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14 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
18/07983
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRÊT DU 14 JUIN 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/07983 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5QYW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Novembre 2016 -Tribunal de Grande Instance de MELUN – RG n° 15/00378
APPELANTE
Mme [C] [D] épouse [X]
née le 5 février 1962 à [Localité 9]
Nationalité: française
Demeurant:
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assistée de Me Dominique NARDEUX de la SELARL SAULNIER NARDEUX MALAGUTTI ALFONSI, avocat au barreau de MELUN
INTIMEE
SCI SPAN, immatriculée au RCS de MELUN sous le numéro 450 962 824 prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité siège social:
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Agnès PANNIER de la SELEURL CABINET PANNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0387
PARTIES INTERVENANTES :
S.C.I. DE PARIS immatriculée au RCS de CRETEIL sous le numéro 828 092 353 prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité siège social:
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
SELARL ARCHIBALD immatriculée au RCS de MELUN sous le numéro 453 758 567 prise en la personne de Maître [O] [V], en qualité de Mandataire Judiciaire au Redressement Judiciaire de Madame [C] [X], domiciliés en cette qualité au siège social:
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assistée de Me Dominique NARDEUX de la SELARL SAULNIER NARDEUX MALAGUTTI ALFONSI, avocat au barreau de MELUN
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 Avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Nathalie RECOULES, Présidente de chambre
Douglas BERTHE, Conseiller
Marie GIROUSSE, Conseillère
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Nathalie RECOULES, Présidente.
Greffier, lors des débats : Laurène BLANCO
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Nathalie RECOULES, Présidente de chambre et par Mme Laurène BLANCO, Greffière présente lors de la mise à disposition.
Faits et procédure
Il ressort de l’arrêt rendu le 16 juin 2021 que la SCI Span a donné à bail à Mme [X] en 2005 des locaux à usage d’hôtel puis en 2007 des locaux à usage de bar, salle de réception.
Après avoir effectué d’importants travaux dans les lieux, Mme [X] a assigné la société Span aux fins notamment d’obtenir leur remboursement et de voir ordonner une expertise portant sur des désordres affectant le bâtiment.
Par jugement du 11 décembre 2012, le tribunal de grande instance de Melun a notamment condamné la société Span à payer à Mme [X] la somme de 20.453,16 euros au titre des travaux, condamné Mme [X] à payer à la société Span la somme de 70.482,06 euros sous réserve de la déduction de la provision de 50.000 euros déjà allouée par ordonnance du juge de la mise en état du 12 avril 2012 et ordonné la compensation des créances.
Par actes d’huissier de justice du 19 décembre 2013, la société Span a fait délivrer à Mme [X] deux commandements de payer visant la clause résolutoire pour chacun des baux puis, par acte des 12 et 24 mars 2014, a assigné Mme [X] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Melun qui, par ordonnance contradictoire rendue le 17 octobre 2014, a notamment constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 19 janvier 2014 et ordonné l’expulsion de la locataire. .
Par arrêt du 1er octobre 2015, la cour d’appel de Paris a rejeté l’exception de nullité soulevée par Mme [X] à l’encontre des deux commandements de payer délivrés le 19 décembre 2013 et confirmé l’ordonnance. Mme. [X] formera pourvoi contre cet arrêt et, par arrêt en date du 20 septembre 2018, rendu sur renvoi après cassation, la cour de céans a infirmé l’ordonnance de référé rendue le 17 octobre 2014.
Cependant, par acte d’huissier en date du 21 juin 2016, le bailleur a fait signifier à Mme [X] un procès-verbal d’expulsion.
Par jugement du 8 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Melun a, notamment, débouté Mme [X] de sa demande de nullité des commandements de payer qui lui ont été délivrés le 19 décembre 2013, de ses demandes en réintégration dans les locaux objets des baux des 3 juin 2005 et 3 juillet 2007, d’indemnisation de la perte de son fonds de commerce et condamné Mme [X] à payer à la société Span la somme de 108.329,58euros.
Mme [X] a interjeté appel de cette décision. L’affaire sera radiée en raison de l’inexécution par l’appelante du jugement attaqué.
Par jugement du 13 décembre 2017, le tribunal de commerce de Melun a placé Mme [X] en redressement judiciaire, la SELARL Archibald ayant été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
L’affaire a été réinscrite au rôle le 27 avril 2018.
Par arrêt mixte en date du 18 septembre 2019, la cour d’appel a notamment reçu la SELARL Archibald en son intervention volontaire, enjoint à la SCI Span de produire aux débats sa déclaration de créance ainsi que la décision du tribunal de commerce prononçant le relevé de sa forclusion et, sur les compte à faire entre les parties, prononcer une mesure de consultation confiée à Me [N] [J] avec mission de proposer un compte locatif entre les parties, en distinguant les loyers et charges dus pour chacun des deux baux, à compter du 2 mai 2012 pour l’hôtel et du 21 avril 2012 pour le restaurant, compte-tenu des termes du jugement du tribunal de grande instance de Melun en date du 11 décembre 2012, qui a condamné Mme [X] à payer à la SCI Span une somme de 70.482,06 euros, au titre des deux baux, arrêtée au 1er mai 2012 pour l’hôtel et au 20 avril 2012 pour le restaurant, et ordonné une compensation de cette dette avec la condamnation de la SCI Span à payer à Mme [X] une somme de 20.453,16 euros.
Suite au dépôt du rapport de M. [J] le 6 avril 2020, la cour a, par arrêt en date du 16 juin 2021, notamment, confirmé le jugement du 13 décembre 2017en ce qu’il a débouté la SCI Span de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, l’a infirmé pour le surplus et, statuant à nouveau et y ajoutant, condamné la SCI Span à payer à Mme [X] représentée par son mandataire liquidateur, une somme de 1.477,50 euros, au titre du trop versé, débouté Mme [X] de sa demande tendant à lui voir déclarer inopposable la vente immobilière intervenue entre la SCI Span et la SCI de Paris et mis hors de cause la SCI de Paris, déclaré irrecevable la demande tendant au prononcé de la résiliation du bail pour un défaut de paiement des loyers antérieurs à l’ouverture de la procédure collective, constaté qu’il n’existe aucun titre fondant l’expulsion, dit qu’en vertu de l’article L.111-11 du code des procédures civiles d’exécution, la restitution s’effectuera par équivalence prenant en compte la perte des deux fonds de commerce et, avant dire-droit a ordonné une mesure d’expertise aux fins de voir estimer le montant du préjudice subi du fait de la perte du fonds de commerce, débouté Mme [X] de sa demande tendant à obtenir une somme de 2.430.000 euros au titre de la perte de son chiffre d’affaires pour l’hôtel et le restaurant pour les mois d’avril 2016 jusqu’à la fin de l’année 2020.
L’expert a déposé son rapport le 8 juillet 2022.
Par message RPVA en date du 25 octobre 2022, Mme [X] et la SEARL Archibald, appelantes ont signifié leurs conclusions en ouverture de rapport.
La SCI Span n’a pas conclu.
Par lettre en date du 5 avril 2023, le conseil de la SCI de Paris a rappelé que la SCI de Paris a été mise hors de cause aux termes de l’arrêt du 16 juin 2021, de ce fait, elle n’a pas participé aux opérations d’expertise.
Moyens et prétentions
Par conclusions déposées le 25 octobre 2022, Mme [D] épouse [X] et la SELARL Archibald en qualité de mandataire liquidateur, appelantes, demandent en substance à la cour de condamner la SCI Span à payer à Mme [X] le montant de l’indemnité d’éviction de ses deux fonds de commerce d’hôtel et de restaurant pour la somme totale de 1.790.000 euros, le montant des indemnités accessoires à l’indemnité d’éviction soit la somme de 266.000 euros, outre la la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à la déclaration d’appel et aux conclusions déposées.
SUR CE,
Sur le montant de l’indemnité compensatrice du préjudice résultant de la perte du fonds
Aux termes de l’article L.111-10 du code des procédures civiles d’exécution, « [‘] l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire à titre provisoire.
L’exécution est poursuivie aux risques du créancier. Celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié. »
En l’espèce, il est définitivement jugé, aux termes de l’arrêt de la cour de céans en date du 18 septembre 2019, que l’expulsion de Mme [X] des locaux donnés à bail par la SCP Span a été effectuée en exécution forcée d’un arrêt de la cour d’appel de Paris, confirmant une ordonnance de référé, alors frappée d’un pourvoi en cassation puis infirmé par l’arrêt de renvoi.
En absence de titre fondant la mesure d’expulsion, la cour de céans a, par arrêt en date du 16 juin 2021, dit qu’en application des dispositions de l’article susvisé, Mme [X] avait droit à restitution, laquelle devait s’effectuer par équivalence en raison de l’impossibilité de réintégrer les lieux, et dit que cette réparation serait calculée comme en matière d’indemnité d’éviction pour perte de fonds de commerce.
Sur l’indemnité principale
Il est définitivement jugé que l’éviction de Mme [X] a entraîné la perte de son fonds de commerce et, qu’en conséquence, l’indemnité d’éviction principale doit être estimée en fonction de la valeur marchande du fonds de commerce.
L’expert a relevé que l’emplacement au sein duquel sont situés l’hôtel et le bar-restaurant présente les caractéristiques d’un emplacement de grande banlieue, entre deux zones commerciales, sans prestige particulier, situé en bordure d’une voie principale très passante et, de ce fait, bien desservi, visant une clientèle de passage.
L’expert décrit un restaurant ample, composé de trois salles modulables et un hôtel composé de 42 chambres, de confort simple avec des équipements standard. Concernant l’activité, il rappelle que le restaurant est doté d’une licence IV, ouvert tous les jours et proposant plusieurs formules, que l’hôtel classé 2 étoiles est à vocation sociale avec une clientèle fournie par une agence d’hébergement. En revanche, l’établissement n’est pas conforme aux normes d’accessibilité PMR.
S’agissant de l’évaluation du fonds de commerce, compte-tenu d’un événement extérieur à la gestion des lieux mais ayant impacté l’activité du restaurant sur l’année 2016, les parties s’accordent à raisonner sur les chiffres d’affaires 2011 à 2013.
Des données comptables fournies, l’expert relève notamment :
sur l’année 2011, un chiffre d’affaires HT pour le restaurant la somme de 121.272 € et pour l’hôtel celle 577.403 € – un E.B.E de 151.869 € ;
sur l’année 2012, un chiffre d’affaires HT pour le restaurant la somme de 118.938 € et pour l’hôtel celle 590.460 € – un E.B.E de 128.028 € ;
sur l’année 2013, un chiffre d’affaires HT pour le restaurant la somme de 97.625 € et pour l’hôtel celle 595.414 € – un E.B.E de 112.834 € ;
sur l’année 2014, un chiffre d’affaires HT pour le restaurant la somme de 50.512 € et pour l’hôtel celle 556.346 € – un E.B.E de 62.090 € ;
sur l’année 2015, un chiffre d’affaires HT pour le restaurant la somme de 30.066 € et pour l’hôtel celle 544.423 € – un E.B.E de 85.626 €.
Concernant la valorisation des fonds de commerce dans la branche restauration, les pourcentages de chiffre d’affaires usuellement retenus se situent entre 46% et 190 % du CA TTC. En l’espèce, il considère que, s’agissant d’un restaurant moyennement situé, dont la clientèle captive est celle des zones commerciales alentour et de passage, se classant selon les tarifs pratiqués dans une gamme moyenne avec Licence IV, supposé correctement équipé mais connaissant une baisse d’activité conséquente sur les années de référence, il peut être raisonné sur un taux de 70% du CA moyen hors taxes des trois dernières années.
Concernant la valorisation du fonds de commerce dans la branche hôtel, l’expert expose qu’elle s’estime traditionnellement par un multiple du chiffre d’affaires variant dans une fourchette comprise entre 2 et 5. En l’espèce, s’agissant d’un hôtel de moyenne localisation situé sur une artère de passage, de bonne capacité, à dominante sociale, avec travaux de mises au normes à faire, il propose de raisonner sur un multiple de trois fois le chiffre d’affaires moyen hors taxes des 3 derniers exercices 2013 à 2015.
Observations faîtes, l’appelante ne conteste finalement pas ces propositions.
Il en ressort une valorisation :
pour le restaurant de 112.612 € x 70% = 78.828 € arrondi à 80.000 euros ;
pour la licence IV, une indemnisation forfaitaire de 10.000 euros ;
pour l’hôtel de 565.394 € x 3 = 1.696.182 € arrondi à 1.700.000 euros
Soit, au total, une indemnité principale de la somme de 1.790.000 euros qui sera retenue par la cour.
Sur les indemnités accessoires
Frais de remploi ou d’agence :
Ces frais comprennent les frais et droits de mutation que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller.
L’expert propose de retenir un pourcentage de 10% de la valeur vénale du fond de commerce, ce qui n’est pas contesté par l’appelante.
Ces frais s’élèvent donc à la somme de : 1.790.000 X 10% = 179.000 €
Frais de déménagement :
Comme le relève l’expert, aucune facture n’a été versée par Mme [X] au titre des frais qu’elle aurait engagés à ce titre alors que ce poste de préjudice est indemnisé sur justificatif.
En absence de pièce, ce poste de préjudice ne pourra donner lieu à indemnisation.
Trouble commercial :
Ce préjudice résulte, en l’espèce, du temps passé par la locataire pour obtenir réparation de son préjudice.
L’expert rappelle que ce poste d’indemnisation est généralement valorisé à 3 mois d’EBE et propose de retenir cette évaluation sur l’E.B.E moyen des exercices 2013 à 2015 soit :
(86.850 € x 3) / 12 = 21.712 €
Bien que l’appelante considère cette proposition inférieure à la réalité du temps passé à la défense de ses droits, elle ne conteste pas l’indemnité proposée.
La cour fera sienne ce montant.
Les frais d’agencement non amortis
En absence de données comptables sur ce point, l’expert n’a pas été en mesure de l’évaluer.
En absence de pièce, ce poste de préjudice ne pourra donner lieu à indemnisation.
Les frais divers
Ce poste vise à indemniser les frais juridiques et administratifs.
L’expert les évalue à la somme de 7.500 € que la cour retiendra.
Les frais de licenciement
L’expert évalue des frais, au regard de l’attestation comptable fournie, à la somme de 58.078 €, que la cour fera sienne.
La cour fixe le montant de l’indemnité d’éviction due par la SCI Span à Mme [X] à la somme de :
indemnité principale : 1.790.000 €
indemnités accessoires : 266.000 € (somme arrondi par l’exert et non contestée par l’appelante) ;
soit la somme de 2.056.290 euros.
Sur les demandes accessoires
La SCI Span sera condamnée à payer à Mme [X] la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et supportera la charge des dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Condamne la SCI Span à payer à Mme [C] [X] la somme de 2.056.290 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’expulsion ;
Condamne la SCI Span à payer à Mme [C] [X] la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la SCI Span à supporter la charge des dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE