en cours fictifs et en surévaluant des factures ou en ajoutant des factures fictives, des doublons de travaux et en omettant de provisionner des créances douteuses, pour une somme retraitée comptablement d’au minimum 299.545 € et ayant pour conséquence un résultat déficitaire au 293.083 € au 31 juillet 2017.
par un non respect des règles comptables empêchant le dirigeant de prendre conscience en temps utile de l’urgence de la situation et lui imposant de prendre les mesures de restructuration qui s’imposaient.
par une présentation fausse des comptes aux différents partenaires fournisseurs et banquiers de la SARL.
par une poursuite d’activité malgré une situation lourdement déficitaire dans le cadre de chantiers ouverts en 2018 pour un montant de 484.067,66 € se décomposant en 278.812,03 € de créances fournisseur et en 205’255,63 € de créances clients sur chantiers pour l’année comptable, aggravant ainsi les dettes de la société.
Le mandataire liquidateur rappelant le pouvoir souverain d’appréciation du montant à fixer indique que l’insuffisance d’actif s’élève à la somme de 2.274.717,56 €, montant maximum pouvant être mis à sa charge, et ne demande pas la condamnation de [B] [O] au paiement de l’intégralité de l’insuffisance d’actif mais seulement au passif causé par sa faute de gestion commise, à savoir celui né de l’activité déficitaire engendrée par le défaut de tenue d’une comptabilité régulière c’est-à-dire la somme de 484’067,66€ qui correspond au montant des factures vérifiées et admises dans le cadre de la déclaration de créance, pour la période postérieure au 31 juillet 2017 et jusqu’à la liquidation judiciaire.
Le mandataire judiciaire sollicite enfin la condamnation de [B] [O] à lui régler au nom et pour le compte de la SARL la Maison Traditionnelle en liquidation judiciaire, la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
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Au terme de ces réquisitions du 2 janvier 2023, le parquet général requiert la réformation du jugement attaqué en ce qu’il a écarté des débats la pièce n° 17 versée par le mandataire liquidateur qui a bien vocation à être soumise aux débats. Elle confirme le principe de la responsabilité de [B] [O] dans la survenance de l’insuffisance d’actif et précise que le montant de celui-ci s’élève à la somme de 484’067 €.
Sur le fond, il reprend les conclusions du rapport établi par [R] [S], soumis au principe du contradictoire en première instance et pour lequel il est sollicité par une demande nouvelle, d’en écarter les conclusions. Le rapport du technicien tout comme son courrier ont été communiqués contradictoirement dans le cadre de la procédure et il appartenait à l’appelant d’en contester le fond.
Le parquet général relève ensuite un défaut de tenue de comptabilité régulière en ce que des majorations d’actifs ont été relevées, par des factures surévaluées ou sans existence, pour lequel le chef d’entreprise tente d’opposer une cyberattaque sans en démontrer la matérialité.
En outre, ce défaut de comptabilité régulière se trouve caractérisé par des fautes de gestion liées à l’absence de provision au titre des créances douteuses relatives au bilan clos au 31 juillet 2017. Le montant de cette majoration artificielle de l’actif net s’élevait à la somme de 299’545 €.
Mieux, le parquet général relève que [B] [O] a poursuivi abusivement l’exploitation alors que celle-ci était déficitaire, trompant ainsi l’ensemble des partenaires de la société sur sa santé réelle.
Il requiert en conséquence la confirmation sur le fond du principe de la responsabilité de [B] [O] et de porter sa condamnation à la somme de 484 067 €
L’affaire a été fixée à l’audience du 22 Février 2023 suivant la procédure rapide en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile, qui a été renvoyée à l’audience du 17 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l’appel n’est pas contestée.
Sur le rejet de la pièce n°17 et ses conséquences :
Il incombe à chacune des parties de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions. Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent.
Cependant, à compter du dépôt de son rapport l’expert est dessaisi de la mesure et ne peut reprendre ses opérations ; il en découle nécessairement qu’il incombe à la partie qui sollicite des compléments, de les solliciter auprès du magistrat mandant et non directement auprès de l’expert ayant déposé.
Dès lors, c’est à bon droit que les premiers juges ont écarté des débats la pièce n°17 qui consiste en un courrier de réponse de l’expert à une interrogation de l’une des parties, en l’espèce, le mandataire judiciaire, en réplique aux premières écritures de [B] [O].
La cour doit confirmer sur ce point.
Cependant, il ne saurait en être tiré la nullité du rapport d’expertise intervenu sept mois auparavant.
Ce rapport avait un caractère contradictoire à son dépôt, puisque discuté par les parties et ne saurait être annulé pour des motifs tirés de faits postérieurs à celui-ci.
Surabondamment et en droit, à peine d’irrecevabilité relevée d’office les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions ; la demande aux fins d’écarter un rapport d’expertise sur lequel elle s’est expliquée en première instance constitue une demande nouvelle.
Dès lors, la demande tendant à annuler le rapport d’expertise de M. [R] [S] doit être déclarée irrecevable.
Sur l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif :
Il résulte des dispositions de l’article L 651-2 Code de commerce que lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. […] L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
Les sommes versées par les dirigeants entrent dans le patrimoine du débiteur et sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers.
En l’espèce l’action a été engagée par le mandataire judiciaire le 4 mars 2021, après que le tribunal de commerce de Châteauroux ait prononcé directement la liquidation judiciaire de la SARL La Maison Traditionnelle le 11 juillet 2018, soit dans le délai de trois ans.
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Au fond, doit être caractérisé un comportement frauduleux et une faute de gestion suffisamment grave pour trancher avec le comportement habituel du commerçant malheureux, de bonne foi, comme :
– l’abstention de structure compétente ou d’outil de gestion fiable, permettant de prendre en temps utile les mesures de redressement qui s’imposaient, ou
– la poursuite d’une activité déficitaire au mépris des procédures de mandat, conciliation ou redressement judiciaire,
– la caractérisation de man’uvres destinées à minorer les pertes réelles masquant la situation de la société et destinées à tromper ses partenaires commerciaux.
La faute de gestion est aussi caractérisée par le retard mis par le dirigeant social à établir sa déclaration de cessation de paiements.
En l’espèce, pour solliciter une telle action le mandataire judiciaire se fonde sur le rapport établi à la demande du juge commissaire, par [R] [S] expert-comptable, sur les comptabilités des années 2017 et 2018. Ce rapport a été établi après rencontres avec le dirigeant social [B] [O].
Or l’expert conclut à ‘des anomalies apparentes lourdes’ qui se caractérisent par une marge brute négative de 10,7 % de la production pour l’exercice du 31 juillet 2017 à même date en 2018 alors que les années 2016 et 2017 s’établissaient respectivement à 20,5 % et 25,1 % de la production brute (chiffre qualifié de cohérent)
L’expert qui a alors, recherché les causes de cette marge brute négative procédait à la ventilation par chantier des taux de marges brute qui ressortaient négatifs et sur 59 chantiers il était constaté ‘qu’un très grand nombre de chantiers -environ un sur deux- ressort en marge brute négative, sans que le chef d’entreprise ne soit en mesure d’en expliquer la cause se réfugiant derrière une cyber attaque survenue fin 2017.’
Or l’analyse effectuée à partir des 14 chantiers présentant des taux de marges négatives les plus importants, révélait que ceux ci avaient été comptabilisés au 31 juillet 2017 comme ‘travaux en cours’ et donc ouvrant droit à une créance de l’entreprise sur les clients, alors même que soit les sommes portées avaient été majorées, soit n’avaient pas de fondement, et ce pour un montant de 211.585 €.
L’expert relève des factures à établir surévaluées, des créances sans existence, voir l’absence de prise en compte de chantiers de sous-traitance. Il en tirait une majoration de l’actif au 31 juillet 2017 de 211.585,89€.
L’expert prend soin d’indiquer que l’examen de tous les chantiers en cours n’a pas été exhaustif, et qu’il ne lui avait pas été fourni de détail des travaux chantier par chantier, voire qu’à la date de la déclaration de cessation des paiements certaines facturations n’aient pas été émises.
Cependant, et malgré ces précautions, il en déduit que la correction de majoration d’actif au 31 juillet 2017 aurait eu pour conséquence de ramener le taux de marge brute non plus à -10,7%, mais à un taux positif de 22,9% en cohérence avec celle des quatre années comptables précédentes.
L’expert en déduit et affirme en conséquence que les comptes arrêtés au 31 juillet 2017 n’étaient ni sincères, ni réguliers, l’actif net ayant été majoré de 299.545 €.
En réponse [B] [O] soutient qu’il a subi une attaque informatique et aurait perdu ses données comptables. De ce dépôt de plainte (pièce 25 appelant), il ressort que la SARL a subi un piratage informatique à compter du 6 décembre 2017 à 10 h ; cette cyber attaque est cependant bien postérieure à l’exercice comptable arrêté au 31 juillet 2017 et ne pouvait affecter l’établissement les comptes irréguliers et insincères de l’exercice financier arrêté à cette date, comme allégué.
Passé le 6 décembre 2017, cette cyberattaque ne peut justifier les trop perçus d’encaissements sur les clients notamment dans le cadre de CCMI.
Encore, il fait reproche à l’expert de ne pas avoir été exhaustif dans ses recherches, alors, même qu’il s’est attaché aux 14 chantiers sur lesquels il ressortait un taux de marge brute négatif le plus significatif, et qu’une recherche plus exhaustive aurait eu pour conséquence d’aggraver encore le montant de majoration d’actif en anomalie, celui ne pouvant être inférieur à 211.585 €.
Les précautions de l’expert s’avèrent être conformes aux usages de prudence au regard de l’analyse effectuée, et démontent suffisamment la faute de gestion.
Ensuite, il est soutenu que les travaux au moment de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire avaient été exécutés et dès lors étaient bénéficiaires. Cependant, l’expert rappelle que ce sont ces comptes 2017 qui sont affectés d’irrégularité, et selon lui ‘très vraisemblablement’ ceux de 2016 et non ceux de 2018.
Toujours, [B] [O] soutient qu’il était soumis aux dispositions légales applicables dans le cadre des contrats de constructions de maisons individuelles, c’est à dire qu’il ne pouvait facturer au delà des taux prévus d’avancement ; or, il se déduit du tableau après des trop perçus engendrant une marge brute négative :
Chantier
Facturation au 31/07/2017 (Ht)
Travaux provisionnés comme en cours au 31/07/2017 (Ht)
Montant réel facturé (Ht)
Majoration minimum (Ht)
Marge brute négative
( Ttc)
[C]
8627,88
10971,25
1863,61
9107,64 (outre sous traitance pour 5.214,90 )
14342,54
[E]
9072 outre avenant 3051,66
4756,25
0
7807,98
[G]
13720
11388,62
– 18019,75 de matériaux
6631,13
GNESSI TISSOT
0
avoir non déduit en 2017
6244,16
[A]
92295,93
24470
0
24868’38
[P]
6054,75
1745,83 (avenant) et 9646,15 (travaux fictifs)
0
10817,38 de matériaux et 12531,47 de sous traitance
34740,18
[U]
46495,41
22492,91
7628,79 de sous traitance non pris en compte
66032,76 avec des encaissements non conformes au CCMI (en avance sur chantier)
[M]
27534
34956,25 (fictifs)
27534
44013,33 (pas de justification du montant porté en crédit de travaux provisionnés)
[K]
20766
2194,42
23650
20766
21485,02
MADELIN
8945
13671,25
0
22616,28
[J]
10576,65
0
10706,49
PRESSE
8152,50
0
9783
[Z]
9752,45
0
9819,03
[D]
15682,27
0
Il résulte de ces 14 chantiers analysés qu’une majoration de l’actif avait été portée au bilan et il était constaté que sur certains chantiers, la SARL avait un trop perçu plus dans le cadre des CCMI.
Les litiges avec ses deux compagnies d’assurance sont sans effet sur la comptabilité présentée, tout au plus cette situation pouvait-elle avoir un impact réel sur les contrats à venir, mais en aucun cas, ne pouvaient influer sur l’état de la comptabilité arrêtée en fin d’exercice au 31 juillet 2017.
Il convient de préciser encore que sur ces différents chantiers, après avoir contesté l’état des créances arrêtées pour un total de 2.378.328,14€ au 8 novembre 2019, [B] [O] ne souhaitait pas effectuer les arrêtés de chantiers le 25 juillet 2018, laissant ainsi le champ ouvert à toutes les contestations sur les réalisations effectuées et donc aux contestations de créances.
Il admettait l’ensemble de ces créances et renonçait à les contester à travers son mail du 8 septembre 2019 où il indiquait : ‘même si je ne suis pas d’accord sur ces créances, je ne suis pas certain que d’aller devant le tribunal pour les contester soit nécessaire. Mes clients ont suffisamment eu de problèmes et désagréments suite à la liquidation judiciaire que je ne souhaite pas leur en rajouter.’
En outre l’analyse effectuée chantier par chantier par CEB Building Suveyor qui a procédé à la visite de chantiers à la demande du mandataire judiciaire confirmait les trop perçus suivants :
Chantier
Trop perçu (€ TTC)
Moins perçu
Observations
[H]
12911,62
DUCUING
3536,97
HERAULT
7259,83
restant dû mais soumis à réserves certaines étant dirimantes (erreur d’altimétrie)
[M]
16776,16
restant dû mais soumis à réserves à lever par une entreprise tierce
[F]
26575,76
travaux réalisés infiéurs au montant perçu
CHARPENTIER-RABIER
1938,95
restant dû mais altimétrie non conforme
BERE
15674,84
trop perçu
[W]
21630,30
trop perçu
[X]
11767,92
trop perçu
[L]
5672,90
trop perçu
LORY – BATARD
40.000
un solde sera dû à l’entreprise (sans évaluation)
[V]
5784,35
malfaçons le solde ne pourra être obtenu
RIVON
11688,49
mais sous réserve de factures de reprises et d’achèvement aucun solde n’est à attendre
total
141.210,00
Il en résulte que 12 chantiers sur 13 présentaient des sommes soit en trop perçu, soit irrecouvrables en raison des désordres de réalisation ou de malfaçons où encore d’inachèvements.
D’autre part, l’analyse des créances anciennes, montrait qu’elles étaient toujours portées au bilan 2017 pour 74.749,70 € et n’avaient pas fait l’objet d’une provision pour créances douteuses ou d’une réfaction au regard de leur ancienneté permettant de les considérer comme douteuses et ce pour un montant supérieur et total de 105.551,82 €.
Il résulte de cette analyse technique mais claire que les comptes de la société n’étaient ni sincères ni réguliers pour 2017 et ce par des opérations comptables, permettant d’une part de volontairement accroître les actifs de la société de sorte que celle-ci présentait une apparence de solvabilité auprès des fournisseurs, des banquiers ou des autres créanciers qui auraient été amenés à consulter l’état des bilans et d’autre part de minorer voire d’ignorer les créances qui auraient dues être placées en provisions douteuses et qui figuraient toujours en créances actives sur les clients.
Ces manipulations comptables avaient pour effet unique de présenter des résultats bénéficiaires alors qu’en réalité l’activité de l’entreprise se trouvait lourdement déficitaire selon l’expert, pour un montant de 299,545€ toujours au 31 juillet 2017.
A la date du jugement de placement en liquidation judiciaire il ressortait selon l’expert que les capitaux propres étaient négatifs de 703.379 € et le résultat était déficitaire de 264.644 €.
Mieux, à ces éléments il convient d’ajouter que [B] [O] sur réclamation de la BNP et en sa qualité de caution de la SARL La Maison Traditionnelle, a réglé une somme de 100.000 € au cours de l’année 2017, élément de nature à démontrer que la banque avait des craintes sur la solvabilité de la société et avait en conséquence actionné la caution, qui n’avait pas contesté et avait effectué ce versement.
Or en sa qualité de dirigeant de droit, le gérant est responsable de l’établissement régulier de la comptabilité et ne peut s’exonérer en invoquant une carence de l’expert-comptable. En l’espèce, il incombait à [B] [O] pris en sa qualité de dirigeant de la SARL La Maison Traditionnelle, d’établir les comptes sociaux de manière régulière.
Il ne peut se défausser comme il l’a fait en première instance ainsi qu’à hauteur d’appel sur son expert-comptable dans la mesure où lui seul disposait des éléments pour :
– connaître l’état exact d’avancée de chacun des chantiers,
– de l’affectation des matières premières nécessaires à leur édification et
– des contrats de sous traitance avec ses différents partenaires,
– et ce notamment dans le cadre légal des Contrats de Construction de Maisons Individuelles.
Mieux, ayant la gestion effective des commandes, du suivi, des facturations de l’entreprise, il ne pouvait ignorer la situation exacte de sa société.
Les ‘erreurs’ ainsi relevées ne ressortent pas de simples négligences, au regard de leurs montants et de leurs répétitions. L’expert a ainsi caractérisé et la cour en retient les éléments pour établir leur caractère volontaire, touchant à la trésorerie de la société, point essentiel sur lequel le dirigeant doit exercer un contrôle.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que [B] [O] a bien sciemment commis une faute de gestion qui a contribué à l’insuffisance d’actif, et à la liquidation judiciaire de la SARL La Maison Traditionnelle, précipitant celle-ci dans une situation irrémédiablement compromise et ne prenant pas en temps opportun les mesures destinées à assurer son redressement.
En effet, la réduction de la masse salariale de 27,5% entre le 31 juillet 2017 et la date de la liquidation judiciaire, ainsi que la réduction des charges externes hors assurance de 36 % en cohérence d’une baisse du chiffre d’affaire de 53,7%, ne justifiait pas à lui seul le résultat déficitaire de 476.229 € constaté au jour de la liquidation judiciaire (les comptes étaient cependant arrêtés au 31 juillet 2018, alors que la société avait été liquidée dans les jours précédents).
Si [B] [O] indique avoir réglé une somme de 100.000 € au titre des produits exceptionnels de la société sur l’exercice clos au 31 juillet 2017, il s’agit d’un paiement en sa qualité de caution auprès de la BNP, qui démontre qu’il avait pleine conscience de l’état sa société et n’en a pas moins poursuivi l’activité, qu’il savait irrémédiablement compromise.
En conséquence et de l’ensemble de ces éléments, il résulte que [B] [O], en sa qualité de dirigeant de la SARL La Maison Traditionnelle a volontairement minoré les pertes réelles masquant la situation de la société, trompant ainsi partenaires commerciaux, organismes bancaires, fournisseurs et clients, et poursuivant une activité qu’il savait déficitaire au mépris des procédures de sauvegarde, mandat, conciliation ou redressement judiciaire, amenant la société à une liquidation judiciaire immédiate sans période d’observation.
‘
Ces fautes de gestion ainsi caractérisées sont à l’origine de la procédure qui a été ouverte directement en liquidation judiciaire, laissant un passif après vérification du juge commissaire de 2.309.838,28 €, pour les créances toutes antérieures au jugement de placement en liquidation judiciaire.
Le lien de causalité est là encore caractérisé par la poursuite d’une activité qu’il savait déficitaire, aggravant encore le passif de la SARL la Maison Traditionnelle et ce dès le 31 juillet 2017.
‘
Sur le montant de l’action en responsabilité, celui-ci doit être proportionné au montant du passif créé postérieurement à la date de la caractérisation de l’état de cessation des paiements, à moins qu’il ne s’agisse d’un passif trouvant son origine antérieurement à l’ouverture et sa cause dans la faute de gestion relevée.
Le montant réclamé par la SCP ZANNI comprend outre les montants relevés par l’expert pour un total de 299.545 €, le solde dû sur les factures déclarées pour les chantiers ouverts en 2018 pour un total de 278.812,03 €, arrêtés à la date de la liquidation judiciaire, comme il en fait le décompte, tiré de l’arrêté d’état des créances.
Ce dernier montant n’est pas contestable puisqu’admis par le dirigeant social d’une part et validé par le juge commissaire d’autre part ; il correspond au montant total des dommages causés par la poursuite de l’activité à la diligence de [B] [O] après le 31 juillet 2017 et jusqu’au 11 juillet 2018, sur la base d’une comptabilité ni sincère, ni régulière, depuis au moins cette date.
En conséquence, la cour doit donc confirmer la décision attaquée en son principe et porter le montant de la condamnation de [B] [O] à la somme totale de 484.067,66 € TTC au titre de l’insuffisance d’actif.
L’appel interjeté par [B] [O] qui succombe en totalité, a imposé au mandataire judiciaire de constituer avocat, de conclure longuement et à deux reprises, avec précision sur l’ensemble des faits après une analyse comptable, et ouvre droit à allocation au titre des frais irrépétibles. Il est équitable d’allouer à la SCP ZANNI, prise ès qualité de mandataire judiciaire de la SARL La Maison Traditionnelle en liquidation judiciaire, une somme de 3.500 € au visa de l’article 700 du code de procédure civile.
[B] [O] doit être condamné aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
– Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a écarté des débats, la pièce n°17 de la SCP ZANNI.
– Rejette la demande d’annulation du rapport de l’expert [R] [S].
– Confirme que [B] [O] a bien commis sciemment des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la SARL la Maison Traditionnelle.
– Confirme que ces fautes sont à l’origine de la liquidation judiciaire de la SARL La Maison Traditionnelle.
Et infirmant,
– Fixe le montant des dommages causés à la SARL La Maison Traditionnelle, par les fautes ainsi commises à la somme de 484.067,66 € TTC.
– Condamne en conséquence [B] [O] à payer à la SCP Olivier ZANNI pris en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL La Maison Traditionnelle, la somme de 484.067,66 € au titre de l’insuffisance d’actif ainsi arrêté.
– Déboute [B] [O] de ses autres demandes.
– Condamne [B] [O] à payer à la SCP Olivier ZANNI pris en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL La Maison Traditionnelle, la somme de 3.500 € au visa de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamne [B] [O] aux entiers dépens de la présente instance.
L’arrêt a été signé par A. TESSIER-FLOHIC, Président, et par S. MAGIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,
S. MAGIS A. TESSIER-FLOHIC