Déclaration de créances : 10 juillet 2023 Cour d’appel d’Orléans RG n° 20/02579

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Déclaration de créances : 10 juillet 2023 Cour d’appel d’Orléans RG n° 20/02579
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10 juillet 2023
Cour d’appel d’Orléans
RG n°
20/02579

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 10/07/2023

la SCP LAVAL – FIRKOWSKI

la SCP WEDRYCHOWSKI ET ASSOCIES

la SELARL ETHIS AVOCATS

ARRÊT du : 10 JUILLET 2023

N° : – : N° RG 20/02579 – N° Portalis DBVN-V-B7E-GIEY

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOURS en date du 24 Septembre 2020

PARTIES EN CAUSE

APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265263864513253

Monsieur [U] [Y]

né le 16 Juillet 1991 à [Localité 6]

[Adresse 7]

[Localité 4]

représenté par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau D’ORLEANS

E.A.R.L. [Adresse 8] prise en la personne de son représentant légal M.[K] [I] domicilié en cette qualité audit siège social

[Adresse 8]

[Localité 2]

représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau d’ORLEANS

E.A.R.L. LE PETIT VARNELLE prise en la personne de son représentant légal M. [F] [I] domicilié en cette qualité audit siège social

[Localité 3]

représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat postulant au barreau d’ORLEANS et par Me Christophe MOYSAN, avocat plaidant au barreau de TOURS

D’UNE PART

INTIMÉES : – Timbre fiscal dématérialisé N°:1265264705354843

S.A.S. CLOUE JEAN & FILS immatriculée au RCS de Châteauroux sous le n° 817 020 472

[Adresse 9]

[Localité 1]

ayant pour avocat postulant Me Ladislas WEDRYCHOWSKI de la SCP SCP WEDRYCHOWSKI ET ASSOCIES, avocat au barreau d’ORLEANS et ayant pour avocat plaidant Me Bénédicte ESQUELISSE de la SCP SOULIE COSTE-FLORET & AUTRES, avocat au barreau de PARIS

Timbre fiscal dématérialisé N°:1265265071965858

S.A.R.L. DEPLA prise en la personne de son représentant légal domicilié en

cette qualité audit siège.

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 5]

ayant pour avocat Me Benjamin COIRON de la SELARL ETHIS AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

D’AUTRE PART

DÉCLARATION D’APPEL en date du :10 Décembre 2020

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 20 mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, du délibéré :

Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.

Greffier :

Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.

DÉBATS :

A l’audience publique du 25 MAI 2023, à laquelle ont été entendus Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Prononcé le 10 JUILLET 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 20 mai 2015, l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [U] [Y] ont acheté en commun une moissonneuse-batteuse Case 2388 XC pour le prix de 70 000 euros HT soit 84 000 euros TTC à la SAS Depla.

Suite à des dysfonctionnements, la moissonneuse-batteuse a fait l’objet de réparations par la société Cloué Jean & Fils, sous-traitant de la société Depla.

En raison de la persistance de désordres, les acquéreurs ont sollicité une expertise judiciaire qui a été ordonnée en référé le 24 janvier 2017. L’expert judiciaire, M. [A] a déposé son rapport le 28 juin 2017.

La société Depla a fait l’objet d’un jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire du tribunal de commerce de Meaux en date du 23 janvier 2017.

Par actes d’huissier de justice des 17 et 18 juillet 2017, les acquéreurs ont fait assigner les sociétés Depla et Cloué Jean & Fils devant le tribunal judiciaire de Tours aux fins d’annulation de la vente et indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement du 10 septembre 2018, le tribunal de commerce de Meaux a arrêté un plan de redressement d’une durée de 10 ans, et nommé la Selarl Ajilink-Labis [C] en qualité de commissaire à l’exécution du plan en la personne de Maître [D] [C].

Par jugement en date du 24 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Tours a :

– déclaré irrecevables les demandes de l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y], faute pour eux d’avoir déclaré leur créance à la procédure collective de la société Depla ;

– condamné l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] in solidum aux entiers dépens :

– condamné la société Depla au coût de l’expertise judiciaire ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au jugement.

Par déclaration en date du 10 décembre 2020, l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] ont interjeté appel de tous les chefs de ce jugement sauf en ce qu’il condamne la société Depla au coût de l’expertise judiciaire.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 7 juin 2021, l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] demandent à la cour de :

– annuler et en tout cas réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau :

– constater l’existence de vices cachés affectant la moissonneuse batteuse Case 2388 XC ;

– dire et juger que les sociétés Cloué Jean & Fils et Depla ont commis des fautes qui ont fait obstacle à ce qu’ils puissent se servir de la moissonneuse batteuse ;

– les dire recevables et bien fondés en leurs demandes ;

En conséquence,

– prononcer la résolution de la vente de la moissonneuse batteuse intervenue en 2015 ;

– ordonner à la société Depla d’avoir à remonter, et reprendre possession de la moissonneuse à ses frais, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter du 15e jour suivant la notification du « jugement » à intervenir, qui est actuellement en pièces détachées au lieu dit [Adresse 7] à [Localité 4] ;

– condamner solidairement la société Depla et la société Cloué Jean & Fils d’avoir à réparer le préjudice subi par les concluants et ainsi chiffré :

remboursement du prix d’acquisition soit la somme de 84 000 € ;

montant du coût du remplacement de la moissonneuse pour les saisons 2016 à 2020 et préjudice commercial soit pour :

– L’EARL [Adresse 8] pour un montant de 40 610 €

– L’EARL Le Petit Varnelle pour un montant de 62 891 €

– M. [Y] pour un montant de 34 075 €

– prononcer leurs condamnations solidaires à due concurrence ;

– rejeter toutes demandes, fins et prétentions contraires ;

– condamner solidairement la société Depla et la société Cloué Jean & Fils d’avoir à leur régler la somme de 5 000 € à chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens de 1re instance qui comprendront notamment les frais d’expertise et d’appel.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 12 mai 2021, la société Depla demande à la cour de :

À titre principal,

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de l’EARL [Adresse 8], de l’EARL Le Petit Varnelle et de M. [Y] ;

– débouter les autres parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

À défaut,

– dire et juger l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] mal-fondés en leurs demandes ;

Ce faisant,

– débouter l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

– condamner l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] à lui payer une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Subsidiairement,

– débouter l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] de leur demande de résolution de la vente de la moissonneuse-batteuse Case modèle 2388 XC en date du 20 mai 2015 ;

– lui donner acte de sa proposition de remise en état de la moissonneuse-batteuse ;

– dire et juger cette proposition satisfactoire ;

Très subsidiairement,

– limiter sa condamnation en sa qualité de vendeur, au paiement du coût de remise en état tel que retenu par l’expert judiciaire, soit 10 000 € ;

En tout état de cause,

– fixer le préjudice financier des requérants à la somme de 23 072 € ;

– rapporter à de plus justes proportions la demande des requérants présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Cloué Jean & Fils à la garantir de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice des requérants, en ce compris le cas échéant la condamnation à restitution du prix de vente ;

À défaut,

– condamner la société Cloué Jean & Fils à lui payer une indemnité correspondant à la totalité des sommes mises à sa charge au profit de l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] ;

– condamner la société Cloué Jean & Fils à lui payer une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Cloué Jean & Fils aux entiers dépens de l’instance ;

– débouter la société Cloué Jean & Fils de toutes ses demandes, fins et prétentions contraires ;

– dire n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 22 juillet 2021, la société Cloué Jean & Fils demande à la cour de :

À titre principal,

– confirmer le jugement déféré ;

– débouter l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle, et M. [Y] de l’ensemble de leurs demandes à son encontre ;

– condamner l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle, et M. [Y] à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;

À titre subsidiaire, en cas d’infirmation du jugement rendu,

– débouter l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle, et M. [Y] de l’ensemble de leurs demandes à son encontre ;

– condamner l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle, et M. [Y] à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;

À titre subsidiaire, en cas d’infirmation du jugement rendu, et de condamnation de la société Cloué Jean & Fils,

– condamner la société Depla à la garantir intégralement de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre tant en principal, intérêts, frais et article 700 du code de procédure civile et dépens :

– limiter les préjudices de l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle, et M. [Y] à ceux retenus par l’expert [A] dans le cadre de son rapport à savoir, concernant la remise en état du véhicule (10 000 €) et leur préjudice financier (5 768 €) ;

– les débouter du surplus de leurs demandes fins et prétentions.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

Par note aux parties en date du 25 mai 2023, la cour a sollicité les observations des parties sur le moyen relevé d’office tiré de l’éventuelle irrecevabilité du recours en garantie formé par la société Cloué Jean & Fils à l’encontre de la société Depla, en application de l’arrêt des poursuites prévu à l’article L.622-21 du code de commerce.

Par note en délibéré du 26 mai 2023, la société Depla a indiqué que la demande en garantie pure et simple de la société Cloué Jean et fils constitue une demande tendant à la condamnation au paiement d’une somme d’argent, et trouve sa cause antérieurement à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Depla ; que la prétendue créance de la société Cloué Jean et fils, au demeurant fermement contestée, ne saurait donc être regardée comme ayant été contractée postérieurement au jugement d’ouverture, ou pour les besoins de la procédure ou de la période d’observation, soit en contrepartie d’une prestation fournie au cours de ladite période d’observation ; qu’il y a lieu de déclarer le recours en garantie de la société Cloué Jean et fils irrecevable, par application de l’article L.622-21 du code de commerce.

Par note en délibéré du 9 juin 2023, la société Cloué Jean et fils a fait valoir que la créance éventuelle existante entre elle et la société Depla repose uniquement sur le sort de l’action en justice lancée par l’EARL [Adresse 8], Le Petit Varnelle et M. [Y] ; que l’article L.622-17 du code de commerce fait une exception à l’interdiction des paiements prévue à l’article L.622-21 ; que c’est la date de l’assignation au fond, délivrée à la société Cloué qui a fait naître la créance et permet de la dater, soit postérieurement à l’ouverture de la mesure de procédure collective, de sorte qu’il s’agit bien d’une créance postérieure au sens de la loi non soumise à l’article L.622-21 du code de commerce ; qu’il faut rappeler qu’une fois le plan de redressement adopté, la société est considérée comme étant in bonis et que l’arrêt des poursuites individuelles n’a plus lieu d’être, car l’article L.622-21 se situe dans un chapitre dédié à la période d’observation qui est celle se situant entre l’ouverture de la procédure et l’adoption du plan et il n’est spécifié à aucun moment dans le code de commerce que l’interdiction des poursuites perdure une fois le plan adopté ; que dès lors que la recevabilité d’une demande se juge au jour où la cour statue, c’est-à-dire postérieurement à l’adoption du plan de redressement, l’article L.622-21 du code de commerce ne constitue pas un obstacle au recours en garantie de la société Cloué Jean & Fils qui est parfaitement recevable.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes des acquéreurs

Moyens des parties

Les appelants soutiennent qu’aucun texte ne vient sanctionner le défaut de production au passif par l’irrecevabilité d’une demande ; que la suspension des poursuites individuelles ne paralyse une action en résolution que lorsque celle-ci est fondée sur le défaut de paiement du prix, mais aucunement lorsque la résolution est demandée au constat de l’existence de vices cachés ; que même si aucune déclaration de créance n’a pu être réalisée, cela n’entraîne pas extinction de la créance, mais la rend simplement inopposable à la procédure collective ; que dès lors que la procédure collective ne s’est pas terminée par une liquidation judiciaire définitive puisqu’un plan de redressement a été homologué, le tribunal n’a pu valablement considérer que les demandes étaient irrecevables à l’encontre de la société Depla redevenue in bonis ; que les dirigeants de la société Depla ne les ont pas informés de cette procédure collective ; que la société Depla a violé les dispositions du dernier alinéa de l’article L.622-22 du code de commerce selon lesquelles, le débiteur, partie à une instance en cours, informe le créancier poursuivant de l’ouverture de la procédure dans les dix jours de celle-ci ; que le créancier recouvre son droit de poursuite individuelle après la clôture de la procédure, et c’est particulièrement le cas lorsque le débiteur a tu la procédure et a adopté un comportement incompatible avec son existence ; qu’en cette hypothèse qui constitue une fraude aux droits du créancier dont la créance n’a pas été vérifié, ce dernier recouvre son droit de poursuite conformément à l’article L.643-11 IV et V du code de commerce.

La société Depla demande la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré les demandes irrecevables, aux motifs que la créance née de la garantie des vices cachés a son origine au jour de la conclusion du contrat de vente, de telle sorte que l’obligation de déclaration de créance s’impose à l’acheteur ; qu’à compter du jugement d’ouverture en date du 23 janvier 2017, il appartenait aux vendeurs de déclarer leur créance en application des articles L.622-24 et suivants du code de commerce et de se soumettre à la procédure de vérification des créances ; que si elle ne conteste pas avoir omis d’informer les appelants de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à son encontre, la simple consultation du BODACC, préalablement à l’introduction de l’instance au fond, aurait permis à ces derniers de prendre connaissance du jugement de redressement judiciaire et de déclarer leurs créances ; que c’est à juste titre que le tribunal a prononcé l’irrecevabilité des demandes des acquéreurs, ces derniers ne pouvant tirer argument de l’adoption d’un plan de continuation de l’activité dès lors que la décision arrêtant le plan de redressement ne met pas fin à la suspension des poursuites individuelles ; que l’article L.643-11 du code de commerce est inapplicable au cas d’espèce, seul le tribunal de commerce saisi de la procédure collective ayant la faculté d’autoriser, le cas échéant, la reprise des poursuites individuelles.

Réponse de la cour

L’article L.622-21 du code de commerce, dans sa version alors applicable, dispose :

« I.-Le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ;

2° A la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ».

L’article L.622-26 du code de commerce, dans sa version alors applicable, dispose que les créances non déclarées régulièrement dans les délais sont inopposables au débiteur pendant l’exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus.

En application de ces textes, lorsqu’aucune instance en paiement d’une somme d’argent n’est en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective du débiteur, le créancier ne peut faire constater le principe de sa créance et en faire fixer le montant, autrement qu’en la déclarant et en se soumettant à la procédure de vérification du passif. À défaut, l’interdiction des actions en justice constitue une fin de non-recevoir qui peut être proposée en tout état de cause, et il ne peut y être fait obstacle en considérant que le défaut de déclaration de créance n’a pour seule sanction que de rendre ladite créance, qui n’est pas éteinte, inopposable à la procédure collective pendant l’exécution du plan et que le créancier a la possibilité de reprendre son droit de poursuite si le plan de sauvegarde n’est pas complètement exécuté, ainsi sur l’a d’ailleurs jugé la Cour de cassation (3e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n° 20-15.886, 20-16.785).

En revanche, il résulte de l’article L.622-21 du code de commerce que l’action en résolution d’un contrat pour inexécution d’une obligation autre qu’une obligation de payer une somme d’argent n’est ni interrompue ni interdite par le jugement qui ouvre la liquidation judiciaire procédure collective (Com., 13 septembre 2017, pourvoi n° 16-12.249), mais que lorsqu’un contrat conclu avant l’ouverture de celle-ci est résolu, après l’ouverture de cette procédure pour inexécution d’une obligation autre qu’une obligation de payer une somme d’argent, la créance de restitution, bien que née postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, ne peut bénéficier du traitement préférentiel prévu par ces dispositions, faute d’être née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période. En conséquence, le débiteur ne peut être condamné à payer cette créance de restitution et, conformément aux dispositions de l’article L.624-2 du code de commerce, le créancier, après l’avoir déclarée, ne peut en faire constater le principe et fixer le montant qu’en suivant la procédure de vérification des créances devant le juge-commissaire (Com., 15 juin 2022, pourvoi n° 21-10.802, 21-12.358).

Par ailleurs, l’action en résolution pour un motif autre que l’obligation de payer une somme d’argent n’est pas indivisible de l’action en paiement de dommages-intérêts (Com. 16 octobre 2007, pourvoi n° 06-16.713). L’action en résolution d’une vente pour vice caché ne tendant pas au paiement d’une somme d’argent, elle ne peut être déclarée irrecevable, alors même que l’acheteur demande le remboursement du prix et le paiement de dommages-intérêts (Com., 2 mars 1999, pourvoi n° 96-12.071).

Enfin, il convient de préciser que la créance née de la garantie des vices cachés a son origine au jour de la conclusion de la vente et non au jour de la révélation du vice (Com., 18 janvier 2005, pourvoi n° 02-12.967).

En l’espèce, le contrat de vente entre la société Depla d’une part et l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [U] [Y] d’autre part a été conclu le 20 mai 2015.

La société Depla a fait l’objet d’un jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire du tribunal de commerce de Meaux en date du 23 janvier 2017. Aucune instance en paiement d’une somme d’argent diligentée n’était en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective du débiteur, car les acquéreurs n’ont fait assigner la société Depla en justice le 17 juillet 2017.

Il s’ensuit que l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] ne pouvaient faire constater le principe de leur créance et en faire fixer le montant, autrement qu’en la déclarant et en se soumettant à la procédure de vérification du passif.

Seule une décision par laquelle le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate son absence de pouvoir juridictionnel pour trancher une contestation relative à une créance déclarée et sursoit à statuer en conséquence sur son admission peut inviter les parties à saisir la juridiction compétente. Il s’ensuit qu’après avoir déclaré sa créance, un créancier ne peut saisir directement le juge du fond d’une demande en fixation de cette créance et doit attendre la décision du juge-commissaire l’invitant à saisir le juge du fond compétent, lors même que la contestation ou la créance ne relèvent pas, a priori, du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire (Com., 13 septembre 2017, pourvoi n° 16-12.249).

En conséquence, en l’absence de déclaration de créance et de décision d’incompétence ou de sursis à statuer du juge-commissaire, les demandes en paiement formées par l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] à l’encontre de la société Depla, y compris au titre de la restitution du prix qui pourrait être prononcée en cas de résolution du contrat de vente sont irrecevables.

Les appelants ne peuvent se prévaloir de l’article L.622-22 du code de commerce alinéa 2 qui prévoit que le débiteur, partie à l’instance, informe le créancier poursuivant de l’ouverture de la procédure dans les dix jours de celle-ci, car cette disposition n’est applicable, aux termes de l’alinéa 1er que lorsqu’une instance en cours est interrompue par un jugement d’ouverture d’une procédure collective du débiteur, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

S’agissant de la demande de résolution de la vente formée par les appelants qui n’est pas fondée sur le défaut de paiement d’une somme d’argent, elle est recevable à l’encontre de la société Depla. De même, l’absence de respect par les demandeurs de la procédure de vérification de créance à l’égard de la société Depla par les acquéreurs n’est pas de nature à rendre leurs demandes irrecevables à l’encontre de la société Cloué Jean & Fils qui n’a pas fait l’objet d’une procédure collective.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] formées à l’encontre de la société Cloué Jean & Fils et la demande en résolution de la vente formée à l’encontre de la société Depla. En revanche, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable toutes les autres demandes formées à l’encontre de la société Depla.

Sur la résolution de la vente

Moyens des parties

Les appelants soutiennent que des défauts affectaient la moissonneuse-batteuse avant la vente ; qu’il ne saurait être contesté que les désordres établis par l’expert préexistaient à la vente comme cela est attesté par la facture émise par la société Depla en date du 30 novembre 2012 faisant état de travaux pour réparer la grille supérieure qui est la cause du défaut de fonctionnement de la machine ; qu’ils entendent voir obtenir la résolution avec restitution de la chose et le remboursement du prix d’achat et l’indemnisation de leur préjudice ; que la machine est aujourd’hui démontée et occupe un hangar et y a lieu de voir ordonner à la société Depla d’avoir à remonter et reprendre possession de la moissonneuse à ses frais et ce sous astreinte.

La société Depla réplique que l’existence d’un vice caché n’est pas établie ; qu’elle a procédé au remplacement d’une pièce défectueuse, dans le cadre de la garantie contractuelle accordée aux acquéreurs ; qu’au cours de la moisson 2016, la société Cloué est intervenue à diverses reprises directement à la demande des exploitants, jusqu’à l’immobilisation décidée de l’engin, fin juillet 2016 ; que depuis la vente, l’engin a connu de nombreuses interventions, tant de la société Depla et que de la société Cloué ; que les acquéreurs ont également procédé eux-mêmes à des travaux d’entretien ou de réparation suite à des dysfonctionnements divers, pour lesquels n’a pu être dégagée un défaut unique ; que les investigations de l’expert ont mis en évidence l’absorption d’un corps étranger sur la grille du contre-batteur, et le rôle causal du choc qui en est résulté, dont l’antériorité à la vente n’est aucunement démontrée, ne peut être exclu ; que l’état de la machine, lors de son examen par l’expert judiciaire, était bien différent de celui dans lequel elle a été livrée aux exploitants au mois de juin 2015, deux années auparavant ; que les défauts examinés lors de l’expertise ne sont pas ceux qui affectaient l’engin agricole quelques heures seulement après la vente ; qu’ainsi, il n’est pas établi que la boîte de vitesses présentait lors de la vente les dysfonctionnements observés au cours de l’expertise ; qu’après démontage, le roulement d’excentrique a été mis en cause dans les dysfonctionnements affectant la boîte de vitesses, mais il s’agit d’une pièce d’usure, dont le remplacement relève de l’entretien normal de l’engin agricole et son avarie ne constitue pas un vice caché ; que la seule circonstance que la première casse de grille se soit produite quelques heures d’utilisation seulement après la livraison est insuffisante à établir l’antériorité à la vente d’un prétendu vice caché ; qu’en dépit des conclusions de l’expert judiciaire, l’antériorité à la vente des défauts présents actuellement sur l’engin agricole n’est pas établie avec certitude ; que si le vice caché était retenu, il conviendra de dire que le coût de remise en état de l’engin n’a rien de rédhibitoire et de rejeter la demande de résolution de la vente.

La société Cloué Jean & Fils indique que l’expert ne précise pas les défauts antérieurs ou postérieurs à la vente ; que les conclusions expertales constituent les seuls éléments de preuve sur lesquels s’appuient les requérants afin de tenter de démontrer du bien-fondé de leur action au fond ; que dans ces conditions, la notion de vice caché ne peut pas être raisonnablement retenue ; que le cas échéant, la garantie afférente est opposable au seul vendeur de la chose, à savoir, en l’espèce, la société Depla.

Réponse de la cour

L’article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.

L’expert judiciaire a relevé que la machine fabriquée en 2003, affichait environ 2 250 heures au moteur et 1750 heures au batteur lors de la vente. En 2015, des problèmes rencontrés sur la machine ont conduit la société Depla à intervenir sur la machine et à faire appel à la société Cloué. Suite à de nouveaux problèmes en 2016, les acquéreurs ont réparé une bielle le 12 juillet 2016 qui avait déjà été réparée en 2015. Le 19 juillet 2016, la société Cloué a changé le support de boîte de vitesses qui avait déjà été changé en 2015, puis elle a procédé au changement d’un bras de secoueur, du support de boite et de l’accouplement du rotor, et de la grille.

Lors des opérations d’expertise, la machine affichait 2 818 heures de fonctionnement du moteur et 2 043 heures pour le batteur. L’expert judiciaire a conclu sur l’existence des désordres suivants :

« La moissonneuse est en bon état général.

Deux défauts récurrents sont constatés.

Le support de la boite de vitesses du rotor est cassé (…).

Nous constatons de très fortes vibrations de la machine à ce niveau (…).

Après démontage, la boite de vitesses est constatée hors d’usage (…).

La grille supérieure se fissure puis se casse ainsi que les bras oscillants d’entraînement.

La grille présente sur la machine a due être renforcée (…), un bras est ressoudé à gauche et l’autre usé à droite (ce bras a déjà été changé). Une bielle est tordue.

Les deux défauts observés interdisent l’utilisation de la machine ».

S’agissant de la préexistence des vices à la vente, l’expert a indiqué :

« Avec les éléments disponibles dans les pièces du dossier et les observations effectuées lors des réunions contradictoires, il est avéré qu’un ou plusieurs défauts affectaient cette machine avant la vente (défauts toujours présents entraînant la ruine prématurée de la grille et du support arrière du rotor).

Le diamètre de certaines vis de la boîte de vitesse avait été augmenté ce qui démontre l’ancienneté des problèmes sur cette machine.

Le mauvais équilibrage du rotor et le désalignement de son accouplement expliquent les défaillances au niveau de la boîte de vitesses du rotor.

L’usure constatée du bras oscillant droit implique une désynchronisation des mouvements droits et gauches ce qui conduit au cisaillement des grilles et peut participer à leur défaillance prématurée.

Toutefois, la seule contrainte de cisaillement conduirait à une fissuration dans les coins de la grille ce qui n’a pas été observé.

Le jeu dans le bras conduit à des chocs dans les mouvements ce qui explique la fissuration centrale des traverses ».

Enfin, il convient de relever que l’expert judiciaire a répondu aux dires de la société Depla qui émettait des objections sur les causes des désordres, comme suit :

« Il n’y a pas de lien entre l’état du roulement de l’excentrique et le dysfonctionnement de la boîte de vitesses. (…)

La boîte de vitesses est dans un état qui prouve que sa fixation avait déjà fait l’objet de modifications attestées par l’augmentation du diamètre des vis.

La ruine du support à plusieurs reprises et de la lunette de fixation démontre que des anomalies existaient lors de la vente.

Nous rappelons que le support de la chaise a été changé dès le 13 juillet 2015 soit moins d’un mois après la livraison et qu’une grille avait été changée le 10 juillet 2015 ».

En conséquence, le rapport d’expertise permet d’établir que les vices affectant l’engin agricole le rendent impropre à son usage et qu’ils existaient avant la vente. La chronologie des réparations effectuées dans les semaines suivant la vente ainsi que les casses à répétition et l’usure anormale de pièces de la machine confortent le fait que les vices étaient existants lors de la vente.

Ainsi que l’a relevé l’expert judiciaire, il n’a pas été constaté de mauvaise utilisation du véhicule par les acquéreurs, et le nombre d’heures d’utilisation de celui-ci entre la vente et les dysfonctionnements à répétition excluent que les pannes soient causées par son utilisation intensive par les exploitants. La société Depla n’explique d’ailleurs pas les causes des multiples dégradations survenues sur les pièces du véhicule, pourtant régulièrement réparé par elle et la société Cloué.

L’offre du vendeur d’effectuer des réparations sur la chose défectueuse ne fait pas obstacle, même si ces réparations sont modiques, à l’action de l’acquéreur en résolution de la vente, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation (1re Civ., 23 mai 1995, pourvoi n° 93-17.367). Il n’y a pas lieu de donner acte à la société Depla de sa proposition de remise en état de la moissonneuse-batteuse, qui ne constitue pas un chef de demande emportant des conséquences juridiques.

Les acquéreurs ayant librement opté pour l’action rédhibitoire, il convient donc d’ordonner la résolution de la vente.

Il convient de rappeler que s’agissant de la résolution d’un contrat conclu avant l’ouverture de la procédure collective pour inexécution d’une obligation autre qu’une obligation de payer une somme d’argent, le débiteur ne peut être condamné à payer la créance de restitution du prix pour laquelle le créancier, après l’avoir déclarée, ne peut en faire constater le principe et fixer le montant qu’en suivant la procédure de vérification des créances devant le juge-commissaire (Com., 15 juin 2022, pourvoi n° 21-10.802, 21-12.358).

Enfin, la société Cloué Jean & fils n’ayant pas la qualité de vendeur, elle ne saurait être condamnée à la restitution du prix qui seule incombe au vendeur. Les appelants seront donc déboutés de cette demande formée à l’encontre de la société Cloué Jean & fils.

Sur la responsabilité de la société Cloué Jean & Fils

Moyens des parties

Les appelants font valoir que la responsabilité de la société Cloué, qui a effectué toutes les réparations en sous-traitance doit voir engager sa responsabilité contractuelle puisqu’elle n’a pas décelé les causes du préjudice et que ses réparations se sont révélées totalement inutiles ; que la société Cloué qui n’a pas réparé ce vice a ainsi contribué à la réalisation du préjudice dont il est sollicité réparation ; qu’ils ont subi un préjudice lié aux frais liés au remplacement de la machine agricole pour les saisons 2016 à 2018 ; qu’ils ont également subi un préjudice commercial, car les difficultés rencontrées ont affecté gravement la trésorerie des exploitations ; que chacun supporte les frais financiers liés à l’acquisition de la machine sans pouvoir s’en servir ; que ce préjudice ne saurait être réparé par une somme inférieure pour chacun d’entre eux à 10 000 € à titre de préjudice commercial et financier.

La société Cloué Jean & fils indique que la responsabilité de plein droit qui pèse sur le garagiste réparateur ne s’étend qu’aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat et il appartient à celui qui recherche cette responsabilité, lors de la survenance d’une nouvelle panne, de rapporter la preuve que les dysfonctionnements allégués sont dus à une défectuosité reliée à l’intervention du garagiste ; qu’elle est intervenue à la demande de la société Depla sur la chaise de la moissonneuse batteuse ; que les défauts constatés par l’expert sont sans lien avec ses interventions ; qu’il lui est reproché un potentiel défaut de diagnostic, mais elle n’a jamais été missionnée pour régler un problème de rotor ou du bras oscillant, outre le fait que ce n’est pas la cause des pannes et désordres ; que rien ne permet d’établir, ni même de présumer de l’existence d’un lien de causalité entre ses interventions et les désordres survenus notamment après utilisation du véhicule dans des conditions par ailleurs inconnues ; qu’à titre subsidiaire, il convient de limiter l’indemnisation aux seuls préjudices retenus par l’expert judiciaire dans le cadre de son rapport, à savoir, la remise en état du véhicule et le préjudice financier validé à hauteur de la somme de 5 768 € ; que les frais liés au remplacement de la machine sont en lien direct avec le vice existant et non son intervention ; que le préjudice commercial n’est corroboré par aucune pièce.

Réponse de la cour

L’article 1147 du code civil dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

En application de cette disposition, si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n’est engagée qu’en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l’existence d’une faute et celle d’un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation (1re Civ., 11 mai 2022, pourvois n° 20-18.867 et n° 20-19.732).

En l’espèce, l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] ont confié la réparation de leur moissonneuse-batteuse à la société Depla qui a sous-traité ces travaux à la société Cloué Jean & fils en juillet 2016. Ladite société a procédé au changement du support de boîte de vitesses, d’un bras de secoueur, du support de boîte et de l’accouplement du rotor, de la grille et à la réparation de celle-ci.

En conséquence, en l’absence de lien contractuel entre l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] et la société Cloué Jean & fils, la responsabilité de celle-ci ne peut être engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Les conclusions des appelants visant également l’article 1382 du code civil dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, il convient d’examiner si les conditions de la responsabilité délictuelle de la société Cloué Jean & fils sont réunies.

Il est constant que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation (Ass. Plén., 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963 ; Ass. Plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255).

L’expert judiciaire a examiné tant les désordres affectant le véhicule que les factures des prestations de la société Cloué Jean & Fils et a indiqué :

« Cloué a procédé à des réparations et à des modifications (renforcements au niveau des grilles) qui démontrent sa capacité à prendre des initiatives pour dépanner ses clients.

L’expert ne conteste pas que les réparations de Cloué se sont avérées inefficaces et que l’équilibrage du rotor aurait dû être effectué.

[…]

L’intervention de Cloué comme sous-traitant de Depla n’exclut pas d’avoir le professionnalisme adéquat pour le diagnostic et l’entretien du matériel.

Faute d’avoir connaissance des instructions précises de Depla, la réparation de la chaise sans rechercher la cause première de la défaillance (défaut d’équilibrage du rotor) ne semble pas conforme aux règles de l’art ».

Il résulte du rapport d’expertise que la société Cloué Jean & fils a réalisé des réparations inefficaces et non-conformes aux règles de l’art, de sorte que les désordres ont persisté après son intervention. Sa faute et le lien de causalité entre celle-ci et les désordres sont donc présumées, et le garagiste ne rapporte pas la preuve contraire.

En conséquence, la responsabilité délictuelle de la société Cloué Jean & fils est engagée à l’égard des appelants, qu’elle doit indemniser intégralement des préjudices subis.

S’agissant du préjudice financier, il est établi que la moissonneuse-batteuse a été définitivement immobilisée à compter du mois de juillet 2016, à raison des réparations inefficaces réalisées par la société Cloué Jean & fils. L’expert a examiné les factures des prestataires auxquels les exploitants ont eu recours pour la moisson de l’année 2016, soit une somme de 7 608,30 euros HT mais a proposé un abattement de 1 840 euros en considérant que les exploitants agricoles auraient dû engager des frais de carburant et de consommables s’ils avaient utilisé leur moissonneuse-batteuse.

Cependant, le responsable d’un fait dommageable doit en réparer toutes ses conséquences sans pouvoir alléguer de la situation qui aurait été celle des victimes en l’absence de survenance de celui-ci. Il résulte des factures produites que les appelants ont engagé des dépenses pour faire réaliser les travaux de moisson qu’ils n’auraient pas exposées en l’absence de faute de la société Cloué Jean & Fils, de sorte que celle-ci doit indemniser les appelants à hauteur des dépenses engagées.

L’EARL Le Petit Varnelle justifie avoir engagé les dépenses supplémentaires suivantes pour ses travaux agricoles :

– en 2016 : 5 441,10 € HT

– en 2017 : 13 484,15 € HT

– en 2018 : 12 260,20 € HT (la facture de la société Pasquereau étant de 2 738,70 € et non de 2 732,70 € HT)

– en 2019 : 12 900 € HT

Soit la somme totale de 44 085,45 euros HT soit 52 902,54 euros TTC

La société Cloué Jean & fils sera donc condamnée à payer à l’EARL Le Petit Varnelle la somme de 52 891 euros telle que sollicitée par celle-ci, la cour ne pouvant allouer une somme supérieure à celle demandée.

L’EARL [Adresse 8] justifie avoir engagé les dépenses supplémentaires suivantes pour ses travaux agricoles :

– en 2016 : 1 458 € HT

– en 2017 : 6 790,45 € HT

– en 2018 : 5 261,40 € HT

– en 2019 : 6 000 € HT

– en 2020 : 6 000 € HT

Soit la somme totale de 25 509,85 euros HT soit 30 611,82 euros TTC

La société Cloué Jean & fils sera donc condamnée à payer à l’EARL [Adresse 8] la somme de 30 610 euros telle que sollicitée par celle-ci, la cour ne pouvant allouer une somme supérieure à celle demandée.

M. [Y] justifie avoir engagé les dépenses supplémentaires suivantes pour ses travaux agricoles :

– en 2016 : 240 € HT

– en 2017 : 4 222,50 € HT

– en 2018 : 4 546,10 € HT

– en 2019 : 5 859 € HT

– en 2020 : 5 195,50 € HT

Soit la somme totale de 20 063,10 euros HT soit 24 075,72 euros TTC

La société Cloué Jean & fils sera donc condamnée à payer à M. [Y] la somme de 24 075 euros telle que sollicitée par celui-ci, la cour ne pouvant allouer une somme supérieure à celle demandée.

Les appelants ne justifiant pas du préjudice commercial et financier allégué, notamment par la production de bilans comptables, il convient de rejeter leurs demandes formées à ce titre.

Sur les recours en garantie

Moyens des parties

La société Cloué Jean & Fils soutient que la société Depla doit la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre compte tenu de l’existence de vices antérieurs à la vente concernant l’équilibrage du rotor et imputable à la société Depla ; qu’en matière de vice caché, il existe une présomption de connaissance du vice par le professionnel de telle sorte qu’il appartenait à la société Depla de l’alerter sur ce vice pour qu’elle le répare ; que le rééquilibrage du rotor constitue un point minime sur l’intégralité des réparations à effectuer, alors que le présent litige est en lien avec un vice parfaitement connu du vendeur et dont il lui appartient d’assumer les conséquences, un garagiste ne pouvant pas remédier à ce type de vice eu égard à leur difficulté de diagnostic.

La société Depla demande de voir la société Cloué condamnée à la garantir de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice des requérants, en ce compris le cas échéant la condamnation à restitution du prix de vente aux motifs que sa qualité de sous-traitante n’est pas de nature à l’exonérer de toute responsabilité ; qu’en sa qualité de professionnelle de la réparation, l’obligation de résultat de la société Cloué l’obligeait à mettre en ‘uvre une réparation efficace et, au besoin, à préconiser tous travaux supplémentaires qu’elle pouvait estimer utiles ; que l’intervention de la société Cloué sur la chaise est en cause puisque celle-ci a de nouveau rompu quelques mois plus tard, de sorte que le garagiste s’est contenté de remplacer le support sans rechercher la cause de la panne ; qu’en outre, la société Cloué est intervenue en 2016 dans le cadre d’une révision de préparation à la nouvelle campagne de battage, et elle n’a décelé aucune anomalie ; qu’elle n’a pas programmé un équilibrage du rotor, alors même qu’elle connaissait l’historique récent de l’engin ; qu’en dépit de ces multiples interventions, la société Cloué n’a pas appréhendé la cause exacte des désordres qui se manifestaient sur l’engin agricole ; qu’au-delà de la discussion sur l’existence de prétendus vices cachés, l’inexécution par la société Cloué de son obligation de réparation de résultat est la cause directe et certaine de la répétition des pannes successives et in fine de l’action en résolution des acquéreurs.

Réponse de la cour

En l’espèce, la résolution de la vente a été ordonnée, mais la société Depla n’a été condamnée à aucune somme au regard de l’irrecevabilité des demandes en paiement formées à son encontre. Son recours en garantie formé à l’encontre de la société Cloué Jean & fils est donc sans objet.

S’agissant du recours en garantie de la société Cloué Jean & fils, il convient de relever que les demandeurs ont agi à l’encontre de la société Depla et de la société Cloué Jean & fils par actes des 17 et 18 juillet 2017, soit postérieurement à l’ouverture de la procédure collective de la société Depla le 23 janvier 2017, aux fins de condamnation solidaires de ces sociétés à réparer les dommages causés par leurs fautes.

La créance indemnitaire du codébiteur in solidum contre son co-responsable naît au jour auquel il a été assigné, ainsi que l’a d’ailleurs jugé la Cour de cassation (Com., 13 octobre 2015, pourvoi n° 14-10.664).

La créance alléguée de la société Jean Cloué & fils est donc postérieure à l’ouverture de la procédure collective de la société Depla, mais antérieure à l’adoption du plan de redressement du débiteur. Il ne peut donc être considéré que cette créance serait nouvelle et échapperait ainsi à l’obligation de déclaration de créance.

L’article L.622-17 I du code de commerce dispose que « les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance ».

La société Jean Cloué & fils invoque la responsabilité de la société Depla dans le dommage causé aux demandeurs dont la faute a conduit à sa propre condamnation au paiement de dommages et intérêts. Cette créance n’est pas née pour les besoins de la procédure ou de la période d’observation, pour laquelle elle ne présente aucune utilité, et elle ne résulte pas d’une contrepartie fournie au débiteur pendant la procédure collective.

En conséquence, la société Cloué Jean & fils est mal fondée à se prévaloir des dispositions de l’article L.622-17 du code de commerce pour sa créance au titre de son recours en garantie.

Le jugement ouvrant la procédure collective emporte de plein droit interdiction de payer toute créance née après le jugement d’ouverture, non mentionnée au I de l’article L.622-17 du code de commerce, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation (Com., 3 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.533).

Aux termes de l’article L.622-24 du code de commerce, les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture, autres que celles mentionnées au I de l’article L.622-17 sont soumises, comme les créances antérieures, à l’obligation de déclaration auprès du mandataire judiciaire.

La créance qui n’a pas été déclarée dans le délai prescrit à l’article L. 622-24 du code de commerce est inopposable au débiteur pendant l’exécution du plan, de sorte que le créancier n’est pas recevable à agir en paiement, ainsi que l’a jugée la Cour de cassation (Com., 6 juin 2018, pourvoi n° 16-23.996, Bull. 2018, IV, n° 69).

La créance de la société Cloué Jean & fils n’a pas été déclarée auprès du mandataire judiciaire et se heurte au principe de l’interdiction en paiement.

Il résulte de ces considérations que la demande de la société Cloué Jean & fils tendant à voir condamner la société Depla à la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre est irrecevable.

Sur les dispositions accessoires

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] aux dépens de première instance.

Il convient de rappeler que la créance de dépens et des frais résultant de l’application de l’article 700 du code de procédure civile mise à la charge du débiteur trouve son origine dans la décision qui statue sur ces frais et dépens et entre dans les prévisions de l’article L622-17 du code de commerce lorsque cette décision est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective (3e Civ., 7 octobre 2009, pourvoi n° 08-12.920).

Compte tenu de la solution donnée au litige, il convient de condamner in solidum la société Depla et la société Cloué Jean & Fils aux entiers dépens de première instance et d’appel, étant rappelé que le chef du jugement condamnant la société Depla au coût de l’expertise judiciaire n’est pas critiqué en appel. Il convient également de les condamner in solidum à payer aux appelants la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les autres demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ce qu’il a :

– déclaré irrecevables les demandes de l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] formées à l’encontre de la société Cloué Jean & Fils ;

– déclaré irrecevable la demande de l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] en résolution de la vente formée à l’encontre de la société Depla ;

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions critiquées ;

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :

PRONONCE la résolution de la vente de la moissonneuse-batteuse Case 2388 XC intervenue entre la société Depla d’une part, et l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] d’autre part ;

DÉBOUTE l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] de leur demande de condamnation de la société Cloué Jean & Fils au paiement du prix d’acquisition de la moissonneuse-batteuse ;

CONDAMNE la société Cloué Jean & Fils à payer à l’EARL Le Petit Varnelle la somme de 52 891 euros à titre de dommages et intérêts ;

CONDAMNE la société Cloué Jean & Fils à payer à l’EARL [Adresse 8] la somme de 30 610 euros à titre de dommages et intérêts ;

CONDAMNE la société Cloué Jean & Fils à payer à M. [Y] la somme de 24 075 euros à titre de dommages et intérêts ;

DÉBOUTE l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] de leur demande au titre du préjudice commercial et financier ;

DÉCLARE le recours en garantie de la société Depla à l’encontre de la société Cloué Jean & Fils sans objet ;

DÉCLARE le recours en garantie de la société Cloué Jean & Fils à l’encontre de la société Depla irrecevable ;

CONDAMNE in solidum la société Depla et la société Cloué Jean & Fils à payer à l’EARL [Adresse 8], l’EARL Le Petit Varnelle et M. [Y] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE les autres demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum la société Depla et la société Cloué Jean & Fils aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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