Déclaration de créances : 14 juin 2023 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 20/01108

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Déclaration de créances : 14 juin 2023 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 20/01108
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14 juin 2023
Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion
RG n°
20/01108

ARRÊT N°23/

FA

R.G : N° RG 20/01108 – N° Portalis DBWB-V-B7E-FMM3

S.A.S. CAP

C/

S.C.I. SCI LOCATE ET FILS

SELARL Elise de LAISSARDIERE

RG 1ERE INSTANCE : 19/00047

COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS

ARRÊT DU 14 JUIN 2023

Chambre commerciale

Appel d’une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-PIERRE en date du 24 AVRIL 2020 RG n° 19/00047 suivant déclaration d’appel en date du 20 JUILLET 2020

APPELANTE :

S.A.S. CAP

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentant : Me Mathieu GIRARD de la SELARL HOARAU-GIRARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMEE :

S.C.I. LOCATE ET FILS

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Norman SULLIMAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

PARTIE INTERVENANTE :

SELARL Elise de LAISSARDIERE es qualités d’administrateur judiciaire de la société CAP

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Mathieu GIRARD de la SELARL HOARAU-GIRARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

CLOTURE LE : 31/10/2022

DÉBATS : En application des dispositions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Avril 2023 devant la cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère

Conseiller : Monsieur Franck ALZINGRE, Conseiller

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 14 Juin 2023.

Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 14 Juin 2023.

* * *

LA COUR

FAITS ET PROCEDURE

Le 10 février 2015, la SAS Cap (ci-après désignée la SAS) a vendu son fonds de commerce de vente d’habillage, sis [Adresse 3] à [Localité 5], à la société Littal pour la somme de 65.000 euros.

Par acte du 10 mars 2015, la SCI Locate (ci-après désignée la SCI), propriétaire des locaux exploités par le fonds de commerce et créancier inscrit sur le fonds d’une dette de 65.455,43 euros, a formé opposition sur le prix de vente du fonds puis, par acte du 23 mars 2015, a notifié à la SAS Cap une réquisition de surenchère en application des dispositions de l’article L.141-19 du code de commerce dans sa version applicable au litige.

Par jugement du 10 novembre 2015, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre a validé la surenchère, commis le président de la chambre des notaires pour procéder à la vente aux enchères publiques du fonds et fixé la mise à prix à la somme de 70.000 euros.

Le jugement n’a pas été exécuté.

La société Littal a été placée en redressement judiciaire le 5 avril 2016 puis en liquidation judiciaire le 31 mai 2016, la SELARL [J] ayant été désignée successivement mandataire puis liquidateur.

Par jugement du 17 août 2016, le tribunal de commerce de Saint-Denis a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la SAS ; un plan de sauvegarde a ensuite été adopté.

Par acte d’huissier du 17 décembre 2018, la SAS a assigné la SCI devant le tribunal mixte de commerce de [Localité 5] aux fins de la voir condamnée à lui verser la somme de 70.000 euros qu’elle n’a pas payée alors qu’elle a repris le fonds de commerce, outre 10.000 euros de dommages-intérêts pour comportement abusif.

Par jugement du 24 avril 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre a :

– déclaré recevable mais mal fondée l’action de la SAS ;

– l’a déboutée de l’ensemble de ses prétentions;

– l’a condamnée à verser à la SCI la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles;

– débouté la SCI du surplus de ses prétentions;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire;

Condamné la SAS aux dépens.

* * *

Par déclaration du 20 juillet 2020 au greffe de la cour d’appel, la SAS a formé appel du jugement.

L’affaire a été orientée à la mise en état, suivant ordonnance rendue le 23 juillet 2020.

La déclaration d’appel a été signifiée le 29 juillet 2020, et la SCI a constitué avocat le 31 juillet suivant.

Le 14 octobre 2020, l’appelante a notifié par RPVA ses premières conclusions auxquelles l’intimée a répondu selon les mêmes formes le 11 janvier 2021.

Le 21 juin 2021, le conseiller de la mise en état a clôturé l’instruction et renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience collégiale du 3 novembre 2021.

Par arrêt mixte du 9 février 2022, la cour de céans a statué en ces termes :

-CONFIRME le jugement entrepris ayant écarté la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée ;

-RESERVE le surplus des demandes et les dépens ;

Avant dire droit,

-INVITE les parties à conclure sur les points soulevés par la cour dans les motifs de la présente décision et à produire les pièces sollicitées avant le 2 mars 2022 ;

-RENVOIE l’affaire et les parties à l’audience de mise en état du 21 mars 2022 à 14 heures.

L’appelante a notifié par RPVA ses dernières conclusions le 27 septembre 2022, tandis que l’intimée y avait procédé par RPVA le 1er mars 2022.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 31 octobre 2022 et, a renvoyé l’affaire à l’audience collégiale du 5 avril 2023 pour être plaidée.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Avec la SELARL Elise de Laissardiere intervenue volontairement à l’instance comme commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde, l’appelante demande à la cour, selon dernières conclusions datées du 27 septembre 2022, de :

VU l’article 480 du code de procédure civile ;

-CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la SCI LOCATE de sa fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée ;

VU l’article L.141-19 et les articles L143- 13 et 14 du code de commerce en vigueur au 10 février 2015, date de la cession du fonds de commerce par la SAS à la société LITTAL ;

-INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la SAS de l’intégralité de ses demandes ;

Et, statuant à nouveau,

-JUGER que la SCI a incontestablement commis une faute en ne diligentant pas auprès du notaire désigné la procédure d’adjudication publique ordonnée à sa demande par le jugement du tribunal mixte de commerce du 10 novembre 2015, lequel était devenu définitif et en intervenant au contraire auprès du notaire pour qu’il ne donne pas suite à la vente aux enchères, afin de récupérer le local dans lequel se trouvait le fonds de commerce, causant ainsi la disparition de ce fonds ; -JUGER que par suite la SCI est entièrement responsable du préjudice causé à la SAS par l’absence de vente aux enchères de son fonds de commerce à savoir la non perception du prix de l’adjudication qui aurait permis un désintéressement total ou partiel de certains de ses créanciers inscrits ou privilégiés ;

-CONDAMNER en conséquence la SCI à payer à la SAS les indemnités suivantes :

70.000 euros au titre de son préjudice financier de privation de la perception de tout prix de vente de son fonds de commerce ;

7.000 euros au titre de son préjudice financier distinct de manque à gagner de trois années d’exploitation ;

10.000 euros au titre de l’important préjudice moral causé par la mauvaise foi et les man’uvres illégales de la SCI ;

-CONDAMNER la SCI à payer à la SAS une indemnité de 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

-CONDAMNER la SCI aux entiers dépens, de première instance et d’appel.

En réponse, l’intimée sollicite de la cour de:

Vu les articles L. 141-19 et suivants, L. 143-13 et L.143-14 du code de commerce (dans leur version applicable aux faits de l’espèce) ;

Vu l’article 1240 du code civil ;

Vu les pièces versées aux débats ;

Vu la jurisprudence ;

-REJETANT toutes fins, moyens et conclusions contraires ;

-CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 avril 2020 par le tribunal judiciaire de Saint-Pierre ;

-DECLARER la SAS irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l’en débouter ;

-CONDAMNER la SAS à payer à la SCI la somme de 6.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

-CONDAMNER la SAS aux entiers dépens.

* * *

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l’exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi « Macron », a supprimé le droit de surenchère du sixième. Son article 107, I, 9° dispose que ‘Les deuxième à dernier alinéas de l’article L. 141-19 sont supprimés’.

À défaut de disposition transitoire précisant les conditions d’entrée en vigueur de ce texte, il y a lieu d’admettre que la modification s’applique aux ventes définitivement conclues à compter du lendemain de la publication de la loi, soit à partir du 8 août 2015. Ce n’est pas l’hypothèse à retenir pour la présente affaire, les textes à appliquer seront donc ceux en vigueur au jour de la cession du fonds de commerce, autrement dit le 10 février 2015.

Sur la fin de non-recevoir

Pendant que l’appelante sollicite de voir confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté l’intimée de sa fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, l’intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, ce qui signifie qu’elle n’entend pas remettre en cause la position des premiers juges sur ce point. Dès lors, il y a lieu de considérer que la cour n’est pas saisie de cette question, ce d’autant plus qu’elle a été définitivement tranchée par l’arrêt mixte du 9 février 2022, ce dernier n’ayant pas au demeurant été contesté.

Sur la faute alléguée de l’intimée et le préjudice subi par l’appelante

L’appelante fait grief à la SCI d’avoir fait échec à la vente du fonds de commerce puis de ne pas avoir mis en ‘uvre, de mauvaise foi, le jugement de surenchère qu’elle a obtenu. Cela constitue une violation de l’article L. 141-14 du code de commerce aux termes duquel la diligence de la procédure de vente aux enchères est mise à la charge du surenchérisseur ‘ ce dernier ayant l’obligation de mener à son terme la procédure, il peut même être le cas échéant adjudicataire. La SCI ne peut en imputer la faute au liquidateur ou au notaire désigné, jamais saisi par la SCI. Elle soutient, au contraire, que la SCI est à l’origine de l’abandon de la procédure de surenchère (elle s’est désistée), comme en témoignent ses échanges avec le liquidateur judiciaire, M° [J], qui propose d’abandonner toute procédure au titre de la surenchère en raison des difficultés engendrées, notamment vis à vis des salariés. La SCI doit également être tenue pour responsable de la disparition du fonds par remise en location du local dans l’état dans lequel il se trouvait.

Pour ce qui est du préjudice, l’appelante expose que l’absence de désintéressement d’une partie de ses créanciers par l’appréhension du prix lui cause un préjudice certain. En outre, son préjudice est certain et définitif dès lors que le fonds a disparu alors que jusqu’au 31 mai 2016 l’activité y était maintenue, étant souligné que la société Littal aurait dû normalement devenir adjudicataire sans la procédure entamée par la SCI.

À l’appui de ses prétentions, l’intimée fait valoir que les conditions requises pour voir engager sa responsabilité (à savoir la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité) ne sont pas réunies.

Tout d’abord, elle affirme n’avoir commis aucune faute, et se dit totalement étrangère à la non-réalisation de la vente aux enchères autorisée par jugement du 10 novembre 2015. Ainsi, elle explique ne pas s’être désistée de la surenchère et avoir fait usage de l’article L. 141-19 du code de commerce ‘ lequel prévoit la possibilité d’une surenchère du sixième ‘ mais aussi que l’exécution du jugement ordonnant la vente aux enchères n’était pas à sa charge mais à celle du président de la chambre des notaires, après remise des informations pertinentes par la SAS Littal. C’est le notaire désigné qui n’a manifestement pas agi et qui en serait responsable. Contrairement à ce qu’allègue l’appelante, un notaire était saisi quoiqu’il en soit. Elle ajoute que c’est le liquidateur de la SAS Littal qui a seul pris la décision de procéder aux opérations de réalisation d’actifs, de résilier le bail et de restituer le local au bailleur. Elle estime ainsi que le fonds de commerce a disparu du seul fait du liquidateur judiciaire de la société Littal. Elle conteste toute intervention auprès du notaire ou du liquidateur pour faire échec à la surenchère.

Ensuite, elle estime que le préjudice n’est pas établi ‘ il n’est pas direct, actuel et certain – dès lors qu’elle n’aurait pas pu recouvrer le montant de la vente du fonds sans désintéressement préalable des créanciers ayant gagé le fonds et, qu’il n’est pas certain qu’elle ait pu percevoir ne serait-ce qu’une partie du prix. S’agissant du manque à gagner sur trois années, l’intimée souligne qu’aucun élément n’est produit à cet effet. Pour le préjudice moral, elle rappelle qu’aucune man’uvre illégale n’est démontrée. Elle argue également que l’appelante ne démontre pas en quoi l’activité du fonds litigieux était à ce point spécifique qu’une clientèle aurait pu subsister au-delà du 31 mai 2016, date de la cessation de l’activité arrêtée par le jugement ayant converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire ; que le fonds litigieux a cessé d’exister entre les mains de la société Littal puisque la surenchère du sixième ne rend pas le créancier surenchérisseur propriétaire du fonds et seule l’adjudication consécutive à la surenchère entraîne la résolution de la vente initiale ‘ autrement dit, le fonds disparu n’est pas celui de la SAS, mais bien celui de la société Littal. Encore, elle souligne que par l’effet du report de l’opposition (formée initialement sur le prix de cession du fonds et qui est d’un montant supérieur au prix de cession du fonds) sur l’adjudication, la SAS n’aurait de toute façon rien perçu. Pour finir, elle rappelle que la SAS ne démontre pas avoir fait une déclaration de créance au titre de la procédure collective de la société Littal, de telle manière qu’elle ne peut demander réparation au titre d’une créance prescrite.

Sur ce,

L’article 1382 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Le deuxième alinéa de l’article L. 141-19 du code de commerce, dans sa version applicable au litige, renvoie aux articles L. 143-13 à L. 143-15 du code de commerce pour les formes à observer quand il s’agit d’une surenchère du sixième. Il en résulte que les formalités à accomplir sont en principe les mêmes qu’il s’agisse d’une surenchère du sixième ou d’une surenchère du dixième.

L’article L. 141-19 du code de commerce, en ses alinéas 2 et 3, prévoit l’hypothèse d’une surenchère du sixième du prix principal du fonds de commerce : « Pendant les vingt jours qui suivent la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales prévue à l’article L. 141-12, une copie authentique ou l’un des originaux de l’acte de vente est tenu, au domicile élu, à la disposition de tout créancier opposant ou inscrit pour être consulté sans déplacement.

Pendant le même délai, tout créancier inscrit ou qui a formé opposition dans le délai de dix jours fixé par l’article L. 141-14 peut prendre, au domicile élu, communication de l’acte de vente et des oppositions et, si le prix ne suffit pas à désintéresser les créanciers inscrits et ceux qui se sont révélés par des oppositions, au plus tard dans les dix jours qui suivent la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales prévue à l’article L. 141-12, former, en se conformant aux prescriptions des articles L. 141-14 à L. 141-16 une surenchère du sixième du prix principal du fonds de commerce, non compris le matériel et les marchandises. La surenchère du sixième n’est pas admise après la vente judiciaire d’un fonds de commerce ou la vente poursuivie à la requête d’un administrateur judiciaire ou d’un mandataire judiciaire, ou de copropriétaires indivis du fonds, faite aux enchères publiques et conformément aux articles L. 143-6 et L. 143-7, ou selon les dispositions de l’article L. 642-5.

L’officier public commis pour procéder à la vente doit n’admettre à enchérir que des personnes dont la solvabilité lui est connue, ou qui ont déposé soit entre ses mains, soit à la Caisse des dépôts et consignations, avec affectation spéciale au paiement du prix, une somme qui ne peut être inférieure à la moitié du prix total de la première vente, ni à la portion du prix de ladite vente stipulée payable comptant, augmentée de la surenchère. L’adjudication sur surenchère du sixième a lieu aux mêmes conditions et délais que la vente sur laquelle la surenchère est intervenue.

Si l’acquéreur surenchéri est dépossédé par suite de la surenchère, il doit, sous sa responsabilité, remettre les oppositions formées entre ses mains à l’adjudicataire, sur récépissé, dans la huitaine de l’adjudication, s’il ne les a pas fait connaître antérieurement par mention insérée au cahier des charges. L’effet de ces oppositions est reporté sur le prix de l’adjudication. »

Aux termes de l’article L. 143-14 du code de commerce, dans sa version en vigueur à la date de cession du fonds de commerce, « A partir de la signification de la surenchère, l’acquéreur, s’il est rentré en possession du fonds, en est de droit administrateur séquestre et ne peut plus accomplir que des actes d’administration. Toutefois, il peut demander au tribunal de commerce ou au juge des référés, suivant les cas, à tout moment de la procédure, la nomination d’un autre administrateur. Cette demande peut également être formée par tout créancier. Le surenchérisseur ne peut, même en payant le montant de la soumission, empêcher par un désistement l’adjudication publique, si ce n’est du consentement de tous les créanciers inscrits. Les formalités de la procédure et de la vente sont accomplies à la diligence du surenchérisseur et, à son défaut, de tout créancier inscrit ou de l’acquéreur, aux frais, risques et périls du surenchérisseur et sa caution restant engagée, selon les règles prescrites par les articles L. 143-4, L. 143-5 à L. 143-7 et par le troisième alinéa de l’article L. 143-10. A défaut d’enchère, le créancier surenchérisseur est déclaré adjudicataire. »

De l’ensemble, il en résulte que la surenchère du sixième permet la remise en question de la vente du fonds de commerce et, le cas échéant, l’éviction rétroactive de l’acheteur au profit d’un tiers. Aussi est-il admis qu’une fois le jugement de validité rendu, ce dernier profite à tous les créanciers ‘ chacun d’entre eux pouvant surenchérir – et le créancier surenchérisseur ne peut plus empêcher par un désistement l’adjudication publique sauf à démontrer l’existence d’un consentement de tous les créanciers inscrits. Autrement dit, la vente forcée doit se tenir sauf cas très limité et encadré.

Au cas d’espèce, pour les locaux situés à Saint-Pierre sis [Adresse 3] dont la SCI est propriétaire, le tribunal de grande instance de Saint-Pierre a, suivant jugement en date du 19 juillet 1996, jugé que le locataire alors en place bénéficiait d’un bail commercial, et ce depuis le 1er juillet 1994. Ce bail a été cédé à la SAS par acte notarié du 20 janvier 2000 et, portait cession de fonds de commerce. Par acte sous seings privés en date du 10 février 2015, la SAS a cédé ce fonds à la société Littal.

Le 10 mars suivant, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre a autorisé la vente aux enchères du fonds de commerce.

Suivant acte du 23 mars 2015, la SCI bailleresse a notifié une réquisition de surenchère du sixième et assigné la SAS et la société Littal devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre lequel a, par jugement rendu le 10 novembre 2015, validé la surenchère et qu’il serait procédé à la vente aux enchères du fonds devant officier ministériel sur le montant d’une mise à prix de 70.000 euros. Aucun appel n’a été interjeté.

En premier lieu, l’appelante soutient que la SCI a abandonné la procédure de la vente aux enchères et s’appuie pour le démontrer sur deux courriers :

-le premier est adressé par son conseil au notaire désigné, le 18 mai 2016 ; il est alors rappelé à l’officier ministériel que le jugement du 10 novembre 2015 est assorti de l’exécution provisoire et que rien ne s’oppose à la vente étant précisé que le redressement judiciaire de la société Littal est indifférent ;

– le second est envoyé le 3 juin 2016 par le mandataire liquidateur de la société Littal, M° [J], à l’avocat de l’intimée ; il y est fait état de difficultés liées à la mise en ‘uvre de la surenchère et de la possibilité d’abandonner toute procédure au titre de la surenchère : « En tout état de cause, si votre cliente souhaite uniquement récupérer le local, je vous propose plutôt d’abandonner toute procédure au titre de la surenchère. Je procéderai aux opérations de réalisation d’actifs, résilierai le bail et restituerai la jouissance du local par la remise des clés à votre cliente. Vous voudrez bien m’adresser la réponse de votre cliente dans vos tous meilleurs délais. »

L’appelante en déduit la caractérisation d’un comportement fautif de la part de l’intimée.

Or, non seulement un éventuel abandon des poursuites n’est pas en soi une notion susceptible d’emporter des effets juridiques, mais aussi et surtout, il ne peut être assimilé à un acte de désistement qui s’avère être le seul moyen légal de voir interrompue la procédure d’adjudication. En effet, de manière générale, le désistement requiert un acte positif et non pas seulement une abstention et, de manière spécifique en lien avec le cas visé par l’article L. 143-14 du code de commerce précité, il est nécessaire de prouver le consentement des créanciers inscrits. Aucun élément n’est développé à ce sujet, alors même que pour justifier de son préjudice l’appelante y fait référence.

Aussi, toute idée d’un désistement doit être écartée, la mauvaise foi arguée par l’appelante étant ici inopérante.

En second lieu, l’appelante invoque l’existence d’une obligation pour le créancier surenchérisseur d’avoir à poursuivre la procédure, en se fondant sur l’article L. 143-14 du code de commerce : « (…) Les formalités de la procédure et de la vente sont accomplies à la diligence du surenchérisseur et, à son défaut, de tout créancier inscrit ou de l’acquéreur, aux frais, risques et périls du surenchérisseur et sa caution restant engagée, selon les règles prescrites par les articles L. 143-4, L. 143-5 à L. 143-7 et par le troisième alinéa de l’article L. 143-10. A défaut d’enchère, le créancier surenchérisseur est déclaré adjudicataire. »

La cour observe que les termes employés par le législateur ne font nullement état d’une telle obligation. La Cour de cassation abonde d’ailleurs en ce sens après avoir jugé qu’en cas de défaut du surenchérisseur dans la poursuite de la procédure, les formalités de la procédure et de la vente seront accomplies à la diligence de tout créancier inscrit ou de l’acquéreur, aux frais, risques et périls du surenchérisseur et sa caution restant engagée (Cass. com., 8 juill. 1958 : Bull. civ. 1958, III, n° 219 ; Cass. com., 6 déc. 1961 : Bull. civ. 1961, III, n° 465), reconnaissant ainsi si ce n’est une alternative du moins une possibilité.

De cette possibilité, il est manifeste que la SAS Littal ne s’est pas saisie.

En outre, en décidant dans son dispositif, après avoir « validé la surenchère formée par la SCI (…) », « dit qu’il sera procédé à la vente aux enchères publiques de ce fonds, avec le matériel et les marchandises qui en dépendent, et commet pour y procéder Monsieur le président de la chambre des notaires, ou tout membre de celle-ci qu’il se substituera » ou encore « fixé la mise à prix à 70.000 euros », que « la vente interviendra aux mêmes conditions et délais que la vente du 10 février 2015 sur laquelle la surenchère est intervenue », le tribunal a entendu se référer à l’acte de cession. Si ce n’est que ce simple renvoi s’est révélé insuffisant, et ce en dépit même de l’exécution provisoire. Cette absence de délai, clairement établi, explique la longueur de la procédure dont s’est légitimement ému à plusieurs reprises par courriers le représentant de la SAS auprès du notaire désigné, Maître [F] [G].

Reste malgré tout que des échanges de courriers montrent que le notaire avait valablement commencé son travail et qu’un désaccord était survenu avec la SAS à compter de juin 2016 pour l’établissement du cahier des conditions de la vente :

-Dans un courrier du 18 octobre 2016, portant pour objet « Adjudication fonds de commerce SAS CAP / SAS LITTAL ‘ 180712/1B/PV/GD) », l’officier ministériel répondait au conseil de la SAS en ces termes : « Cher Maître, Je reviens vers vous suite à votre dernier courrier en date du 17 octobre 2016. Je vous confirme que nous avions bien réceptionné le certificat de non-appel en date du 23 juin 2016 relatif au jugement rendu le 10 novembre 2015. C’est le certificat de non-appel relatif à la décision rendue par le juge des loyers commerciaux en date du 11 mai 2016 que je me permettais de vous réclamer dans mon dernier courrier en date du 13 octobre 2016. Je vous précise que dans un courrier en date du 23 juin 2016 dont vous trouverez copie ci-jointe, vous aviez indiqué avoir sollicité la cour d’appel de Saint-Denis afin d’obtenir ce certificat de non-appel. Dans le cadre de l’établissement du cahier des conditions de la vente, nous devons détailler le droit au bail qui constitue un élément du fonds et, par conséquence, préciser le montant actuel du loyer, lequel a justement fait l’objet de la décision rendue par le juge des loyers commerciaux en date du 11 mai 2016. Vous remerciant par avance pour votre retour » ;

-En réponse, dans un courrier daté du 20 octobre 2016, le conseil de SAS interpelle le notaire : « (‘) Vous mélangez tout, le courrier du 23 juin concernait le CNA du jugement de surenchère. Il n’y a aucun CNA à demander à ce jour pour le JLC. Ce jugement des loyers commerciaux et ce certificat de non-appel n’est pas nécessaire (‘) ».

Dès lors, il apparaît clairement que la SCI ne peut être tenue pour responsable de circonstances en grande partie indépendantes de sa volonté, et qu’aucun comportement fautif n’est suffisamment caractérisé. Le débat sur son éventuelle mauvaise foi étant inopérant de ce point de vue.

S’agissant du préjudice subi par l’appelante, celle-ci ne démontre pas en quoi la disparition du fonds de commerce, objet de la vente, serait due aux agissements de la SCI.

En effet, la cour rappelle que la surenchère du sixième sur un fonds de commerce ne rend pas le surenchérisseur propriétaire et que, par conséquent, les risques ne sont point à sa charge et que ce n’est pas pour lui que périt le fonds surenchéri.

De manière concordante, l’article L. 143-14 du code de commerce précité dispose qu’à partir de la signification de la surenchère, l’acquéreur, s’il est entré en possession du fonds, en est de droit administrateur séquestre et ne pourra plus accomplir que des actes d’administration – toutefois, il pourra demander au tribunal de commerce ou au juge des référés, suivant les cas, à tout moment de la procédure, la nomination d’un autre administrateur ; cette demande peut également être formée par tout créancier.

Or, l’acte de cession signé le 10 février 2015 illustre cet article. Il prévoit en effet, en son article 1.5, que « le cessionnaire devient propriétaire du fonds de commerce et a la jouissance de tous les droits et prérogatives attachés à ce fonds, à compter de la signature des présentes ». Ainsi, s’il ne peut faire que des actes d’administration, l’acquéreur surenchéri (la société Littal) a, en revanche, l’obligation d’exploiter le fonds dans des conditions normales, sous peine d’être condamné à des dommages-intérêts à l’égard des créanciers du vendeur dont le gage serait diminué par son inertie.

En conséquence, les conditions aux fins de voir engagée la responsabilité extra contractuelle de l’intimée ne sont pas réunies, et la décision des premiers juges sera donc confirmée en toutes ses dispositions, en ce compris les dispositions accessoires.

Sur les demandes accessoires

L’équité commande de condamner l’appelante à payer à l’intimée la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’appelante sera également condamnée aux entiers dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 avril 2020 par le tribunal mixte de commerce de [Localité 5],

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Cap à payer à la SCI Locate et fils la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS Cap aux entiers dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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