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22 juin 2023
Cour d’appel d’Orléans
RG n°
22/01105
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 22/06/2023
la SCP LAVAL – FIRKOWSKI
la SELARL SELARLU PLESSIS
ARRÊT du : 22 JUIN 2023
N° : 122 – 23
N° RG 22/01105
N° Portalis DBVN-V-B7G-GSIN
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 15 Avril 2022
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265284568572329
S.A.S. BRUNET
Prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau d’ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Isabelle LOUBEYRE, membre de la SCP EQUITALIA, avocat au barreau de POITIERS
D’UNE PART
INTIMÉE : – Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265285107465141
S.A.R.L. LA PRESSION DU TONNEAU prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat Me Antoine PLESSIS, membre de la SELARL SELARLU PLESSIS, avocat au barreau de TOURS
D’AUTRE PART
DÉCLARATION D’APPEL en date du : 05 Mai 2022
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 13 Avril 2023
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l’audience publique du JEUDI 11 MAI 2023, à 14 heures, Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en charge du rapport, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l’article 805 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 22 JUIN 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Selon bon de commande signé le 5 août 2018, la société La Pression du tonneau a confié à la société AGMA la conception, l’exécution et la coordination de travaux de réalisation d’un bar à vins et bières, à [Localité 4] (37).
La marché a été conclu au prix TTC de 231 170,77 euros TTC, stipulé payable à hauteur de 30 % à la signature de la commande, 20 % au démarrage du chantier, 45 % sur présentation des situations intermédiaires et, le solde de 5 %, à réception des travaux.
Parmi les dix lots que comprenait le marché qui lui avait été confié par le maître de l’ouvrage, la société AGMA a sous-traité à la société Brunet, selon quatre marchés conclus entre le 26 septembre 2018 et le 11 janvier 2019 pour un prix total HT de 34 292 euros, les travaux relevant du lot électricité qu’elle s’était elle-même engagée à exécuter ou faire exécuter pour un prix total HT de 41 418,60 euros.
Le 28 janvier 2019, le maître de l’ouvrage a accepté les travaux réalisés par la société Brunet, en signant la fiche de validation destinée à la société AGMA.
Le maître de l’ouvrage a réglé l’intégralité du marché à réception des factures de la société AGMA, soit :
– 40 000 euros le 18 octobre 2018
– 75 585 euros le 31 octobre 2018
– 69 351,23 euros le 13 décembre 2018
– 25 123,25 euros le 28 janvier 2019
Par jugement du 30 janvier 2019, le tribunal de commerce d’Angers a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société AGMA, laquelle a été convertie en liquidation judiciaire dès le 19 avril suivant.
Par courrier adressé sous pli recommandé le 5 février 2019, la société Brunet a déclaré au passif de la procédure collective de la société AGMA une créance de 32 831 euros.
Par courrier du même jour, adressé sous pli recommandé réceptionné le 8 février 2019, la société Brunet a exercé contre le maître de l’ouvrage l’action directe prévue à l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975, en lui adressant copie de sa déclaration de créance au passif du redressement judiciaire de la société AGMA.
Par courrier du 11 octobre 2019 adressé sous pli recommandé réceptionné le 16 octobre suivant, la société Brunet a vainement mis en demeure le maître de l’ouvrage de lui régler la somme de 32 831 euros, puis a saisi par requête du 27 octobre 2020 le président du tribunal de commerce de Tours qui, par ordonnance du 28 octobre suivant, a enjoint à la société La Pression du tonneau de payer à la société Brunet la somme de 32 831 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2019, outre 35,21 euros au titre des dépens.
La société La Pression du tonneau a formé opposition et par jugement du 15 avril 2022, le tribunal de commerce de Tours a :
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil,
Vu les articles 3, 13 et 14 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance,
Vu les pièces au dossier et les échanges en séance,
– reçu la société La Pression du Tonneau en son opposition,
Et statuant à nouveau, le présent jugement se substituant à l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Tours en date du 28 octobre 2020, conformément à l’article 1420 du code de procédure civile,
– dit que le défaut d’agrément des conditions de paiement de la société Brunet par la société La Pression du Tonneau ne constitue pas une perte de chance pour la société Brunet d’obtenir le règlement de ses factures,
– dit que la société La Pression du Tonneau a réglé toutes ses factures,
– débouté la société Brunet de l’ensemble de ses demandes,
– condamné la société Brunet à régler la somme de 2 000 euros à la société La Pression du tonneau à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et débouté la société Brunet de sa demande à ce titre,
– condamné la société Brunet aux entiers dépens, qui comprendront tant ceux de la procédure d’injonction de payer que ceux consécutifs à la présente instance, et le coût de la signification, lesquels dépens liquidés, concernant les frais de greffe, à la somme de 93,54 euros.
Pour statuer comme ils l’ont fait sur la demande principale en paiement que la société Brunet fondait devant eux sur l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, les premiers juges ont commencé par indiquer que l’action ‘directe’ du sous-traitant ne pouvait prospérer dès lors que le maître de l’ouvrage justifiait avoir réglé l’intégralité du marché à la société AGMA avant d’avoir reçu copie de la déclaration de créance de la société Brunet.
Ils ont ensuite retenu, en substance, que si les comptes rendus de chantier établissaient que le maître de l’ouvrage avait, de fait, agréé la société Brunet, cette dernière ne pouvait pour autant rechercher la responsabilité de la société La Pression du tonneau sur le fondement de l’article 14-1 alors que le maître, qui a promptement réglé toutes les factures de la société AGMA, ne pouvait avoir connaissance de ce que cette dernière n’avait pas satisfait à ses obligations à l’égard du sous-traitant, compte tenu des clauses figurant au marché principal, et de ce que le sous-traitant n’a jamais réclamé de garantie de paiement, y compris après sa facture du 31 octobre 2018 restée impayée.
Les premiers juges ont ajouté que dans la mesure où le maître avait soldé l’intégralité du marché avant l’ouverture de la procédure collective de la société AGMA, l’acceptation formelle du sous-traitant, comme l’agrément de ses conditions de paiement, n’auraient rien changé à la situation de la société Brunet, qui n’aurait pu profiter des paiements effectués par le maître de l’ouvrage.
La société Brunet a relevé appel de la décision par déclaration du 5 mai 2022, en critiquant toutes ses dispositions.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 juillet 2022, la société Brunet demande à la cour de :
Statuant par application des dispositions la loi du 31 décembre 1975, dont l’article 14-1, et de l’article 1240 du code civil :
– réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Tours en ce qu’il a :
* reçu la société La Pression du Tonneau en son opposition et statuant à nouveau en substituant le jugement à l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Tours en date du 28 octobre 2020 conformément à l’article 1420 du code de procédure civile,
* dit que le défaut d’agrément des conditions de paiement de la société Brunet par la société La Pression du Tonneau ne constitue pas une perte de chance pour la société Brunet d’obtenir le règlement de ses factures alors que la société La Pression du Tonneau en violant les dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 a engagé sa responsabilité délictuelle envers la société Brunet, sous-traitante, sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil, occasionnant ainsi à la société Brunet un préjudice direct lié à ce manquement,
évalué à la somme de 32 831,00 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la mise en demeure de payer et capitalisés à chaque échéance de la demande,
* dit que le fait que la société La Pression du Tonneau ait réglé toutes les factures émises par l’entrepreneur principal est libératoire vis-à-vis du sous-traitant, tout en reconnaissant que la société La Pression du Tonneau avait connaissance de la présence du sous-traitant, la société Brunet sur le chantier et que la société La Pression du Tonneau n’a jamais mis la société AGMA en demeure de régulariser la situation de son sous-traitant,
* dit que la société Brunet avait une action directe à l’encontre du maître de l’ouvrage, la société La Pression du Tonneau, en considérant que la société Brunet aurait été ‘agréée de fait’,
* débouté la société Brunet de l’ensemble de ses demandes, dont la demande de condamnation de la société La Pression du Tonneau à lui payer la somme de 32 831 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2019, la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter la signification de l’ordonnance d’injonction de payer, tous les intérêts étant capitalisés à chaque date anniversaire de la demande, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que la demande de condamnation aux entiers dépens comprenant ceux de la procédure en injonction de payer, y compris le coût des lettres recommandées avec accusé de réception,
* condamné la société Brunet à régler la somme de 2 000 euros à la société La Pression du Tonneau sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
* débouté la société Brunet de sa demande à ce titre,
* condamné la société Brunet aux entiers dépens comprenant tant ceux de la procédure d’injonction de payer que ceux consécutifs à l’instance au fond, le coût des significations et les frais de greffe liquidés à la somme de 93,54 euros,
Et statuant à nouveau :
– condamner la société La Pression du Tonneau à payer à la société Brunet :
‘ la somme de 32 831 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2019,
‘ la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter la signification de l’ordonnance d’injonction de payer,
– ordonner la capitalisation des intérêts à chaque date anniversaire de la demande,
– débouter la société La Pression du Tonneau de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,
– condamner la société La Pression du Tonneau à payer à la société Brunet la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, ainsi que la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, comprenant ceux de première instance, de la procédure en injonction de payer, y compris le coût des lettres recommandées avec accusé de réception,
– ordonner qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, et qu’en cas d’exécution par voie extra-judiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application notamment des articles A.444-15, A.444-31 et 32 de l’arrêté du 26 février 2016 seront à la charge de la partie tenue aux dépens.
La société Brunet commence par indiquer que les premiers juges ont à juste titre considéré que la société AGMA n’a pas fait agréer les conditions de paiement du contrat de sous-traitance par la société La Pression du Tonneau au moment de la conclusion du contrat et pendant la durée de ce contrat, comme l’exige l’article 3 de la loi du 31 juillet 1975, mais leur reproche d’avoir estimé par ailleurs qu’elle avait, au vu des huit comptes rendus de réunions de chantiers réunissant l’ensemble des parties, été agréée de fait comme sous-traitante, alors qu’aucun agrément de fait n’est prévu par la loi ou admis par la jurisprudence.
L’appelante ajoute que le maître de l’ouvrage, qui a eu connaissance, dès la réunion de chantier du 8 octobre 2018, de son intervention comme sous-traitant non agréé, aurait dû, en application de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, mettre la société AGMA en demeure de respecter les obligations qui lui incombaient, spécialement la présenter à l’agrément et veiller à ce que l’entrepreneur principal lui ait remis une garantie de paiement, puis soutient que, à défaut, le maître, qui l’a privée de la possibilité d’obtenir le paiement de ses factures, doit l’indemniser de l’intégralité de son préjudice sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
En soulignant ensuite que, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, l’article 13 de la loi du 31 décembre 1975 est inapplicable au sous-traitant non agréé, la société Brunet affirme que le maître, dont la faute l’a privée de la possibilité d’obtenir le paiement de ses factures, doit l’indemniser du préjudice qu’il lui a ainsi causé, en précisant que ce préjudice résulte à la fois de la perte du bénéfice de l’action directe et de la perte de son recours contre la caution.
L’appelante en déduit que par application de l’article 1240 du code civil, la société La Pression du tonneau devra être condamnée à lui régler la somme de 32 831 euros qui lui était due par l’entrepreneur principal et qui constitue le montant de son préjudice, ce avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la mise en demeure de payer, outre 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de sa résistance abusive, en précisant enfin que les paiements que le maître a effectués au profit de la société AGMA ne l’exonèrent pas de sa responsabilité à l’égard du sous-traitant.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 octobre 2022, la SARL La Pression du tonneau demande à la cour, au visa de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et de l’article 700 du code de procédure civile, de :
– débouter la SAS Brunet de l’ensemble de ses prétentions contraires aux présentes écritures,
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Tours en date 15 avril 2022 en toute ses dispositions,
– condamner la SAS Brunet à payer la somme de 3 000 euros à la société La Pression du tonneau en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La société La Pression du Tonneau fait valoir qu’il résulte de l’article 13 de la loi du 31 décembre 1975 que l’action directe ne peut viser que le paiement correspondant aux prestations prévues par le contrat de sous-traitance et dont le maître de l’ouvrage est effectivement bénéficiaire, qu’en tout état de cause, les obligations du maître de l’ouvrage sont limitées à ce qu’il doit encore à l’entrepreneur principal à la date de la réception de la mise en demeure, puis souligne qu’en l’espèce, toutes les sommes dues à la société AGMA avaient été réglées au 28 janvier 2019, avant l’ouverture de la procédure collective de l’entrepreneur principal, et avant que la société Brunet ne sollicite le paiement de sa facture le 5 février 2019.
L’intimée ajoute que si la jurisprudence admet « l’agrément tacite » du sous-traitant par le maître de l’ouvrage lorsque cette « acceptation tacite » résulte d’actes manifestant sans équivoque la volonté d’accepter le sous-traitant, les droits du sous-traitant sont, comme dans l’hypothèse précédente, limités à ce que reste devoir le maître d’ouvrage à l’entrepreneur principal. Elle en déduit là encore que dès lors que l’intégralité des sommes dues a été réglée à la société AGMA, l’action de la société Brunet ne peut prospérer à son encontre en application de l’article 13.
L’intimée précise qu’il résulte en tout état de cause de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 que l’action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage n’est ouverte qu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la mise en demeure de l’entrepreneur principal, assure qu’en l’espèce, la société Brunet n’apporte pas la preuve de ce qu’elle aurait mis en demeure la société AGMA de lui payer la somme de 32 831 euros qu’elle lui réclame en qualité de maître de l’ouvrage, et en déduit que l’appelante n’établit pas que son absence d’agrément lui a causé un préjudice puisque les conditions de mise en ‘uvre de l’action directe n’étaient de toute façon pas réunies.
La société La Pression du tonneau conclut que l’appelante ne démontre non plus aucune perte de chance, en indiquant que les premiers juges ont justement considéré que, même si elle avait accepté formellement et agrée les conditions de paiement de la société Brunet, la situation de cette dernière aurait été la même, dès lors que la garantie de paiement accordé à la société AGMA, et les règlements effectués auprès de cette dernière, n’auraient pas permis le règlement du sous-traitant.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 13 avril 2023, pour l’affaire être plaidée le 11 mai suivant et mise en délibéré à ce jour.
SUR CE, LA COUR :
Sur la recevabilité de l’opposition à l’ordonnance portant injonction de payer :
Tout en demandant à la cour, dans le dispositif de ses dernières conclusions, d’infirmer le chef du jugement déféré ayant reçu la société La pression du Tonneau en son opposition contre l’ordonnance d’injonction de payer du président du tribunal de commerce de Tours, la société Brunet ne développe dans le corps de ses
écritures aucun moyen tendant à l’irrecevabilité de cette opposition.
Selon les articles 1415 et 1416 du code de procédure civile, l’opposition est portée, selon le cas, devant la juridiction dont le juge ou le président a rendu l’ordonnance portant injonction de payer ; elle est formée au greffe dans le mois qui suit sa signification et reste recevable, si la signification n’a pas été faite à personne, jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.
Il résulte en l’espèce des propres pièces de l’appelante que l’ordonnance en cause a été signifiée le 23 décembre 2021 à la société La Pression du Tonneau et que cette dernière a formé opposition au greffe du tribunal de commerce de Tours le 22 janvier 2021, selon les modalités et dans le délai d’un mois prévus aux articles précités.
La recevabilité de l’opposition sera dès lors confirmée.
Sur le fond :
– sur la demande principale dirigée contre le maître de l’ouvrage
Contrairement à ce que laissent accroire les conclusions du maître de l’ouvrage, le sous-traitant n’exerce pas, au principal, une action directe en paiement, mais une action en responsabilité distincte, qu’il fonde sur les articles 1240 du code civil et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
Selon le premier de ces textes, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Aux termes de l’article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, pour les contrats de travaux de bâtiments et de travaux publics :
– le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations. Ces dispositions s’appliquent aux marchés publics et privés.
– si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l’ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d’Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l’ouvrage doit exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni la caution.
En application de ce texte, le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence d’un sous-traitant sur le chantier, mettre l’entrepreneur en demeure de fournir un cautionnement au sous-traitant. A défaut, le maître de l’ouvrage engage sa responsabilité délictuelle à l’égard du sous-traitant, qui peut lui réclamer paiement de ses travaux à titre de dommages et intérêts.
Dit autrement, l’article 14-1 introduit par la loi n° 86-13 du 6 janvier 1986 offre la possibilité au sous-traitant non agréé qui ne peut de ce fait exercer une action directe en paiement contre le maître de l’ouvrage, de remédier à cette impossibilité en exerçant une action en responsabilité délictuelle.
En l’espèce, la société La Pression du tonneau ne conteste pas avoir eu connaissance de la présence de la société Brunet sur le chantier dès la première réunion de chantier du 8 octobre 2018, ce qui est en toute hypothèse établi par les comptes rendus des réunions de chantier produits par le sous-traitant appelant.
Dès lors que le maître ne justifie ni même n’allègue avoir mis en demeure la société AGMA de présenter son sous-traitant à l’agrément, et de lui fournir un cautionnement bancaire en l’absence de délégation de paiement, la société La Pression du tonneau a commis une faute en méconnaissant les obligations de l’article 14-1, et engage sa responsabilité à l’égard de la société appelante, par application de l’article 1240 du code civil, s’il est résulté de cette faute un préjudice pour le sous-traitant.
Lorsque le maître de l’ouvrage a connaissance du sous-traitant sur le chantier et n’exige pas de l’entrepreneur principal qu’il suive la procédure d’agrément, comme le lui imposent les prescriptions d’ordre public de l’article 14-1, le maître fautif est déchu de la possibilité de se prévaloir du défaut d’agrément pour faire obstacle à l’action directe en paiement.
Il ne fait cependant aucun doute au cas particulier que l’action directe du sous-traitant n’aurait pu prospérer s’il avait été agréé, puisque la société Brunet a adressé au maître de l’ouvrage la copie de sa déclaration de créance valant copie de la mise en demeure prévue à l’article 13 par courrier recommandé du 5 février 2019, réceptionné le 8 février suivant, et que le maître s’était libéré de l’intégralité de ses obligations à l’égard de l’entrepreneur principal dès le 28 janvier 2019 précédent.
Contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges cependant, le fait que l’action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage n’aurait pu prospérer n’est pas exclusif de tout préjudice du sous-traitant.
Il est aujourd’hui acquis que le sous-traitant peut obtenir une indemnisation qui dépasse l’assiette de l’action directe pour atteindre la valeur des travaux exécutés (v. par ex Civ. 3, 18 février 2015, n° 14-10.604), et en la matière, il convient de distinguer deux situations.
Si le maître a déjà réglé l’entrepreneur principal lorsqu’il apprend l’existence du sous-traitant sur le chantier, sa faute n’est pas à l’origine du préjudice du sous-traitant, et l’action en responsabilité de ce dernier ne peut pas prospérer.
Mais lorsque le maître, comme en l’espèce, se libère des fonds entre les mains de l’entrepreneur principal après avoir eu connaissance du sous-traitant, sa faute crée un préjudice au sous-traitant qui se trouve privé de la garantie de paiement que le maître aurait dû mettre en demeure l’entrepreneur principal de lui fournir.
La société La Pression du Tonneau doit donc indemniser la société Brunet à hauteur du prix de ses travaux qui aurait dû être réglé grâce à la fourniture du cautionnement bancaire.
Par infirmation du jugement entrepris, l’intimée sera donc condamnée à payer à l’appelante, à titre de dommages et intérêts, une somme de 32 831 euros.
Conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, auxquelles rien ne justifie de déroger, cette condamnation de nature indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
En application de l’article 1343-2 du même code, qui prévoit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise, les intérêts seront le cas échéant capitalisés annuellement à compter de ce jour.
– sur la demande complémentaire en dommages et intérêts
La résistance opposée par la société La Pression du tonneau ne peut être considérée comme abusive alors qu’il n’est pas établi que cette société ait résisté de mauvaise foi ni qu’elle ait commis une erreur grossière équipollente au dol, et que les premiers juges lui avaient d’ailleurs donné raison.
L’appelante sera dès lors déboutée, par confirmation du jugement entrepris, de sa demande de dommages et intérêts tirée d’une résistance abusive du maître de l’ouvrage.
Sur les demandes accessoires :
La société La Pression du tonneau, qui succombe au sens de l’article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de première instance et d’appel et sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur ce dernier fondement, la société La Pression du tonneau sera condamnée à régler à la société Brunet, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité des frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés en première instance puis à hauteur d’appel, une indemnité de procédure globale de 2 000 euros.
Etant observé que l’arrêté du 26 février 2016 ne contient pas d’articles A. 444-15, A. 444-31 et A. 444-32, il n’y a pas lieu de dire que ‘les sommes retenues par l’huissier de justice en application de ces textes seront à la charge de la partie condamnée aux dépens’, mais il sera précisé que les sommes retenues par le commissaire de justice qui pourrait être chargé de l’exécution forcée de la présente décision seront à la charge, tantôt du débiteur, tantôt du créancier, conformément à ce qui est indiqué aux articles A. 444-15, A- 444-31 et A- 444-32 du code de commerce, auxquels rien ne justifie de déroger.
Il n’y a pas lieu non plus d’inclure dans les dépens le coût des lettres recommandées avec accusé de réception, qui n’est pas pas compris dans les dépens limitativement énumérés par l’article 695 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision entreprise, seulement en ce qu’elle a déclaré la société La Pression du tonneau recevable en son opposition et rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Brunet tirée d’une résistance abusive du maître de l’ouvrage,
L’infirme pour le surplus de ses dispositions critiquées,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne la société La Pression du tonneau à payer à la société Brunet, à titre de dommages et intérêts, la somme de 32 831 euros, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
Dit que les intérêts seront le cas échéant capitalisés annuellement selon les modalités de l’article 1343-2 du code civil, à compter de ce jour,
Condamne la société La Pression du tonneau à payer à la société Brunet la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de la société La Pression du tonneau formée sur le même fondement,
Condamne la société La Pression du tonneau aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais de la procédure d’injonction de payer (coût de la requête 35,21€ et coût de signification de l’ordonnance 87,83 €), mais non le coût des lettres recommandées, ou encore les sommes le cas échéant retenues par le commissaire de justice chargé de l’exécution forcée de la présente décision, qui seront supportées ainsi qu’il est indiqué aux articles A. 444-15, A- 444-31 et A- 444-32 du code de commerce.
Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT