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12 juillet 2023
Cour d’appel de Colmar
RG n°
22/03600
MINUTE N° 327/23
Copie exécutoire à
– Me Christine LAISSUE -STRAVOPODIS
– Me Laurence FRICK
Le 12.07.2023
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRET DU 12 Juillet 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 22/03600 – N° Portalis DBVW-V-B7G-H5TN
Décision déférée à la Cour : 23 Août 2022 par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MULHOUSE – 1ère chambre civile
APPELANTE :
S.C.I. MELISA
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
Représentée par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS, avocat à la Cour
INTIMEES :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL SAINT ANTOINE
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me PEGUET, avocat au barreau de STRASBOURG
S.E.L.A.R.L. HARTMANN & CHARLIER
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
non représentée, assignée par le commissaire de justice à personne habilitée le 04.01.2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 modifié du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Avril 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
– Réputé contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
– signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Selon acte notarié du 29 octobre 2007, la Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine a consenti à la SCI Melisa un prêt immobilier d’un montant de 700 000 euros.
Par jugement du 9 octobre 2017, la SCI Melisa a été mise en redressement judiciaire.
Le jugement du 8 octobre 2018, qui avait converti cette procédure en liquidation judiciaire, a été annulé par arrêt du 19 octobre 2019 de la cour d’appel de Colmar.
Par lettre du 25 octobre 2017, la Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine a déclaré sa créance. Le mandataire a, par lettre du 7 novembre 2018, informé le créancier d’une contestation du débiteur sur le montant de la créance et par lettre datée du 19 novembre 2018, le mandataire a reçu une réponse.
Par ordonnance du 20 décembre 2019, le juge-commissaire du tribunal de grande instance de Mulhouse a :
– déclaré régulière la déclaration de créance formée par la CCM Saint Antoine le 25 octobre 2017 à l’encontre de la SCI Melisa pour un montant de 466 228,59 euros, à titre privilégié, en ce non compris les intérêts en sus à compter du 10 octobre 2017,
– renvoyé les parties à mieux se pourvoir et invité la SCI Melisa à saisir la juridiction compétente pour trancher la contestation dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance, ou de la réception de l’avis délivré à cette fin, à peine de forclusion.
Un appel a été interjeté contre cette ordonnance, qui a été confirmée par arrêt du 21 juin 2021.
Par acte d’huissier de justice du 31 janvier 2020, la SCI Melisa a fait assigner la Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine et la Selarl Hartmann & Charlier en sa qualité de mandataire judiciaire, devant le tribunal judiciaire de Mulhouse aux fins de :
– rejet de la demande de la Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine de fixation de créances dans le cadre de la procédure collective dont elle fait l’objet,
– nullité de la déclaration de créance,
– déchéance du prêteur du droit aux intérêts pour erreur dans le TAEG,
– rejet de la créance comportant des intérêts conventionnels,
– indemnisation pour manquement de la Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine dans l’octroi des concours bancaires et manquement à une obligation de conseil et à un devoir de mise en garde.
La Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine a saisi le juge de la mise en état en invoquant la prescription de l’action en responsabilité.
Par ordonnance du 23 août 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mulhouse a :
– déclaré irrecevable l’action en responsabilité dirigée contre la Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine pour manquement à un devoir de mise en garde et manquement à une obligation d’information,
– condamné la SCI Melisa à payer à ladite Caisse la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté sa demande de ce chef,
– renvoyé les débats, pour le surplus, à l’audience de mise en état et dit que le sort des dépens de l’incident suivra celui de ceux au principal.
La SCI Melisa en a interjeté appel le 22 septembre 2022 par voie électronique.
Le 4 octobre 2022, la Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine s’est constituée intimée par voie électronique.
Par ordonnance du 3 janvier 2023, l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 3 avril 2023 et le greffe a émis le 3 janvier 2023, l’avis de fixation de l’affaire à bref délai.
Par acte d’un commissaire de justice délivré le 4 janvier 2023, à la requête de la SCI Melisa, la Selarl Hartmann & Charlier, a été assignée à comparaître devant la cour d’appel et lui a été signifiée la déclaration d’appel, son récapitulatif, les conclusions d’appel du 22 décembre 2022, l’ordonnance et l’avis de fixation et l’avis de convocation du 3 janvier 2023.
La SCI Melisa a transmis des conclusions datées du 20 décembre 2022, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le 22 décembre 2022, par lesquelles elle demande à la cour de :
– déclarer son appel recevable et bien fondé,
– infirmer l’ordonnance du 23 août 2022 du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MULHOUSE,
Et, statuant à nouveau :
Sur les exceptions soulevées par le Crédit Mutuel :
– prendre acte que le concours bancaire a été souscrit en octobre 2007, avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008,
– prendre acte que le Crédit Mutuel a entrepris des voies d’exécution et mise en oeuvre de l’hypothèque en 2016,
– prendre acte que le Crédit Mutuel a, par lettre du 1er mars 2016, prononcé la déchéance du terme,
– dire et juger que la prescription n’est pas acquise au regard du comportement du Crédit Mutuel, qui a trompé la SCI emprunteuse,
– débouter le Crédit Mutuel de l’ensemble de ses demandes,
En tout état de cause :
– condamner le Crédit Mutuel au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner le Crédit Mutuel aux entiers frais et dépens d’appel,
et ce, en soutenant que son action n’est pas prescrite, en faisant valoir, en substance, que :
– le concours bancaire a été conclu en octobre 2007 avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, et qu’elle disposait d’un délai plus long que le délai de 5 ans prévu par l’article 2224 du code civil et que la prescription n’était pas acquise au 17 juin 2008.
– l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 9 octobre 2017 a interrompu la prescription,
– le point de départ de la prescription court du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, que selon la jurisprudence concernant l’action en responsabilité du prêteur pour manquement au devoir de mise en garde, le délai de prescription court à compter de la date d’exigibilité des sommes que l’emprunteur n’est pas en mesure de payer, qu’il convient de se placer à l’époque où le créancier a engagé des voies d’exécution et a prononcé la déchéance du terme, invoquant à cet effet sa pièce 26, et a envoyé la lettre du 1er mars 2016, qu’elle produit en pièce 27, date qu’il convient de retenir comme point de départ.
La Caisse de Crédit Mutuel Saint Antoine a transmis des conclusions datées du 19 janvier 2023, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, outre un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation transmis par voie électronique le 27 mars 2023.
Par ces conclusions, elle demande à la cour de :
– déclarer l’appel mal fondé,
– rejeter l’appel,
– confirmer l’ordonnance entreprise,
– débouter la SCI Melisa de l’intégralité de ses fins et conclusions,
– condamner la SCI Melisa aux entiers frais et dépens,
– condamner la SCI Melisa à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
en faisant valoir, en substance, que :
– si le prêt a été contracté avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la SCI Melisa n’est pas autorisée à revendiquer un délai de prescription plus long que cinq ans, dès lors que selon les dispositions transitoires de cette loi, lorsque la durée de prescription est réduite, ce nouveau délai s’applique, mais à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle,
– le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde se situe au jour du premier incident de paiement, permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement,
– en l’espèce, le premier incident de paiement remonte en juillet 2013, ayant été contrainte de la sommer de régulariser la situation, à la suite de trois échéances partiellement ou entièrement impayées.
L’affaire a été appelée à l’audience du 3 avril 2023.
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l’article 455 du code de procédure civile, pour l’exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION :
Selon l’acte authentique du 29 octobre 2007, produit aux débats par la Caisse, la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Saint Antoine a consenti à la SCI Melisa un prêt de 700 000 euros.
Aux termes de l’article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
L’article 15 de la loi du 17 juin 2008 a réduit de dix à cinq ans le délai de la prescription des obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants.
Selon l’article 26 II de cette loi, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face. (Com., 25 janvier 2023, pourvoi n° 20-12.811).
En l’espèce, la Caisse produit en pièce 13 des conclusions de la société Melisa déposées pour l’audience de mise en état du 13 janvier 2022 et contenant, en page 5, la copie d’un extrait de compte du 1er avril 2014 relatant les opérations du 17 au 28 mars 2014. Y apparaît plus de huit débits au titre de remboursement d’impayés d’échéance du prêt 0300920152802, dont l’un indiqué comme étant ‘RB.IMP07/13′.
Alors que la Caisse invoque cette pièce au soutien de son affirmation selon laquelle il est incontestable qu’il résulte des propres écritures de l’appelante que le premier incident de paiement remonte au mois de juillet 2013 comme l’a relevé le premier juge, la SCI Melisa n’émet aucune contestation à cet égard.
Ainsi, le point de départ du délai de prescription doit être fixé au mois de juillet 2013, et ce sans qu’il y ait lieu de décaler ce point de départ au jour du prononcé de la déchéance du terme du prêt par la banque ou des voies d’exécution pratiquées par la banque.
A cette date, était déjà entrée en vigueur la loi du 17 juin 2008.
En outre, lorsqu’un débiteur fait l’objet d’une procédure collective, ce n’est pas l’ouverture de ladite procédure, mais la déclaration de créance à son passif, assimilée à une demande en justice, qui interrompt les délais de prescription pour agir à son encontre.
En revanche, ni l’ouverture de la procédure collective, ni la déclaration de créance du créancier n’interrompt le délai de prescription de l’action engagée par la personne mise en procédure collective à l’encontre de ce dernier, qu’elle estime être son débiteur.
En effet, en application de l’article 2241 du code civil, pour être interruptive de prescription, la demande en justice doit émaner du créancier lui-même et être adressée au débiteur que l’on veut empêcher de prescrire.
De plus, en principe l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, sauf lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première (Par ex. : 2ème Civ., 7 juillet 2022, pourvoi n° 20-21.294).
En l’espèce, le but de l’action de la banque et de celle de la SCI Melisa différèrent et l’action de la SCI Melisa n’est pas virtuellement comprise dans celle de la banque. Le débiteur, à savoir la SCI Melisa, ne peut donc pas bénéficier de l’interruption de prescription attachée à l’action en justice exercée à son encontre par son adversaire.
La banque soutient, comme l’a retenu le premier juge et sans que cela soit contesté par la SCI Melisa, que celle-ci a engagé son action en justice le 31 janvier 2020.
Dès lors, à cette date, le délai quinquennal de prescription ayant couru au moins depuis le mois de juillet 2013 était expiré.
Enfin, l’emprunteur n’explique pas en quoi la Caisse l’a trompé et n’est donc pas fondé à soutenir que la prescription n’est pas acquise au regard du comportement de la Caisse qui l’a trompée.
Il convient, dès lors, de confirmer l’ordonnance entreprise, y compris en ce qu’elle a statué sur les frais et dépens.
A hauteur d’appel, la SCI Melisa succombant, les dépens de l’instance d’appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
L’équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Les demandes de ce chef formées à hauteur d’appel seront rejetées.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mulhouse du 23 août 2022,
Y ajoutant,
Dit que les dépens de l’instance d’appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective,
Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière : la Présidente :