Abus de CDD d’usage dans le spectacle vivant
Abus de CDD d’usage dans le spectacle vivant
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Les contrats faisant référence de manière générique à l’usage en vigueur dans la profession du spectacle de ne pas recourir à un CDD en raison de la nature de l’activité exercée, sans indication d’un motif précis, encourent la requalification en CDI. .

 

Multiplicité des CDD

 

La multiplicité des CDD conclus dans le secteur du spectacle vivant sur une durée globale de plus de 12 ans, conjuguée au fait que ceux-ci portaient sur des fonctions à responsabilité – et reconnues comme telles par l’employeur – démontrent qu’ils répondaient en réalité à un emploi permanent, et, partant, nécessairement à un besoin structurel de main d’oeuvre, de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a accueilli la demande de requalification des CDD en CDI, à compter du 1er juin 2005.

 

Recours aux CDD d’usage dans le spectacle vivant 

 

Aux termes de l’article L1242-1 du code du travail, ‘Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise’.

L’article L1242-2 3° autorise la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dans le cas d’emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

Les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel, la production cinématographique, l’édition phonographique figurent à l’article D1242-1 4° du code du travail identifiant ces secteurs d’activités.

La convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles applicable à l’espèce confirme l’utilisation pour les entreprises du spectacle du CDD d’usage mais celui-ci doit être écrit et comporter la définition précise de son motif, l’employeur devant justifier du caractère temporaire de l’objet du contrat à durée déterminée en indiquant son terme (article V.14 b).

 

Abus de CDD d’usage sanctionné 

Si la société coopérative De rue et De Cirque expose que l’emploi de M. [Y] était exercé dans un secteur d’activité visé par les textes précités et qu’il occupait un poste pour lequel il était d’usage constant de ne pas recourir à un CDI, encore s’agissait-il qu’il soit réellement affecté sur un emploi par nature temporaire et non sur un poste lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

L’article L.1242-12 du code du travail dispose que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

La société affirme que M. [K] cumulait les fonctions de gérant et de directeur de production, avait besoin d’un renfort au coup par coup sur ses fonctions de directeur de production, concernant la préparation, l’organisation et la mise en ‘uvre du suivi budgétaire des productions de la coopérative et que l’activité de M. [Y] n’était donc que « temporaire », uniquement en soutien à M. [K].

Il sera néanmoins relevé que les contrats faisaient référence de manière générique à l’usage en vigueur dans la profession de ne pas recourir à un CDD en raison de la nature de l’activité exercée, sans indication d’un motif précis.

Ensuite, l’affirmation du « renfort au coup par coup » se trouve contredite par l’importance numérique des contrats d’engagements sur l’ensemble de la période contractuelle, au moyen de CDD signés plusieurs fois par mois pour des périodes ne recouvrant à chaque fois que quelques jours, et par le volume journalier annuel du salarié.

En outre, l’étendue des missions confiées à ce dernier – quelle que soit la qualification professionnelle qui lui était attribuée et dont le salarié conteste la véracité ‘ se trouve démontrée au travers des pièces qu’il verse aux débats, lesquelles établissent qu’il exerçait des taches aussi variées que la gestion administrative et financière de la société, ou encore les ressources humaines (formation, recrutement), et le pilotage des dossiers de financement privé ou public.

 


 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 07 DÉCEMBRE 2022

(n° 2022/ , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05648 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCJDR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juillet 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 18/03026

APPELANT

Monsieur [C] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Judith BOUHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0656

INTIMÉE

Société Coopérative d’intérêt collectif (SCIC) DE RUE ET DE CIRQUE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Sylvia LASFARGEAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0113

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 25 octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE

La société De rue et de cirque est une société coopérative d’intérêt collectif à responsabilité limitée à capital variable qui exerce l’activité de diffusion et production culturelle et artistique pour les arts de la rue et du cirque.

Lors de sa création, M. [C] [Y] a souscrit une part sur les 105 au total souscrites, soit un apport de 150 euros.

Trois mois après sa création, M. [Y] a été engagé par contrat à durée déterminée en date du 1er juin 2005 pour la période du 21 juin au 24 juin 2005. Les fonctions mentionnées lors de l’embauche sont celles de « directeur de production concernant le spectacle ». Le salaire brut pour ces 4 journées de 10 heures chacune a été fixé à 1 304 euros.

La société a poursuivi de manière continue la relation de travail avec M. [Y] par contrats à durée déterminée signés plusieurs fois par mois de juin 2005 jusqu’au 21 novembre 2017.

La société coopérative De Rue et De Cirque emploie moins de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984.

La relation entre les parties a pris fin le 21 novembre 2017.

M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes le 19 avril 2018 en sollicitant la requalification de ses contrats de travail en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 juin 2005. Il a contesté la validité des contrats à durée déterminée conclus pendant plus de douze ans et souligné que l’emploi qu’il exerçait au sein de l’entreprise avait un caractère permanent et ne pouvait justifier le recours à des contrats à durée déterminée.

Il a sollicité la requalification à temps plein de son contrat de travail depuis le 21 juin 2005 et a formé des demandes en paiement d’une indemnité de requalification, de divers rappels de salaire ainsi que d’indemnité de rupture.

Par jugement du 17 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a

– ordonné la requalification des contrats à durée indéterminée à compter du 21 juin 2005

– fixé le salaire de base à la somme de 1327,50 euros

– condamné la société coopérative De Rue et De Cirque à payer à Mr [Y] les sommes suivantes :

2 000,00 euros à titre d’indemnité de requalification

5 310,00 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

531,00 euros au titre des congés payés afférents

7 965,00 euros au titre de l’indemnité de licenciement

10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts

– rappelé que les intérêts au taux légal commencent à courir à compter du jour du prononcé du présent jugement s’agissant des demandes à caractère indemnitaire et à compter de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation s’agissant des demandes à caractère salarial

– dit que les intérêts dus pour une année entière produiront intérêt

– ordonné à la société coopérative De Rue et De Cirque de remettre au salarié les documents sociaux conformes à la présente décision

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit en application de l’article R 1454-28 du code du travail s’agissant du paiement des sommes au titre des rémunérations dans la limite de neuf mois de salaire

– l’a ordonné pour le surplus

– condamné la société coopérative De Rue et De Cirque à payer à M. [Y] une somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– débouté M. [Y] du surplus de ses demandes

– débouté la société coopérative De Rue et De Cirque de l’intégralité de ses demandes et la condamne aux dépens

Par déclaration du 26 août 2020, M. [Y] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 9 février 2021, le conseiller de la mise en état, saisi par des conclusions d’incident in limine litis de la société coopérative De Rue et De Cirque a :

– Rejeté l’exception de nullité de la déclaration d’appel,

– Dit que la déclaration d’appel de M. [Y] est régulière et son appel recevable,

– Déclaré la cour d’appel incompétente pour statuer sur la demande nouvelle de dommages et intérêts fondée sur la demande d’exclusion de M. [Y] en sa qualité de sociétaire,

– Invité M. [Y] à mieux se pourvoir,

– Renvoyé la demande de prescription partielle de l’action en requalification des contrats à la cour, saisie de l’entier litige.

Dans ses conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 13 mai 2022, auxquelles il est fait expressément référence, M. [Y] demande à la cour de :

– Déclarer qu’un constat ne constitue en rien une demande, et que la cour n’est saisie d’aucune demande adverse, valablement formée, relative à la validité de la déclaration d’appel.

– Subsidiairement sur ce point, déclarer irrecevable la demande de constat selon laquelle la cour n’est saisie d’aucune demande par la déclaration d’appel de M. [Y] qui n’a pas opéré dévolution,

– Encore plus subsidiairement, la déclarer mal fondée.

– En tout état de cause, en débouter la société coopérative De Rue et De Cirque,

En conséquence,

– Déclarer l’appel de M. [Y] recevable et fondé,

Et ce faisant,

– Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

‘ jugé que la rupture du contrat de travail a été verbalement rompu par la société coopérative De Rue et De Cirque,

‘ ordonné la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée à compter du 21 juin 2005,

‘ fixé en son principe un nouveau salaire de base et alloué une indemnité de requalification, une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, une indemnité de licenciement, des dommages et intérêts, prononcé l’intérêt au taux légal avec capitalisation,

‘ ordonné à la société coopérative De Rue et De Cirque, de remettre à M. [Y] les documents sociaux conformes à la présente décision,

‘ prononcé l’exécution provisoire de droit et l’a ordonné pour le surplus,

‘ condamné dans son principe la société coopérative De Rue et De Cirque, à payer à M.[Y] une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté la société coopérative De Rue et De Cirque, de l’intégralité de ses demandes, la condamnant au dépens.

– Débouter la société coopérative De Rue et De Cirque, des fins de son appel incident et de ses demandes,

Plus particulièrement,

Ce faisant,

– Déclarer mal fondé l’ensemble des demandes incidentes de la société coopérative De Rue et De Cirque de :

– Recevoir la société coopérative De Rue et De Cirque en son appel incident

– Infirmer le jugement en ce qu’il a :

‘ ordonné la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée à compter du 21 juin 2005,

‘ condamné la société coopérative De Rue et De Cirque à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

o 5 310 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 431 euros de congés afférents,

o 7 965 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

o 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

o 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

‘ débouté la société coopérative De Rue et De Cirque de l’intégralité de ses demandes,

‘ le confirmer pour le surplus,

‘ condamné M. [Y] à verser à la coopérative De Rue et De Cirque la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’envoi par M. [Y] de la copie de son courrier aux interlocuteurs institutionnels de la Cooperative De rue et de cirque dans le souci exclusif de lui nuire,

‘ débouté M. [Y] de l’ensemble de ses demandes,

‘ condamné M. [Y] à régler à la coopérative De Rue et De Cirque la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ condamné M. [Y] aux entiers dépens et appliqué les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice de Me [W].

Et ce faisant,

– Réformer le jugement dont appel en ce qu’il a :

‘ fixé le salaire de base à la somme de 1 327,50 euros,

‘ condamné la société coopérative De Rue et De Cirque à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

o 2 000 euros à titre d’indemnité de requalification alors que M. [Y] sollicitait à ce titre la somme de 6 817,05 euros,

o 5 310 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis alors que M. [Y] sollicitait à ce titre la somme de 22 723,50 euros,

o 531 euros au titre des congés payés afférents alors que M. [Y] sollicitait à ce titre la somme de 2 272,35 euros,

o 7 965 euros au titre de l’indemnité de licenciement alors que M. [Y] sollicitait à ce titre la somme de 27 268,20 euros,

o 10 000 euros à titre de dommages et intérêts alors que M. [Y] sollicitait à ce titre la somme de 49 991,17 euros.

‘ condamné la société coopérative De Rue et De Cirque à payer M. [Y] une somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code du procédure civile alors que M. [Y] sollicitait à ce titre la somme de 6 600 euros,

‘ débouté M. [Y] du surplus de ses demandes.

Et, statuant de nouveau,

– Juger recevables et bien fondées les demandes de M. [Y],

Et ce faisant,

– Déclarer que les demandes de M. [Y] de requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée du 21 juin 2005 jusqu’au 21 novembre 2017 ne sont pas prescrites.

Et ce faisant,

– Prononcer la requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée à temps plein sur la période contractuelle du 21 juin 2005 jusqu’au licenciement verbal de M. [Y] le 21 novembre 2017.

– Condamner la société coopérative De Rue et De Cirque aux sommes suivantes :

‘ Rappel de salaire de mai 2015 à novembre 2017 :

o En 2015 : 35 106,00 euros

o En 2016 : 34 811,00 euros

o En 2017 : 37 761,00 euros

‘ Rappel de congés payés afférents aux rappels de salaire de mai 2015 à novembre 2017:

o En 2015 : 3 510,60 euros

o En 2016 : 3 481,10 euros

o En 2017 : 3 776,10 euros

‘ Rappel de salaire sur heures supplémentaires de mai 2015 à novembre 2017:

o En 2015 : 203,89 euros

o En 2016 : 1 683,48 euros

o En 2017 : 648,54 euros

‘ Rappel de congés payés sur heures supplémentaires de mai 2015 à novembre 2017:

o En 2015 : 20,38 euros

o En 2016 : 168,34 euros

o En 2017 : 64,85 euros

– Fixer le salaire brut mensuel moyen réactualisé de M. [Y] à la somme de 4 544,70 euros.

– Condamner la société coopérative De Rue et De Cirque aux sommes suivantes :

‘ Indemnité de requalification à 1,5 mois de salaire 6 817,05 euros (Article L.1245-1 du Code du travail)

‘ Indemnité compensatrice de préavis de 5 mois 22 723,50 euros (Article V.8 du titre V de la CCN les entreprises artistiques et culturelles)

‘ Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis 2 272,35 euros

‘ Indemnité de licenciement 27 268,20 euros (Article V.11 du titre V de la CCN les entreprises artistiques et culturelles)

‘ Dommages et intérêts pour licenciement abusif 49 991,17 euros (Article L.1235-3 alinéa 3 du Code du travail)

‘ Dommages et intérêts pour rupture vexatoire 10 000,00 euros (Article 1240 du Code civil)

‘ Dommages et intérêts pour la privation de la possibilité d’ouvrir un compte épargne temps 5 000,00 euros (Article 1240 du Code civil)

– Ordonner à la société coopérative De Rue et De Cirque la remise des pièces suivantes :

‘ Le registre unique du personnel de la société coopérative De Rue et De Cirque ;

‘ Les comptes-rendus de réunion hebdomadaire de janvier 2015 au 24 novembre 2017.

– Ordonner à la société coopérative De Rue et De Cirque la remise des bulletins de salaire conformes à l’arrêt à intervenir qui devront indiquer la qualification d’Administrateur et de Secrétaire Général, statut Cadre et mentionner les cotisations sociales afférentes effectuées par l’employeur, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document dans le délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, la Cour se déclarant compétente pour liquider l’astreinte, soit les documents suivants :

‘ Les bulletins de salaire de janvier à décembre 2015 ;

‘ Les bulletins de salaire de janvier à décembre 2016 ;

‘ Les bulletins de salaire de janvier à novembre 2017.

– Ordonner à la société coopérative De Rue et De Cirque de justifier à M. [Y] du règlement des cotisations sociales opérées auprès des Caisses de retraite, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du 1er jour du mois suivant la notification du jugement à intervenir.

– Condamner la société coopérative De Rue et De Cirque à la somme de 12 420 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Prononcer l’intérêt au taux légal à compter de la réception de la convocation prud’homale sur toutes les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé de l’arrêt pour toutes les sommes indemnitaires fixées par la cour avec capitalisation (article 1343-2 du Code civil) ;

– Ordonner la remise des documents légaux, solde de tout compte, certificat de travail, bulletin de salaire et attestation d’employeur sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir, le Cour se déclarant compétente pour liquider l’astreinte ;

– Condamner la société coopérative De Rue et De Cirque aux entiers dépens.

– Dire que les dépens d’appel pourront être directement recouvrés par la SELARL Jbouhana Avocat représentée par Me Judith Bouhana Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 10 mars 2022, auxquelles il est fait expressément référence, la société coopérative De Rue et De Cirque demande à la cour de

A titre principal :

– Constater qu’elle n’est saisie d’aucune demande par la déclaration d’appel de M. [Y] qui n’a pas opéré dévolution,

– Se déclarer non valablement saisie

A titre subsidiaire, pour l’hypothèse où la cour s’estimerait valablement saisie

– Recevoir la coopérative De Rue et De Cirque en son appel incident
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
‘ ordonné la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée à compter du 21 juin 2005
‘ condamné la coopérative De Rue et De Cirque à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

5 310 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 531 de congés afférents
7 965 euros au titre de l’indemnité de licenciement
10 000 euros à titre de dommages intérêts
1 500 euros d’article 700 du code de procédure civile

‘ débouté la société coopérative De Rue et De Cirque de l’intégralité de ses demandes

– le confirmer pour le surplus,

– Condamner M. [Y] à verser à la Coopérative De rue de cirque la somme de 20 000 euros de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’envoi par M. [Y] de la copie de son courrier aux interlocuteurs institutionnels de la coopérative De rue de cirque dans le souci exclusif de lui nuire ;

– Débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes

En tout état de cause :

– Condamner M. [Y] à régler à la Coopérative De Rue et De Cirque la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamner M. [Y] aux entiers dépens et dire que les dépens pourront être directement recouvrés par Me Lasfargeas avocate au barreau de Paris conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile

La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 31 mai 2022.

MOTIFS

Sur l’effet dévolutif de la déclaration d’appel

La société coopérative De rue et De Cirque fait valoir que la cour d’appel ne peut pas être saisie par la déclaration d’appel de M. [Y]. Elle expose notamment que même si une annexe peut être adressée, encore faut-il préalablement qu’une déclaration d’appel conforme à l’article 901 du code de procédure civile soit matérialisée sur RPVA pour saisir valablement la cour d’appel et il est impossible de se contenter d’adresser une pièce jointe. Elle se fonde sur un arrêt de la Civ 2ème, 13 janvier 2022, n°17/06.443 selon lequel seul un incident technique aurait permis l’usage de l’annexe, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Dans son avis du 8 juillet 2022, n° 15008 B, la Cour de cassation a retenu qu’une déclaration d’appel à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l’acte d’appel conforme aux exigences de l’article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction et ce, même en l’absence d’empêchement technique.

Aux termes de sa déclaration d’appel du 26 août 2020, M. [Y] a expressément indiqué dans la rubrique « Objet/Portée de l’appel » : « La déclaration d’appel excédant le nombre de caractères limités à 4 080, M. [C] [Y] joint en annexe sa déclaration d’appel. »

Celle-ci a en effet été jointe le même jour, au cours du même envoi, et énonce précisément les chefs de jugements critiqués.

Dès lors, la déclaration d’appel a produit son plein effet dévolutif et tout moyen contraire sera rejeté.

Sur le moyen tiré de la prescription

La société coopérative De rue et De Cirque fait valoir que la demande de requalification des CDDU en CDI conclus antérieurement au 19 avril 2016 est prescrite. Elle souligne qu’en l’espèce, le conseil de prud’hommes a retenu une requalification en CDI à raison d’une absence de respect du formalisme des CDD. Le régime de prescription applicable est donc celui de 2 ans à compter de la conclusion desdits contrats. Ayant saisi le conseil de prud’hommes le 19 avril 2018 , M. [Y] se trouverait donc prescrit en son action en requalification en CDI de tous les CDD conclus avant le 19 avril 2016.

Il a néanmoins été jugé que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat, et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier.

En l’espèce, si M. [Y] fait état de quelques irrégularités de forme, il se prévaut surtout d’irrégularités de fond aux termes desquelles il aurait occupé un emploi permanent lié à l’activité normale de la société. Il met ainsi en cause le caractère temporaire de l’emploi.

Les griefs portant ainsi sur le motif du recours au CDD, M. [Y] pouvait agir dans le délai biennal à compter du terme du dernier contrat ‘ soit à compter du 21 novembre 2017 – et peut faire remonter ses demandes depuis la date du premier contrat.

Ayant saisi le conseil de prud’hommes le 19 avril 2018, aucune prescription ne saurait donc lui être opposée et ce moyen sera rejeté.

– Sur la requalification des CDD en CDI

Aux termes de l’article L1242-1 du code du travail, ‘Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise’.

L’article L1242-2 3° autorise la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dans le cas d’emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée

indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

Les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel, la production cinématographique, l’édition phonographique figurent à l’article D1242-1 4° du code du travail identifiant ces secteurs d’activités.

La convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles applicable à l’espèce confirme l’utilisation pour les entreprises du spectacle du CDD d’usage mais celui-ci doit être écrit et comporter la définition précise de son motif, l’employeur devant justifier du caractère temporaire de l’objet du contrat à durée déterminée en indiquant son terme (article V.14 b).

Si la société coopérative De rue et De Cirque expose que l’emploi de M. [Y] était exercé dans un secteur d’activité visé par les textes précités et qu’il occupait un poste pour lequel il était d’usage constant de ne pas recourir à un CDI, encore s’agissait-il qu’il soit réellement affecté sur un emploi par nature temporaire et non sur un poste lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

L’article L.1242-12 du code du travail dispose que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

La société affirme que M. [K] cumulait les fonctions de gérant et de directeur de production, avait besoin d’un renfort au coup par coup sur ses fonctions de directeur de production, concernant la préparation, l’organisation et la mise en ‘uvre du suivi budgétaire des productions de la coopérative et que l’activité de M. [Y] n’était donc que « temporaire », uniquement en soutien à M. [K].

Il sera néanmoins relevé que les contrats faisaient référence de manière générique à l’usage en vigueur dans la profession de ne pas recourir à un CDD en raison de la nature de l’activité exercée, sans indication d’un motif précis.

Ensuite, l’affirmation du « renfort au coup par coup » se trouve contredite par l’importance numérique des contrats d’engagements sur l’ensemble de la période contractuelle, au moyen de CDD signés plusieurs fois par mois pour des périodes ne recouvrant à chaque fois que quelques jours, et par le volume journalier annuel du salarié.

En outre, l’étendue des missions confiées à ce dernier – quelle que soit la qualification professionnelle qui lui était attribuée et dont le salarié conteste la véracité ‘ se trouve démontrée au travers des pièces qu’il verse aux débats, lesquelles établissent qu’il exerçait des taches aussi variées que la gestion administrative et financière de la société, ou encore les ressources humaines (formation, recrutement), et le pilotage des dossiers de financement privé ou public.

Ainsi, la multiplicité des CDD sur une durée globale de plus de 12 ans, conjuguée au fait que ceux-ci portaient sur des fonctions à responsabilité – et reconnues comme telles par l’employeur – démontrent qu’ils répondaient en réalité à un emploi permanent, et, partant, nécessairement à un besoin structurel de main d’oeuvre, de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a accueilli la demande de requalification des CDD en CDI, à compter du 1er juin 2005.

– Sur la requalification en contrat à temps plein et la demande de rappels de salaires.

Le salarié sollicite la requalification de ses CDD non successifs en CDI à temps complet sans articuler aucun moyen sur la durée du temps de travail, se contentant de développer des arguments relatifs aux périodes interstitielles, sur lesquelles portent exclusivement ses demandes de rappels de salaires; ce qui est confirmé par les pièces.

Le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs et dont le contrat de travail est requalifié en contrat à durée indéterminée ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles que s’il prouve s’être tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.

Durant la période de prescription triennale de 2015 à 2017, M. [Y] expose qu’il travaillait à temps complet pour la société coopérative de rue et de cirque, non seulement au cours de la période stipulée durant les contrats à durée déterminée signés, mais également durant les périodes intermédiaires.

Il apparaît néanmoins que c’est M. [Y] lui-même qui déclarait ses jours et heures de travail à effectuer sur le mois à venir ainsi que leur base salariale horaire.

La coopérative 2r2c produit en effet dans ses pièces 12 à 15 les mails que M [Y] communiquait à la comptable, Mme [P], pour lui déclarer les dates et heures de travail qu’il effectuerait sur le mois à venir, concernant les années 2014, 2015, 2016, 2017.

En fonction de ces déclarations, la coopérative justifie de ce qu’elle établissait les contrats et bulletins pour les périodes expressément demandées par M. [Y].

L’examen des pièces versées aux débats démontre qu’il y avait une correspondance entre les indications du salarié et les documents édités subséquemment par l’employeur.

M. [Y] produit dans le cadre des présents débats un planning de son ‘activité interstitielle’ du ‘1er janvier 2015 au 21 novembre 2017’ faisant désormais état d’une amplitude moyenne hebdomadaire qui s’élèverait à 26h19 ou mensuelle de 114h puis d’une moyenne hebdomadaire du cumul de l’amplitude de travail durant les périodes interstitielles et des heures en CDD de 39h47, la moyenne mensuelle étant selon lui de 172h.

Ce planning, établi pour chaque mois de l’année considérée, renvoie à des pièces constituées principalement de courriels.

Ces échanges peuvent d’autant moins révéler l’existence d’une activité salariée à l’égard de la coopérative qu’ils sont d’une consistance très inégale et laissent apparaître des communications plus ou moins explicites avec des salariés de la société ou des partenaires extérieurs.

Ces courriels, ouverts sur des périodes dites ‘interstitielles’ et consistant, pour nombre d’entre eux en des réponses de quelques mots aux sollicitations de divers acteurs, traduisent l’investissement de M. [Y] au bénéfice de la coopérative en sa qualité de sociétaire historique.

Pour autant, il ne résulte nullement de ces éléments que M. [Y] aurait mené une activité complémentaire aux CDDU à temps plein ni qu’il se serait tenu à la disposition de son employeur.

En toute occurrence, si ce dernier avait fourni un travail effectif sur les périodes intermédiaires, il n’aurait pas manqué d’en faire la déclaration auprès de la comptable selon le procédé décrit ci-dessus. Du reste, plusieurs de ses demandes apparaissent contradictoires, ainsi que l’a souligné à juste titre la société, puisque M. [Y] a notamment sollicité des rappels de salaire sur la base d’un temps plein le 6 janvier 2015, uniquement au vu de deux mails, puis a revendiqué également le bénéfice de ce temps

plein sur le mois de septembre 2017 alors qu’il avait signalé son absence à cette même période.

Il n’y a donc pas lieu de requalifier les contrats à durée déterminée d’usage en contrats à durée indéterminée à temps plein et dès lors les demandes de rappels de salaires sur la base de ce temps complet seront rejetées, de même que les demandes au titre d’heures supplémentaires. Le salaire mensuel moyen de M. [Y] sera donc évalué sur la base de la rémunération qu’il a effectivement perçue durant les douze derniers mois (novembre 2016 à octobre 2017), soit 1 327, 50 euros. Il n’y a pas lieu à la remise de bulletins de salaire recti’és ni même à la production d’éléments justi’catifs des cotisations de retraite. Au regard des éléments versés aux débats, la cour retient qu’il a été fait une juste évaluation de l’indemnité de requalification, qui demeurera fixée à la somme de 2 000 euros. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ces chefs.

‘ Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cessation des relations contractuelles à l’issue du dernier jour travaillé par le fait de l’employeur qui a mis fin verbalement à la collaboration avec son salarié – et alors même que les CDD ont été requalifiés en CDI – est constitutive d’une rupture abusive du contrat de travail aux torts de la société qui doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié est donc fondé en sa demande indemnitaire de ce chef.

Il sera fait application des dispositions tirées de l’article 1235-3 du code du travail.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de M. [Y], de son âge (58 ans), de son ancienneté (12 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice du salarié doit être évaluée à la somme de 14 000 euros. Le jugement déféré sera donc infirmé sur le quantum.

L’article V.8 du titre V de la convention collective nationale applicable pour les entreprises artistiques et culturelles fixe l’indemnité de préavis pour le personnel cadre « à 3 mois en cas de licenciement et 2 mois supplémentaires si le licencié est âgé de 50 à 60 ans ». En l’espèce, le licenciement est intervenu alors que M. [Y] avait 58 ans. Il doit donc lui être reconnu une indemnité de 6 637,50 euros de ce chef outre 663,75 euros au titre des congés payés afférents et le jugement sera infirmé sur ces points.

L’indemnité conventionnelle de licenciement a en revanche été justement évaluée et sera confirmée.

Si la procédure de licenciement n’a pas été respectée par l’employeur, il n’apparaît pas pour autant démontré que ce licenciement aurait revêtu un quelconque caractère vexatoire et dès lors la demande indemnitaire formulée de ce chef sera rejetée. Ensuite, à défaut de démonstration d’un préjudice, la demande de dommages et intérêts pour « privation d’ouvrir un compte épargne temps» sera rejetée.

Sur l’appel incident.

La société coopérative de rue et de cirque sollicite la condamnation de M. [Y] à la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi par l’envoi par ce dernier de son courrier du 27 novembre 2017 à « différents interlocuteurs institutionnels de la Coopérative » faisant notamment état d’une présentation frauduleuse des comptes par M. [K] aux partenaires institutionnels.

M. [Y] conteste avoir adressé copie de son courrier du 27 novembre 2017 à d’autres interlocuteurs que M.[K] et Mmes [P] et [Z], qui étaient en copie.

Si la société expose que plusieurs personnes auraient été destinataires de ce courrier, et se prévaut de quelques courriels à cet égard, elle ne justifie pas d’un préjudice qui en aurait résulté pour elle, se bornant notamment à affirmer que ‘certaines subventions d’investissement seraient malheureusement toujours bloquées’ sans pour autant l’établir.

La demande indemnitaire sera donc rejetée et le jugement confirmé.

Sur les autres demandes

La société coopérative De rue et De Cirque sera condamnée au paiement de la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [Y].

PAR CES MOTIFS

La cour,

DIT que la déclaration d’appel est régulière et produit son plein effet dévolutif.

REJETTE le moyen tiré de la prescription.

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que celui pour l’indemnité de préavis conventionnelle et les congés payés afférents.

Statuant à nouveau de ces deux seuls chefs;

CONDAMNE la société coopérative De rue et De Cirque à payer les sommes suivantes à M. [Y]:

– 14 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– 6 637,50 euros au titre de l’indemnité de préavis conventionnelle outre 663,75 euros au titre des congés payés afférents.

Ajoutant,

CONDAMNE la société coopérative De rue et De Cirque à payer la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [Y].

CONDAMNE la société coopérative De rue et De Cirque aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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