Déclaration de créances : 4 juillet 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01946

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Déclaration de créances : 4 juillet 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01946
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4 juillet 2023
Cour d’appel de Besançon
RG n°
21/01946

ARRÊT N°

MW/FA

COUR D’APPEL DE BESANÇON

– 172 501 116 00013 –

ARRÊT DU 04 JUILLET 2023

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Contradictoire

Audience publique du 02 mai 2023

N° de rôle : N° RG 21/01946 – N° Portalis DBVG-V-B7F-EOCB

S/appel d’une décision du TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LONS-LE-SAUNIER en date du 15 septembre 2021 [RG N° 20/00386]

Code affaire : 60A Demande en réparation des dommages causés par des véhicules terrestres à moteur

[O] [B] C/ [N] [J], S.A. SOGESSUR

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur [O] [B]

né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 7], de nationalité française,

demeurant [Adresse 6] – ROYAUME-UNI

Représenté par Me Isabelle TOURNIER de la SCP CODA, avocat au barreau de BESANCON

APPELANT

ET :

Madame [N] [J]

née le [Date naissance 4] 1974 à [Localité 8], de nationalité française, secrétaire, demeurant [Adresse 5]

Représentée par Me Stéphane BILLAUDEL de la SELARL FAVOULET – BILLAUDEL – DODANE, avocat au barreau de JURA

S.A. SOGESSUR Société immatriculée au RCS de Nanterre, sous le numéro 379 846 637 prise en sa qualité d’assureur de responsabilité de Madame [J].

Sise [Adresse 3]

Représentée par Me Stéphane BILLAUDEL de la SELARL FAVOULET – BILLAUDEL – DODANE, avocat au barreau de JURA

INTIMÉES

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.

ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE et Cédric SAUNIER, conseillers.

GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.

Lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre, magistrat rédacteur

ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE, et Cédric SAUNIER, conseillers.

L’affaire, plaidée à l’audience du 02 mai 2023 a été mise en délibéré au 04 juillet 2023. Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Le 27 juin 2010, Mme [P] [R] a été victime d’un accident de la circulation causé par un véhicule conduit par Mme [N] [J], et assuré auprès de la SA Sogessur. Mme [R] a souffert à cette occasion d’une fracture de la cheville droite.

Mme [J] a été condamnée par jugement rendu le 16 décembre 2010 par le tribunal correctionnel de Lons le Saunier, lequel a par ailleurs reçu la constitution de partie civile de Mme [R], a ordonné deux expertises judiciaires, l’une de nature médicale, et l’autre de nature comptable destinée à évaluer le préjudice professionnel de la victime, qui exerçait une activité d’import-export de produits cosmétiques.

Mme [R] a par ailleurs obtenu le versement de plusieurs provisions à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices, pour un montant total de 51 000 euros.

Aucune des expertises judiciaires n’a pu être menée à terme.

Mme [R] est décédée le [Date décès 2] 2013, pour une cause étrangère à l’accident.

Par acte du 30 avril 2014, M. [D] [R], légataire universel de Mme [P] [R] a cédé la créance détenue par la défunte à l’encontre de Mme [J] et de son assureur à M. [O] [B], ancien partenaire commercial et créancier de la succession de la défunte.

Par jugement du 9 mai 2019, le tribunal correctionnel, statuant sur intérêts civils, a prononcé l’irrecevabilité de la constitution de partie civile reprise par M. [B], décision confirmée en appel par arrêt en date du 8 janvier 2021.

Par exploits des 28 février 2020 et 16 avril 2020, M. [B] a respectivement fait assigner Mme [J] et la société Sogessur devant le tribunal judiciaire de Lons le Saunier en paiement de la somme de 760 130 euros en indemnisation du préjudice subi par Mme [R] au titre de la perte de gains professionnels actuels. Il a exposé que la demande en nullité de la cession de créance qui lui était opposée était prescrite pour n’avoir pas été exercée dans les 5 années de l’acte, et qu’en tout état de cause cet acte était parfaitement valable, et ne pouvait être assimilé à une donation, dès lors qu’il avait en contrepartie abandonné sa propre créance envers la succession. Sur le fond, il a soutenu que, suite à l’accident, Mme [R] n’avait pu reprendre ses activités, de sorte qu’elle n’avait pu bénéficier des retombées d’un contrat important signé avec M. [F], et avait en outre dû annuler l’acte par lequel elle devait racheter les actifs de la société de M. [B].

Mme [J] et la société Sogessur ont conclu à la nullité de la cession de créance dont se prévalait M. [B], et à l’irrecevabilité de ses demandes. Subsidiairement, elles ont sollicité le rejet des demandes, encore plus subsidiairement que soient déduites de toute somme allouées les provisions d’ores et déjà versées. Les défenderesses ont fait valoir que leur demande d’annulation de la cession de créance n’était pas prescrite dès lors que cet acte ne leur avait pas été notifié, et que la cession était nulle, d’une part pour cause illicite, dès lors qu’elle avait pour objet de soustraire le cédant au paiement de 1’impôt dans le cadre de la succession, d’autre part au motif qu’il s’agissait en réalité d’une donation déguisée qui exigeait un acte notarié en application de l’article 931 du code civil. Elles ont ajouté que le demandeur était irrecevable pour n’avoir pas mis en cause les organismes sociaux fondés à exercer une action subrogatoire sur les pertes de gains professionnels éventuellement allouées. Sur le fond, elles ont invoqué l’absence de lien de causalité entre l’accident et les pertes des contrats, ajoutant que la situation financière et les revenus de Mme [R] étaient des plus opaques.

Par jugement du 15 septembre 2021, le tribunal judiciaire a :

– rejeté la demande d’annulation du contrat de cession sollicitée par les défendeurs ;

– débouté [O] [B] de l’intégralité de ses demandes ;

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné [O] [B] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :

– que l’action en nullité n’était pas prescrite dès lors qu’il n’était pas justifié que M. [B] ait notifié la cession de créance litigieuse au tiers débiteur ; que les échanges entre le notaire en charge de la succession de Mme [R], le légataire universel de celle-ci et M. [B], créancier de la succession, ne permettaient pas de dire que la cause de la cession de créance résidait dans la volonté de se soustraire à l’administration fiscale, mais avait permis l’abandon partiel de la créance personnelle de M. [B] au profit de la succession ; que cet acte avait été expressément accepté par M. [B] à ses risques et périls, sans aucune garantie ; que, sauf à dénaturer l’acte de cession clair et non équivoque, il ne saurait recevoir la qualification de donation, d’autant qu’il était justifié que M. [B] avait en conséquence réduit sa déclaration de créance sur la succession ; qu’il n’y avait donc pas lieu de prononcer la nullité de l’acte de cession ;

– qu’aux termes de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale le défaut de mise en cause des organismes sociaux pouvait justifier l’annulation du jugement, mais n’entraînait pas l’irrecevabilité des demandes ; qu’au demeurant il n’était sollicité que l’indemnisation de la perte de gains professionnels actuels, sans qu’il soit justifié que Mme [R] ait pu bénéficier du versement d’indemnités journalières de la part de son régime de protection sociale ;

– que le rapport d’expertise provisoire amiable du Docteur [G] en date du 5 octobre 2010 non définitif concluait ainsi :

* gêne temporaire totale : du 27 juin 2010 au 19 juillet 2010, du 3 août 2010 au 30 août 2010 ;

* gêne temporaire partielle du 20 juillet 2010 au 2 août 2010, en cours depuis le 31 août 2010 ;

* arrêt temporaire des activités professionnelles : se poursuivant depuis le 27 juin 2010 ;

* consolidation : non acquise ;

* nouvel examen à réaliser après présentation d’un certificat médical établi par le chirurgien ;

– que Mme [R] n’avait pas sollicité son examen auprès de l’expert médical amiable à la suite de sa consolidation alors que le Docteur [A], son chirurgien, avait certifié que l’état de santé de Mme [R] concernant sa fracture luxation de la cheville droite était consolidée au plan osseux avec séquelles à compter du 23 mai 2011, de sorte qu’il devait être admis que son état était consolidé à compter de cette date ; que le rapport d’expertise notait qu’en raison des conséquences de l’accident, Mme [R] avait dû cesser ses activités professionnelles depuis son accident et avait été privée d’un projet s’y rattachant, mais qu’il n’était pas fait mention d’une perte significative ; que les demandes indemnitaires au titre de la perte de gains professionnels actuels ne pouvaient être étudiées au delà de la date de consolidation ;

– que Mme [R] avait signé le 25 janvier 2010 avec la société Slim Lady en cours de formation, représentée par M. [F], un contrat de distribution du traitement de remodelage de la silhouette Body Reform pour la France et l’outre mer ; qu’au vu de son état de santé, en lien avec l’accident, on pouvait admettre que ce contrat avait été annulé

principalement en raison de l’impossibilité dans laquelle se trouvait Mme [R] d’honorer le contrat, ne pouvant se déplacer que difficilement et ne disposant pas de personnel pour accomplir ses missions ;

– qu’en l’état des pièces produites, le bénéfice et la marge qu’elle pouvait tirer du contrat annulé restaient en revanche incertains, étant relevé que Mme [R] n’avait pas versé de pièces comptables ou fiscales à l’expert désigné, ce qui l’avait empêché d’accomplir sa mission, et que de telles pièces n’étaient pas plus produites dans le cadre de la présente instance, alors que M. [B], qui était pourtant le distributeur des produits, ne justifiait par aucune pièce comptable de la rentabilité de son activité, pas plus qu’il ne justifiait du fait que M. [F], dont la société était en formation, disposait de la surface financière nécessaire pour honorer le prix des commandes, alors que le contrat, qui avait été conclu six mois avant l’accident, n’avait encore rien rapporté ; que, dès lors, en l’absence d’éléments et d’analyse comptable sur les marges prévues la perte de gains et la perte de chance de gain étaient loin d’être certaines ;

– que Mme [R] avait par ailleurs signé en 2009 un acte de rachat des actifs de M. [B], son fournisseur du produit Body Reform ; qu’il n’était pas démontré qu’elle ait payé à son partenaire l’indemnité de résiliation, d’autant que M. [B] avait déclaré sa créance à la succession ;

– qu’en définitive, le tribunal n’était pas placé en capacité de constater l’existence d’une perte de gains, et d’une perte de chance de gain en l’absence de tout document comptable de l’activité libérale de Mme [R] au vu des provisions déjà versées pour la somme de 51000 euros tous postes confondus.

M. [B] a relevé appel de cette décision le 28 octobre 2021 en ce qu’il a été débouté de ses demandes.

Par conclusions transmises le 18 juillet 2022, l’appelant demande à la cour :

Vu l’article 1149 et les articles 1615 et 1692 du code civil (dans leur version en vigueur au moment de la cession de créance),

Vu l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale,

– de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation du contrat de cession sollicitée par Mme [J] et la SA Sogessur ;

– d’infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté M. [B] de toutes ses demandes, à savoir :

* rappeler que Mme [J] et son assurance la SA Sogessur sont intégralement et solidairement tenues d’indemniser lesdits préjudices ;

En conséquence,

* de fixer les préjudices de Mme [R] comme suit :

· au titre des préjudices patrimoniaux : 760 130 euros ;

· au titre des préjudices extrapatrimoniaux : mémoire ;

* condamner solidairement Mme [J] et son assurance la SA Sogessur à verser à M. [O] [B] la somme de 760 130 euros ;

* dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

*débouter Mme [J] et la Sogessur de toutes demandes, fins et conclusions, et notamment de leur demande afin de nullité de l’acte de cession de créance en cause ;

*les condamner solidairement à lui verser une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

* et les condamner aux entiers dépens ;

Et, statuant à nouveau,

– de confirmer la recevabilité et le bien fondé de la demande présentée par M. [O] [B], en sa qualité de cessionnaire du droit d’action de Mme [P] [R] à l’encontre de Mme [J] et de son assurance la SA Sogessur, au titre de la liquidation des préjudices subis ensuite de l’accident de la voie publique survenu le 27 juin 2010 ;

– de rappeler que Mme [J] et son assurance la SA Sogessur sont intégralement et solidairement tenus d’indemniser lesdits préjudices au titre de la perte de chance de Mme [R] ;

En conséquence,

– de fixer les préjudices de Mme [R] comme suit :

* au titre des préjudices patrimoniaux : 760 130 euros ;

* au titre des préjudices extrapatrimoniaux : mémoire ;

– de condamner solidairement Mme [J] et son assurance la SA Sogessur à verser à M. [O] [B] la somme de 760 130 euros ;

– de dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

– de débouter Mme [J] et la Sogessur de toutes demandes, fins et conclusions, et notamment de leur demande afin de nullité de l’acte de cession de créance en cause ;

– de les condamner solidairement à lui verser une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– et de les condamner aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 20 avril 2022, Mme [J] et la société Sogessur demandent à la cour :

Sur appel incident,

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation du contrat de cession de créance formée par les concluantes et, statuant à nouveau sur point, de prononcer la nullité de l’acte de cession de créance passé entre [D] [R] et [O] [B] le 30 avril 2014 ;

En tout état de cause,

– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [B] de l’intégralité de ses demandes ;

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, de condamner M. [B] à payer à la société Sogessur une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;

– de condamner M. [B] à payer à la société Sogessur une somme de 2 500 euros au titre des

frais irrépétibles d’appel ;

– de condamner M.[B] aux entiers dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 18 avril 2023.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l’exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

Il sera observé à titre liminaire que le développement consacré par l’appelant à la recevabilité de sa demande en l’absence de mise en cause des organismes sociaux est sans objet à hauteur d’appel, dès lors que les intimées ne reprennent aucune fin de non-recevoir à ce sujet.

Sur la validité de la cession de créance

C’est d’abord à bon droit que le tribunal a retenu que la demande de Mme [J] et de son assureur tendant à voir annuler la cession de créance dont se prévaut M. [B] n’est pas prescrite. Le délai de prescription quinquennal court en effet, non pas à compter de l’acte, comme le soutient l’appelant, mais, en application des dispositions de l’article 2224 du code civil, à compter de la date à laquelle ceux à qui la cession est opposée en ont eu connaissance. Or, en l’absence de notification de la cession de créance à Mme [J] et son assureur, il n’est pas justifié que celles-ci aient pu en avoir connaissance plus de cinq années avant qu’elles ne formulent leur demande de nullité.

C’est ensuite par des motifs pertinents, qu’aucun élément ne permet de remettre en cause, et que la cour adopte, que le premier juge a écarté la demande de nullité en considérant que la cession de créance litigieuse ne reposait sur aucune cause illicite, et qu’elle ne s’analysait pas en une donation déguisée. Au surplus, la cour observe que M. [D] [R], pourtant directement intéressé au sort de la cession litigieuse comme y ayant été partie en qualité de cédant, n’a pas été appelé à la cause, ce qui constitue un obstacle majeur à la demande d’annulation.

Sur le préjudice subi par Mme [R] au titre de la perte de gains professionnels actuels

Il sera constaté liminairement que, dans le dispositif de ses dernières conclusions, M. [B] maintient sa demande à hauteur d’un montant de 760 130 euros, alors pourtant qu’il ressort du corps de ces mêmes écritures que ce montant est erroné, car intégrant un gain

manqué calculé sur la base d’une marge unitaire mentionnée comme s’élevant à 53,80 euros, alors qu’elle n’est en réalité que de 52,80 euros. Il en résulte qu’en réalité la demande de l’appelant ne peut excéder un montant total de 752 660 euros.

Dès lors que M. [B] sollicite expressément une indemnisation au titre de la perte de gains professionnels actuels, cette demande ne peut, comme l’a souligné le premier juge, concerner que la période antérieure à la consolidation de Mme [R]. En l’absence d’exécution de l’expertise ordonnée par le tribunal correctionnel, qui devait notamment permettre de fixer la date de consolidation, il doit être retenu à l’examen des éléments médicaux versés aux débats, et notamment des deux certificats établis le 25 mai 2011 par le Dr [A], que, conformément à ce qu’a retenu le tribunal, la consolidation doit être fixée au 23 mai 2011.

Il sera rappelé que l’accident de la circulation du 27 juin 2010 a causé une fracture luxation avec déplacement important de la cheville droite de Mme [R], dont l’état a été compliqué fin juillet 2010 par la survenue d’une embolie pulmonaire massive bilatérale ayant nécessité son hospitalisation puis un séjour en clinique. Le Dr [G], qui a examiné Mme [R] le 13 octobre 2010 à la demande de son assureur, a confirmé qu’à cette date l’intéressée n’était pas consolidée, qu’elle était toujours sous traitement anticoagulant et que l’appui n’était toujours pas autorisé au regard de l’absence de consolidation osseuse du foyer de fracture. Ce médecin a indiqué que Mme [R] n’avait pas pu reprendre son activité professionnelle depuis l’accident, et qu’elle avait été privée d’un projet s’y rattachant.

Il résulte suffisamment de ces éléments médicaux qu’en raison des conséquences physiques de l’accident Mme [R] a dû cesser son activité professionnelle à compter de la date de celui-ci, et que, courant octobre 2010, elle n’était toujours pas en mesure de la reprendre.

M. [B] établit par les pièces qu’il verse aux débats qu’en date du 26 juin 2009 il avait vendu à Mme [R] les actifs de sa société Body Reform Contour Treatment, fabricante d’un produit de traitement de la silhouette dénommé ‘Body Reform’ moyennant un prix de 55 000 livres sterling, dont elle s’était acquittée partiellement à hauteur de 19 750 livres sterling au moyen de deux règlements des 18 juillet 2009 et 29 septembre 2009. Il ressort d’autre part de divers documents et courriers émanant de la caisse de Crédit Agricole de Franche Comté que Mme [R] avait obtenu le financement du solde du prix par le biais d’une ligne de crédit professionnel, dont elle avait perçu un premier financement de 25 000 euros en juillet 2009.

Il démontre encore que Mme [R] avait conclu le 25 janvier 2010 avec Mme [W] [F], intervenant pour le compte d’une société Slim Lady en formation, un contrat de fourniture exclusive du produit de traitement de la silhouette Body Reform d’une durée d’un an renouvelable, par lequel la société Slim Lady s’est engagée à passer commande d’un minimum de 2 400 traitements pendant la durée du contrat, au prix unitaire de 63,80 euros. Il est par ailleurs justifié que Mme [R] a perçu au titre de ce contrat trois chèques d’acomptes de montants respectifs 15 000 euros, 40 680 euros et 6 960 euros versés par M. [Y] [F], soit un total de 62 640 euros.

Il est enfin établi par les pièces produites, notamment un échange de courriers entre Mme [R] et M. [F] de fin octobre 2010, qu’ils s’étaient accordés sur l’annulation du contrat de distribution exclusive du 25 janvier 2010, expressément en raison de

l’impossibilité pour Mme [R] de le poursuivre suite à son incapacité d’une durée indéterminée, et qu’il avait en conséquence été convenu de la restitution des trois chèques d’acompte, dont M. [F] a accusé réception le 30 octobre 2010. Ainsi qu’il ressort d’un courrier de la banque du 29 octobre 2010, cette annulation a alors généré de la part du Crédit Agricole le refus de verser à Mme [R] le deuxième terme de financement des sommes dues à M. [B], dont il était prévu que le remboursement se fasse au moyen de la somme de 62 640 euros perçue au titre du contrat [F], somme devenue indisponible du fait de sa restitution. Ce défaut de paiement a à son tour entraîné l’annulation du contrat de vente des actifs de la société Body Reform Contour Treatment du 26 juin 2009, ainsi que l’établissent les échanges de mails intervenus entre Mme [R] et M. [B] début novembre 2010.

Il résulte sans ambiguïté de cette chronologie que l’impossibilité pour Mme [R] d’exercer son activité professionnelle en suite de l’accident dont elle a été victime a directement causé l’annulation des deux contrats au cours de la période précédant la consolidation, de sorte que le préjudice qui en est résulté pour elle doit être indemnisé au titre de la perte de gains professionnels actuels. C’est d’ailleurs ce qu’a à bon droit retenu le premier juge.

S’agissant du préjudice, M. [B] décompose sa demande en plusieurs postes, qu’il convient d’examiner successivement.

1° la perte au titre du contrat conclu avec M. [B]

L’appelant fait valoir que Mme [R] avait réglé en vain une somme totale de 55 000 euros, savoir un montant de 22 000 euros (19 750 livres sterling) réglé pour le rachat de la société, qui a été annulé, et un montant de 33 000 euros (29 625 livres sterling) au titre des frais d’annulation du contrat.

L’appelant indiquant lui-même que le rachat de sa société avait été annulé, la somme versée par Mme [R] au titre de ce rachat aurait en toute logique dû lui être restituée par le vendeur, savoir M. [B] lui-même, de sorte que le montant correspondant n’a pas à être supporté par le responsable de l’accident à l’origine de l’annulation. Il ne pourra donc être fait droit à la demande sur ce point.

S’agissant de la somme de 33 000 euros correspondant à des frais d’annulation, s’il est certes versé aux débats un échange de mails par lequel Mme [R] accepte que M. [B] lui facture une somme de 27 625 livres sterling, outre 2 000 livres sterling par mois de retard, il n’est en revanche pas produit le moindre document établissant la réalité d’un paiement effectué à ce titre par Mme [R]. Dans ces conditions, la somme concernée ne peut être mise à la charge du responsable de l’accident.

2° le gain manqué au titre des ventes à M. [F]

M. [B] indique que Mme [R] devait vendre à M. [F], en application du contrat du 25 janvier 2010, 2 400 traitements par an, pour un coût de 63,80 euros l’unité, sous déduction du coût d’achat, soit 11 euros, et de frais d’un montant ‘raisonnablement estimé’ de 5 000 euros par an, soit un bénéfice annuel de 121 720 euros (2 400 x (63,80 – 11) – 5 000). Il affirme par ailleurs que ce préjudice était certain sur une durée minimale de 3 ans.

Il sera observé en premier lieu que le contrat du 25 janvier 2010 n’a été conclu que pour une durée d’un an, éventuellement renouvelable. Dès lors, l’engagement n’était certain que pour cette période d’un an, le renouvellement étant quant à lui tributaire de divers aléas tenant au succès du produit, à l’efficacité du distributeur, mais aussi à l’état de santé de Mme [R], dont il doit être rappelé qu’elle a été emportée en juin 2013 par un cancer, et à la capacité de Mme [R] de produire elle-même les traitements, puisqu’elle avait à cette fin racheté la société de M. [B], fabricant du produit, et qu’il n’est fourni strictement aucune indication quant aux moyens financiers, en personnels et en locaux qui pouvaient être affectés à cette production.

Ensuite, s’il est bien établi par l’annexe au contrat du 25 janvier 2010 que le prix de vente unitaire des traitements était fixé à 63,80 euros pour la durée du contrat, et que le prix d’achat à M. [B] de ces mêmes produits s’établissait aux alentours de 11 euros l’unité, il n’est en revanche fourni strictement aucun élément permettant de justifier les frais accessoires à déduire de la marge, que M. [B] estime à 5 000 euros par an, sans autrement s’en expliquer que par des considérations d’ordre général tenant à la nécessité de voyages en Grande-Bretagne et à la Réunion, qu’il ne prend même pas la peine de quantifier quant à leur fréquence et à leur coût réel. Ce faisant, il n’intègre ni le coût de transport des marchandises, ni les frais divers nécessairement exposés par Mme [R] pour le fonctionnement de son activité, l’appelant ne pouvant se borner à affirmer qu’aucun frais n’aurait été engagé en l’absence de personnel et alors que Mme [R] aurait exercé à domicile. En l’absence d’éléments précis fournis à cet égard, il convient de limiter le bénéfice net à un taux théorique de 20 %, soit 13 euros par produit.

En application du contrat du 25 janvier 2010, qui engageait les parties pour une durée d’un an, et les produits étant disponibles comme étant encore ceux produits par M. [B], Mme [R] pouvait donc espérer un gain certain de 31 200 euros, qui sera mis à la charge de Mme [J] et de son assureur.

Pour les deux années suivantes, ainsi qu’il l’a été souligné précédemment, ce gain manqué ne peut être considéré comme certain, mais doit s’analyser en une perte de chance, laquelle, à l’aune des aléas rappelés ci-dessus, doit être évaluée à 50 %. Le préjudice pour chacune des deux années 2011 et 2012 doit ainsi être chiffré à 15 600 euros.

3° la perte de chance de vendre 2 750 traitements déjà fabriqués

M. [B] soutient qu’en 2010 Mme [R] aurait encore pu vendre à M. [F], ou à tout autre client, 2 750 traitements déjà fabriqués.

Toutefois, outre qu’il n’est pas justifié de ces 2 750 produits, le contrat conclu avec M. [F] ne porte que sur un montant minimal de 2 400 produits sur l’année, et le préjudice subi à ce titre a été indemnisé précédemment. Force est de constater qu’à défaut d’antécédents il n’est fourni aucun élément de nature à permettre de démontrer de manière objective que ce volume pouvait être effectivement dépassé au cours de la première année des relations contractuelles.

Il n’est pas plus justifié auprès de quels autres clients potentiels Mme [R] aurait pu espérer écouler ces produits, le seul contrat versé aux débats étant celui l’ayant liée à M. [F].

Dans ces conditions, ce poste de demande devra être rejeté.

4° la perte de chance sur les années 2011 et 2012

L’appelant réclame enfin une somme de 200 000 euros au titre des ventes de produits que Mme [R] n’aurait pas manqué de faire, hors contrat [F], pour les années 2011 et 2012.

Or, mises à part des pièces éparses, dont certaines émanent de M. [B] lui-même, et d’autres sont dépourvues de valeur probante dès lors qu’elles sont libellées en langue anglaise et dépourvues de traduction, il n’est versé aucun contrat ou document comptable de nature à établir l’exercice par Mme [R] d’une activité de vente régulière et rémunératrice au cours des années précédentes, de nature à laisser augurer des perspectives sérieuses de développement au cours des années 2011 et 2012. Surtout, il doit être rappelé qu’en vertu du contrat passé avec M. [B] pour l’achat de la société de celui-ci, Mme [R] devait pour l’avenir assurer elle-même la production des traitements. Or, comme cela a déjà été souligné, il n’est fourni par l’appelant strictement aucun élément établissant sa capacité matérielle et financière à assurer une production suffisante pour satisfaire ne serait-ce que la demande résultant de l’éventuel renouvellement du contrat passé avec M. [F].

Cette demande porte donc sur un préjudice purement hypothétique, de sorte qu’il ne saurait y être fait droit.

Le jugement déféré sera en définitive infirmé en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire de M. [B], Mme [J] et la société Sogessur étant condamnés in solidum à lui payer la somme totale de 62 400 euros (31 200 + 15 600 + 15 600).

Sur les autres dispositions

Il n’y a pas de lieu de réserver pour mémoire le poste des préjudices extrapatrimoniaux, alors que, de son propre aveu, M. [B] n’entend formuler aucune demande à ce titre.

Le jugement sera infirmé s’agissant des dépens et des frais irrépétibles.

Mme [J] et la société Sogessur seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer à M. [B] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Les intimés seront déboutés de leur s demandes formées sur le même fondement.

Par ces motifs

Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,

Confirme le jugement rendu le 15 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lons le Saunier en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation du contrat de cession de créance ;

Infirme le jugement déféré pour le surplus ;

Statuant à nouveau, et ajoutant :

Condamne in solidum Mme [N] [J] et la SA Sogessur à payer à M. [O] [B] la somme de 62 400 euros ;

Condamne in solidum Mme [N] [J] et la SA Sogessur aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

Condamne in solidum Mme [N] [J] et la SA Sogessur à payer à M. [O] [B] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes formées par Mme [N] [J] et la SA Sogessur sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,

 


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